Clara Falco a un coup der coeur pour « La Conversation » dans Ô Magazine

La lecture comme miroir de la société

En 2019, 88% des Français se déclarent friands de lecture, selon le Centre national du livre. Quel meilleur moyen alors pour transmettre des messages et essayer d’impacter les gens sur notre société et nos habitudes ? Voici trois auteurs engagés qui vous donneront envie de refaire le monde.

La conversation, un roman d’Alexandre Arditti

« Aussi loin que je me souvienne, les artistes m’ont toujours fait rêver. Ouvrir un livre ou aller au cinéma, c’était pour moi pénétrer un nouveau monde, un univers des possibles où la monotonie du réel n’avait pas de prise. »

Alexandre Arditti, journaliste et éditeur de presse. Fondateur des éditions Grands Voyageurs et directeur du magazine Voyages & Hôtels de Rêve.

La conversation, c’est l’histoire d’une interview entre une jeune journaliste de 20 ans et un politicien, ancien Président qui plus est, âgé de 90 ans. Charlotte est alors chargée d’organiser cet entretien pour célébrer le Prix Nobel de la Paix que Victor Esmenard vient tout juste d’obtenir. Tout au long du livre, nous assistons à un dialogue entre ces deux personnages, séparés par sept décennies.

Ce roman évoque à la fois la vie, la mort, l’amour, l’amitié et le bonheur. La lecture nous amène à nous poser des questions fondamentales et existentielles sur notre société, notre Histoire, la politique, l’environnement ou la morale. Tous les thèmes les plus capitaux aujourd’hui, dont les débats ne cessent de fuser, sont évoqués. Parmi lesquels, vous retrouverez la surconsommation, le réchauffement climatique, le terrorisme, l’addiction ou encore la pandémie de 2020. Victor se confie également sur son opinion quant à l’émergence d’Internet et des réseaux sociaux alors que nous en devenons interdépendants. La chasse à la notoriété qui découle intrinsèquement de cette nouvelle manière de vivre n’impacterait-elle pas notre bonheur ?

La sagesse pour faire passer un message

La plume de l’auteur est légère ; la lecture se fait avec le sourire aux lèvres, même si quelques passages sont là pour ouvrir les yeux des lecteurs sur les vices dissimulés au sein de la société. C’est une belle leçon sur la vie. Mais également sur la façon de voir les choses et de relativiser, à travers la sagesse d’un personnage qui a non seulement vécu la guerre mais aussi traversé une sacrée révolution civilisationnelle.

Alors qu’il approche de la fin de sa vie, l’homme d’affaire se permet de donner des conseils pour mieux appréhender l’après.

« Dans la vie, tout est insignifiant, mais tout est important. Mourir est facile, c’est vivre qui est difficile. {…} L’erreur que nous faisons tous est de passer des années, voire des décennies, à attendre que les autres viennent satisfaire nos désirs, combler nos manques. C’est un mirage, une illusion. {…} À quoi ressembleraient nos vies si nous n’avions pas la solution en nous-mêmes, si c’était les autres qui possédaient les clés de nos existences ? »

Extrait du livre La conversation de l’écrivain Alexandre Arditti.

En lisant cet ouvrage, vous retrouverez des personnages attachants qui véhiculent des messages essentiels aujourd’hui. Charlotte, jeune mais sûre d’elle, devra faire face à la condescendance d’un homme qui ne suit que les impulsions de son plaisir. Pour autant, la chute de ce livre vous laissera probablement sans voix.

François Cardinali charmé par « la Conversation » d’Alexandre Arditti

À batons rompus…

Premier roman


La Conversation, de Alexandre Arditti (*) c’est un court texte en forme de rencontre entre une jeune journaliste stagiaire et un vieux routier de la politique, réputé pour ne pas être d’un abord facile.

