« Force et audace » pour « Et Cetera… » de Hadlen Djenidi

Hadlen Djenidi : L’Alchimiste des Mots

Par Fabrice Trochet 

Dès l’entrée dans Et cetera… (Poèmes et proses), le Prologue donne le ton. Hadlen Djenidi ne vient pas nous chercher avec des mélodies doucereuses, mais avec l’urgence d’une « mémoire fortuite ». Le poète est un possédé, « interpellé » par les mots, dont il « ne connaît ni le début, ni la fin ». Il ne contrôle pas, il incarne : « entre en moi et je deviens cet autre ! » C’est puissant, presque chamanique. On est loin du petit lyrisme égoïste ; on entre dans un laboratoire alchimique où l’identité se transmute.

Cette quête de l’autre soi est le fil rouge. Dans Anamorphose, le miroir ne renvoie pas une image nette, mais un « brouillard », un « autre vêtu d’opaque buée » qui « rugit dans la sueur de mon reflet ». La formule est magnifique de violence contenue. Le moi est une créature instable, « un tout vêtu de rien », une « exhalaison ». C’est une vision angoissante et profondément honnête de la condition humaine.

Hadlen Djenidi excelle à trouver la grâce dans le conflit. Ainsi Flora : la fleur est « aussi fragile qu’un souhait », mais elle « fleurit à contre-courant ». C’est la devise du poète, et peut-être de tout artiste dans un monde « féroce ». C’est dans cette tension que naît la beauté, une beauté qui n’élude pas le combat.

Même les décors les plus triviaux deviennent des scènes existentielles. L’évocation du bistrot n’est pas une simple peinture de genre nostalgique. C’est un « monde à part, triste aparté », un lieu où l’humanité se réfugie dans le cliquetis des « flipper » et le grésillement d’un « vieux poste de télé ». L’auteur y capture l’âme des solitudes modernes avec une justesse qui fait mal.

Et puis, il y a ce moment de génie dans Papier buvard, où le processus créatif, fait de « Fautes, ratures », est interrompu par la soudaine collision d’un « rossignol » sur la baie vitrée. L’image est fulgurante. Soudain, le monde extérieur, sauvage et libre, vient se cogner à la cage de verre de l’écriture. Le poète, enfermé dans son labeur, « voit l’extérieur et ma liberté ». C’est tout le drame de l’artiste résumé en une scène.

Ne vous y trompez pas, derrière les thèmes de la nature et de l’amour, le véritable sujet de ce livre, c’est le langage lui-même. Exutoire en est le manifeste. C’est un poème-rasade, un débit incontrôlable qui célèbre et questionne la matière première du poète : « Des mots, toujours des mots ! ». « Des mots qui piquent/ Et poétique. / De simple mots, / Quelques grands mots, » Djenidi désacralise et resacralise dans la même respiration. Il reconnaît la vanité potentielle des mots (« rien que des mots ») tout en affirmant leur puissance fondamentale.

Cette quête du verbe culmine dans une interrogation spirituelle. Dans Flora, il demande :

Et la beauté m’appelle,

Quand le divin m’interpelle !

Suis-je la vie ? Dans toute sa poésie ?

La réponse n’est pas donnée, elle est vécue dans l’acte d’écrire. Jusqu’à cette confession troublante de Métamorphose : « Je suis un saint aussi malsain que le divin ! ». Voilà une formule qui claque comme un étendard. Elle résume à elle seule l’ambition de cette poésie : embrasser la contradiction, chercher le sacré dans les zones troubles de l’être.

Et Cetera s’achève sur Oblation, un poème dur, sans fard, qui révèle « l’enfant de Malchance, Privé d’innocence ». La blessure originelle est ici racontée avec une brutalité glaçante :

Quand les gamins jouaient,

Je me faisais frapper.

Habitué au coup,

assidu comme un toutou.

Pire est la résignation intériorisée : l’enfant se convainc que cette douleur était « bien normal » et « bien méritée ». De cette crucifixion intime naît le salut. Acculé dans « le coin du mur », il découvre « l’azur des autres contrées » et trouve son arme absolue : l’imagination. Pour « fuir l’horreur », il se met à « danser, dans la nuit en secret » et, surtout, à réciter « à tue-tête, de jolis poèmes sur des airs de fête ». Cette clé de voûte sombre de l’édifice révèle la source de cette écriture qui cherche à la fois à panser et à révéler. La poésie n’est plus un simple choix esthétique ; elle est une cicatrice et un chant de guerre, une oblation où l’on offre sa douleur pour en faire une liturgie personnelle.

