« Un drôle de goût ! » d’Alain Schmoll : L’enquête vérité sur les cyberattaques, les narcotrafiquants et les secrets entrepreneuriaux

« Un drôle de goût ! »: L’enquête vérité sur les cyberattaques, les narcotrafiquants et les secrets entrepreneuriaux

■ Alain Schmoll
 

Par Yves-Alexandre Julien – Journaliste Culturel

Dans son cinquième roman, Un drôle de goût !, Alain Schmoll tisse une toile complexe où se mêlent intrigues entrepreneuriales, cyberattaques et réseaux de narcotrafiquants. Le retour de Werner Jonquart, personnage central de La tentation de la vague, ajoute une dimension riche en suspense et en réflexions sur les défis contemporains. Ce roman, ancré dans l’actualité de 2024 en amont des Jeux Olympiques, plonge le lecteur au cœur des enjeux économiques et societaux majeurs de notre époque.

I. Le monde entrepreneurial : Entre opportunités et menaces

Werner Jonquart, héritier et dirigeant du groupe laitier Jonquart basé à Genève, se retrouve face à des propositions de rachat alléchantes mais inquiétantes. Dans un contexte où les entreprises sont souvent des cibles privilégiées pour des conglomérats internationaux, Schmoll illustre avec brio les tensions et les pressions subies par les dirigeants modernes.

Les offres mirobolantes reçues par Werner soulèvent des questions sur la mondialisation et la consolidation des marchés. Comme le souligne Joseph E. Stiglitz dans La grande désillusion, “la mondialisation a conduit à une concentration de pouvoir sans précédent, où quelques multinationales dominent des secteurs entiers, souvent au détriment de la diversité et de la résilience économique” . Cette réflexion trouve un écho parfait dans les péripéties de Werner, qui doit naviguer entre opportunités économiques et risques systémiques.

II. Cyberattaques : La nouvelle arme des conflits économiques

Quelques semaines après la signature du protocole d’accord de vente, un Drôle de goût apparaît dans les produits du groupe, déclenchant une série de cyberattaques dévastatrices. Ces attaques, orchestrées par des conglomérats industriels en lien avec des narcotrafiquants, montrent à quel point la cybersécurité est devenue cruciale pour les entreprises modernes.

Comme l’affirme Bruce Schneier dans Data and Goliath, “les cyberattaques sont devenues un outil essentiel de l’espionnage industriel et de la guerre économique” . Schmoll illustre cette réalité avec une précision terrifiante, rendant palpable l’insécurité numérique à laquelle sont confrontées les entreprises.

Les entreprises doivent désormais faire face à des menaces cybernétiques croissantes, souvent soutenues par des États ou des organisations criminelles. La manière dont Werner et son équipe tentent de contrer ces attaques reflète les stratégies réelles employées par les entreprises pour protéger leurs actifs numériques et leur réputation.

III. Narcotrafiquants et blanchiment de capitaux : Une alliance Inquiétante

Le roman dévoile également les connexions obscures entre les conglomérats industriels et les réseaux de narcotrafiquants. Les menaces pesant sur Werner et Julia, kidnappée et utilisée comme monnaie d’échange, illustrent la brutalité de ces interactions.

Dans Narcotráfico, el gran desafío de América Latina, ( Narcotrafic , le grand défi de l’Amerique Latine) Ioan Grillo explique que “les narcotrafiquants cherchent constamment à légitimer et à blanchir leurs gains, et les entreprises internationales sont souvent des cibles idéales pour ces opérations” . Alain Schmoll dépeint cette réalité avec une acuité troublante, montrant comment les criminels utilisent les structures économiques légitimes pour leurs activités illicites.

Les Ports Francs et entrepôts de Genève, souvent associés à des activités de stockage d’œuvres d’art et autres biens de valeur, sont ici présentés comme des lieux stratégiques pour le blanchiment de capitaux. Cette utilisation détournée des infrastructures économiques montre à quel point le système financier global peut être vulnérable aux infiltrations criminelles.

« c’est devenu un petit peu plus compliqué pour les simples comptes bancaires. Une partie de l’argent sale passe maintenant par les Ports Francs, après avoir été blanchi en or, en bijoux, et surtout en œuvres d’art , en objets archéologiques, dont le trafic illicite a pris une ampleur considérable. » ( page 139)

IV. Débats sociétaux : Entre exigences professionnelles et vie personnelle

Au-delà des intrigues économiques et criminelles, Un drôle de goût ! explore également les dynamiques personnelles et les débats sociétaux. La relation entre Werner et Julia, compliquée par les événements tumultueux, illustre les défis de maintenir une vie personnelle stable face aux pressions professionnelles et aux dangers extérieurs « …quand de rares circonstances, nous mettaient face-à-face, Julia détournait les yeux .Etait ce par mauvaise conscience à mon égard? Était-ce pour ne pas me faire de mal sachant le pouvoir de son regard sur mon affectivité?Elle faisait en sorte de ne pas se trouver seule avec moi, comme si elle craignait que des pulsions sentimentales de ma part ou de la sienne ne prennent le dessus. C’était en tout cas ce que je m’imaginais… » ( page 87)

