CORRESPONDANCE
Une lettre d’Antoinette Fouque
LE MONDE | 13.12.08 | 13h19 • Mis à jour le 13.12.08 | 13h19
À LA SUITE de l’article intitulé « Le féminisme pour les nuls » (Le Monde du 10 octobre), nous avons reçu d’Antoinette Fouque la mise au point suivante :
Contrairement aux propos de Caroline Fourest auquels j’entends répondre, c’est bien un jour d’octobre 1968 que le MLF est né. Le 1er octobre, Monique Wittig, Josiane Chanel et moi-même, nous avons proposé pour la première fois une réunion entre femmes. Nous venions d’un comité d’action culturelle (le CRAC) créé en mai 1968 dans la Sorbonne occupée, nous étions de gauche, mais sans lien avec une quelconque organisation politique. Auparavant, il n’existait pas de groupes non mixtes indépendants. Cette non-mixité et cette indépendance politique programmées ont fondé l’identité du Mouvement de libération des femmes.
Plusieurs facteurs, économiques, politiques, culturels, ont rendu possibles cette rupture historique et ce saut qualitatif. Le mouvement n’a pas été « décrété » comme il est dit dans l’article, il n’y a pas de génération spontanée, mais il y a eu, assurément, un engagement fondateur.
D’octobre 1968 à mai 1970, date de sortie publique du MLF à l’université de Vincennes, il y a eu deux ans de réunions et d’actions à Paris et en banlieues, de voyages en Europe, de rencontres. Souvenirs, agendas, notes de réunions, tracts, photos, l’attestent. Les femmes qui ont vécu cette période sont pour certaines toujours là, archives vivantes, actrices et auteures de leur propre histoire.
Pourtant, dire cette réalité a été qualifié d' »OPA » dans l’article précité. Deux ans de vie y sont effacés, deux années de lutte éradiquées, pour faire de l’année 1970 l' »année zéro » du MLF. La reconnaissance du MLF par les médias – sa légitimation par la société du spectacle -, à l’occasion du dépôt d’une gerbe à la femme du soldat à l’Arc de triomphe, le 26 août 1970, est ainsi substituée à sa naissance réelle. Mais faire prévaloir le baptême sur la naissance revient à priver les femmes de leur pouvoir propre de création.
Ce coup d’éclat médiatique a été suivi en novembre 1970, en assemblée générale, de la distribution d’un tract « Pour un mouvement féministe révolutionnaire ». La proposition de remplacer « femmes » par « féminisme » et de supprimer le terme de « libération » a alors provoqué un débat houleux. Refusant la rupture de 1968, certaines tenaient à se situer dans la continuité d’un féminisme ancien et à se réclamer de la pensée du Deuxième sexe (1949) de Simone de Beauvoir.
Le travail de Psychanalyse et Politique s’attachait, quant à lui, au contraire à déconstruire le féminisme comme idéologie et à faire émerger un sujet femme.
J’aurais encore décidé en 1979 d' »exploiter » le « sigle MLF ». A cette date le mouvement était menacé d’émiettement ou de détournement par les partis. Beaucoup de féministes avaient abandonné ce sigle. Nous qui l’avions toujours revendiqué avec une permanence irréfutable, nous avons réinscrit son existence en créant une association 1901. Et nous en avons protégé le nom, bien plus précieux qu’une marque.
Ainsi, le 1er octobre 1968 est né un puissant mouvement de civilisation qui a ouvert un champ nouveau de pensée. Les femmes sont passées de l’expérience à un savoir. Aujourd’hui, il y a une science des femmes, une féminologie. Tandis que d’autres sigles sont tombés dans l’oubli, MLF rayonne.
Article paru dans l’édition du 14.12.08.