ENTRETIEN
POUR ART-CROISSANCE N°9
LES JEUX DE L’ART ET DE L’ARGENT, premier roman de Marie-Hélène Grinfeder, est avant tout un polar-plaisir se jouant du monde du marché de l’art et y dévoile ses arcanes. Par le biais de la fiction, Marie-Hélène Grinfeder, nous livre de manière jouissive ce monde qu’elle ne connait que trop bien : ventes aux enchères, spéculation et création. Ce roman qui nous fait voyager : de Londres à Paris en passant par Bruxelles où nombre d’exilés fiscaux s’y sont donné rendez-vous, mais aussi Milan, Moscou ou la principauté de Monte Carlo. Pour rappel, Marie-Hélène Grinfeder est historienne de l’art et expert en art du XXe siècle ainsi qu’en art contemporain. Elle est membre de l’Association Internationale des Critiques d’Art et a déjà publié Adam et Ève, livre de bibliophilie illustré par deux sérigraphies originales de Louis Cane, aux Éditions MHG en 1999, Des voluptés, AFAA, Ministère des Affaires étrangères, Brève histoire de l’art de cinq siècles de peinture française en 1995 et Les années supports surfaces aux Éditions Herscher, en 1991.
Entretien avec Marie-Hélène Grinfeder par Adeline Christova
Tout d’abord, quelles étaient vos motivations principales à la source de l’écriture de votre roman qui, par bien des biais, est une diatribe du marché de l’art actuel ?
Écrire sur l’art actuel : saisir quelque chose qui vous échappe, un amour fou, un dépit amoureux, une tendresse, une admiration, se conforter dans une imagination illimitée, trouver ses ressorts, son intelligence, au-delà de son système financier. C’est en réalité une histoire d’amour avec l’art, où l’on trouve, pèle mêle, l’amour, bien sûr, l’attirance, la séduction, mais aussi le dépit, pouvant aller jusqu’à la répulsion, le doute aussi pouvant aller jusqu’au soupçon, l’incertitude, pouvant aller jusqu’au désarroi. Tess de Bellac, l’héroïne, se conduit ainsi face au sentiment amoureux, et tout le roman est construit avec ce même questionnement.
Le monde du marché de l’art mêlant passion, pouvoir, luxure, folie des grandeurs nous fascine tout autant qu’il nous effraie. Ne sommes nous pas en plein paradoxe voire schizophrénie ? A savoir, que ce monde est désiré tout autant que méprisé par les artistes et les acteurs du marché ?
C’est le propre de tout ce qui touche à l’argent, désir et répugnance, c’est le propre de notre civilisation, ce qui n’est pas vrai pour de nombreux autres pays, qui d’ailleurs n’ont pas les mêmes désirs de collectionner. Je vais vous raconter une anecdote. Quand je suis expert d’une vente aux enchères, à drouot, il n’est pas rare qu’un collectionneur me demande : « Que pensez-vous de tel tableau ? » Je n’ai alors que deux alternatives, parler de ses qualités, ou de son prix. c’est ainsi que si je réponds par l’éloge de l’oeuvre, de sa place dans l’histoire de l’art (et à ce stade mon interlocuteur cache un bâillement), de ses qualités propres, cet interlocuteur me demandera, l’air un peu gêné : « Mais comment voyez-vous sa cote dans l’avenir ? » Si je parle d’emblée de sa cote, un nouvel interlocuteur, rassuré, me demandera : « Oui, bien sûr, c’est très intéressant, mais ce que je voulais savoir, c’est quelle est la place de l’artiste dans l’histoire de l’art ? ». C’est l’illustration même des rapports du public avec l’argent.
L’univers que vous nous décrivez représente un microcosme, une infime minorité du monde de l’art qui concentre pourtant tous les regards ? N’y a t-il pas un risque de négliger la création contemporaine en dehors de ces circuits d’élite ?
Ils sont rares les vrais connaisseurs en art qui vont trouver beau un tableau inconnu et surtout sans valeur, ou sans espoir de valorisation. la question est capitale, et on ne peut cependant pas y répondre simplement, car la caractéristique principale de la perception de l’art actuel, est qu’il est extrêmement difficile, pour beaucoup, de trouver beau un tableau inconnu et sans cote, et j’ajouterai surtout pour certains professionnels, qui ne sont pas obligatoirement des esthètes, mais qui trouveront volontiers plus passionnante une oeuvre de prix, connue et reconnue. Cependant il faut bien penser que le marché se renouvelle en permanence, d’une part et qu’il y a de plus en plus d’artistes, ce qui signifie que les élus sont peu nombreux, et les choix de quelques professionnels avertis s’avèrent difficiles. Et de plus il y a de nombreuses « réhabilitations» si je puis dire, ce qui est heureux. Et cet état de fait se retrouve dans le choix des expositions des institutions muséales de France et de Navarre, importantes ou pas. il s’agit là d’un consensus général qu’il faudrait idéologiquement transcender, ce qui est fait quelques fois, mais qui, dans ces cas-là, n’engendre malheureusement pas le déplacement des foules.
Dans votre roman, le marché de l’art qui bien que malmené par un scandale pouvant le mettre à mal et l’estoquer repart malgré tout de plus belle. Ce marché mondialisé est-il une hydre disposant de plusieurs têtes ?
C’est plutôt un phénix qui renait de ses cendres, quoiqu’on fasse, quoiqu’il arrive, mais peut-être à la suite d’une crise, repartira-t-il également avec d’autres artistes qui n’ont pas été « spéculés ».
Qu’avez-vous pensé du dernier roman de Michel Houellebecq, La carte et le territoire, qui tutoyait le monde de l’art contemporain ainsi que son marché ?
C’est un livre que j’aime beaucoup, car il est une brillante démonstration portant sur les paradoxes de l’art contemporain.
Votre roman vous vous vaut-il quelques inimitiés depuis qu’il est sorti ?
Il est trop tôt pour le dire, mais cela peut arriver, surtout si on le prend au pied de la lettre.