L’action de La Conversation se passe pour l’essentiel dans un même lieu : le luxueux décor d’un des salons de l’Hôtel Plaza Athénée, à un jet de pierres des Champs-Élysées à Paris. Un cadre où a lieu une interview inattendue : celle d’un ancien président de la République, âgé de 90 ans, Victor Esmenard, et Charlotte, 20 ans, une jeune journaliste stagiaire chargée de réaliser cette dernière interview du vieux routard de la politique de passage dans la capitale pour y recevoir son prix Nobel de la Paix… Dès le départ, Charlotte sent que l’exercice n’est pas un cadeau : « Pour une jeune journaliste sortant à peine de l’université, interviewer un prix Nobel de la paix – de surcroit un ancien président de la République – était pour nombre de mes confrères, notamment masculins, quelque peu incongru : je n’avais aucune légitimité pour le faire. » Cela dit, au cours de ce rendez-vous qui va durer un temps certain, Charlotte n’est pas au bout de ses surprises. Et le lecteur non plus…

Journaliste lui-même et éditeur de presse, Alexandre Arditti connaît bien les codes du milieu et sait bien restituer en quelques pages l’atmosphère de la rédaction d’un grand hebdomadaire à l’orée de l’été. Son portait de la patronne de Charlotte sonne plus vrai que nature : « Ma rédactrice en chef se prénommait Caroline. Grande, blonde, toujours impeccable et dotée d’un sourire désarmant, elle revendiquait fièrement une belle cinquantaine, comme il est de bon on de le faire dans les pages « beauté » des magazines féminins du groupe, édités au sixième étage de notre immeuble. »

Interview. Alexandre Arditti dans Lettres capitales : « L’écriture est un art, et l’art, c’est la vie »

Interview. Alexandre Arditti : « L’écriture est un art, et l’art, c’est la vie »

 

Alexandre Arditti est journaliste et éditeur de presse écrite. La conversation est son premier roman. Charlotte, jeune stagiaire dans un grand hebdomadaire se voit proposer d’interviewer Victor Esmenard, ancien président de la République française, diplomate, écrivain nonagénaire, qui vient de recevoir le Prix Nobel de la paix. Cette liste suffit pour intimider la jeune journaliste qui accepte et se dirige à tâtons vers le lieu où elle va rencontrer son illustre interlocuteur. Elle n’est pas au bout de ses surprises…

La conversation porte sur sa couverture la précision d’appartenance au genre romanesque. On aurait pu l’imaginer se dérouler sous forme théâtrale, comme un dialogue en plusieurs actes, selon les circonstances de lieu et de temps. Pourquoi avoir opté pourtant pour le roman plus que pour d’autres genres littéraires ? Quelle liberté, quel espace fictionnel vous a offert cette option ?

En effet, c’est un dialogue à bâtons rompus qui aurait pu s’exprimer sous la forme théâtrale. On pourrait d’ailleurs tout à fait imaginer une adaptation ! Cependant, j’ai préféré opter pour la forme romanesque qui offre à mes yeux plus de souplesse, et permet de rentrer plus en profondeur dans la psychologie des personnages, de mettre en lumière leur évolution mais aussi de faire apparaître leur part d’ombre… Des nuances beaucoup plus complexes à esquisser lors d’un face à face théâtral pur. Je suis un grand amoureux des dialogues ciselés et puissants, de ceux qui peuvent aussi bien se révéler de douces caresses ou des coups de poing dans la figure ! Il y a un côté jubilatoire dans cet exercice dont je suis un féru en tant que lecteur.

Si le personnage de Charlotte est facilement identifiable sociologiquement, celui de Victor Esmenard attire l’attention par sa complexité. Comment avez-vous « construit » le personnage de ce nonagénaire à la ressemblance physique, aux traits de caractère et au parcours si surprenants ?

