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Actualités (NON EXHAUSTIF)
« Sortir ici et ailleurs » vante les mérites du roman « Camille » de Thierry Caillat
Encore un ouvrage sur Camille Claudel, mais qui n’est pas une biographie.
Un roman plutôt, qui refuse le sempiternel mélodrame de la pauvre Camille vampirisée par le méchant Rodin.
Camille est en effet une vraie fille de son temps, contrainte et dominée, famille, société, manque d’argent ; mais elle est douée pour l’art, source de libération, de liberté peut être… Dur, dur, d’être artiste quand on ne peut être que femme au foyer ou génitrice par obligation..
Elle rencontre Auguste Rodin, elle apprend auprès de lui mais doit rester dans son ombre, les femmes rappelons-le, peinent à être plus qu’objets de luxe ou meubles !
La Belle Epoque (?), affreuse illusion pour la femme qui ne veut pas être cocotte ! Heureusement Camille est douée pour cet art difficile, costaud, qu’est la sculpture, et ses mains parlent pour elle. Elle peut s’échapper…
Car Camille existe en-dehors de Rodin : elle a une famille, une vie, des amies avec qui elle voyage… en Angleterre.
Auguste l’a pourtant formée, aidée, séduite et peut-être un peu aimée. Puis laissée quand… il la suit de loin, lui fournit un peu de travail.
Puis dans la solitude du travail, sa vie se vide.
Mais elle est vivante Camille, et douloureuse, et attachante. Elle souffre et nous fait souffrir au travers du courant de sympathie qui s’est instauré entre Thierry Caillat et elle. Et nous.
L’auteur
Thierry Caillat est un passionné de musique classique, d’architecture et d’urbanisme mais il a fini par céder aux muses de l’écriture et cela donne le roman Camille.
Inscrit dans un atelier, il s’est initié aux gestes de la sculpture, aux sensations des mains, des doigts, à la force des bras qui font l’œuvre.
Camille le roman traverse son regard et notre temps même s’il souffre au travers de son personnage, à cause de cette soi-disant Belle Epoque qui tient les femmes en laisse.
Un livre qui nous fait aimer notre temps bousculé qui donne enfin la parole aux femmes… et plus de liberté à l’art.
Jacqueline Aimar
Camille
Thierry Caillat
Edition L’Harmattan
251 pages
isbn 978-2-343-17648-2
ForumOpera a repéré « La Défense d’aimer »
Liebesverbot à Bayreuth par Laurent Bury
Non, ne vous y trompez pas : ce n’est pas de sitôt que l’un des premiers essais lyriques de Wagner aura le droit d’être représenté à Bayreuth. Sous le titre La Défense d’aimer, le roman que Domitille Marbeau Funck-Brentano fait paraître aux éditions L’Harmattan (qui a aussi sa collection de fiction, on ne le sait pas toujours) retrace l’éphémère idylle de l’auteure avec un séduisant individu qu’elle s’amuse à surnommer Fasolt, idylle qui se noue entre les différents soirs d’un cycle du Ring donné sur la verte colline en 1978. Après avoir obtenu des places pour la fameuse Tétralogie du centenaire (il est ici et là question de la production signée Patrice Chéreau, et notamment du « jeu d’une folle sensualité » qu’il exige des chanteurs), la narratrice se rend à Bayreuth où elle succombe vite au charme d’un individu volage, s’embarquant dans une passion forcément sans lendemain. Peut-être plus que par ses liens finalement assez ténus avec le spectacle wagnérien, le livre pourra intriguer lecteur par son côté roman à clef : l’auteure est accompagnée en Allemagne par un chef d’orchestre prénommé Jean-Claude, et le mystérieux Fasolt étant un romancier français qui, sous son nom de plume, s’était notamment penché sur le cas de Floria Tosca. Si l’on ajoute que ce court récit est dédié « à la mémoire de Jean-Pierre A. », on comprendra à quel jeu il permet de s’amuser.
