La revue Le Contemporain (Alexis Brézet du Figaro au Comité de rédaction) s’est intéressé au livre de Francis Coulon

« Sortir de la société en crise » de Francis Coulon : Une approche pragmatique pour des temps incertains

■ Francis Coulon
 

Par Yves-Alexandre Julien – Journaliste Culturel 

Francis Coulon, ancien directeur financier dans des entités prestigieuses telles que DANONE et LVMH, et auteur du révélateur “Sortir de la société en crise” paru chez VA Éditions, décortique en 5 parties et 21 chapitres avec finesse entre autres les mécanismes qui régissent l’économie dans le prisme de l’utilitarisme au service de l’intérêt collectif.

Des cas concrets, des films à titre d’exemple, une bibliographie d’Aristote à Thomas Piketty construisent la réflexion de Francis Coulon alliant l’utile à l’agréable comme si d’ailleurs, on pouvait résumer l’utilitarisme ainsi.

L’auteur crée un fil d’Ariane entre la microéconomie du panier quotidien et la macroéconomie des politiques publiques, proposant une harmonie envisageable développée dans les principes de l’utilitarisme et de la libre concurrence.

I. La mise en pratique de l’utilitarisme dans la sphère publique

La démarche utilitariste d’une manière générale Francis Coulon l’aborde tout au long de son remarquable ouvrage « sortir de la société en crise. » Il y explique avec précision comment elle se distingue par sa simplicité et son souci d’efficience. En évaluant les avantages et les inconvénients d’une décision pour l’ensemble des parties concernées, elle cherche à maximiser l’utilisation optimale des ressources disponibles. Cette approche, pertinente pour la sphère publique où les budgets sont limités, nécessite une évaluation rigoureuse des politiques publiques, à la fois en amont et en aval. En respectant les critères d’efficacité, de justice et de liberté, les gouvernements peuvent mieux répondre aux attentes des citoyens et conduire des réformes plus équitables et efficaces.

II. Les bases de notre société revisitées à travers l’utilitarisme pour reconquérir les valeurs de liberté, d’équité et d’efficacité.

Dans un monde en perpétuelle mutation, la recherche de solutions pragmatiques devient impérative. La philosophie utilitariste, souvent méconnue en France, offre une perspective intéressante. Fondée sur le principe d’utilité, elle privilégie le plus grand bonheur pour le plus grand nombre, adoptant ainsi une éthique de responsabilité plutôt qu’une éthique de conviction.Coulon questionne la mesure du bonheur en faisant référence à Emmanuel Kant « Pour répondre à cette question, il faudrait déjà être capable de définir le bonheur ; or, c’est une notion subjective. Emmanuel Kant déclara dans Fondements de la métaphysique des mœurs : « Malgré le désir qu’à tout homme d’arriver à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que véritablement, il désire et il veut » -(P.77).

Cette approche, dénuée d’idéologie et basée sur l’examen des conséquences des actions, pourrait offrir des réponses concrètes aux défis individuels et collectifs auxquels nous sommes confrontés.

Cette étude, centrée sur les conséquences des actions plutôt que sur des convictions préétablies, peut être illustrée par les travaux de Jeremy Bentham et John Stuart Mill. Francis Coulon s’y réfère grandement dans son livre.

Dans son ouvrage “Introduction aux principes de la morale et de la législation”, Bentham développe l’idée que les actions doivent être jugées selon leur capacité à accroître le bonheur global. Mill, quant à lui, dans “L’utilitarisme”, explore comment les actions devraient être guidées par le principe du plus grand bonheur.

