Compte-rendu de Christine Clerc dans Valeurs actuelles (soirée sur les amitiés d’hommes)

Valeurs actuelles 19 février 2009

Le Carnet de Christine Clerc

Le bon sens de Chérèque

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Quelques jours avant sa « vente du siècle » au Grand Palais, Pierre Bergé accepte mon invitation à débattre avec le romancier Philippe Besson (auteur de La Trahison de Thomas Spencer » et moi-même sur le thème de l’amitié, sujet commun de nos livres. Notre rencontre a lieu à l’Espace des Femmes, rue Jacob, dans le VIème, qu’Antoinette Fouque met généreusement à la disposition d’écrivains, artistes, philosophes et pianistes femmes… et d’hommes qui adhèrent à la cause des femmes. L’ex-PDG de Saint-Laurent est de ceux-là. Il explique ainsi pourquoi il a soutenu et soutient encore Ségolène Royal. « Je n’ai pas accompagné durant cinquante ans quelqu’un qui a créé les costumes pantalons, les smokings, les sahariennes pour faire passer le pouvoir des épaules des hommes sur celles des femmes, pour ne pas souhaiter voir une femme arriver au pouvoir… » Il parle du présent et de l’avenir, et c’est une puissante nostalgie du passé qui remonte, à l’écouter. Nostalgie d’une époque littéraire qui nous donna Proust et Valéry, Gide et Claudel, Malraux, Camus et Giono, auxquels il rend hommage dans son beau livre, « L’Art de la préface ». Nostalgie aussi des années Saint-Laurent, que Bergé a voulu conclure par un feu d’artifice en vendant aux enchères les dizaines de tableaux et de beaux objets achetés au fil des ans avec le couturier. « Je déteste la nostalgie, affirme t-il cependant. Mais depuis que Saint-Laurent n’est plus là, notre collection avait perdu son sens. Je pense qu’elle existera de nouveau quand sera tombé le dernier coup de marteau du commissaire-priseur. » Là, le PDG impérieux, autoritaire, qu’on connut parfois blessant, fait naître l’émotion. Comme pour y couper court par un rire, il lance : « Tout le monde a fait ce rêve : assister à ses propres obsèques. Moi, je vais assister aux obsèques de ma collection. » Quelles obsèques ! Et quel triomphe !

Le MLF vu par les Italiens !! (Brava à Marina Geat !)

pizza-spaghetti-sl-1589396-l.jpgTRADUCTION D’UN ARTICLE ITALIEN PRESTIGIEUX

Giornale Europeo

Génération MLF
1968-2008

La lecture du livre Génération MLF – 1968-2008, récemment publié en France par les Editions Des femmes est très intéressante. Elle est intéressante non seulement pour celles et ceux qui ont vécu ces années en tant que protagonistes et qui peuvent y retrouver, peut-être avec un peu de nostalgie, les photos et les documents d’une époque pleine d’enthousiasme et d’espérances. Elle est intéressante aussi et surtout pour ceux qui n’ont pas vécu ces années-là et qui risquent, aujourd’hui, de réduire notre passé récent à des formules stéréotypées («68…»; «le Mouvement de libération des femmes») sans en cueillir l’épaisseur historique, la profondeur du changement, et l’effort courageux, jour après jour, des femmes qui se sont battues pour obtenir des reconnaissances et des droits que souvent les jeunes générations, sans trop y réfléchir, considèrent simplement pour acquis.

Le livre a une valeur historique de grand intérêt; il fait revivre chacune des quarante années de 1968 à 2008, en rapprochant une chronologie des principaux événements concernant les progrès (et les régressions) dans les conquêtes des droits des femmes de l’activité du Mouvement de libération des femmes, à travers une riche documentation, les témoignages directs des protagonistes et la reproduction des textes les plus significatifs. Je pourrais signaler au moins trois aspects de cet ouvrage qui nous invitent à une réflexion, parce qu’ils suscitent, aussi, une comparaison avec l’époque actuelle :

1) La dimension internationale des contacts, des revendications, des solidarités. Les femmes qui, ces années-là, se battaient pour obtenir des législations plus équitables, contre toutes les formes de la discrimination sexuelle, se déplaçaient à travers les frontières (quand en Europe il n’y avait pas encore le traité de Schengen ni la monnaie unique) et agissaient, avec la même détermination, pour soutenir d’autres femmes en France, en Italie, en Argentine ou ailleurs dans le monde. Il faudrait donc se demander dans quelle mesure l’action du MLF a contribué à la connaissance réciproque et à l’élaboration d’un sentiment de citoyenneté européenne (et même d’une diffusion mondiale des droits de l’homme). En outre, toujours à propos de la dimension internationale du mouvement : comment peut-on oublier aujourd’hui, lorsqu’on parle parfois d’un «conflit entre les civilisations», les femmes algériennes ou iraniennes qui, par dizaines de milliers, se sont opposées à la montée de l’Islam intégriste, avec le soutien, aussi, de leurs amies européennes?