Domitille Mabeau Funck-Brentano, La Défense d’aimer, préface de Jean-Claude Casadesus. L’Harmattan, juin 2019, 15,50 euros. ISBN : 978-2-343-17461-7
Pour France Net Infos, « Les Conquérants d’Aton » est « une lecture voluptueuse à la poésie ensorcelante »
« Lettres Capitales » conquis par « Jasmine Catou détective » décide de faire une interview
LE BLOG LITTÉRAIRE DE DAN BURCEA
Interview. Christian De Moliner :
« J’ai Pris Un Chat, Car Un Félin Suscite Naturellement De L’empathie Chez Les Lecteurs »
Christian de Moliner publie « Jasmine Catou détective », un livre composé de cinq textes courts et savoureux qui tournent autour des aventures d’Agathe, agent littéraire trentenaire, et de son chat qui, grâce à ses dons extraordinaires, mérite de devenir, selon lui, tout aussi célèbre que Sherlock Holmes. En bon greffier de l’invraisemblable, l’auteur note le comportement pour le moins étonnant de cette « jolie chatte au poil soyeux et aux yeux verts » qui sauve à plusieurs reprises sa maîtresse des situations embarrassantes. Histoires vraies ou purs récits de fiction ? La frontière entre ces deux genres est traversée par tant d’événements riches en intrigues qui brouillent leurs pistes et font de ces brèves narrations de vrais canevas à la lisière du polar et du fantastique.
Quelle est l’origine de ce livre sur les aventures d’un félin détective ?
J’avais en tête un modèle inspiré de Sherlock Holmes donc des nouvelles et pas un roman, du moins dans un premier temps. J’ai essayé de prendre un thème original et l’idée m’est venue de choisir un détective animal, qui pense et qui écrit l’histoire en utilisant « je », tout en restant un félin. Elle ne peut pas parler, ne peut agir que comme un chat et a donc des difficultés à se faire comprendre quand elle a résolu l’énigme, ce qui est un des ressorts de mon livre.
Qui est Jasmine Catou et qui est Agathe sa maîtresse ?
Pour m’amuser, je me suis inspiré librement de mon attachée de presse Guilaine Depis et de sa magnifique chatte qui s’appelle bien Jasmine Catou. Guilaine m’avait mis au défi d’écrire un livre mettant en scène son félin.
Pourquoi vouloir présenter les cinq textes qui composent votre livre comme tout autant d’énigmes (mot prometteur) posés à Jasmine ?
J’ai cherché un mot qui définisse mes nouvelles. J’ai écarté enquête car dans mes histoires une seule nouvelle est vraiment une enquête policière. Comme l’une d’entre elles est la résolution d’un rébus, ce mot énigme m’est venu tout naturellement.
Fantômes, marabouts, rébus, pertes et morts inexpliquées, sont tout autant de sujets qui peuplent vos récits. Comment les avez-vous choisis ?
Je suis bien incapable de vous répondre ! Je me suis inspiré d’un repas chez Guilaine (où il ne s’est rien passé, je rassure les lecteurs !) pour la première histoire. Pour les autres elles sont apparues spontanément dans mon esprit, sans que je sache pourquoi et sans que je puisse leur attribuer une origine précise. Voilà la magie de l’inspiration littéraire.
Comment définiriez-vous le tandem Jasmine Catou – Agathe dans l’économie de votre livre ? Peut-on dire que c’est un couple idéal pour construire une intrigue de polar ?
Dans le couple Sherlock Holmes Watson, Watson sert de faire-valoir et explore les pistes possibles et les solutions éventuelles (toujours fausses !). Agathe réfléchit à haute voix (c’est pour cela qu’elle discute avec son amie, son amoureux ou ses invités) elle sert à faire avancer l’intrigue, mais le dernier mot revient toujours à Jasmine.
Jasmine occupe la position du narrateur omniscient. Peut-on dire que vous lui avez cédé symboliquement cette fonction ?
Bien sûr ! Cela m’a amusé que Jasmine soit la plus sagace du couple d’enquêteurs, mais qu’elle soit muette. J’ai pris un chat, car un félin suscite naturellement de l’empathie chez les lecteurs.