« Bentham et Mill m’apparaissent comme modernes, ouverts et profondément humanistes. Ils vont contribuer au progrès de leur pays, en favoriser la libéralisation et faire reconnaître les droits de nombreuses minorités… » (P.39)

En lien avec l’ouvrage de Francis Coulon, la philosophie utilitariste met en avant une éthique de responsabilité en mettant l’accent sur les résultats concrets des actions. Coulon souligne comment cette approche offre des solutions pragmatiques aux problèmes contemporains, en mettant en avant la nécessité d’évaluer les conséquences tangibles des choix éthiques. En combinant une analyse des conséquences avec une éthique de responsabilité, l’utilitarisme peut fournir des réponses pratiques aux défis auxquels nous sommes confrontés, offrant ainsi une perspective complémentaire à l’éthique de conviction.III. L’analyse de Francis Coulon versus celle d’autre penseurs de l’utilitarisme

John Stuart Mill, dans son ouvrage “Utilitarianism”, soutient que “l’action est bonne si elle tend à promouvoir le bonheur”. Cette idée centrale de l’utilitarisme trouve écho aussi dans la pensée de Jeremy Bentham, qui affirme dans “An Introduction to the Principles of Morals and Legislation” que “le plus grand bonheur du plus grand nombre est le fondement de la morale et de la législation”. Ainsi, en mettant en pratique l’utilitarisme dans la sphère publique, il convient de considérer les conséquences de nos actions sur le bien-être général. Comme le souligne Peter Singer dans “Practical Ethics”, “nous avons une obligation morale de maximiser le bien-être des autres”. Cette approche éthique invite les décideurs politiques à prendre des décisions qui maximisent l’utilité collective et à promouvoir le bien-être de tous les membres de la société, tout en tenant compte des droits et des intérêts de chacun, comme le suggère aussi Amartya Sen dans “The Idea of Justice”. Ainsi, en intégrant ces principes utilitaristes dans les politiques publiques comme Francis Coulon le développe lui aussi en miroir de ces spécialistes et d’une manière étayée et convaincante dans son ouvrage « sortir de la société en crise » il est alors possible de viser un plus grand bonheur et une meilleure qualité de vie pour l’ensemble de la communauté.

Dans son ouvrage, Francis Coulon explore effectivement en profondeur les fondements et les implications de la philosophie utilitariste dans un panorama chronologique et historique bornant ses limites et celles de l’empirisme pour arriver à définir l’utilitarisme comme une philosophie moderne avec la question de la rationalité économique jusqu’à penser le libéralisme conduire à la démocratie.

Coulon met en lumière la vision de Bentham selon laquelle “le bonheur est la finalité de la morale et de la législation”. En établissant un lien avec la mise en pratique de l’utilitarisme dans la sphère publique, on peut considérer les analyses de Coulon comme un guide pour comprendre comment les principes utilitaristes peuvent être appliqués dans les politiques publiques. Francis Coulon met en avant la nécessité de mesurer les conséquences de nos actions en termes de bonheur collectif, tout en reconnaissant les défis et les critiques auxquels l’utilitarisme est confronté. Ainsi, son travail offre un éclairage précieux pour explorer les implications pratiques de cette philosophie dans la prise de décision politique et sociale avec un regard particulier sur la France avec des objectifs prioritaires de réduction des dépenses publiques et de revalorisation du travail et de l’entrepreneuriat entre autre (P. 213) et les thèmes d’actualité comme l’intelligence artificielle ( P.129) pour ne citer que ces sujets cruciaux du quotidien.

Jean-Marc Sylvestre accorde un entretien à Francis Coulon sur Atlantico

"Je suis pro-européen car l’Europe peut être un levier de notre réindustrialisation", estime Francis Coulon.

©EMMANUEL DUNAND / AFP

ATLANTICO BUSINESS

Après plus de trente ans passés chez Danone et LVMH, Francis Coulon, professeur dans de nombreuses écoles de commerce, s’est convaincu que la « philosophie utilitariste », chère aux fondateurs du courant libéral, permet aux entreprises non seulement de réussir à créer de la richesse, mais aussi de contribuer au bien commun.