Mon idée était justement d’opposer ces deux personnages que tout oppose. Deux caractères, deux visions de l’existence, deux trajectoires qui se croisent à des moments opposés de leur vie. C’est un entretien initiatique. L’une commence à peine son parcours tandis que l’autre termine le sien. Toutes sortes de sentiments sont à l’œuvre durant cette conversation où les points de vue vont se confronter : l’enthousiasme, l’idéalisme et un brin de naïveté d’un côté ; de la distance, de l’amertume et une certaine sagesse de l’autre. Victor est forcément plus complexe et il n’hésite pas à se révéler un peu provocateur, à jouer de son expérience pour guider Charlotte là où il a envie de l’emmener, jusqu’au dénouement pour le moins inattendu… Je trouvais intéressant de confronter ces personnages et ces idées qui peuvent paraître contradictoires au premier abord, et de les passer ensuite au tamis de notre époque.

Revenons au titre de votre livre, La conversation. Le lecteur attentif ne peut pas s’empêcher de penser à ce type de dialogues imaginaires assez fréquentés dans la littérature – dont un auquel j’ai moi-même pensé –, c’est le livre éponyme de Jean d’Ormesson du dialogue entre Napoléon et son deuxième consul Jean-Jacques Régis de Cambacérès. Pouvez-vous nous parler des sources que avez-vous convoqué et des auteurs qui vous ont inspiré dans l’écriture de votre livre ?

En effet, je suis un grand admirateur de Jean d’Ormesson dont j’ai lu un certain nombre d’ouvrages, mais paradoxalement pas celui-là. Et je n’ai surtout pas voulu le faire avant d’écrire, justement, pour ne pas risquer d’être influencé ou bridé par son contenu. Cependant j’ai bien l’intention de le lire un jour, et cette comparaison, ne serait-ce que par l’analogie du titre, est bien entendu extrêmement flatteuse pour moi ! (rires). En matière de dialogues décapants, j’ai bien sur pensé à l’Hygiène de l’Assassin, le premier roman d’Amélie Nothomb, dont je suis également un admirateur, ou dans un autre genre au style limpide et malicieux des répliques de Pagnol, ou encore à celles plus lyriques d’Audiard au cinéma. Mais je me suis surtout laissé guider par mes personnages, par la personnalité et le langage que j’avais imaginés pour eux, et par la manière dont ils évoluaient au fil du texte, au point que j’avais parfois l’impression qu’ils avaient pris le contrôle des dialogues. Peu importe comment vous l’introduisez, l’essentiel est que la réplique fasse mouche, qu’elle claque ! C’est une dimension de l’écriture très musicale. Pour moi, le dialogue est un élément central et indispensable au roman. Peut-être est-ce aussi parce que je suis musicien et amateur de cinéma.

Vous abordez au fil des pages plusieurs thématiques qui contribuent à construire un vrai testament censé à rendre compte des convictions et de la vie intime de votre personnage Victor Esmenard. Arrêtons-nous sur plusieurs d’entre elles. La première reflète le rapport de cet homme à l’écriture qu’il définit comme « une sorte de recréation, un exutoire salvateur, une parenthèse enchantée » ? Faites-vous votre propre opinion de cette définition ? Que dit celle-ci du romancier débutant que vous êtes ?

Oui et non. Disons que mon rapport à l’écriture est double. Je la considère d’abord comme un métier, puisque je suis journaliste en presse écrite depuis plus de vingt ans. Mais écrire un roman, c’est autre chose, c’est un peu comme partir à l’aventure ! Et c’est aussi un travail de longue haleine… Mais dans un cas comme dans l’autre, écrire a quelque chose de libérateur. C’est une sorte de récréation en effet, et cela doit le rester. Je n’envisage pas le fait d’écrire comme un carcan ou une souffrance, cela doit au contraire être un moment de liberté, où l’on se permet de changer de peau, de jouer avec les mots et les idées, d’hystériser des points de vue, de se cacher derrière des personnages, de vivre des vies que l’on a pas pu ou su vivre… C’est tout cela que j’attends de l’aventure de l’écriture. En cela, elle peut se révéler un exutoire salvateur qui peut nous sortir du quotidien, de son horizon vain, répétitif et terre-à-terre… L’écriture est un art, et l’art, c’est la vie.