Les tensions entre les aspirations personnelles et les responsabilités professionnelles sont un thème récurrent dans les discussions sur l’équilibre travail-vie privée. Dans The Overworked American, Juliet Schor discute de l’impact des exigences professionnelles croissantes sur la vie personnelle, notant que “les individus sont souvent pris dans un tourbillon où les limites entre travail et vie privée deviennent floues” . Werner et Julia en sont des exemples poignants, illustrant comment les crises professionnelles peuvent exacerber les tensions personnelles.

V. Une œuvre rythmée et chronistique

Alain Schmoll utilise une structure narrative innovante, superposant des “feuillets” et des “chroniques” qui s’entrecroisent dans le temps. Cette technique donne au récit un rythme dynamique, permettant une immersion totale dans les événements. Le fait que Schmoll se présente comme collaborateur de son propre héros, ajoute une dimension méta-textuelle intéressante, brouillant les frontières entre réalité et fiction.

Malgré une mise en place initiale un peu longue, le roman capte rapidement l’attention du lecteur dès que les menaces se précisent. Les retournements de situation et le dénouement inattendu maintiennent une tension constante, rendant la lecture addictive.

VI. Un recit équilibré et inclusif pour aller au-delà des grands mouvements revendicatifs contemporains

Dans une époque où les mouvements comme #MeToo et le mouvement woke monopolisent souvent l’attention médiatique pour des causes de justice sociale, Un drôle de goût ! d’Alain Schmoll révèle une dichotomie insensée en mettant en lumière des problèmes profondément enracinés tels que les cyberattaques, les narcotrafiquants et les secrets d’entreprise. Tandis que les débats sur le sexisme, le racisme et l’égalité des genres sont absolument cruciaux et méritent une attention soutenue, ce roman nous rappelle que des menaces systémiques et souvent invisibles, comme les cyberattaques et le blanchiment d’argent par les narcotrafiquants, restent sous-traitées par les discours publics.

Les cyberattaques représentent une menace croissante et pernicieuse pour les infrastructures critiques et les entreprises, avec des conséquences potentiellement dévastatrices pour l’économie mondiale et c’est en lanceur d’alerte que Schmoll nous informe fictionnellement .

Dans son ouvrage Click here to kill everybody, Bruce Schneier explique que « les cyberattaques sont la nouvelle frontière du conflit économique et géopolitique, où les victimes ne sont souvent pas en mesure de se défendre adéquatement » . Cette menace, bien que moins visible et moins médiatisée que les questions de justice sociale, a des implications profondes pour la sécurité et la stabilité économiques.

Par ailleurs, le narcotrafic et le blanchiment d’argent représentent des défis colossaux qui sapent les fondements mêmes de l’économie légale et de la sécurité publique. Ioan Grillo, dans son livre El Narco: inside Mexico’s criminal insurgency, souligne que « les cartels de drogue et les réseaux de blanchiment exploitent les failles des systèmes financiers globaux, renforçant leur pouvoir et leur influence à un niveau inquiétant » . En se concentrant uniquement sur les problèmes immédiats et visibles, la société risque de négliger ces menaces insidieuses mais tout aussi destructrices.

« on parle couramment de cartel colombien et de triades Chinoise… ce sont des organisations criminelles dont les affaires génèrent des fortunes phénoménales et qui sont prêtes à tout même au meurtre et à la torture pour défendre leurs intérêts , des mafias au même titre que la Cosa Nostra ou la Camorra en Amérique du Nord et en Europe, des gens qui n’ont pas la moindre considération pour la vie des personnes… » ( page 250)

Alain Schmoll, à travers son récit haletant, pousse les lecteurs à reconnaître la nécessité d’un débat plus équilibré et inclusif. Il suggère que l’attention médiatique et sociétale doit également se tourner vers ces enjeux profonds, souvent éclipsés par des luttes plus visibles mais tout aussi importantes. Ainsi, Un drôle de goût ! ne se contente pas d’être un thriller captivant; il sert aussi de révélateur des priorités sociétales, nous invitant à une réflexion plus large et plus inclusive sur les menaces contemporaines.

En mêlant des intrigues entrepreneuriales, des cyberattaques et des réseaux criminels, Alain Schmoll offre à travers ce cinquième roman une réflexion interrogeant les interactions complexes et souvent dangereuses entre économie et criminalité. Les thèmes y étant abordés, font de ce roman de fiction une œuvre pertinente et captivante à promouvoir à la hauteur des enjeux majeurs de notre époque.