Entre Agathe et Jasmine Catou, il y a une vraie complicité, voire un lien d’affection. Comment Agathe vit-elle cette relation ?
Elle est folle de son chat ! C’est son enfant, sa fille, la prunelle de ses yeux. Et Jasmine adore aussi sa maîtresse qu’elle appelle toujours maman ou ma mère. C’est le cas de la vraie Jasmine Catou et de Guilaine Depis. Je n’ai eu qu’à reproduire leurs liens.
De façon plus générale, croyez-vous que la présence d’un animal de compagnie a un effet rassurant et bénéfique sur les gens, à l’exemple de ce couple de personnages que vous nous présentez dans ce livre ?
Je le pense en effet ! Comme je l’ai déjà dit j’ai cherché à susciter l’empathie du lecteur surtout que j’ai mis la photo de la vraie Jasmine qui est magnifique sur la couverture pour attendrir petits et grands.
Y aura-t-il une suite à ces merveilleuses aventures de Jasmine Catou détective ?
Oui j’ai déjà en tête une nouvelle histoire qui passera lors d’un concours de beauté pour « chattes ». Quand j’aurai fini les tâches littéraires auxquelles je me consacre actuellement je commencerai la rédaction de cette nouvelle. Ce nouveau volet n’est pas encore finalisé, je laisse donc mûrir dans mon inconscient afin qu’elle soit la plus percutante possible.
Interview réalisée par Dan Burcea
Christian de Moliner, « Jasmine Catou détective », Éditions du Val, 2019, 110 p.
Marie Desjardins, excellente lectrice de « Camille » de Thierry Caillat, pour La Métropole
Un livre de plus sur Camille Claudel, mais pas n’importe lequel
par Marie Desjardins
Publier aux éditions de l’Harmattan n’est pas toujours bon signe.
Cela veut souvent dire que le manuscrit a été refusé par les maisons dites bonnes, ou encore prestigieuses. C’est un cercle vicieux : les pontes de la critique littéraire ne rendent compte que des parutions desdites bonnes maisons, et de celles des auteurs connus – les maisons ne publient que ce qui nourrira cette industrie formatée du mérite. Du reste, grâce à l’Harmattan (et c’est le but heureusement atteint), une chance estparfois donnée d’exister à ce qui en vaut le coup.
C’est le cas de Camille, paru en 2019, et portant sur la célébrissime sculptrice. L’auteur, Thierry Caillat, précise qu’il s’agit d’un roman. Le texte est néanmoins truffé de citations tirées de correspondances, témoignages, documents divers, ce qui le rapproche bien davantage de la biographie mise en scène avec habileté et rigueur. Caillat a respecté la méthode propre du biographe, en se mettant notamment à la sculpture pour mieux comprendre l’œuvre de son sujet (et il y réussit très bien), mais aussi en relatant fidèlement les faits connus à l’intérieur de balises assez strictes.
Pour qui ne sait pas grand-chose de la vie de Camille Claudel, sœur de Paul, amante de Rodin, flamme de Debussy, etc., le texte proposé par Caillat – féru de musique et d’architecture, auteur sur le tard – est très efficace : documentation soignée, facture classique, vocabulaire riche et un tantinet suranné évoquant d’autant mieux l’époque, volonté psychologique, chronologie impeccable, mise en contexte respectée, très bonne description des œuvres. Le cocktail est gagnant même si linéaire, parfois convenu, et dépourvu d’une réelle originalité de point de vue et de composition.