2) L’ample mouvement de l’opinion publique demandant une effective parité homme femme – dont le MLF a représenté la voix la plus significative – a agi sur les institutions culturelles et sur les politiques nationales et européennes, afin qu’elles établissent des lois sur la protection des femmes (maternité, santé), en leur donnant des chances égales aux hommes dans les domaines professionnels et dans le droit de la famille. Le rôle de grandes personnalités dans la législation et la politique des droits des femmes (Simone Veil, Gisèle Halimi…) s’est exercé sur fond de ce grand mouvement de pensée et d’espérances que le MLF a suscité et représenté.

3) La conscience que les grands changements culturels et sociaux ne se réalisent pas uniquement grâce aux manifestations dans les rues et aux slogans, mais aussi et surtout par un travail en profondeur sur soi-même, sur le langage, sur les mentalités. L’activité au sein du MLF d’Antoinette Fouque, la créatrice, l’animatrice inlassable jusqu’à nos jours des éditions Des femmes, a joué et joue encore un rôle fondamental. C’est grâce à elle, à son courage, à sa détermination que des ouvrages de psychanalyse, de littérature, de sociologie, essentiels à la compréhension de la condition féminine ont enfin pu circuler et que ce changement en profondeur a pu au moins commencer à se réaliser.

Marina Geat
Università Romatre
Article dans Il Giornale Europeo.it

La Quinzaine littéraire consacre une double page à Génération MLF ! (à marquer d’un caillou blanc ;))

pic16.jpgArticle de Maïté Bouyssi dans La Quinzaine littéraire (février 2009)

Génération MLF (1968 – 2008)

Ce gros livre de témoignages et de documents, Génération MLF est sorti cet automne, un peu masqué par les polémiques que les moins de soixante ans ne comprennent guère. Pour les plus âgé(e)s, l’ouvrage a plus qu’un parfum de madeleine. Il restitue « la chair de l’histoire », la nôtre, que nous ayons ou non participé et connu ce qui se produit de transgressif dans toute lutte, dans tout acte militant, quel qu’en soit l’idéologie et la structure.

Maïté BOUYSSY

Génération MLF (1968- 2008)
éd. des femmes-Antoinete Fouque, 616 p., 18 Є

Le 8 mars faisant resurgir les débats concernant les femmes, leur cause et leur statut dans notre monde, il est bon de reprendre la riche collecte que représentent 53 témoignages et biographies de femmes aux destins colorés, qui toutes disent avoir rencontré le MLF et la librairie des Femmes en des moments cruciaux de leur destin. Elle se sont obligé à écrire et à témoigner. Elles regardent alors leurs refus et leurs actes au fil de chronologies qui les situent dans le temps commun des années militantes. Elles nous offrent quelque chose de l’intime. En sus, deux cents pages de documents variés, et comme en sandwich, les photographies d’époque, petit format, dans l’austérité du noir et blanc prennent des allures sépia. Ces têtes jeunes et belles, leurs gestes, toujours restitués à des lieux, des dates et des noms donnent le ton d’un XXe siècle, qui, à la fin des Trente Glorieuses, les années de grand développement économiques, fut d’abord battant, sans concéder forcément à quelque mythologie.

Ce travail de groupe est aussi un travail sur soi pour accéder à l’écriture par la biographie, exercice tendu et à risque qui est particulièrement réussi et d’une lecture fluide. La tension de l’écriture, la (re)tenue de plume de femmes qui ne sont pas des professionnelles de l’écriture rendent plus vives ces plongées dans un monde qui fut le nôtre, que nous avons tous connu, côtoyé et qui visiblement le reste au-delà de que les esprits chagrins réduiraient à quelque marronnier éditorial.