Et Cetera n’est pas un doux bain de poésie. C’est un miroir brisé tendu vers soi. En refermant ce livre, on comprend que chaque vers, chaque interrogation sur les mots, chaque recherche de beauté est irriguée par cette source première : la nécessité vitale de transformer le plomb de la souffrance en l’or fragile d’un « poème de printemps ». C’est un premier recueil qui possède la force et l’audace des œuvres nécessaires. On lui pardonne tout, les raideurs comme les excès, devant l’authenticité criante de sa voix. Hadlen Djenidi est un auteur à suivre, absolument.

Hadlen Djenidi, Et cetera… Poèmes et proses, 2023, Write Editions.

https://hadlen-djenidi.com/

Soirée Georges Perec avec Hadlen, Djenidi

Rencontre avec Hadlen Djenidi

J’ai déjà parlé d’un poète inconnu, qui publié à compte d’auteur son premier recueil, imprimé à Singapour. Hadlen Djenidi est venu à une soirée poésie le mardi 25 mars, dans une petite salle du Café de la Mairie – le seul café de la place Saint-Sulpice à Paris dans le 6ème. Bien que les voix résonnent, l’endroit était dimensionné pour la quinzaine de participants.

Une seule poétesse française, un éditeur de droite (si j’ai bien compris), un travailleur aux archives de l’Armée, une Roumaine de gauche et une traductrice fan de Russie qui parle poutinien, une directrice d’agence de voyage avenue de l’Opéra en retraite, un affable gardien reconverti au musée au Louvre, le médecin Eric Durand-Billaud, dont j’ai chroniqué L’amputation – et quelques autres. Avec Guilaine Depis l’invitante, attachée de presse de l’auteur.

Hadlen Djenidi est un homme gentil. Orphelin de sa mère, puis de son père, de trop bonne heure, il est en carence d’affection et ressent très fort les émotions. Il a lu quelques poèmes, voulant omettre les plus sentimentaux, mais ce sont les meilleurs, avec ceux sur la nostalgie du papier buvard des écritures d’enfance à la plume sergent-major – et Guilaine en a lu pour lui. Né d’un père algérien, élevé dans les Cévennes, il a quitté la France à 19 ans pour œuvrer dans la vente de produits français de luxe en Asie, LVMH et Richemont surtout.

Il est venu avec son amie Jenny, son bon génie. Ils viennent de passer deux ans en Australie avant de rejoindre Singapour, d’où elle est originaire. Halden me dit qu’il va créer un site pour mettre des informations personnelles et de contexte pour promouvoir son livre, et qu’il finira un roman, commencé il y a trois ans. Je ne connaissais rien de tout cela il y a trois mois, lorsque j’ai chroniqué sa poésie, le recueil Et ceteraun bel « objet-livre », soigneusement édité.

Les canapés du café, au tarama trop rose et au saumon trop sec, étaient un peu mous, mais la part de quiche et sa salade sur assiette était confortable. Surtout avec le champagne bien frais Deutz dont l’assemblée a englouti plusieurs verres en écoutant se distiller les vers.

Hadlen Djenidi, Et cetera… Poèmes et proses, 2023, autoédition www.writeeditions.com 114 pages, €15.00

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Pour trouver le livre (qui n’est pas chez les vendeurs en ligne), demandez à l’attachée de presse en France (mél ou texto plutôt qu’appel) :

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Saisons de culture a aimé « Et cetera… » les poèmes de Hadlen Djenidi

Hadlen Djenidi : La poésie comme miroir et résilience dans l’ère du désenchantement

Dans Et cetera… Poèmes et proses, Hadlen Djenidi offre une œuvre lumineuse et tourmentée, où les mots transcendent les blessures pour explorer l’existence dans toutes ses nuances. Entre fulgurances intimes et interrogations universelles, il réinvente la poésie comme un acte de résistance et une quête de sens dans un monde fragmenté.