Ce n’est pas un reproche. La démarche de Caillat, sous le label roman, est importante et louable puisqu’elle est celle de la liberté d’expression que lui permet ce label, et il en faut. Ainsi l’auteur propose une interprétation – son interprétation sensible – de cette vie aussi flamboyante que désastreuse, d’une infinie tristesse. Les grandes lignes de l’existence morcelée de Camille Claudel sont connues – l’avant, et l’après. Mais le travail très attentif de Caillat remet les choses en perspective, à sa façon, en ce qui concerne cette figure clivante. Lorsque Camille fut enfin extirpée de l’oubli, des décennies après sa mort anonyme, d’abordpar Henri Guillemin et Jacques Cassar, l’interprétation traita beaucoup de l’injustice de cette existence – une femme coincée dans son époque, sans droits, abusée, mise à l’écart, internée par sa propre famille et développant par conséquent un comportement agressif – la bête se défend. Puis, le dépouillement des archives a montré par exemple que le frère avait eu ses raisons d’engloutir sa sœur une fois pour toutes, et que l’amant-mentor-patron avait aidé sa maîtresse rebelle en toute discrétion, jusqu’à son dernier souffle – à lui.
Il n’en reste pas moins que Camille Claudel a fait les frais – astronomiques – « de la solitude d’une vocation et de l’incompréhension qui l’entoure », selon la formule de Blanche Morel, auteur de Méprise. Cela est clairement montré par Caillat, bien qu’avec une indulgence parfois limite pour Paul Claudel, ce génie bien-pensant qui se pavana d’un pays à l’autre et d’une femme à l’autre tandis que sa sœur périclitait chaque jour un peu plus, d’un atelier à l’autre dans son cas, à courir après tous les subsides qui ne venaient jamais, à quémander, à jongler avec les piètres deniers qu’elle récoltait de son travail acharné, remarquable, évidemment, et qui enrichit jusqu’au milliard tant de galeristes après sa réhabilitation…
Certes, la question (quasi politique) suscitée par un tel parcours est systématiquement la suivante : pourquoi aurait-il fallu entretenir l’imbuvable de la famille alors que les autres réussissaient? À chacun sa croix! Oui, bien sûr. Sauf que… Et merci à Thierry Caillat d’avoir cité cet extrait particulier et d’une immense lucidité de la déchirante correspondance de Camille à l’asile : l’artiste enfermée s’étonnait que sa propre mère investisse tant pour la garder derrière les barreaux, alors que pour la faire s’épanouir en liberté, quand il en était temps, sa bourse ne s’était déliée qu’avec des grincements de dents virant aux craquements.
L’injustice de cette vie se situe exactement là. Du fond de sa cellule, la pauvre fille ne cessa de réclamer une petite place auprès de sa mère plutôt qu’au milieu de criardes édentées qui furent ses compagnes au cours des trente dernières années de son existence sabotée, alors que tout courrier (envoyé et reçu) était intercepté selon les instructions de la mère. L’aliénation était, ainsi, totale. Avec son Camille, Thierry Caillat propose de revisiter toute cette affaire, cette vie. Il le fait avec beaucoup de classe, de respect, de pondération en ce qu’il tente systématiquement de faire la part des choses, de cœur et, autant le dire, de talent.
Breizh-Info recommande l’essai de Daniel Horowitz
Chronique littéraire. « Leibowitz ou l’absence de Dieu » de Daniel Horowitz
L’auteur est né en Suisse où ses parents s’étaient réfugiés pour fuir les nazis. Il est rentré ensuite à Anvers où il a travaillé jusqu’à sa retraite dans l’industrie diamantaire avant d’émigrer à 60 ans en Israël. Son dernier livre évoque la figure singulière de Yeshayahu Leibowitz qui fut l’un des penseurs juifs les plus remarquables du XX ième siècle. M. Leibowitz est né à Riga en Lettonie en 1903 et est mort en 1994 à Jérusalem.
Il a commencé ses études en 1919 à Berlin où il a obtenu en 1924 un doctorat de chimie et un autre de philosophie. Il décroche ensuite en 1934 un doctorat de médecine avant d’émigrer la même année en Palestine où il enseigna la chimie organique, la biochimie et la neuropsychologie à l’université hébraïque de Jérusalem jusqu’à sa retraite en 1973.Il est connu pour des travaux sur la physique quantique. Après sa retraite il continua à enseigner la philosophie. Il fut aussi rédacteur de l’Encyclopédia Hebraïca pour laquelle il rédigea de nombreux articles tant scientifiques que philosophiques ou religieux. Ses prises de position contre l’occupation de la Cisjordanie, en faveur des objecteurs de conscience et sa déclaration en pleine invasion du Liban en 1982, dans laquelle il dénonçait l’existence d’une mentalité « judéo-nazie » lui valurent de solides inimitiés.