Or, loin de parler de ce souffle et de cette vie, du plaisir de la réminiscence que l’on a à feuilleter et à lire, les « personnes doubles », les acteurs/trices institutionnalisées dans le champ des études de genre et des femmes ont réagi sur le seul point de la « confiscation » du label MLF ou ses gestations multiples. Il me semble qu’il s’agit là moins de renouer avec les conflits d’antan, mais de manifester au présent ce qui reste ou est devenu plus insupportable que jamais : qu’un travail à bas bruit joue simultanément de la publicité. Cela impose une réflexion tout à fait politique quand « le retour à l’ordre » que nous vivons sinistrement de toute part veut babeliser le monde, et réduire toute action à quelque dimension communautarienne pour construire des enfermements ghettoïsés, si ce n’est, à plus faible échelle, de groupies. A ceci près que quelques faits de société concernant la mutation des mœurs ont été intégrés, la parole d’expertise doit appartenir aux seuls clercs statutairement ou du moins disciplinairement constitués.

Or, ici, le ton est vif, parlant, et c’est sans doute cela qui peut déranger et engendrer le dénigrement. Il faut délégitimiser ce qui biaise très largement les codes usuels de la recevabilité, et 40 ans après, au moins deux générations intellectuelles se sont arrogé ces thèmes issus de mouvances militantes, autrement dit de la société civile. Les « femmes doubles », ces personnages qui, dans le champ culturel font passerelle parce qu’ils occupent diverses fonctions puisées en différents lieux de légitimation en deviennent alors des régulateurs institutionnels. Fi donc de ce qui fut antérieurement pratiqué mais ailleurs, et c’est précisément de cet éternel défi que lance « au début était le fait » que témoignent ces textes roboratifs.

Or, plus que jamais, toute écriture qui manifeste en ne s’autorisant que d’elle-même doit être bannie, sauf à recevoir la bénédiction d’une littérarité reconnue, ce qui éventuellement dote d’un statut singulier le témoignage en nom propre (et ce jusqu’au polymorphisme de l’autofiction, mais dans la suspicion du témoignage). Non seulement, la prise de position à partir d’un travail de réflexion et de prise de parole incarnée qui a pour vocation d’irriguer la société et la vie publique est inconvenant, mais on ne tolère aucune aventure sur les confins théoriques de la psychanalyse. Il n’est pas jusqu’à la sociologie et l’histoire qui n’en soient interpellées, puisqu’il en va d’une intrusion autant que d’un regard porté sur le champ public. Voilà qui est parfaitement contraire à nos temps de restauration de toutes les autorités et de verrouillage caricatural des libertés, voir de la liberté politique.
De là un besoin maniaque de discréditer toutes les voix à la fois singulières et collectives, singulières, car en nom propre, pour cette palette de « biographies » du vécu pensé du point de vue d’intériorités reconstruites (et la subjectivation est autre chose que la simple subjectivité) et collectivement, dans l’échange et la participation à des actions qui manifestent à frais neufs des postures et positions intellectuelles. Dès lors que faire de cet excès de « chair de l’histoire» celle-là même que recherchent tous les historiens quand elle s’incarne comme jamais au fil des propositions qu’énonce avec chaleur Antoinette Fouque dans son Il y a deux sexes, essai de féminologie (1995) propre à tirer une théorie de l’humanisation et de la production culturelle des femmes. Le point ne fait pas consensus mais reste indéniablement un des pôles de la réflexion au présent, car il met en péril, retourne et se contourne les apories de la « nature » féminine dont on sait les ravages qu’elles opérèrent. Les interventions pluridisciplinaires de Penser avec Antoinette Fouque (mêmes éditions, une dizaine de collaborateurs, 222 p., 13 Є) sollicitent le présent de cette réflexion.

La société peut évoluer à la marge, sur « les mœurs », se modifier, mais l’appropriation par les concerné(e)s d’avancées qui entendent reprendre toujours et partout ce que le MLF, avec ou sans querelle des origines, a porté, redit, fait avancer dans des conditions difficiles et chaotiques reste sulfureux, car les lois ne résolvent jamais ce qui ne peut se concevoir qu’au fil des jours et c’est cela qui dérange les épistémologies constituées.

Pour revenir au livre, véritable signe (au sens de signal, marqueur, ce signe que les gosses qui avaient parlé patois à l’école devaient passer à un autre contrevenant) transgénérationnel, il est celui que les plus âgées peuvent offrir aux plus jeunes, et les plus jeunes, à celles qui ont vécu très loin de ces aventures qui prennent parfois un parfum germano-pratin (non moins prégnant que chez ses détracteurs/trices). Cest donc une gageure forte que de donner au public un texte de ce qui s’énonce au fil de chaque décision, aux confins de la transgression qu’implique toute réorientation de vie, sous cet angle, jamais minuscule ni assimilable à un curriculum de carrière.