Les vrais libéraux ne peuvent pas s’opposer au retour des grands projets européens pour sortir de la crise
entretien avec Jean-Marc Sylvestre

Francis Coulon a puisé, dans une expérience de plus de trente ans acquise dans deux des plus belles multinationales françaises, Danone et LVMH, la conviction qu’il fallait réveiller les travaux de Bentham, Stuart Mill ou Adam Smith, dans la mesure où ces auteurs libéraux ont explicité les recettes d’une création de richesse qui ne fait pas débat. Dans le monde entier, ce qui explique d’ailleurs que l’économie de marché, la mise en concurrence, est un modèle qui s’est imposé sur la planète toute entière, y compris dans les pays où l’organisation étatique n’est guère démocratique, comme la Chine ou la Russie, par exemple. Mais au-delà de ce constat évident, Francis Coulon est convaincu que la philosophie utilitariste, qui est à la base des idées libérales, se met ainsi au service du bien commun. Ce que beaucoup de politiques contestent parce qu’ils en sont restés à une culture de contradiction conflictuelle entre l’économie et le social.

Quand Antoine Riboud, le fondateur de Danone, essayait d’expliquer à ses pairs du CNPF, que l’entreprise ne peut fonctionner que sur un double projet : un projet économique et un projet social, il fut plutôt mal accueilli… et pourtant le succès de Danone lui a donné raison. Un demi-siècle plus tard, Francis Coulon vient nous expliquer que les sociétés développées ne sortiront de la crise dans laquelle elles sont plongées que si elles renouent avec cette philosophie utilitariste que la financiarisation a occultée. C’est sans doute le seul moyen de conjuguer les performances économiques dont nous avons besoin et les formes de la démocratie moderne.

Francis Coulon choisit là un exemple, celui de l’avenir de l’Union européenne. La semaine dernière, Emmanuel Macron a dit haut et fort ce que tout le monde soupçonne, à savoir que « l’Europe est mortelle », et pour éviter cette mort annoncée, on s’aperçoit que les hommes politiques sont assez démunis. Une solution, en revanche, que le président a esquissée : essayer de relancer des « grands projets industriels ». Mais si l’ambition peut paraître utopique à un moment de l’histoire où seule la notion de souveraineté suscite l’attention du plus grand nombre, on se trompe évidemment, car les industriels eux-mêmes ont intérêt à se retrouver ensemble pour affronter la concurrence mondiale et répondre aux grands défis de la technologie et de l’environnement. Francis Coulon est catégorique

Jean-Marc Sylvestre : Francis Coulon, sur quoi fondez-vous aussi catégoriquement cette conviction qu il nous faut revenir aux grands projets industriels ?

Francis Coulon : Ça y est ! Nous sommes en plein dans la révolution industrielle de l’intelligence. L’économie en 2035 sera profondément différente de celle que nous connaissons aujourd’hui, et nous allons assister au franchissement d’une « frontière technologique », c’est-à-dire que nous allons voir la naissance de technologies de rupture inconnues aujourd’hui. La caractéristique de cette nouvelle économie est double : elle est « smart », s’appuyant sur le digital, la robotique et l’IA, et elle est « green » en étant partie prenante de la transition énergétique et écologique.

Ce mouvement, que l’on peut qualifier de « croissance verte », une phase de verdissement reposant sur une forte innovation, permettra l’émergence des produits de demain qui seront intelligents, sobres, décarbonés et préserveront nos ressources. Cette transformation demande de changer le modèle de management des entreprises dans un timing très serré. Passer à 100% de voitures électriques en 2035 nécessite de modifier les priorités stratégiques, les investissements, l’organisation et le financement des entreprises.

En quoi ces mutations obligent-elles les entreprises à croître toujours davantage ?