Quand il reçut le prix Israël en 1992 le Premier ministre de l’époque Yitzhak Rabin refusa de participer à la cérémonie de remise du prix. Pour autant, M. Leibowitz s’est toujours montré un fervent partisan du sionisme et du droit pour les Juifs d’émigrer en Israël. Il fut officier dans la Haganah pendant la guerre d’indépendance de 1948.
Le livre présente principalement la position de M. Leibowitz sur le rapport qui doit exister entre les hommes et Dieu. Sa pensée est fort complexe, mais on peut en première analyse estimer que M. Leibowitz est athée, car par rationalisme il exclut toute intervention divine dans la Nature et dans l’Histoire. Il est le premier penseur du judaïsme à appeler explicitement à renoncer à l’illusion de démontrer l’existence de Dieu. De même, il estime que la scène sur le Sinaï ou Jéhovah aurait donné les tables de la loi à Moïse ne se peut se concevoir que comme une allégorie. Pour lui la Torah n’est pas sainte car écrite par une main humaine. Il en est de même pour le mur des Lamentations.
Cela posé, M. Leibowitz est un commentateur pertinent et un disciple du grand penseur juif du XII ième siècle Maïmonide, même si son interprétation du judaïsme diffère quelque peu de la sienne. Et paradoxalement, alors que M. Leibowitz affirme que Dieu est hors de ce monde, il préconise le respect des dix commandements et des lois particulières juives, même s’il est partisan de les adapter au monde moderne notamment en ce qui concerne le rôle de la femme.
Le livre de M. Horowitz ravira ceux qui, chrétiens, juifs ou musulmans essayent de comprendre les rapports entre les hommes et Dieu si tant est que celui-ci existe. Il présente clairement une pensée complexe et puissante d’un penseur original, digne continuateur de Spinoza et Maïmonide.
Christian de Moliner
Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2019, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine
François Deymier reçoit Sophie Reverdi pour un long superbe entretien d’une heure sur BTLV
François Deymier reçoit Sophie Reverdi pour un long superbe entretien d’une heure sur BTLV : émission à réécouter ici https://www.youtube.com/watch?v=MSNPNDZW89s&fbclid=IwAR2VRx6P_-40wM6y08K0QlwQPMVv2C2Y_6cMnsB1HwEa9wyo8V8BKsKxmx4
Une vie entière dédiée à combattre le fléau du siècle, l’obésité, décrite par l’OMS comme la première épidémie non contagieuse de l’humanité et décimant plus de 7000 personnes par jour dans le monde, Sophie Reverdi qui vient d’écrire l’intuition du zéro coupé, répond aux questions de François Deymier sur Btlv, dans » Et si on allait mieux… »
« le plus beau livre que Critiques Libres aura lu de cette année 2019. », c’est « L’intuition du zéro coupé » de Sophie Reverdi
L’histoire d’une femme véritable
Quelle personne merveilleuse que l’auteur de ce livre ! Sophie Reverdi a, toute jeune, juré de consacrer sa vie à lutter contre une maladie bien de notre temps : l’obésité. Mais sans douleur. Car elle, Sophie, toute jeune, enfant, adolescente, en a souffert plus que sa part. Car elle a maigri dans la douleur.
On peine à croire tout ce qui est dit ici, mais les détails sont précis, les gens sont nommés, les lieux reconnus, et des photos émouvantes viennent en appui au récit. Sophie Reverdi, plus que sa vie, nous narre son œuvre.
