« Le quinquennat de Macron ? Un fiasco national ! »
Entretien avec Christian de Maussion
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le second quinquennat de Macron n’a pas commencé sous les meilleurs auspices, d’autant que l’abstention fut importante, et sa campagne introuvable. Mais l’on doit aussi rajouter que le premier s’est assez mal terminé. Pour l’écrivain et intellectuel Christian de Maussion, ce premier quinquennat fut un fiasco national, ce qu’il dénonce et décrit dans un nouveau livre La fin des haricots (5 sens éditions, 2022). Je l’ai rencontré dans un restaurant du VIème arrondissement de Paris.
Marc Alpozzo : Cher Christian de Maussion, vous êtes l’auteur de nombreux ouvrages, dont le dernier, intitulé La fin des haricots (5 sens éditions, 2022) qui est un pamphlet, excellent par ailleurs. Il est une critique caustique et juste de l’ère Macron. Vous le sous-titrez : « Chronique d’un fiasco national, 2017-2022 ». Pourquoi ce livre ? Pourquoi maintenant ? Croyez-vous vraiment que le premier quinquennat de Macron fut un fiasco ? Pourquoi ?
Christian de Maussion : L’ouvrage est un collage de petits textes rédigés à la diable, puis repris, repolis, une juxtaposition au fil du temps, le journal occasionnel de mes humeurs au regard du spectacle politique, certes indigent, mais toujours distrayant. Macron joue le jeu. Il jouit du pouvoir. Il théâtralise l’Elysée. L’ouvrage s’est achevé, faute de volonté. J’avais le sentiment d’avoir épuisé le sujet, d’avoir suffisamment consacré de mon temps à l’histrion. Autrement dit, j’ai exprimé une colère, manifesté une indignation, jeté un cri, au besoin pratiqué l’ironie. On attribue souvent à Boris Vian une phrase qui appartient à Chris Marker, le poète cinéaste : « L’humour est la politesse du désespoir ». Cette politesse du désespoir, je l’ai nommée avec mes mots : « La fin des haricots. » L’ouvrage fait écho à l’écriture d’un essai littéraire sur la poésie du pouvoir : C’est encore loin de Gaulle ?[1]. Avec Macron, De Gaulle est désormais très loin, inaccessible, au-delà même de l’horizon. Macron s’est débarrassé du grand Charles, d’« Amédée », comme dans la pièce éponyme d’Eugène Ionesco. Il gît, introuvable, dans le placard de Benalla. L’attentat, cette fois, à la différence de celui du Petit-Clamart, n’a pas été raté. De Gaulle est mort, surtué comme le fut Mesrine par la police, de dizaines de balles en plein cœur. Le quinquennat est un fiasco car rien de grand n’y fut accompli, ni même envisagé. Le grand chagrin gaullien, c’est la perte de l’indépendance nationale. L’épisode du virus de Chine a révélé la subordination du pays vécue comme l’humiliation d’une nation. Nous sommes à la remorque d’une Europe de rivaux, d’un monde hostile, par définition. À cela s’ajoute un péché contre l’esprit : la division du peuple. Macron n’est pas machiavélique, il est diabolique. Il fait le Malin, attise les méchants instincts. Il fracture, excite les querelles, scinde le corps social comme seule une âme satanique sait faire. Le « Qu’ils viennent me chercher ! » s’apparente aux tentations de Jésus au désert de l’Évangile de Matthieu. Le Macron tentateur provoque ainsi le peuple des gueux.
M. A. : Vous commencez votre livre par cette phrase : « Macron séduit les patrons, un peu moins les corons ». Diriez-vous comme les Pinçon-Charlot, que Macron est le président des ultra-riches[2] ?
C. M. : Macron soliloque en son palais. Il est le président de lui-même. C’est pourquoi le peuple se sent à l’étroit dans le nombril du monarque. Le quinquennat se calque sur une politique du selfie généralisé.
Macron s’entiche des ultra-riches. Il est leur potiche. Il leur appartient. Ils ont payé l’accès à l’Elysée. Reconnaissance du centre, reconnaissance du ventre. Mais son affection à leur endroit n’est pas illimitée. Il n’adore qu’un seul dieu, à qui mieux mieux : « Bibi », comme il dit.