Le deuxième sujet sur lequel je souhaite vous interroger tient disons de la conception politique de cette homme à l’expérience si riche et à l’âge de la sagesse. Quel sens doit-on donner à ses affirmations : « Le monde a changé très vite, les politiques sont presque tous devenus des professionnels de la communication, sans autre véritable objectif que de coller à l’air du temps. Force est de constater que les hommes d’État sont plus rares… » ?

J’ai toujours été passionné d’histoire et de politique, et forcément, lorsque l’on se retourne sur ces cinquante dernières années, on ne peut s’empêcher d’être quelque peu désabusé, voire franchement atterré par l’évolution du niveau des débats publics et de la qualité du personnel politique. Comme Victor, je ne suis certainement pas adepte du « c’était mieux avant », mais en la matière, je crois qu’il n’y a pas photo ! Le culte de la communication et le règne des sondages ont totalement sclérosé la vie politique, la complexité et l’élitisme républicain sont devenus un gros mot, et l’opinion de mon boucher sur la politique étrangère vaut celles du président de la République et des diplomates. Le niveau des débats s’en ressent, et le courage n’est pas la vertu cardinale de notre époque. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que les hommes d’Etat se fassent plutôt rares…

J’ai beaucoup aimé chez votre personnage cette vibration de l’âme concernant l’amitié. À la fragilité des relations humaines, il interpose l’impermanence, qui est elle-même une émanation de la sagesse. Qualifieriez-vous ce sentiment de scepticisme et/ou de lucidité chez cet homme ? Est-il un homme résigné ou sa carapace est plus protectrice qu’il ne se laisse pas se dévoiler facilement ?

Victor est double. Il arrive à la fin de sa vie et, je ne sais pas comment je réagirai à sa place le moment venu, mais il est pris entre des sentiments contradictoires. Il oscille entre la sagesse et la passion, il est encore dans la vie même s’il essaie de prendre congés progressivement. L’amitié, comme l’amour, est sûrement l’un des plus beaux sentiments humains, l’un de ceux qui nous font échapper à notre condition, et nous rendent heureux, mais comme en toute chose en ce bas monde, elle est aussi source de déception, de souffrance. Même à quatre-vingt dix ans, Victor n’est pas immunisé contre les passions humaines, même s’il essaie de prendre de la distance, de se résigner à une certaine sagesse. Est-ce une sagesse sereine qui l’envahit avec le temps ou qui s’impose à lui contraint et forcé, un peu des deux probablement… L’impermanence est partout, et c’est un chemin que nous sommes tous censés emprunter.

Cela me renvoie à une autre question étroitement liée à la précédente. Invité à parler de l’homme contemporain, Victor Esmenard répond : « Cruel, abject, sans pitié, mais aussi plein d’espérance, de générosité et de bienveillance ». Quelle signification prend cette phrase à la lumière qu’elle prend dans le contexte de votre livre, celui de la pandémie que nous vivons ?

Comme toutes les catastrophes qui touchent ou ont touché l’humanité, cette pandémie a révélé le pire et le meilleur de l’être humain. Tant au niveau des Etats, qui suspendent sans plus de cérémonie des libertés publiques que nous avons mis deux cent ans à installer, qu’au niveau des individus, où la divergence de points de vue quant au comportement à adopter face aux masques, à l’interruption de la vie sociale ou encore aux vaccins, sépare les gens, les familles, parfois de manière assez véhémente. La cohésion nationale est attaquée, et ce phénomène n’est pas propre à la France, mais à tous les pays du monde, en particulier occidental, même si tous n’ont pas eu la même approche face à cette situation hors du commun. Toutefois, cette pandémie nous enseigne une chose : où que nous soyons sur la planète, nous sommes tous sur le même bateau. En cela, la pandémie a rapproché les peuples, même s’ils ne peuvent plus se rencontrer tant que les voyages n’auront pas repris. Mais il y a tout de même une différence notable avec ce que nous avions connu au XXe siècle avec les guerres : si une guerre éclate, vous avez toujours l’espoir de pouvoir vous échapper. Ce n’est pas le cas avec la pandémie actuelle.