L’histoire commence comme souvent bien avant la naissance de la narratrice. C’est au centre obscur de l’Europe qu’une jeune femme, que la photo nous révèle merveilleusement belle, comme savent l’être les Roumaines, échappe de justesse aux nazis. C’est la mère de Sophie. Cette jeune fille très éduquée va tomber sans cesse de Charybde en Scylla, car il ne fait pas bon être en Bessarabie, c’est-à-dire en Moldavie, dans les années quarante, surtout si l’on est un peu Tsigane.
Sauvée de justesse de l’envoi en camp de concentration, emmenée en Occident par un premier mari, la jeune femme se retrouva finalement fort mal mariée en secondes noces à un tyran domestique, à qui elle donna une fille, sa seconde, Sophie.
Dire que la famille est malheureuse est loin en dessous de la réalité : Sophie le supporte mal et mange, mange, mange, jusqu’à devenir, dit-elle, monstrueuse.
Toute la première partie de ce récit concerne les mésaventures familiales, et nous plongeons en apnée dans le monde de cette Mitropa si complexe aux confins de la Roumanie menacée par l’Union soviétique. C’est tout un autre monde, souvent évoqué par Stefan Zweig, aux habitants talentueux et courageux, car dans toutes les bonnes familles on apprend la littérature, la musique et tant d’autres choses. Alors que leur monde s’écroule, ils parviennent in extremis à rejoindre l’Occident encore épargné, mais plus pour longtemps. Nous découvrons l’infinie débrouillardise de ces fugitifs sans cesse menacés.
Évidemment, pas question de revenir en Roumanie après 1945. Quelques années plus tard, le père juge le jeune Ceaucescu peu digne de confiance…
Sans insister, Sophie Reverdi évoque quelques belles personnes qui ont croisé le destin familial, formidable collection d’artistes, intellectuels, gens de toute sorte, tous sachant tout faire, et avec talent. Tout un monde perdu. Au génie européen s’ajoute le génie des désespérés.
Un jour, elle naît dans une famille qui se décompose déjà dramatiquement. Son enfance malheureuse, autour d’une mère atteinte de mélancolie profonde, la laisse sur le carreau. Elle devient le mouton noir de la famille, la seule qui ne sache rien faire, celle qui, de toute façon, est un zéro. Un zéro coupé, même, invente son père. Elle devient alors une handicapée : elle est obèse. Son enfance tourne en une vie de frustrations et de misère, jusqu’à ce qu’un séjour écourté dans un camp de vacances américain pour enfants suralimentés lui provoque une épiphanie salvatrice : elle sauvera les obèses de leur lourd destin. Ce sera le sien. Le zéro coupé a trouvé le but de sa vie et s’y consacrera sans jamais abandonner.
Elle maigrit. C’est sa première tâche. C’est terrible. La méthode est abominable, mais cela marche. Sophie rencontre des gens extraordinaires, encore, un tailleur pied-noir, un musicien de rock, un coach suédois ; elle passe son bac, apprend la gestion des établissements hospitaliers, s’épanouit et n’oublie jamais. De belles photos anciennes de sa famille, jusqu’à ses grands parents et de gens qui ont croisé sa vie, donnent un visage à ces silhouettes évoquées souvent trop succinctement. Mais le récit ne traîne pas, il est dense, varié, oblige parfois à y revenir, et l’auteur sait mener le suspens, ce qui, pour un livre de souvenirs, est exceptionnel.
Nous découvrons aussi, au passage, la mutation d’une adolescente certes jolie, mais difforme qui, au sortir de sa chrysalide, devient une jeune femme à la beauté rayonnante, puis maman.
On pourrait craindre que passer des tribulations d’une famille en détresse à la construction d’un centre de traitement de l’obésité serait l’occasion d’une baisse de la densité du récit. Il n’en est rien. Sophie – qui n’est pas encore Reverdi – sait compliquer son existence au-delà du pensable et c’est, on reconnaît là l’Europe centrale, en tout compliquant qu’elle saute tous les obstacles.
C’est en Tunisie que l’histoire se poursuit. Et de nouveau tourne le carousel de ministres, de médecins, de toute une société intelligente, d’un jeune homme qui saisit l’affaire de sa vie, et deviendra un précieux factotum.