Un poète forgé par la douleur et l’exil

Hadlen Djenidi est né dans les Cévennes, au sein d’une famille algérienne ayant émigré dans les années 1960. Ce double héritage, culturel et identitaire, irrigue son œuvre poétique : « Cache tes racines pour survivre, mais ne les oublie jamais », écrit-il dans son récit autobiographique. Mais son enfance est marquée par la violence : celle d’un demi-frère tyrannique, dont les abus façonnent une part sombre de son identité. C’est l’écriture qui devient alors son refuge :

« Les coups ? Je les transforme en alexandrins.

La douleur devient mon encre, la peur mon inspiration. »

Comme Rimbaud, qui sublimait ses errances dans Une saison en enfer, ou Sylvia Plath, qui transfigurait ses souffrances dans Ariel, Djenidi fait de son vécu un matériau brut qu’il polit avec une maturité saisissante.

Quand l’ordinaire devient sublime

Avec In Extremis, Djenidi peint une scène quotidienne, celle d’un arrêt de bus sous la pluie, pour en faire une métaphore de l’absurde et de l’attente.

« La foule se défoule en se taisant sous le porche

Et elle épie les bus qui passent et qui s’effacent. »

Ce tableau, à la fois mélancolique et universel, n’est pas sans rappeler les Tableaux parisiens de Baudelaire, où la ville devient le théâtre des grandes tragédies intérieures. La pluie, omniprésente dans le poème, est à la fois un motif d’humiliation et de révélation : elle colle à la peau, elle isole, mais elle force aussi le regard à se poser sur l’autre, comme lorsque le poète offre un sourire à la vieille dame qui crie.

Une poésie de création et de transmission

Dans Papier Froissé, Hadlen Djenidi exprime une déclaration d’amour à l’écriture :

« Je veux flatter la vie des gens et leurs secrets,

Être un géniteur de bonheur sur du papier froissé. »

Ici, la poésie devient une arme pour capter l’éphémère et le rendre éternel. Ce désir de transcender le temps rappelle Mallarmé : « Tout, au monde, existe pour aboutir à un livre. » Mais là où Mallarmé célébrait une poésie hermétique, Djenidi revendique une écriture accessible, tournée vers l’autre, presque militante.

Son ambition est d’écrire « avant que le temps m’emporte », de transformer ses doutes et ses blessures en quelque chose d’universel. Ce faisant, il s’inscrit dans la lignée de Pablo Neruda, dont les Odes élémentaires chantaient les objets du quotidien pour en révéler la beauté cachée.

Le mythe réinventé : entre mémoire et critique

Dans Genèse, Djenidi revisite le récit biblique avec une audace qui lui est propre :

« Bibelots de genèse, et la voûte céleste se tut !

Qui aurait pu croire en de tels déboires ? »

En imaginant un dialogue entre Dieu et le diable, il interroge les notions de pouvoir, de justice et de responsabilité :

« L’enfer est mon royaume et je m’y sens protégé ! »

Ce poème rejoint les grandes œuvres critiques comme Le Paradis perdu de Milton ou Candide de Voltaire, où les récits classiques sont détournés pour questionner les dogmes religieux ou moraux. Chez Djenidi, cette réécriture devient une manière de réconcilier les mythes anciens avec les problématiques contemporaines.

L’intime comme champ de bataille : quand l’amour brûle

Dans Cruel Duel, le poète explore les contradictions du désir et de la domination :

« Tes mains chaudes se nichent entre les miennes,

Et le vent simplement nous coiffe de délicats baisers. »

Ce poème, mêlant douceur et violence, évoque les ambivalences de l’amour, où l’abandon devient à la fois une libération et une aliénation. L’intensité émotionnelle et charnelle qui s’en dégage rappelle les Sonnets de Shakespeare ou les poèmes de Verlaine, où la passion est à la fois salvatrice et destructrice.

Pourquoi la poésie est toujours essentielle

Dans une époque où l’attention est absorbée par les écrans et les flux d’informations, la poésie offre une respiration, une pause. Elle permet de redonner du poids aux mots et de reconnecter avec les émotions profondes. Hadlen Djenidi l’exprime parfaitement :

« Je veux vivre au subjonctif,

Fuir les méandres du vent passif. »

Comme Baudelaire, Lorca ou Prévert, il démontre que la poésie est intemporelle parce qu’elle interroge ce qui est fondamental : l’amour, la mort, le passage du temps. Dans Et cetera…, chaque poème est une tentative de capturer l’essence de ce qui nous échappe, tout en offrant une vision profondément humaine et accessible.