Cette transition demande une haute intensité capitalistique en termes de recherche, de développement, de création de sites industriels verts et ne peut être rentabilisée qu’en adressant le marché mondial. La taille est un élément clé dans ces technologies où la compétition est féroce, à l’image du marché des panneaux photovoltaïques, submergé par la Chine à travers un processus de dumping. Cette évolution va toucher de nombreux domaines : la micro-électronique et les technologies de l’information, les batteries, les énergies vertes, les transports, le bâtiment, les biotechnologies, puis au final l’ensemble de l’économie.

Cessons de croire que la France peut se battre seule dans un contexte aussi compétitif. Bien sûr, la France a des atouts, en particulier des champions mondiaux : Stellantis, Renault, Airbus, Safran, Total, Air Liquide, et des entreprises de haute technologie. Mais jouer européen c’est profiter d’un camp de base élargi à 16% du PIB mondial versus 3% pour la France seule. L’industrie de demain sera différente, plus collaborative, avec plus de mutualisation entre entreprises. Les nouvelles usines seront souvent des « giga-factories » plurinationales, telles que l’usine de fabrication de batteries ACC de Douai, une co-entreprise associant deux Français (Stellantis et Total Énergies) et un Allemand (Mercedes). Il y a aussi le domaine de la défense où il serait judicieux d’acheter des avions européens plutôt qu’américains et pour cela des projets européens seraient une bonne incitation.

Nous ne réussirons pas la réindustrialisation de la France en réintroduisant les activités d’hier, ni par des pratiques protectionnistes comme le rêvent les souverainistes, et notamment le Rassemblement National. Cette hypothèse est mortifère et reléguerait la France à une place de deuxième division à l’issue d’une politique keynésienne encourageant la dépense plus que l’investissement, allant donc à l’inverse de notre réarmement économique.

Ce redéploiement industriel nécessite des actions de grande ampleur qui seront plus efficaces menées collectivement à trois niveaux : approvisionnement en matières premières spécifiques dont l’offre sera inférieure à la demande dès 2030, maîtrise des technologies et financement. Il existe au niveau européen un programme PIIEC qui soutient les Projets Importants d’Intérêt Européen Commun, ce qui est une véritable avancée, même si l’on peut souhaiter aller plus vite et plus fort.

Les entreprises d’un côté, les autorités européennes de l’autre ? Quel peut être le rôle de l’État français dans cette configuration ?

L’État français peut être utile en dépassant son rôle de régulateur pour se convertir en facilitateur (comme le font les USA et la Chine). Il doit soutenir les projets de croissance verte, à l’instar de son co-financement de la création d’une giga-usine de panneaux photovoltaïques à Fos-sur-Mer par CARBON, société lyonnaise. Mais les besoins de financement de tels projets sont énormes et il est clair que la proposition de « l’union des marchés de capitaux européens » permettra d’élargir l’offre de financement. L’Europe dégage chaque année 300 milliards d’euros d’épargne privée excédentaire qui pourraient être utilisés pour promouvoir de grands projets stratégiques. Cela prendra du temps, nécessitera de converger, mais je crois que notre avenir demeure européen. C’est aussi au niveau communautaire qu’il peut y avoir des négociations avec la Chine et les pays émergents pour stopper les pratiques de dumping. Ce sera difficile, mais la France seule ne serait pas capable d’y arriver.

Je suis pro-européen car l’Europe peut être un levier de notre réindustrialisation. Concentrons-nous sur la croissance verte, mettons en œuvre des projets européens, utilisons la force de la finance européenne s’appuyant sur l’union monétaire dont on peut fêter le 25ème anniversaire. Back to the race !

Le docteur en Sciences politiques Alain Sueur apprécie Francis Coulon

Francis Coulon, Sortir de la société en crise

Un livre de philosophie ? Ou un livre d’économie ? Les deux en synthèse, soit un livre « d’économie politique », comme on en faisait avant la mode de l’économétrie et de la mathématisation rationaliste du monde. On sait les errements du tout mathématisable, des délires de la raison rationaliste, les cygnes noirs jamais envisagés, les queues de distribution négligées, le racornissement de l’être humain dans les cadres préformatés des modèles. On sait que cela a conduit à la crise des subprimes en 2008, à l’effondrement de l’hôpital sous le quantitatif, à l’écart croissant entre les élites formatées maths qui « croient » en leur vérité calculable et le peuple qui demande des relations humaines. Francis Coulon, qui a beaucoup vécu, retourne aux sources.