Enfin l’institut ouvre dans un faubourg de Carthage… et, les premiers patients, immanquablement, deviennent des amis. Point de routine, pourtant, une méthode s’invente, et les gens maigrissent. Mais tout serait trop simple et la politique s’en mêle, tant et si bien que Sophie, devenue Reverdi, ouvre un centre à Paris, et tout recommence, avec de nouvelles têtes, un autre défilé de personnes bienveillantes (les autres ont dû passer à la moulinette temporelle, mais, c’est le miracle Reverdi, elles ne sont pas oubliées et réapparaissent un jour. L’amitié de Sophie est sans faille.
Le récit s’achèvera bien plus tard, dans une ribambelle de remerciements et d’éloges pour tout le monde car s’il est une autre chose merveilleuse dans cette Intuition du Zéro coupé, c’est que l’héroïne et narratrice ne s’attribue presque rien, sinon une opiniâtreté à toute épreuve. Tout est toujours présenté comme le résultat de l’aide qu’elle a reçu, du dévouement de ses amis, de l’intérêt que portent des personnalités à son projet, c’est presque comme si elle n’y était pour rien. C’est rare, c’est précieux. On se prend parfois à se dire qu’elle exagère, mais sa modestie est stupéfiante et surgit déjà « un homme merveilleux », une femme admirable » qui permet la réalisation d’un élément du projet.
Que dire d’autre enfin ? Le récit est tenu de bout en bout dans une langue d’une simplicité et d’une précision parfaites. Point de gras, si on peut dire, mais des rebondissements à chaque page. Se lit comme un polar, en somme.
Une annexe présente, de manière assez publicitaire, le programme « Smart and Light », c’est ainsi qu’elle l’a baptisé, en quelques pages. En parler n’est pas de mon ressort, mais vous pourrez consulter le site de Smart and Light ici : https://www.smartandlight.com
Sans doute le plus beau livre que j’aurai lu de cette année 2019. François MARTINI
Guy Vallancien troque son costume de clinicien pour celui de philosophe dans Causeur
Guy Vallancien troque son costume de clinicien pour celui du philosophe
Il publie « À l’origine des sensations, des émotions et de la raison »
Dans son essai, À l’origine des sensations, des émotions et de la raison – sous-titré « J’aime donc je suis » – l’ex-urologue Guy Vallancien nous éclaire d’une lumière qui n’est pas exclusivement scientifique ou médicale. Le médecin nous parle des hommes comme un homme. Il troque son costume de clinicien pour celui du philosophe.
Cet essai est d’abord le récit d’une épopée. Guy Vallancien cherche à comprendre ce que l’homme recèle de mystères et de complexités avec, pour point de départ, rien de moins que le grand néant originel. Les questions d’actualité se mêlent, immanquablement, aux questionnements fondamentaux qu’il pose, sans toutefois verser dans un manichéisme infructueux. Il n’y a pas, en effet, le Bien technologique d’un côté face au Mal ancestral de l’autre. Son propos est bien plus nuancé et subtil. Qu’une intelligence artificielle advienne et soit, sans doute, logiquement supérieure à celle de l’homme est un fait avec lequel il nous faudra, à l’avenir, composer.
Il faut rendre à César ce qui appartient à César !
En revanche, et c’est là toute la portée de la réflexion : jamais une intelligence purement calculatrice, froide et désincarnée ne viendra détrôner la magistrature intellectuelle des hommes. Qu’on le veuille ou non, l’être humain ne sera jamais assimilable à un robot. Il faut donc rendre à César ce qui appartient à César et reconnaître en l’homme ce qui constitue son irréductible spécificité humaine.
Un traité de philosophie
Chemin faisant, Guy Vallancien ôte donc le costume du clinicien pour celui du philosophe. C’est contre une tradition solidement ancrée qu’il s’inscrit en faux. Refusant de considérer l’homme comme une machine, c’est contre le dualisme cartésien (et de beaucoup d’autres philosophes) que se dresse cet ouvrage. « Ce n’est pas parce que je pense que je suis, mais parce que je ressens que je deviens ». À la raison surplombante – « la raison est la seule chose qui nous rend hommes »(1) – défendue par Descartes, Guy Vallancien lui oppose un recours aux sens et un retour des sensations. L’homme n’est donc pas qu’un être rationnel que les sens trompeurs viendraient ébranler. Jetant un pont entre le ressenti et le devenir, cet essai prend des allures fermement existentialistes.