Le célibat ne passera pas etc a critiqué Liane Foly (blog 15.02.09)

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Dialogue de bêtes de Colette – lu par Liane Foly

Dialogue de bêtes, c’est toute mon enfance… comment oublier Toby chien et Kiki la doucette, leurs chamailleries et leur complicité ?

Ce livre, je l’ai lu et relu… mais jamais je ne l’avais entendu. C’est la raison pour laquelle la version lue par Liane Foly m’apparaissait comme… intrigante. Allais-je aimer ces voix « imposées » ? N’allais-je pas regretter de ne pas me faire mes propres voix dans ma petite cervelle ? Mon imagination allait-elle moins travailler ?

Passé le premier étonnement, j’avoue que je me suis prise au jeu d’écouter Liane Foly imiter, et elle imite bien, on le sait, les personnages de cette histoire.

Je conseillerais cependant de s’installer dans un canapé et de fermer les yeux, pour mieux savourer l’histoire, passque moi, je l’ai écouté en vaquant à d’autres occupations, et je trouve que ces occupations, justement, m’ont distraite de mon but : écouter Liane.

Et puis, par rapport à mon enfance et à cette idée d’écouter… il manque un petit détail : la sonnerie qui signale qu’on peut tourner la page… il manque donc, je trouve… un livre… ce qui me confirme que décidément, je suis plus faite pour les vrais livres, faits de papier, que l’on lit à sa guise, qui permettent d’inventer les personnages, leur physique, leurs attitudes et leurs voix.

Ce cd me semble toutefois un chouette moyen de faire découvrir Colette aux enfants.

15-02-2009, 12:36:51 Anaïs
Anaïs et sa collection de magazines et livres

http://le-celibat-ne-passera-pas-par-moi.skynetblogs.be/post/6720573/dialogue-de-betes-de-colette–lu-par-liane-fo

Marina Vlady et Tchekhov appréciés des blogueurs ! (blog 12.02.09)

vv.jpgJeudi 12 février 2009
Le violon de Rothschild, suivi de La Princesse, Anton Tchekhov
J’ai fait plusieurs découvertes avec cette œuvre de Tchekhov. Tout d’abord, et ce n’est pas rien, je n’ai pas lu ces deux nouvelles mais les ai écoutées. Puis, après Tchekhov auteur de théâtre, j’ai pu apprécier ses talents de nouvelliste. Voici donc les deux nouvelles qui composaient ce livre-CD.

Le violon de Rothschild : Iakhov est fabricant de cercueil, et joueur de violon à ses heures perdues. Malheureusement, il y a peu de décès dans la campagne où il habite, et ne sa vie ne se résume qu’à des pertes : pertes liées au jours non travaillés, aux habitants qui décident de mourir dans la ville voisine,… Quand Marfa, sa femme, tombe malade puis décède, Iakhov se demande bien à quoi a bien pu le mener cette vie, faite de reporches, d’animosité. Il a même oublié sa fille, morte enfant. C’est le début d’une remise en question de son comportement, ses habitudes,…

La Princesse : Véra Gavrilovna est une princesse russe. Elle profite de ses étés pour se reposer dans un couvent, où elle est entourée par une troupe de serviteurs, bonnes, laquais,… Elle se sent bien dans cet endroit. Lors d’une promenade dans le jardin, elle rencontre un médecin qu’elle a connu auparavant. La conversation s’engage, mais elle prend rapidement un tour auquel la Princesse ne s’attendait pas. Le médecin, dans un long réquisitoire, lui reproche son égoïsme, son mépris et sa bonne conscience.

Je ne suis plus habitué à écouter des romans. Cela me plonge dans cette période où j’écoutais Marlène Jobert raconter les contes de Perrault ou de Grimm sur des cassettes audio (et ça remonte). C’est une impression tout autre que la lecture : j’ai un esprit qui a tendance à divaguer, à voyager, et à raccrocher par la suite l’histoire. Ce phénomène est accentué par l’écoute, puisqu’il n’y a pas la matérialité du livre. Mais c’est une expérience intéressante, puisqu’elle m’a permis d’entendre une œuvre de Tchekhov et de faire des choses plus prosaïques et nettement moins passionnantes dans le même temps.