Quelques pages plus loin, l’ancien chef d’État, diplomate et prix Nobel, fait une remarque en guise de conclusion de son analyse : « En agitant la peur, on peut presque tout obtenir d’un être humain. D’un peuple et d’une société aussi ». Comment traduire ces affirmations à la lumière de l’expérience qui est la sienne ?

Victor est comme nous tous, triste et en colère depuis que cette pandémie et ses conséquences désolantes sont entrées dans nos vies. Mais il a une longue expérience, il a connu la guerre, et a même fait un séjour en camp de travail. Il a donc un certain recul sur les obstacles que nous pouvons être amenés à rencontrer dans l’existence. Mais il a aussi connu l’âge d’or des régimes totalitaires, et une époque où la liberté n’allait pas de soi. Il sait parfaitement quels sont les mécanismes destructeurs de la démocratie qui peuvent être activés pour toutes sortes de bonnes raisons, et c’est pour cela qu’il est particulièrement attaché au droit. Qu’il rappelle inlassablement que ce dernier n’est pas seulement là pour encadrer la société quand tout va bien, mais aussi et surtout pour nous protéger dans les périodes difficiles et quand tout va mal. Qu’on ne doit jamais suspendre les libertés publiques, quelles qu’en soient les raisons. Qu’il en va de notre liberté à tous.

Et, enfin, cette candide mais admirable déclaration qui revient à Charlotte. « Je suis admirative de votre parcours, mais aussi de la douceur du regard que vous posez sur la vie ». Magnifique convergence générationnelle, a-t-on envie de dire. Accordons donc à Charlotte la place qu’elle mérite dans l’économie de votre récit en vous invitant de lui dresser en conclusion son portrait. Que pouvez-vous nous dire d’elle ?

À une époque où les conflits entre générations semblent devoir devenir une question de société, il me semblait important d’établir un pont entre ces deux rives de la vie. Nous avons tous été un jour à la place de Charlotte, nous avons tous démarré dans la vie, quelle que soit la voie que l’on ait choisie. J’ai d’emblée éprouvé une grande tendresse pour elle, une vraie bienveillance en pensant à toutes les difficultés qui l’attendent dans la vie et qu’elle ne soupçonne pas encore. En me plaçant de son point de vue, j’aurais aimé avoir la chance de pouvoir poser toutes ces questions à un homme d’expérience aussi brillant que Victor. Il y a dans cet échange intellectuel quelque chose de filial entre ces deux-là, que l’on peut probablement tous transposer dans nos histoires personnelles.

Propos recueillis par Dan Burcea

Alexandre Arditti, La conversation, Éditions Les Presses Littéraires, 2021, 121 pages. 

« une sagesse surgie d’un long vécu », le thème de la transmission développé avec grâce par Alexandre Arditti

Alexandre Arditti, La conversation

Un sympathique premier roman qui met en conversation une fille de 20 ans avec un homme de 90 ans. Mieux qu’un essai, la « conversation à la française » permet de distiller une sagesse sans peser, une philosophie sans grands mots, un art de vivre sans insister.

Charlotte a terminé Science Po (y serait-elle entrée à 16 ans ?) en même temps qu’autre chose comme il se doit (est-ce encore possible aujourd’hui où les enseignements sont plus denses ?). Stagiaire dans un grand hebdomadaire parisien en pleines vacances 14 juillet-15 août, elle est chargée par sa rédac-cheftaine d’aller interviewer un ancien président de la République, homme de lettres et prix Nobel (de la Paix) qui vient rarement à Paris. Rendez-vous est pris dans les salons de l’hôtel Plaza Athénée, avenue Montaigne à Paris, l’essence du chic grand style, encore que je préfère les brunchs du Crillon, l’allée de luxe du Ritz ou la cour intérieure du Bristol.