La liberté – puisque c’est bien, en filigrane, de cela dont il est question – est une chose qui demeure exclusivement humaine mais qui ne consiste toutefois pas à prendre le seul parti de l’entendement. C’est que l’intelligence, et plus généralement, la nature humaine sont bien plus que cela : « les post-humanistes méconnaissent totalement le rapport qui nous font exister, combinant le physique au psychique ».
Une réhabilitation du sensible
Il convient donc de « cerner l’Homme dans sa plénitude ». Et la sensibilité humaine est résolument partie prenante de cette plénitude. Bien qu’il n’y soit jamais question en tant que telle dans ce livre, c’est bien la sensibilité qui subsume les sens, les sensations, les émotions. Guy Vallancien nous explique alors que notre présent, du moins tel que les sujets vivants le perçoivent, est d’abord affaire de reconstitution des sens passés. L’homme est donc avant tout un être animé par un passé, un vécu, qui n’a cependant rien du déterminisme : « je m’invente sans cesse » (idée, par ailleurs, essentielle dans la question ontologique fondamentale chez Heidegger, rien de moins !). C’est précisément là que réside toute la subtilité de la nature humaine : la frontière est ténue entre l’expérience vécue et la liberté constitutive et originaire qui amène l’homme à se transcender lui-même et pour ses idéaux. L’être humain est donc définitivement irremplaçable car son existence propre n’est pas réductible à un algorithme.
Cette complexité est le corollaire même d’une sensibilité proprement caractéristique de l’homme. C’est qu’on ne demandera jamais à un robot de nous faire rire, pleurer ou de nous émouvoir : Bach, Chopin, Mozart ou Rembrandt étaient bien des hommes. De cette réhabilitation du sensible, c’est aussi une conclusion politique qu’il convient de tirer.
Guy Vallancien se fait le chantre légitime d’une « unicité de l’être ». Idée qui n’est pas profonde que par la formule. En effet, c’est en reconnaissant à l’homme toute sa dimension sensible que l’on substituera à l’individualisme délétère une individualité précieuse. C’est à se demander si, derrière les débats relatifs à l’intelligence artificielle ou à l’homme augmenté, il n’y aurait pas une forme de vanité des hommes de se faire à leur image. Mais la créature a toutes les chances de n’être qu’illusoirement la réplique du créateur, puisque les hommes sont tous, par définition, des êtres uniques et singuliers.
Préserver la spécificité humaine
La question n’est donc pas de savoir si les robots seraient possibles ou souhaitables, mais plutôt celle de la préservation d’une spécificité humaine, ou plus encore, d’une spécificité des hommes. L’auteur évoque l’indigence d’une « civilisation qui privilégie l’objet analysable au détriment du sujet insondable ». À cela, il oppose la « densité d’être » qui, elle, repose sur la complexité et la richesse de l’intrication des « variantes émotionnelles et créatrices ».
Au fond, ce qui façonne l’homme et l’humanité toute entière, ce sont d’abord les relations intersubjectives. Quid de l’amour, de l’art, du génie, de la beauté du monde, de l’histoire et de l’héritage dans une société devenue régie par la robotique ? Car « c’est en sortant de soi-même pour s’immerger dans la relation interpersonnelle (…) que l’on devient humain, profondément humain, intégralement humain ». L’ancien praticien de confesser que tout médecin, quelle que soit la spécialité, demeure avant tout un peu psychologue. Le patient demeure avant tout un homme, et sera toujours plus réceptif à l’humanité de son interlocuteur qu’à l’austérité de sa technique.
A l’origine des sensations, des émotions et de la raison: J’aime donc je suis
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