Une évidence s’impose, chaque toile de Catherine Lopès-Curval contient un drame, ou un fragment de drame; cela suppose un questionnement, des surprises, voire des équivoques. C’est fou ce que le désordre peut s’installer entre les êtres quand on les abandonne à leur sort; comme au théâtre où il arrive un moment où les acteurs échappent à la pièce pour jouer leur propre jeu. La Bibliothèque anglaise s’écroule sur ses lecteurs qui, affolés, essaient de se sauver par tous les moyens; calme et austère, plutôt accueillante jusqu’à l’arrivée du cataclysme, elle cachait sans doute sous ses apparences une promesse inéluctable de tempête. Les apparences comptent en effet beaucoup dans cette peinture d’étrangeté souvent ambiguë où les personnages prennent parfois des poses acrobatiques pour déguiser leur trouble; ainsi le curieux tête-à-tête du pique-nique qui fait penser aux amoureux en apesanteur de Chagall. A moins qu’ils n’adoptent le détachement voisin de l’indifférence de cette femme marchant dans une ville où les voitures vont dans tous les sens comme une invasion de cloportes. Cette autre aux formes accortes, n’hésite pas à souffler en plein visage d’un passant la fumée insolite de son cigare, quant à celle-là elle
Profite des rues vides, semblables aux perspectives italiennes de Chirico, pour prendre sur sa bicyclette une attitude que sa provocation rend déshonnête. Ainsi cette peinture d’accidents, de tensions, voire de bizarreries nous ramène-t-elle à ces situations qui, au théâtre, soulèvent l’énigme par le seul fait qu’elles cessent de tenir le spectateur en haleine. La peinture de Catherine Lopès-Curval. mêle, dans ses mises en scène ordinaires, le réel inexpliqué à l’imaginaire logique, comme la poursuite d’un inachevé de la vie
où les personnage s’interrompant d’agir, se trouvent livrés au vertige de leur difficulté à accomplir. Si vous êtes surpris c’est, que le peintre a atteint son but: déranger .
Pierre Cabanne Février 1999