L’une des voies européennes est libérale, pragmatique, utilitariste ; c’est celle des pays anglo-saxons et des pays du nord européen. Ceux qui réussissent le mieux à s’adapter au monde dans l’histoire. L’autre voie européenne est autoritaire, dogmatique, idéologique ; c’est celle des pays latins et orthodoxes, dont la France. Les pays trop rigides et bureaucratiques qui s’adaptent le moins bien au monde tel qu’il va.

Pour mieux faire, et régler « la crise » qui ne cesse de tourmenter la France et les Français depuis un demi-siècle (la fin du septennat Giscard), il faut réévaluer la philosophie utilitariste. En 5 parties et 21 chapitres, l’auteur étaie sa démonstration, d’une plume alerte et sans jargon, facile à lire – et passionnante en ce qu’elle brasse des dizaines de philosophes, de littérateurs et d’économistes, depuis Aristote jusqu’à Gaspard Koenig.

Qu’est que l’utilitarisme ?

C’est tenir compte des conséquences de ses actions plutôt que de ses intentions, résume Jeremy Bentham, l’un des pères. « Michel Foucault vint à mon secours en déclarant : Bentham est plus important pour notre société que Kant et Hegel » p.12. Cette façon de voir est proche de celle d’Aristote dans son Éthique à Nicomaque. « J’avoue avoir une grande admiration pour Jeremy Bentham et John Stuart Mill. Ils m’apparaissent comme modernes, ouverts et profondément humanistes. Ils vont contribuer au progrès de leur pays, en favoriser la libéralisation et faire reconnaître les droits de nombreuses minorités. Les deux philosophes ont un point commun : ce sont de grands intellectuels, capables de produire un énorme travail de réflexion et de conceptualisation dans des domaines aussi divers que la philosophie, la politique, l’économie, le droit » p.39.

L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit la sagesse populaire ; le paradis consiste à plutôt considérer leurs effets. Stuart Mill ajoute à cette définition la liberté individuelle et la justice. Les actions sont « morales » si les actions assurent le plus grand bonheur au plus grand nombre – et non pas si elles obéissent sans discuter aux lois, règles et « déontologie » (en grec, discours sur ce qu’il FAUT faire), la « science de la morale » selon Jeremy Bentham, dont il fait le titre de l’un de ses livres. Les cultivés reconnaîtront la célèbre distinction de Max Weber entre éthique de conviction (dogmatique et morale) et éthique de responsabilité (pragmatique et utilitariste). Les deux évidemment se complètent, les règles admises étant des rails pour leur adaptation en fonction des circonstances (p.67). D’où la liberté… régulée.

C’est inverser le tropisme catholique, romain et français d’édicter les commandements avant de vérifier si les actions y obéissent, ou de faire toujours d’autres lois sans vérifier leur application. A l’inverse, il est plus utile de considérer la balance des avantages et des inconvénients de toute décision, car chacune est particulière : le mensonge n’est pas moral – mais peut-on mentir au Nazi pour protéger le Juif qui se cache chez vous ?

L’auteur prend toujours des exemples concrets et actuels, pour sa démonstration, y compris dans les films. Un récent exemple est celui du vaccin contre le Covid : fallait-il vacciner massivement avant d’avoir tout le recul nécessaire pour mesurer l’ensemble des effets secondaires possibles (et sauver ainsi la majorité de la population) ou attendre « selon les règles » que toutes les procédures aient été évaluées ? J’ajoute (ce n’est pas dans le livre, qui évite toute polémique) que c’est la propagande russe, jalouse de la réussite occidentale en matière de vaccins bien meilleurs que le sien, qui a tenté de faire croire au complot absurde des nanoparticules inoculées pour rendre docile (et il y a des cons pour le gober !) Faut-il préférer la manière russe des élections truquées, de l’emprisonnement des opposants, du poison, du goulag et de la balle dans la tête pour rendre docile ?

