Dans « Le Devoir » au Canada, May Telmissany publie un excellent article sur le Dolan de Laurent Beurdeley

On est enthousiasmé par les films de Xavier Dolan (et par sa persona) ou on ne l’est pas. Aucun autre acteur-scénariste-réalisateur n’a suscité autant de polémiques et d’interrogations au cours des 10 dernières années au Québec. Après avoir conquis la scène du cinéma international, Dolan, réalisateur prodige le plus controversé de la province, fait l’objet d’une enquête biographique extraordinaire signée Laurent Beurdeley.

Paru le mois dernier à Montréal aux Éditions du CRAM sous le titre Xavier Dolan l’indomptable, le livre sort au moment où Dolan fête ses 30 ans et qu’il célèbre 10 ans de carrière marquée par une grande multiplicité esthétique, mais aussi par une vaste polémique souvent nourrie par ses interventions inlassables sur les réseaux médiatiques et sociaux.

Lorsqu’il reçoit des distinctions à Cannes pour son premier film, J’ai tué ma mère, en 2009, Dolan a 20 ans. Aujourd’hui, à l’âge de 30 ans, il aurait signé 7 longs métrages de fiction et obtenu des prix suprêmes à Cannes et ailleurs, sur lesquels revient régulièrement son biographe.

Autodidacte et érudit, Dolan est un phénomène cinématographique et médiatique qui attire à la fois les éloges et les diatribes des critiques et du grand public. On évoque, entre autres, l’ego surdimensionné du vilain petit canard qui serait également adulé par les fans et pastiché à la télévision. L’œuvre, cependant, s’incruste dans le réseau de la cinéphilie mondiale avec des films comme Mommy (2014) et Juste la fin du monde (2016) qui, eux, se présentent comme de véritables succès.

Biographie incontournable

Laurent Beurdeley est maître de conférences à l’Université de Reims. Ses recherches portent notamment sur le Maghreb, la transition démocratique, l’islam, les arts et la culture, ainsi que les questions de genre. Son champ de spécialisation n’a donc rien à voir avec les études cinématographiques, et pourtant il excelle dans l’analyse du phénomène filmique tant par son érudition que par ses commentaires astucieux sur les contextes de production et de réception des films.

Cela n’empêche pas que certains chapitres semblent moins bien ficelés que d’autres. La discussion des thématiques de prédilection dans l’œuvre de Dolan (identité et différence, représentation des femmes, critique de la famille) laisse à désirer. Par contre, une structure claire et solide permet de faire avancer le livre de façon méthodique jusqu’à la conclusion.

En plus des chapitres anecdotiques et thématiques, une analyse détaillée de chacun des films de Dolan est offerte à partir du chapitre neuf à raison d’un chapitre par film. La valeur des analyses contextuelles proposées par l’auteur demeure donc incommensurable. La découverte de l’œuvre de Dolan incite l’auteur à porter un regard critique sur ce réalisateur hors norme en insistant non seulement sur son univers créatif, mais aussi sur le contexte filmique et social dans lequel chacun de ses films a évolué.

Extrêmement bien documentée, particulièrement agréable à lire, cette biographie analytique s’avère un must pour les cinéphiles, les étudiants en cinéma, les critiques et les historiens du film. Une traduction en anglais serait certainement souhaitable et s’alignera désormais avec le bilinguisme affiché du prodigieux acteur-réalisateur.

On nous raconte comment Dolan abandonne l’école à l’âge de 17 ans, comment il gère les rapports familiaux et pourquoi il n’a jamais vécu le fardeau d’une révélation de son homosexualité à la famille. Ceci expliquerait peut-être le style Nouvelle Vague du cinéaste autodidacte, l’importance des rapports de groupe dans ses films, et pourquoi l’homosexualité de ses personnages n’est pas la problématique centrale des films.

Beurdeley explique à ce sujet : « Le souci du metteur en scène consiste à montrer la diversité humaine, à la déployer selon des sexualités multiples, et s’interroge sur leur acceptabilité sociale. » Son but ultime serait la normalisation de l’homosexualité dans la société, au-delà de la ghettoïsation sociale et générique.

On apprécierait également les chapitres consacrés aux prises de position de Xavier Dolan et les rapports que tisse Beurdeley entre les positions de Dolan et l’œuvre elle-même. Le rejet, par exemple, de l’appellation cinéma queer et toute la controverse qui s’ensuit place le cinéaste encore une fois en marge des grandes idéologies identitaires postmodernes.

D’indomptable, il devient une séduisante légende urbaine, engagé à la fois dans un processus d’affirmation et de distance. En politique, il soutient le mouvement étudiant de 2012, critique farouchement la charte des valeurs québécoises en 2013, appuie Québec solidaire et rejette la stagnation du confort et de l’indifférence, en affichant (parfois sans le réclamer) ses couleurs de nomade de la pensée.

Cinéaste du devenir-révolutionnaire dans le sens deleuzien du terme, Dolan se défend contre ceux qui le jugent ou le condamnent en faisant un cinéma qui lui ressemble : farouche, antimasculiniste, minoritaire et philosophe. Tout à son honneur !

 
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