M. A. : Hormis Pompidou, que vous qualifiez de dernier lettré, aucun des autres présidents ne trouvent grâce à vos yeux, notamment Macron, que vous rangez dans le « quarteron des ambitieux félons ». Qu’est-ce que vous voulez dire par-là ?
C. M. : Je ne sais plus trop pourquoi j’ai usé de cette expression. « Quarteron » ressortit de l’idiome gaullien. Il renvoie aux généraux dissidents de l’époque algérienne. Sans doute ai-je voulu fourrer Macron dans le même fourgon que Giscard, Sarkozy, Hollande. C’est un quatuor de profond désespoir. Les trois petits présidents quinquennaux rivalisent de pugnacité au trophée de la médiocrité. Je suis injuste d’associer Giscard. Mais il annonce Macron par le mépris, le modernisme de pacotille, l’hypertrophie d’un ego qui mène rigoureusement au même fiasco. La félonie est leur marque de fabrique. Au sens où leur politique de renoncement à la grandeur et à l’indépendance les associe au déclin de nos contrées, à la trahison d’une nation.
M. A. : Je crois personnellement que Macron n’est pas un libéral, il s’occupe de tout, il signe des chèques à tout va, il mène une politique d’État-providence, en distribuant de l’argent magique. À l’inverse, vous écrivez que Macron est un « libéral de gauche, enraciné dans une politique de droite ». Comment pouvez-vous justifier cette idée. Je crois plus, pour reprendre vos propres mots, que Macron représente une gauche caviar et « humanitaire qui ennoblit la droite épicière ».
C. M. : À vrai dire, Macron est creux. C’est un ectoplasme idéologique. Il règne sans conviction. Il n’a de respect que pour ses intérêts. « Il est enraciné dans une politique de droite ». Car la sociologie électorale est provisoirement à droite. Les bataillons de la droite épicière sont venus conforter le socle de la gauche originelle. Il est libéral. C’est sa nature. « Comme on parle du nez » disait André Gide de la belle âme de Jean Guéhenno. A cause de son pedigree, de ses gènes affairistes. Mais dans le même temps, il nationalise les salaires du pays, déglingue les comptes, improvise un communisme qui coûte un pognon de dingues. Il est de gauche parce que c’est une étiquette gratifiante qui honore le bourgeois d’élite, qui labellise son bon cœur. Chic type !
Oui. Macron est « Le Candidat » de Flaubert. Il est le Rousselin d’une pièce oubliée :
« – Pourquoi toujours ce besoin d’être emporte-pièce, exagéré ? Est-ce qu’il n’y a pas de tous les partis quelque chose à prendre ?
– Sans doute, leurs voix. » (Acte II, scène XI)
Plus loin :
« – Il est absurde d’avoir des opinions arrêtées d’avance. » (Acte IV, scène II)
Bref, « candidus » veut dire blanc en latin. Le candidat est la somme de toutes les couleurs, y compris politiques.
M. A. : Lors de l’époque des gilets jaunes, la macronie a été violente avec ces Français issus de la classe moyenne, qui manifestaient, je crois légitimement, pour vivre dignement. Pourtant, « Casta-nerfs », je reprends votre jeu de mots, Macron, avec la complicité d’une partie de la police, ont réprimé durement le mouvement des gilets jaunes. Vous parlez, vous, en revanche, d’« extrêmes jaunes », il est vrai que le mouvement a été protéiforme, et il y a eu certainement une partie de séditieux. Pourtant Macron a, à la fois reculé devant le mouvement, et gardé le cap, jusqu’au Covid qui a été l’arrêt de mort des gilets jaunes. Croyez-vous qu’ils ont été jusqu’au bout des « comédiens du réel », comme vous les nommez, et ne pensez-vous pas que Macron s’est montré cynique et froid dans cette triste période ?
