20 ans après #MeToo
Harvey Weinstein, Gérard Depardieu, Roman Polanski, Benoit Jacquot… Depuis quelques années, nombre d’acteurs, de producteurs ou de réalisateurs se trouvent accusés d’abus sexuels. Ancienne critique littéraire, notamment au Figaro Madame, publiée notamment chez JC Lattès, Valérie Gans a choisi d’évoquer ce sujet sensible à travers un percutant roman, diffusé par ses soins car refusé par de nombreuses maisons. Texte par Étienne Ruhaud
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2018. Un peu boulotte, orpheline de père, mauvaise élève, Shirin Djahavani vit seule avec Irène sa mère, masseuse, dans le centre de Paris. À quatorze ans, l’adolescente semble totalement sous la coupe d’Irène, prématurément veuve, toujours célibataire. Projetant ses fantasmes sur Shirin, Irène l’encourage ainsi à poser pour Adam Lepage, vidéaste quadragénaire marié à une psychiatre, Pauline.
Féministe, habitué des reportages-choc, Adam photographie ainsi Shirin, en compagnie de femmes, pour la mise en scène de La force du destin, opéra signé Verdi. Naguère méprisée, devenue objet de fascination pour ses camarades car supposée en couple avec un « vieux », Shirin s’épanouit, pour le grand bonheur d’Irène, qui l’habille, la maquille, afin de la rendre plus sexy.
Chaque semaine, ainsi, pimpante, surexcitée, Shirin se rend à l’atelier d’Adam, en plein Marais, et pose nue, révélant une féminité naissante, désormais assumée. Tout ne se passe pas comme prévu, toutefois : rentrée en pleurs, un soir, à l’appartement familial, Shirin confie, devant une inspectrice, avoir été violée par Adam – contrainte à effectuer une fellation.
Dès lors, tout s’effondre. Jeté en pâture sur les réseaux, conspué par la presse internationale, quitté par Pauline, Adam finit par se suicider en se jetant dans le vide, un samedi soir. Shirin, de son côté, traitée en paria par ses copines, voit ses notes dégringoler, se replie et s’éloigne définitivement d’Irène.
Vingt ans après
2038. Les relations hommes/femmes sont devenues exécrables, chacun fuyant l’autre, ce qui sape les fondements mêmes de la société. Devenue reporter de guerre, Shirin vit désormais avec Lalla, libanaise, lesbienne, elle aussi orpheline d’un père tué lors d’un attentat. Âgée de trente-quatre ans, Shirin sillonne ainsi le monde avec cette femme, sans pour autant partager son homosexualité.
Ayant totalement rompu avec sa mère, peu épanouie, Shirin paraît rongée par le passé. Ainsi finit-elle par avouer la vérité, à travers un post Facebook. Non, Adam ne l’a jamais violée, et cette histoire fut montée de toutes pièces. Devenue à son tour, comme Adam, victime des réseaux, conspuée par certaines féministes radicales l’accusant de traîtrise, de complaisance à l’égard d’une gent masculine nécessairement prédatrice, Shirin voit, à son tour, son monde disparaître.
Indésirable, dans le milieu de la presse, Shirin est également harcelée par diverses militantes, puis lâchée par son patron, Stanley, et enfin par Lalla, elle-même éclaboussée par le scandale. Résolue à en finir par overdose médicamenteuse, Shirin est prise en charge par une clinique privée, où Irène, toujours masseuse, officie.
Elle y retrouve par hasard Pauline, et avoue tout. Amoureuse d’Adam, éconduite, manipulée par une mère abusive, omnipotente, Shirin s’est laissé manipuler, jusqu’à salir l’honneur d’un homme, et le pousser dans la fosse. Une histoire s’ébauche finalement avec Stanley, l’ancien patron.
Une dénonciation ?
Le propos est évidemment polémique. Dénonçant la dégradation des rapports homme/femme, et la toute-puissance d’un lobby féministe dans une réalité alternative, Valérie Gans fait œuvre de subversion. Car naturellement les armes ne sont pas égales : dans le roman, Shirin est nécessairement victime d’un adulte. Les rôles sont d’emblée attribués, et aucune marge d’erreur n’est tolérée, dans la mesure où l’idéologie, et non le réel, prend le pas.
Ce même lobby est d’ailleurs capable de violence contre les femmes elles-mêmes : celles qui refuseraient de se soumettre, de haïr les hommes, de se poser en martyres sont ainsi physiquement châtiées. Lesbienne, Lalla est malgré tout harcelée puis frappée pour avoir pris la défense de Shirin, avoir appuyé sa version des faits.
Innocent condamné par cette société partiale, qui fait de tout mâle un potentiel violeur, Adam Lepage n’a même pas la possibilité de se défendre, de démontrer l’illégitimité de l’accusation. Son honneur définitivement sali, le vidéaste n’a d’autre issue que la mort. Pareillement, le monde futur imaginé par Valérie Gans a quelque chose de terrifiant.
Basculant dans l’uchronie, l’ex-critique et romancière figure une nouvelle ère, située vers 2038, et où toute forme de séduction hétérosexuelle serait bannie, ou chaque geste, chaque mot, serait soigneusement soupesé afin de ne pas choquer, de ne pas contrevenir à l’ordre imposé par de nouvelles ligues de vertu misandres.
Adieu « Big Brother », bonjour « Big Sister » ?
Il ne s’agit pas pour autant d’un essai ni d’un pur roman à thèse. Écrit dans un style à la fois sobre et limpide, La Question interdite se lit sans peine – explorant un avenir dont nul ne pourrait avoir envie.
Ayant déjà publié de nombreux récits, Valérie Gans sait ménager le suspense, construire une intrigue efficace, prenante. Passé (trop) inaperçu car publié par l’auteure elle-même, comme dit plus haut, ce petit livre éclaire le présent, peut-être l’avenir, et mériterait, à ce titre, une plus grande diffusion.