En ce qui concerne l’œuvre, j’ai retrouvé dans ces nouvelles les traits déjà repérés dans les pièces de Tchekhov que je connais. Dans le violon, on plonge dans la campagne russe, dans cette société de petits commerçants qui ont du mal à joindre les deux bouts. Dans cette courte nouvelle, Tchekhov donne à ressentir le poids de l’antisémitisme dans la Russie de la seconde partie du XIXeme Siècle, les situations conjugales pas toujours tendres, le conformisme social. J’ai beaucoup apprécié la réflexion menée autour des termes de profit et de perte, qui est le fil conducteur de la nouvelle.

Dans La Princesse, Tchekhov utilise le thème de la confrontation sociale, entre une femme richissime et des employés pauvres. Surtout, il s’attaque à l’image des dames patronnesses, femmes riches qui décident de monter une fondation ou de mener des opérations de charité envers les pauvres, ce qui leur permet notamment d’avoir bonne conscience et de se ménager une place de choix dans l’au-delà. La confrontation avec le médecin est intense, et permet à celui-ci d’exposer tous les griefs qu’il a ruminés. Malheureusement, tout cela ne sera que de peu d’effets sur Vera Gravilovna, qui reste enfermée dans sa tour de luxe et d’incompréhension. Contrairement à Iakov, qui, dans l’autre nouvelle, saura tirer un enseignement de ses mésaventures. Trop tard, mais il y parvient.

Ces deux nouvelles sont lues de fort belle manière par Marina Vlady, que j’ai vu récemment dans le très bon et libertin film de Bertrand Tavernier, Que la fête commence (avec un magnifique trio d’acteurs, Noiret – Rochefort – Marielle). Elle réussit à prendre des intonations différentes dans les deux nouvelles, faisant notamment ressentir le luxe et l’aisance lorsqu’elle parle de la Princesse.

Je remercie Babelio qui m’a permis de me plonger dans un livre-CD grace à l’opération Masse Critique, et je ne dis pas que je ne renouvellerai pas l‘expérience d’écouter une œuvre (surtout que l’éditeur Des femmes publie des lectures faites par Isabelle Huppert !!!).

Pièces de Tchekhov : La Cerisaie, Ivanov

http://livres-et-cin.over-blog.com/article-27829721.html

Louise Nevelson, « le plus grand sculpteur américain » dans la Galerie des Femmes

Louise Nevelson est une géante : tant par l’ampleur et la puissance de son oeuvre que par la force de sa personnalité et la manière dont elle a décidé de sa vie. Sa réputation est immense, dans le monde entier et aux Etats-Unis où, reconnue comme le plus grand sculpteur américain, elle reçut The Gold Medal for Sculpture.
 
1972, Park Avenue, New-York Acier corten, 6,71 m Night Presence IV

Texte de Louise Nevelson dans le catalogue des trente ans des éditions Des femmes :
nevelson018.jpgJe suis très heureuse de voir Aubes et Crépuscules traduit et publié par une maison d’édition aussi remarquable que celle des femmes.
C’est après une journée de travail que Diana et moi nous sommes assises et avons commencé, tout naturellement, à mettre en mots ce que nous faisions et pensions. Avant même de nous en rendre compte, nous avions déjà la matière d’un livre.
Je n’aurais jamais imaginé qu’il serait publié immédiatement et pourtant il le fut, en 1976.
L’histoire de l’Amérique et de la France est une histoire de l’esprit, une tradition de liberté, l’épanouissement d’une grande idée mise en acte.
Elle est là, avec l’ampleur de la vie, comme sa statue de la liberté.
Merci. Je vous donne la main par-dessus l’océan, en amitié, en accord.
L.N.
 
Louise Nevelson – 1979-80, Frozen Laces-One. acier peint en noir. Central Park N.Y.C.
 
Louise Nevelson
Aubes et crépuscules
Louise Nevelson à Rockland, Maine – 1919
 

Hélène Cixous, une longue histoire avec les Editions Des femmes

Texte recopié du catalogue des trente ans des Editions Des femmes :