C. M. : Macron a eu chaud. Il a eu peur. Les gilets jaunes, c’est une révolte à l’état pur. Le peuple est en rogne. C’est une jacquerie sécrétée par la Macronie, une émeute des gens d’ici qui dit, qui crie : ça suffit. La révolte terrorise l’auteur de Révolution. L’assaut des ronds-points réveille le réel, cogne contre les mots du virtuel. La révolte procède du spontanéisme, dopé par l’instantanéité des réseaux numériques. Elle s’affranchit des maîtres, des syndicats, des partis, des institutions, des grandeurs d’établissement. Elle est anarchique, an-énarchique. Une vraie gueuserie. La précarité et la pauvreté déterminent un élan, une solidarité, une humanité, un besoin de visibilité. Les gueux sont bien « les comédiens du réel ». Ils incarnent, ils sont la chair de leur terre. Or Macron ne saisit que pouic. Il joue un autre théâtre. Il est corseté dans son habit de petit marquis. Il baigne dans le monde virtuel de la note administrative. Les vilains échappent à son radar. Et quand il les voit de près, il prend peur, il s’enfuit, il rentre au palais. Macron et les gilets jaunes, ce sont deux étrangetés qui peinent à s’apprivoiser. Les deux corps sont chimiquement distincts. C’est la signature de la fracture. Mélenchon va épauler Macron. Il politise les manifs, dénature le message de la rue. Le réel est aboli, réécrit en virtuel, représenté en blabla du grand débat.
M. A. : Vous abordez également la période du Covid, dénonçant le Macron « va-t-en guerre » ridicule. Que retenez-vous de cette expérience inique ?
C. M. : De la guerre du virus, je retiens le triomphe des menteries de tout acabit. Le sens philosophique du mot « vérité » a été distordu, voire trahi. Les joviaux praticiens d’une discipline, la médecine, se sont arrogés le monopole de la science. Ils ont maquillé leurs opinions et préjugés sous le masque d’une hypothétique recherche fondamentale qu’au reste ils peinaient à maîtriser. Sous diverses appellations – fèques niouzzes, blasphèmes, contre-vérités, ignorances –, le mensonge a régné en souverain, a obscurci la saisie de l’événement.
À la tyrannie du mensonge corporatiste, l’Etat électoraliste s’est rangé, s’est conformé. Je retiens aussi le burlesque des temps, le comique de situation. La péripétie des masques fut un grand moment de rire, de fou rire « hénaurme », de délire absolu. Je retiens encore, le silence de la cité : Paris, ville morte. Je me souviens de la brave Mauricette, première piquée, comme d’une saynète de cinéma muet, à la Max Sennett. J’éprouve un certain ressentiment à l’évocation des longues semaines de confinement. J’ai l’impression que la population a vieilli d’un coup, prématurément, que les corps et les têtes se sont usés, se sont doublement altérés. Un peuple entier s’est abîmé dans un encabanement généralisé. « Encabanement » est un mot que j’emprunte à dessein à Pierre Legendre (« Jouir du pouvoir », traité de la bureaucratie patriote, Editions de Minuit, 1976).
M. A. : On disait de Chirac qu’il était un super menteur. On pourrait dire de Macron qu’il est un super tricheur. Il s’invente chef de guerre quand il n’y a pas la guerre, il s’invente gardien de la paix quand c’est la guerre, il se fait passer pour un homme de gauche quand il mène une politique de droite, et inversement. Pensez-vous que le « en même temps » de Macron n’a pas ruiné les relations de confiance entre le pouvoir et le peuple ?
C. M. : La fadaise du « en même temps » est une escroquerie intellectuelle. Dans mon livre, je souligne qu’il fait fi de la logique de non-contradiction, de la logique du tiers exclu, héritée d’Aristote. La prétendue invention de Macron jette la confusion. Il l’érige en principe de gouvernement. Le peuple se défie, se détache d’un pouvoir obscur, indéchiffrable, sans clarté ni vision. Tout se passe comme si l’abstention du peuple était le but inavoué du prince. Une abstention qu’il souhaiterait muer en passivité. Car le peuple, à la manière du Bartleby de Melville, « préfère ne pas ». Il renonce aux urnes. Il s’est lassé d’être traité d’illettré, d’être convaincu d’indignité sous prétexte de « populisme ». A écouter les discours majoritaires, le peuple idiot ne mériterait pas l’intelligence, la légitime excellence de ses élites, confrontées à « la difficile complexité ». Au demeurant, l’extase technocratique de l’usine à gaz comme traitement systématique d’un dossier (retraites, sa meilleure illustration) se conjugue à merveille avec un pareil brouillard conceptuel.
Christian de Maussion, La fin des haricots, Paris, 5 sens Éditions, 2022.
1] Christian de Maussion, C’est encore loin De Gaulle ?, Paris, Éditions du Bon Albert, 2002.
[2] Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Le président des ultra-riches : Chronique du mépris de classe dans la politique d’Emmanuel Macron, Paris, La Découverte, 2019.