
Claudine Herrmann rend hommage aux éditions Des femmes (catalogue des trente ans)

Guilaine Depis, attachée de presse (Balustrade)
Rampe de lancement ! Appuyez-vous sur la balustrade !
Roger Dadoun
De la raison ironique
256 p. – 14,50 €
1988
« On a vu combien, à se vouloir maîtresse unique de la totalité du Monde ou à s’imaginer, concubine altière, édicter la loi et la fin de l’Histoire, la Raison s’affole et s’égare. Il faut, c’est une nécessité vitale, qu’elle retrouve ses esprits, son esprit, et il suffit pour cela qu’elle se considère elle-même, que, vraiment, elle se raisonne. Alors naît cette Raison Ironique qu’ici nous invoquons, pour nous être la compagne à nulle autre pareille dans la résistance aux frénétiques emportements et aux abêtissements mous dont ces temps nous accablent.
Raisonnante Ironie, son lumineux regard est requis pour ces quelques textes, hier éparpillés, aujourd’hui assemblés sous sa gouverne. Elle, ou d’elle l’ardent désir, soutient ces essais d’“anthropologie allégée” qui célèbrent le “n’être”, la nuit, Babel, la vieillesse, l’ivresse sexuelle. Violence politique et abîme du Sphinx les cernent d’un trait noir — que repousse la noire candeur d’une “nouvelle anarchie”. Au bras de l’Ironie sont menées quelques “reconnaissances critiques”, co-itérations aux côtés de Péguy, Barthes, Duchamp, Groddeck, Istrati, Michaux. Et “d’ivresse en océan”, nous tentons de passer à gué, demandant à Freud, ironique paradoxe, le baptême… du Sec.
R.D.
Roger Dadoun enseigne à l’Université de Paris VIII. Bien connu pour ses travaux d’analyse littéraire, d’analyse filmique et d’anthropologie psychanalytique, il poursuit, actuellement, des recherches de psychanalyse politique.
Dans le Monde du 9 mars 2007, « Figures du féminin » (176 pages, 12 E) de Catherine Chalier est cité dans un dossier « Être égales au milieu des égaux » par Arlette Farge
Les toiles de Catherine Lopès-Curval (née en 1954) sont souvent de grande taille. Les tons bleutés. roses-ocres. mais toujours assourdis avec quelque chose de crayeux dans la matière. Ses peintures ont une étrangeté qui emprunte à la peinture surréaliste. avec des villes imaginaires. vides et lointaines qui évoquent Magritte, De Chirico, Delvaux. Dans ces espaces mystérieux. des personnages flottent ou planent. ou encore. chutent. Ils s’immobilisent dans les airs ou aux bords d’escaliers improbables. Ou bien encore ils attendent et posent dans les pièces vides où une porte ou un escalier ouvre sur un monde secret.
Chaque toile est une esquisse d’histoire que le spectateur doit remplir en y projetant ses interprétations. une narration à peine commencée qui doit être reprise par notre propre rêverie.
Au-delà de ces histoires mystérieuses. il est question dans cette peinture de l’étrangeté de la vie et de la légèreté troublante de l’être.
Catherine Lopès-Curval nous renvoie à un récit entre la dislocation et la construction.
L’atmosphère de ses peintures évoque pour mol les premiers récits de Peter Handke, un monde où les personnages se surprennent eux-mêmes de ce qu’ils font. ou alors la fantaisie drolatique des « Grandes Blondes » de Jean Echenoz.
Une des originalités de Catherine Lopès-Curval est de conduire sa peinture avec une indifférence tranquille aux mouvements rapides de la mode. Elle fait partie de ces artistes qui explorent un monde à eux et ne songent pas un instant à surfer sur la vague.
Yves Michaux
EMPAN, Prendre la mesure de l’humain
Des femmes et des hommes : un enjeu pour le social ? numéro 65, revue trimestrielle mars 2007
Notes de lecture
Les gardiens du silence
Cachard, C. 2006. Paris, Editions Des femmes 208 p.
C’est ce très beau titre qu’a choisi Claudie Cachard pour son second livre qui vient d’être réédité aux Editions Des femmes. Claudie est psychiatre et psychanalyste, et anime depuis maintenant vingt cinq ans le groupe Corps Psychose Psychanalyse.