hc2.jpgArriver… Déjà 1975, et je n’avais jamais entendu sa voix ni parler d’elle, j’étais dans mon chemin de littératures, d’une part professeur à Paris VIII depuis 1968, libre mais enfermée dans la répétition d’une vision universitaire clôturante de la littérature, toujours encore cloisonnée, excluante, nationaliste même, rangée en casiers « littérature française » « littérature anglaise », etc. et tous ces quartiers du grand corps sectionné, toute cette boucherie louche bâillonnée, surgelée, sans sexe, et moi ramassant les morceaux épars, m’efforçant de remembrer, de rendre au Texte sa mémoire mondiale, sa langue de langues, et sa jouissance, d’autre part, écrivant, ayant avancé dans un territoire hors frontières sous le regard « de jouissance et d’effroi » de Jacques Derrida, bien/veillée par lui seul, libre, publiée par les Grandes Maisons éditoriales, mais seule en vérité, et même paradoxalement encore plus seule d’être à la fois admise et remisée, je cherchais. Je cherchais où me trouver, entière, non pas perdue comme seule de mon espèce, celle de l’être femme en plus d’écrire au plus intime du dehors. En 1974 j’avais déjà fait un pas, un bond presque, dans l’Université, en créant à la hâte le doctorat d’Etudes Féminines. Enfin nous chercheurs en textes nous pourrions poétiser, analyser les traces des différences sexuelles dans les textes sans être mis au piquet. Je parcourais la terre en quête d’écritures prochaines, on peut le dire. Il y en avait si terriblement peu.
 
hc9.jpgDéjà 1975. C’est alors qu’elle m’appelle au téléphone. Antoinette Fouque. Cela va très très vite. Je n’avais jamais entendu parler si audacieux, rappeler tous les mots bannis si impérativement, tisser si naturellement la science analytique avec la lecture. Dans l’heure nous parlâmes mythes, figures de femmes de toute éternité, théâtres des persécutions et des survies d’aujourd’hui tout comme hier. J’étais stupéfaite. Je n’avais jamais imaginé qu’une telle personnalité existât : une femme de pensée et totalement engagée dans l’action, faisant passer la pensée instantanément sur un front, une force de démascarade inouïe. Elle me demande un texte pour les Editions Des femmes à l’instant je dis oui. Il ne faut pas croire que j’étais décillée. J’étais émerveillée. Je donne Souffles. J’étais alors au Seuil. J’avais été chez Grasset. Aux Lettres Nouvelles. Il m’a semblé vivre un conte de Chrétien de Troyes. On ne sait rien, on part en quête, on pose les bonnes questions dans les lieux mauvais, là où on pourrait obtenir réponse, on oublie d’interroger, on va on va on n’arrive pas. Tout d’un coup, d’une minute à l’autre on y est. Le lieu existe en réalité, il a un visage, une vie. Et ce lieu n’est pas confiné. Il touche à l’Univers. Tout de suite après la Maison ouvre sur les places et les rues, sur les pays étrangers, sur le propre pays étranger. L’expression des passions est portée par plusieurs voies en même temps, la voix basse et infinie qui coule dans les livres, les voix hautes et entetées qui reprennent la parole publique à ses ravisseurs. J’ai dit que je n’étais pas décillée. Prendre la mesure du projet de Révolution qui était Antoinette, une intention de changer le monde sans compromis, sans limites, je ne l’ai pas fait alors. Je ne vis pas qu’une toute autre Histoire avait commencé. Et je donnai un autre livre aux éditions Gallimard. Il ne m’était certes pas venu à l’esprit qu’on pouvait appartenir à un mouvement ! Je n’avais même, je crois, jamais analysé ce qu’était un lieu, à quel point le lieu imprime, ajoute, fait oeuvre dans l’oeuvre, et qu’un livre, sans, la plupart du temps, que l’auteur en soit conscient(e) doit quelque chose de son mouvement, de son rythme, de ses possibilités secrètes, au port, à la maison, à l’horizon vu de la fenêtre de la maison. Une « maison » d’édition agit dans un texte beaucoup plus qu’on n’aime à le penser en général car, sauf exception, c’est du côté de la restriction ou de la douleur que cette action se manifeste. Quelques phrases émues d’Antoinette et soudain je pris conscience.
 
hc5.jpgC’est alors que je décidai ce qui était déjà décidé.
 
Les Editions Des femmes. Elles étaient présentes, fortement incarnées, les femmes Des femmes. Plus tard on pourra les comparer avec ces figures qui donnent à la Révolution française en particulier le charme rare d’une distribution idéale : grands personnages de femmes rayonnant parmi les héros classiques. A cette époque-là elles avaient pour nom leurs prénoms, subterfuge daté, clin d’oeil lacanien anti-lacanien au thème du Nom-du-Père. Ces prénoms sont devenus très vite des sur/noms : Marie-Claude, Sylvina, Jacqueline, Florence, Michèle, Jo, Sylviane, Brigitte, Yvette, Claude, Marie, Thérèse, Michelle, et bien d’autres encore. J’imagine un dictionnaire qui les rassemblerait. Au commencement Antoinette. A côté d’Antoinette il y avait Marie-Claude. On ne peut imaginer plus dissemblables en tout sauf l’essentiel : une loyauté absolue, une adhésion au thème vital Des femmes, thème du singulier et thème du pluriel. Les différences dans les semblables. Les passions singulières, issues d’histoires si diverses, mais portées par un même souffle dans une direction sans écart.
 