Le vieil homme des années trente rencontre la millénium et l’entretien commence – autour d’un verre de chablis. Tout y passe, sa vie, son œuvre, son expérience. Ils se tutoient, se titillent, s’entre-admirent. Se distille la sagesse que j’aime, à la Montaigne justement, faite d’exigence mais de rien de trop, d’anarchie intellectuelle et de morale décente, de jugements et d’indulgence. Victor (tiens, le prénom du jumeau de la coming out MeeToo) écume l’aventure (cette tentation permanente), la carrière (ce pensum où il faut s’amuser), la mondialisation (heureuse pour le tiers-monde, moins pour les prolos de notre beau monde), le journalisme (décati depuis les chaînes d’infos en continu et les réseaux sociaux), la violence qui nait de l’inculture et la moraline écolo, le vin et la gastronomie, le goût d’écrire (« tout ne vaut pas d’être publié » p.80), les femmes (ah, les femmes !), les désillusions de l’amitié, la solitude et même le Covid et l’infantilisation de la société (qui ne réclame que ça dans les bras de l’Etat papa). Les Français se foutent de la liberté, ce qu’ils exigent c’est le tous-pareils, l’Egalité ! Leur fraternité ne vient que de là, elle s’évanouit dès qu’une inégalité surgit, même naturelle, même inévitable.

Victor ressemble diablement à François (Mitterrand, le prix Nobel en plus) ; comme lui il est fondamentalement conservateur avec des aspirations sociales, comme lui il « n’aime pas les gens » mais les individus ; comme lui il est fidèle en amitié et à « ses » femmes ; comme lui il aime les livres, la bonne chère et les alcools choisis ; comme lui il est volontiers cruel avec ses ennemis et cisèle des bons mots percutants. Et comme lui il admire le coup d’Etat permanent, dans sa vie publique comme privée. Le lecteur le comprend à la fin.

Un premier roman ne va pas sans quelques défauts, dont le principal est de ne pas réussir à s’incarner dans chacun de ses personnages lorsqu’ils sont aussi contrastés et que trois générations les séparent. L’auteur fait souvent parler une fille de 20 ans comme une bourgeoise de 40 ans et un homme de 90 ans comme ces ducons des « du coup » et ces envolées des « voilà » qui sévissent à longueur d’antennes depuis les années 2010 en émettant des « ou pas » (p.56) en suffoquant tels des poissons hors de l’eau théorique – oup ha ! oup ha ! – dès qu’on leur pose une question concrète. Né vers 1930, on a des convictions, même relatives ! Au fond, dit l’ancien président prix Nobel, il suffit de se sentir heureux pour l’être et la mort vient en son temps comme il se doit. Est-ce de la résignation stoïcienne, une soumission progressive à l’envahissement spirituel du Confucius chinois, ou du cynisme politique ? C’est en tout cas une sagesse surgie du long vécu que le vieillard veut transmettre à la génération d’aujourd’hui.

L’auteur est journaliste né en 1974, il dirige la maison d’édition Grands voyageurs depuis dix-huit ans et est rédacteur en chef depuis près de quatorze ans du magazine Voyages et hôtels de rêve. Comme son président, il écrit son premier roman à 45 ans ; comme sa stagiaire (calquée peut-être sur sa fille), il a fait Science Po (Aix) et droit ; comme l’hebdo de sa journaliste, il a créé Confidentiel, magazine haut de gamme qui publie de longues interviews de 15 à 30 pages de personnalités françaises et internationales.

Alexandre Arditti, La conversation, 2021, éditions Les presses littéraires, 121 pages, €12.00 e-book Kindle €8.49

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com