Comment rencontrer ceux qui se taisent radicalement n? Comment donner une place psychanalytique à ce qui se dit en silence ? Ce sont les questions que posent ce livre.
Mais les Gardiens du silence, c’est d’abord une écriture qui nous prend par la main et nous emmène vers les lieux où la parole est vacante. Nous n’y sommes pas seuls. L’auteur est là, bordant les espaces en même temps qu’elle les approche ou les désigne. Par cette écriture singulière, précise, ne fuyant aucun détour et comme portant le lecteur, ce sont des lieux singuliers que notre lecture arpente et découvre.
C’est ainsi que garder le silence se retourne, et nous entendons alors combien il est possible d’être gardé par le silence. On pourrait dire aussi « veillé par le silence » et rejoindre ainsi le titre que ce livre porte dans sa traduction hongroise : « Les Veilleurs du silence »…
Ce que Claudie soutient est à la frange, au bord de la psychanalyse et aborde « les zones limites où le corps fait psychisme et où le psychisme fait corps » et « le fonctionnement psychique de dernière chance s’acharnant à traiter l’intraitable ». Le livre étudie les réponses psychiques que chacun a construites dans les situations extrêmes, et cherche à « reconnaître certaines analogies concernant les réponses fantasmatiques dont disposent les humains face à la souffrance grave et à l’irrémédiable. »
La question d’être le seul survivant, la culpabilité qui en résulte, mais aussi la toute-puissance qu’on trouve à se construire soi-même comme une crypte ou un tabernacle protégeant ses morts pas morts.
L’auteur ne refuse pas les questions, mais au contraire les considère chacune et les met à plat, envisage les dénis, les protections, la jouissance liée à la souffrance, « la terreur toute proche de la jouissance » ou la frontière « de l’horreur au sublime ».
Le livre a dix-sept ans. Il est étonnamment jeune et frais, adolescent peut-être. Il rejoint à sa manière propre certaines recherches actuelles et thérapeutes ayant longuement fréquentés les psychotiques, et donne son éclairage particulier et original sur ces questions difficiles.
Blandine Ponet
Une évidence s’impose, chaque toile de Catherine Lopès-Curval contient un drame, ou un fragment de drame; cela suppose un questionnement, des surprises, voire des équivoques. C’est fou ce que le désordre peut s’installer entre les êtres quand on les abandonne à leur sort; comme au théâtre où il arrive un moment où les acteurs échappent à la pièce pour jouer leur propre jeu. La Bibliothèque anglaise s’écroule sur ses lecteurs qui, affolés, essaient de se sauver par tous les moyens; calme et austère, plutôt accueillante jusqu’à l’arrivée du cataclysme, elle cachait sans doute sous ses apparences une promesse inéluctable de tempête. Les apparences comptent en effet beaucoup dans cette peinture d’étrangeté souvent ambiguë où les personnages prennent parfois des poses acrobatiques pour déguiser leur trouble; ainsi le curieux tête-à-tête du pique-nique qui fait penser aux amoureux en apesanteur de Chagall. A moins qu’ils n’adoptent le détachement voisin de l’indifférence de cette femme marchant dans une ville où les voitures vont dans tous les sens comme une invasion de cloportes. Cette autre aux formes accortes, n’hésite pas à souffler en plein visage d’un passant la fumée insolite de son cigare, quant à celle-là elle
Profite des rues vides, semblables aux perspectives italiennes de Chirico, pour prendre sur sa bicyclette une attitude que sa provocation rend déshonnête. Ainsi cette peinture d’accidents, de tensions, voire de bizarreries nous ramène-t-elle à ces situations qui, au théâtre, soulèvent l’énigme par le seul fait qu’elles cessent de tenir le spectateur en haleine. La peinture de Catherine Lopès-Curval. mêle, dans ses mises en scène ordinaires, le réel inexpliqué à l’imaginaire logique, comme la poursuite d’un inachevé de la vie
où les personnage s’interrompant d’agir, se trouvent livrés au vertige de leur difficulté à accomplir. Si vous êtes surpris c’est, que le peintre a atteint son but: déranger .
Pierre Cabanne Février 1999