A côté d’Antoinette il y a toujours Marie-Claude. Que son existence ait été interrompue brutalement n’interrompt pas sa présence. Avoir agi, créé, tenu, donné, lutté, continué, rend ineffaçable.
 
hc7.jpgLa continuité, l’endurance, le recommencement, le courage, une inflexibilité, à ces vertus partagées par chacune de ces amies de vie s’ajoutent des traits qui relèvent du savoir-vivre raffiné, du plaisir pris au plaisir reçu et donné : le goût du beau, l’élégance, l’idée qu’une maison sans fleurs serait inhabitée, que tous les sens font partie de l’intelligence, et que l’hospitalité vraie n’offre pas seulement l’abri, le toit, la sécurité nécessaire, mais des choses de beauté, une nourriture pour les yeux, tout le non-indispensable qui est encore plus subtilement nécessaire que le strict nécessaire.
 
Dire que j’ai publié trente livres aux Editions Des femmes c’est dire que j’ai été accueillie d’avance et, avant même de demander, reçue trente fois, toute une vie. Cela dépasse évidemment la publication, l’histoire éditoriale, pour devenir une histoire de création, de grâce dont tous les ressorts et les mystères conjugués restent encore à raconter.
H.C.

Régine Deforges évoque « Le manteau noir » dans L’Humanité (article du 10 mars 1998)

chawaf2.jpgCultures – Article paru le 10 mars 1998

Pêle-mêle

Le manteau noir de Chantal Chawaf

La chronique de Régine Deforges

Chantal Chawaf a enfin écrit le livre qu’elle portait en elle depuis ce jour de 1943 où elle est née, arrachée au ventre maternel. Depuis, elle, l’enfant, est la recherche de cette mère. Quête éperdue de toute une vie, cinquante ans à poursuivre un fant »me blond tué sous les bombardements de Boulogne. Le blond et insaisissable fant »me qui erre de page en page, de livre en livre. Et tout ce sang ! Le sang domine l’éuvre et la vie de Chantal Chawaf : « Sous les bombes… ils se rendaient à la clinique… où la mère de la petite devait accoucher… la voiture a été touchée… On a pu avoir l’enfant par césarienne… La mère est morte… » Les mots se bousculent, s’emmêlent, deviennent sang que la terre absorbe… lentement…. boue rougeâtre… et dans laquelle l’orpheline patauge, s’englue, étouffe. « Comment était-elle ? Je ne la connaîtrai jamais. » Les bombes explosent, résonnent sans fin dans le crâne du bébé protégé par la matrice. Après la naissance, les yeux grands ouverts dans le noir, elle écoute, elle entend les battements du céur de la morte. « Comment était-elle ? » Je ne veux pas qu’on m’emporte… Les parois du ventre maternel me protègent, elles sont un rempart contre la bêtise des hommes, contre le feu qui tombe du ciel. Là je n’ai pas peur, je suis dans le doux, dans le chaud, dans le mouillé. Je flotte dans l’amour de ma mère. Pourquoi me retire-t-on du nid ? Le sang coule sur mon visage emplit mes yeux et ma bouche, je le bois. Je ne veux pas le boire. Les lèvres du nouveau-né tètent avec horreur et volupté. Oh le sang de ma mère ! « Mais l’enfant s’entête. Elle ne veut pas naître. Elle veut celle qui est restée dans le chaos. Elle ne veut personne d’autre. Elle veut retourner dans sa mère, dans le chaos… ». .

 