Une utilité n’est pas un expédient, pas plus que le bonheur n’est le plaisir. Affiner la pensée par la différence de sens des mots permet de mieux raisonner. La souveraineté de l’individu, grande conquête des Lumières, est en faveur de la liberté en premier ; l’égalité ne peut être que de moyens, pas de résultats. Contrairement à Kant et aux moralistes bibliques, il faut préférer l’expérience aux principes. Ce qui marche doit être encouragé, pas ce qui obéit à l’idéologie. John Stuart Mill « La justice est que chaque personne obtienne (en bien ou en mal) ce qu’elle mérite. » La loi raisonnable est celle qui assure le respect de la liberté de chacun, dans le respect de celle des autres. Pas plus, pas moins.

On ferait bien d’en tenir compte avec les « agriculteurs » : jusqu’à quel scandale de santé faut-il autoriser les pesticides ? L’accaparement de l’eau, bien commun ? Mais aussi avec « les syndicats » en France. « On peut opposer l’approche des centrales syndicales nationales, politisées, démagogiques, qui adoptent devant les médias une posture souvent négative – et le réalisme, la recherche de l’utilité, des syndicalistes de terrain au sein de l’entreprise. La contradiction la plus manifeste étant celle de la CGT qui, au niveau central, défend une position critique, anticapitaliste, et qui, au niveau local, accepte de signer 50% des accords d’entreprise » p.62. L’auteur, qui a travaillé chez Danone plusieurs années, prend l’exemple de son patron Antoine Riboud et de son fameux « discours de Marseille » en 1972 (les années Pompidou!) où il a prôné pour son entreprise un projet économique ET qui prend en compte l’humain. Son fils Frank élargira cet humanisme des salariés (formation, participation, intéressement, dialogue social) aux clients et aux collectivités locales, prenant en compte dans ses objectifs économiques une responsabilité humaine, environnementale et citoyenne. J’avais donné ce même exemple il y a une douzaine d’année à mes étudiants en école de commerce.

L’ancien roi du Bhoutan a voulu, en bon bouddhiste, mesurer le bonheur de son peuple. Le Produit national brut ne suffit pas car l’argent et les biens ne font pas à eux seuls le bonheur. Il a donc imaginé ajouter d’autres critères, que l’ONU a repris dans l’indice de Bonheur intérieur brut (World Happiness Report). Les résultats montrent que les fondamentaux économiques sont évidemment importants (le revenu par tête), mais que la liberté de faire des choix, l’espérance de vie à la naissance, la politique sociale, la générosité, la perception de la corruption, le sont aussi. En tête de liste apparaissent les pays du nord de l’Europe : Norvège (numéro 1), Danemark, Islande, Finlande, Suède, en queue les pays africains puis communistes (Cuba, Vietnam, Corée du nord en bon dernier) – La France n’est que 31: en cause, les tracasseries réglementaires et administratives sans nombre et les prélèvements obligatoires élevés qui brident l’initiative.

