INTERVIEW D’ANTOINETTE FOUQUE PAR GERARD MILLER DANS L’HEBDOMADAIRE « LA VIE » DU 28.01.10
J’AURAIS DÛ
Par Gérard Miller
Ils sont connus, aimés, souvent puissants, parfois craints. Mais quel regard portent-ils sur eux-mêmes ?
Sous le titre « Qui êtes-vous ? Antoinette Fouque », Christophe Bourseiller publie chez Bourin éditeur ses entretiens avec la cofondatrice historique du Mouvement de libération des femmes (MLF), auteure notamment de « Il y a deux sexes » et de « Gravidanza, Féminologie II ».
ANTOINETTE FOUQUE
« JE NE SUIS PAS FEMINISTE »
De votre mère, qui ne savait ni lire ni écrire, vous évoquez le « génie préalphabétique ». L’expression est belle.
Ma mère a souffert de n’être pas allée à l’école mais, dans le même temps, elle était souverainement intelligente et cultivée. Il y avait chez elle une aisance, une beauté de vie, un épanouissement, une créativité constante qui lui permettaient de produire à partir de cet analphabétisme de la pensée. Et, malgré la modestie de notre place, elle nous inondait de culture, de théâtre, de cinéma.
En devenant vous-même mère, vous semblez avoir tout réappris.
J’avais été éduquée à l’école dans un savoir neutre, c’est-à-dire masculin, et je me croyais l’égale des garçons. Avec la grossesse, il m’est apparu qu’on nous avait raconté des histoires et que l’école républicaine, sous prétexte d’universalisme, fabriquait des discriminations. Et puis j’ai accouché d’une fille, dans une société – en 1964 – où c’était encore le fils qui faisait la mère. Alors, je me suis dit : « Mais qu’est-ce qui se passe donc là de hors jeu, de différent, de « marginal ? », et je suis allée dans « l’autre » direction.
Parallèlement à ce bouleversement de la grossesse et de la maternité, que vous ont apporté ces deux événements majeurs de votre vie : le mouvement de Mai 68 et votre analyse avec Lacan ?
Avec Mai 68, et alors même que j’avais déjà 32 ans, j’ai redécouvert l’adolescence. Avec Lacan, j’ai connu la passion, l’admiration sans bornes. Je ne comprenais pas tout mais, quand il parlait, ce n’était jamais hermétique, c’était ouvert, cela permettait une compréhension absolument jubilatoire.
Ce qui ne vous a pas empêchée de vous insurger contre la théorie freudienne, notamment la « primauté du phallus » !
Je ne sais pas ce que je serais devenue sans la psychanalyse – cela rend d’autant plus insupportable un tel « défaut » dans un objet de passion !
Parce que vous êtes à l’origine du Mouvement de libération des femmes, beaucoup s’imaginent que vous êtes féministe.
Je n’ai jamais employé ce mot et je considère même que le féminisme est une idéologie de désexualisation, ce que la finance est à l’industrie ou à la production : une perte du réel, de la matérialité du sens. Aujourd’hui, le terme de lesbienne remplace souvent celui de femme, tout comme le gender remplace le sexe, renvoyant à une sexualité purement sociale. Les femmes sont une espèce en voie de disparition, y compris chez les féministes. Or, pour moi, il s’agit de libérer une femme… dans chaque mère. Liberté, Egalité, Géni(t)alité !
Gardez-vous des regrets de cette vie ininterrompue de combats ?
Prise dans l’urgence d’agir, je sais que j’ai parfois fait preuve d’une certaine violence, qui a pu passer pour du sectarisme ou de l’intolérance, et je le regrette. Comme je regrette de n’avoir pu faire la paix avec tous ceux qui se sont un jour déclarés mes ennemis. Moi, des ennemis, je n’en ai pas.