 Une voix singulière et contemporaine

Et cetera… Poèmes et proses est bien plus qu’un recueil de poésie : c’est une traversée de l’âme humaine, un dialogue avec les grands auteurs du passé, et une réponse aux incertitudes du présent. Hadlen Djenidi, par sa plume vibrante et sa capacité à transcender le quotidien, s’affirme comme un héritier des grandes voix poétiques, tout en mettant en exergue une identité profondément contemporaine.

Ce livre est une invitation à croire encore au pouvoir des mots, à leur capacité de guérir, d’émouvoir et de changer le monde. À lire, à ressentir et à partager.                                      Yves-Alexandre JULIEN

La poésie de Hadlen Djenidi envoûte la Bretagne ! Lisez « Et Cetera »

Lecture de Hadlen Djenidi par Pierrick de Chermont

Hadlen Djenidi, Et cetera… Poèmes et proses, auto-édition, 2024.
Certes, l’au-édition n’a pas bonne presse et il y a de bonnes raisons à cette réserve quasi-instinctive de nombre d’entre nous. Mais nous n’ignorons pas que cette part immergée de l’iceberg poétique abrite parmi les plus célèbres recueils de la poésie française. Il est donc naturel de rester attentif à sa production. Voici donc le recueil d’un certain Hadlen Djenidi qui nous est présenté comme un français habitant Singapour, ville-état dans lequel je me suis souvent rendu, mais que je n’ai pas distinguée au fil des vers. D’ailleurs, n’est-ce pas étrange cette capacité de notre vie intérieure à être imperméable à l’extérieur, à se nourrir d’elle-même s’il le faut ? 
Dès le premier poème, s’avance une langue orale, rapide avec laquelle le poète va s’interroger sur son existence : « Si j’étais mort, / si j’étais fort. / si j’étais lui / Si j’étais joli » et dès ce  poème tombe la conclusion qui va courir le long des pages ; « Je suis un autre aux mille visages » ou encore, plus frappant avec cette amère pirouette: « je suis un tout revêtu de rien ». 
Parfois ses poèmes prennent un air de ritournelle quand ils se mettent à rimer et cela leur va bien ; le plus souvent, ils optent pour des vers longs, mais qui eux aussi pourrait être mis en chanson. On y trouve de la fraîcheur, de la fragilité provocante, de la plainte et une itinérance qui voulut se réchauffer par des rencontres. Ainsi, poème après poème, nous accompagnons un je qui se rend à l’Opéra Garnier, retourne sur ses terres d’enfance avec des « frivoles framboises », fête une après-midi enjouée avec des forains, traîne dans un bistrot de la rue Saint-Lazare. Nous tournons avec lui les pages mémorielles d’une France des années 80, quand vivaient Mitterand et Gainsbourg et que frappaient à sa porte les feux de la jeunesse. Suit le temps des amours, ici des amants, d’abord empreint d’une simplicité adolescente, avec ses grâces et ses sanglots, puis d’une recherche plus anxieuse, blessée, trompée, hallucinée par l’alcool et la drogue. Le je alors se revêt des habits d’« un comédien, un clown, un larbin », se plaint de vivre « à contresens », « à l’envers », se perd à force de mensonges (« je mens »), de s’étourdir en fumant « l’écume de mes regrets », de boire le fiel du remords qu’il voudrait couper par une confession enlarmée d’avoir été « un enfant de la malchance ». Avec une fierté encore debout, il s’insulte (se blesse) : « Sur mon visage de pauvre con / Et cetera… j’écris ma chanson » tandis que sa quête d’amour se mue en un appel à la détestation : « Et cetera… Exécrez-moi ». Reste qu’à travers ce recueil, le je jamais ne cesse de vouloir éprouver, en lui ou en d’autres, cette boule chaude qui bat en lui et qu’il étreint, qu’on appelle la vie, faut de mieux, ou poème si on trouve un papier buvard.