Francis Coulon milite donc pour un libéralisme régulé à la danoise : le maximum de libertés dans le cadre défini par la société. Daron Acemoglu, économiste turco-américain né en 1967, étudie pourquoi certains pays réussissent mieux que d’autres et observe une corrélation entre institutions et développement économique. Selon l’économiste français Philippe Aghion, qui préface l’ouvrage en français, « Les pays prospères disposent d’institutions inclusives permettant à la population de limiter l’exercice du pouvoir politique, et à chacun d’exercer des activités économiques conformément à son choix et ses talents – tout particulièrement si celles-ci sont innovatrices et entraînent la destruction créatrice des industries obsolètes. En d’autres termes, les structures démocratiques permettent le développement économique alors que le despotisme confisque la croissance au profit d’une élite, à travers une économie extractive » p.182. Les exemples opposés de la Russie et des États-Unis est flagrant. Dans l’histoire, les deux Corées ou les deux Allemagnes ont montré l’écart qui se creuse de façon abyssale entre un régime de libertés et un régime despotique pour un même peuple dans une même géographie.

Il reste que « la gauche » en France, tout imbibée de marxisme depuis ses jeunes années, ne « croit » pas au système capitaliste, et même deux fois moins que les Chinois, pourtant en régime toujours communiste ! (p.203). L’idéologie de la redistribution les aveugle, un égalitarisme de principe ne conduit pas à l’optimum du bonheur pour le plus grand nombre mais crée des assistés permanents et une économie inefficace. Plutôt que de renforcer son industrie pour exporter, la France a choisi « d’aider » les canards boiteux et les filières en déclin (les aciéries, le textile) et elle a développé la dépense publique (la plus élevée de l’OCDE) par l’impôt et la dette, qui handicapent l’investissement. Le rapport qualité/coût de l’État-providence à la française est négatif par rapport aux pays anglo-saxons plus souples et surtout aux pays d’Europe du nord sociaux-démocrates ou sociaux-libéraux (comme « nos » socialistes n’ont jamais réussi à être). Les tableaux de comparaison pages 206 et 207 sont éclairants ! La croissance française sur vingt ans (depuis 2000) est plus faible, le chômage plus fort, le déficit public plus élevé, la compétitivité nettement inférieure, la liberté personnelle et économique plus discutable (34e pour la France, 8e pour la Danemark), le Bonheur intérieur brut minable, le rang Pisa affaibli et l’indice de Gini des inégalités pas franchement meilleur.

« Je trouve qu’en France il y a trop d’État, trop d’impôts, trop de normes, trop de bureaucratie, ce qui a comme conséquence de brider le marché et génère moins de croissance, plus de chômage et même à une insatisfaction générale. Une répartition équitable doit être l’objectif mais il ne faut pas passer ‘de l’autre côté du cheval’ et décourager l’initiative et l’innovation, les principaux leviers de la croissance. Il faut tirer vers le haut l’ensemble de la population : plutôt que ‘toujours plus’ d’assistance, il faut être sélectif et, chaque fois que c’est possible, dynamiser les moins favorisés par la formation, l’incitation et la sacralisation de la valeur travail » p.210. La flexisécurité danoise est un très bon exemple : liberté de licencier vite, mais formation obligatoire et suivi attentif des chômeurs.

L’auteur fournit pages 225-259 (soit plus de 10 % du livre) dix cas concrets d’application de l’utilitarisme (partie 5). Il évalue aussi les présidents de la Ve République sur le meilleur compromis entre efficacité, liberté et équité. Georges Pompidou en ressort vainqueur, mais aidé par son époque pré-crise. Chirac reste le pire, n’ayant aucune volonté d’une quelconque réforme, forcément impopulaire. Sarkozy a été brouillon, Hollande n’a pas assumé et Macron a été peu efficace au début, avant de comprendre que l’autoritarisme payait. Mais la réforme des retraites reste un échec et sera à remettre sur le métier, l’organisation de l’État en millefeuille n’a même pas été abordée.

Un très bon livre d’actualité qui offre une profondeur historique des idées et apporte à toute critique une solution pragmatique possible. Très intéressant.

Préface de Christian de Boissieu professeur émérite à l’université de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne), vice-président du Cercle des Économistes.

Francis Coulon, Sortir de la société en crise – La philosophie utilitariste au service du bien commun, VA éditions 2023, 281 pages, 20,00

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