La petite fille grandit, adoptée, illégalement par un couple en mal d’enfants. L’amour de la mère adoptive étouffe l’enfant. « On l’aime sa mère, pas vrai bout d’chou ? » Elle la mange de baisers, l’habille d’organdi, la nourrit d’aliments gras malgré les restrictions ; elle est si maigrichonne, ma bonne dame ! « Si tu manges pas ta soupe, j’appelle le loup-garou. Tu sais ce qu’il fait, le loup-garou, aux petites filles qui ne mangent pas leur soupe ? Il leur pince les mollets et leurs petites fesses rondouillardes Ä J’veux pas qu’il vienne ! » Rien n’est trop beau pour l’enfant de la femme morte : les meilleures institutions, les jolies robes, les cours de tennis, les leçons particulières… Alors, pourquoi n’est-elle jamais contente ? Pourquoi crie-t-elle dans le noir quand un avion passe dans le ciel ? « C’est quoi la guerre ? » Pourquoi ne veulent-ils pas lui avouer qu’ »elle vient de la guerre, des immondices de la guerre, des cervelles rouges, des avant-bras sectionnés, des doigts séparés des mains, des corps décapités, des débris humains non identifiables, des corps rigides sous le linceul des cercueils exposés dans les chapelles ardentes, des ventres désintégrés par le souffle des explosions, des ventres noyés par les égouts éclatés, des ventres écrasés sous les abris, qu’elle vient des asphyxiés inertes dans les éclairs… » Depuis la révélation du secret de sa naissance, elle fait chaque nuit le même cauchemar : elle cherche dans les décombres son père et sa mère. « Les éclats d’obus étaient entrés dans le ciment, dans les briques, dans le plâtre, dans le zinc, dans les tuiles, dans la peau, dans la chair, dans les cheveux, dans le ventre, dans la tête, la mort avait dessiné ses lézardes… où est mon père ? Où est ma mère ? »

Tentation de la folie. La folie est là, tapie dans un coin du cerveau du bébé, de l’enfant, de la femme, de la mère ; il lui faut creuser, creuser sans cesse dans le magma de sa conscience utérine. Nulle paix pour elle tant qu’elle n’aura pas retrouvé le fil qui la relie à la famille de ses parents morts. Jour après jour, année après année, elle compulse frénétiquement les archives de Boulogne, toujours vêtue, hiver comme été, d’un long manteau noir qui lui bat les mollets. « Cherche ! cherche ! Tu te sentiras peut-être moins seule, à moins que ce ne soit pire et que tu te sentes encore plus orpheline que jamais parce que tu seras devenue la fille de tous ces tués qui n’ont pas l’habitude qu’on se penche sur leur souvenir… » Elle commence patiemment à inventorier la mort : « Hôpital de Sèvres. Femme non identifiée. Cheveux châtains avec chignon. Plus de visage. Hôpital Bichat, hôpital Laënnec… » Elle ne dort plus, mange à peine, se rend titubante à la salle des archives de l’hôtel de ville de Boulogne. « Où sont mes bombardements, ceux d’avril 44, avec un dossier rouge ? » Le
magasinier, indifférent, l’a rangé, il n’a pas le temps de s’en occuper. Elle retient sa colère, les invectives qui montent à sa bouche. « Alors subitement elle se fait honte. Elle se déteste. Un immense dégoût d’elle-même et de sa recherche l’envahit. Elle a honte d’être ici, de gaspiller sa vie, de venir tous les jours, de réclamer des dossiers qui sont pleins de sang et de lambeaux humains déchiquetés, de se nourrir des morts comme un vampire… C’est comme si la vie n’avait plus de signification… comme si les mots n’avaient plus de sens. Mais ce n’est pas la mort qui doit être la plus forte, c’est la vie. » Elle a toujours su qu’elle ne trouverait rien, mais elle avait besoin de rester parmi les tués. « … je les connais tous ces morts des bombardements, j’étais avec eux, on était ensemble, on a vu ensemble la mort violente fondre sur nous, on ne peut plus aimer votre monde, on ne peut pas aimer vos guerres, on n’a plus confiance en rien ni personne. » Enfin, elle accepte de vivre, elle a guéri, elle ne porte plus son manteau informe, son uniforme de guerre. Elle est vivante, elle le crie. Par l’écriture, elle témoignera contre la guerre, pour qu’on n’oublie pas ces multitudes de civils tués de par le monde. Témoin par le sang, par les nerfs, par la peau, par la vie qui s’échappe de la mère blessée à mort, Chantal Chawaf a écrit « le Manteau noir », un livre fort et exigeant, impudique et vibrant, qui montre d’une façon impitoyable les ravages de la guerre dans le céur et l’esprit d’un enfant innocent.

En 1944, en cinq mois, d’avril à août, les bombardements ont tué sept mille personnes et en ont blessé neuf mille.

 

« Le Manteau noir » est publié chez Flammarion. Les autres livres de Chantal Chawaf sont disponibles aux Editions des Femmes, au Mercure de France, aux Presses de la Renaissance, chez Stock, Pauvert, Ramsay et Plon. C’est une éuvre importante qui fait l’objet d’études approfondies dans différents pays.