Chronique littéraire. Le maître de la lumière de Bernard WOITELLIER
Le 28 août 1859, la Terre a été frappée en 2 vagues par une série de tempêtes solaires inhabituelles et monstrueuses.
On a surnommé cet épisode « l’événement de Carrington » du nom de l’astronome qui a observé le phénomène. Ces tempêtes électromagnétiques ont provoqué de nombreuses aurores polaires visibles jusque dans les zones tropicales (alors qu’en principe elles dépassent rarement le cercle polaire) et ont perturbé les communications télégraphiques, électrocutant nombre de télégraphistes, certains appareils prenant même feu. Pendant un certain temps, les pôles magnétiques ont disparu, rendant inutilisables les boussoles. Ce type d’événement cataclysmique serait susceptible de se reproduire tous les 150 ans. On estime à 12% la probabilité qu’un nouvel « événement de Carrington arrive dans la décennie qui vient. Si en 1859, les conséquences ont été somme toute limitées, il n’en serait pas de même dans notre société de 2020 fondée sur l’électricité et internet.
En effet, les aurores boréales provoquent des courants électriques dans le sol qui sont sources de surtensions. On ignore l’impact que pourrait avoir une telle tempête, même si, les autorités prenant conscience du problème ont essayé dans la mesure du possible d’implanter des sauvegardes et des protections contre les délestages, d’autant plus qu’en dehors des tempêtes solaires, ce phénomène de surtension généralisée pourrait être la conséquence d’une attaque nucléaire en haute attitude, qui ne causerait aucune perte humaine directement, mais détruirait les circuits électriques, renvoyant le pays agressé à l’âge de pierre.
Woitellier nous livre un thriller dystopique qui décrit les conséquences d’une telle tempête solaire sur le monde de 2020. Il prend les hypothèses les plus pessimistes, mais qui sait si elles ne seront pas vérifiées ? Dans « le maître de la lumière », le réseau électrique ne sera jamais réparé, la société s’effondrant rapidement, rendant impossible tout effort coordonné de remise en état. Le plus frappant dans ce roman est l’absence de réaction des États et des autorités légitimes. Si une telle situation arrivait dans le monde réel, on peut penser que les gouvernements et leurs représentants locaux mobiliseraient l’armée, leur donneraient des consignes claires et réussiraient à rétablir l’ordre. Ou si le Pouvoir était vraiment défaillant, des milices d’auto-défense se constitueraient et ramèneraient le calme, les honnêtes gens étant 10 fois plus nombreux que les gangsters.
Rien de tel dans ce roman. L’anarchie puis l’anomie s’emparent du monde entier, il reste ici ou là quelques vagues réactions, la garde nationale s’efforce de maintenir en vain un semblant d’ordre dans l’Alaska, un chef de police dans les Canaries devant l’inertie du gouverneur prend le pouvoir et livre des pilleurs aux requins dans des efforts dérisoires pour maintenir l’ordre.
Dans ce thriller, la violence est reine ; les hommes tapent sur leurs compagnes ; les pervers abondent, ils ne cherchent qu’à violer les femmes et à massacrer des innocents. On suit particulièrement le sort de deux héroïnes et de leurs enfants, Thana une infirmière qui se réfugie avec son fils Tim en Alaska, Alma et sa fille Sarah qui habitent dans les Canaries. Toutes les deux essayent de survivre et de protéger leur progéniture. Seul contre-point à l’anarchie généralisé, les indiens d’Alaska réussissent à organiser une communauté basée sur la solidarité et la protection de tous. Ils seraient les mieux adaptés au nouveau monde qui se lève.
Le thème de l’effondrement est populaire : la crise du Covid l’a remis à la mode. : certains ont cru que nous étions arrivés à ce point critique. En juin 2020, il semble qu’il n’en soit rien, à moins d’un rebond catastrophique de la maladie. D’autres collapsologues évoquent une crise écologique majeure qui emporterait la civilisation qualifiée d’occidentale. Cette peur d’un désordre majeur disloquant la société, du jugement dernier, est profondément ancrée dans l’Homme. Dans les années 1960, on a vu fleurir nombre de romans sur un monde post-nucléaire où de petites communautés prenaient le pas sur un gouvernement américain dépassé. C’est le cas de l’œuvre culte de Philip K Dick Doctor Bloodmoney paru en 1965. 60 ans ont passé, les causes avancées de l’effondrement changent, mais la terreur de l’humain devant l’effondrement possible de son cadre de vie reste la même.
Mais qu’importe si les fondements de ce roman sont réalistes ou pas, « Le maître de la lumière » est un excellent Thriller, qui suscite de l’intérêt. On suit avec appréhension les aventures des personnages, de leur lutte pour la survie. C’est ce qu’on attend d’un bon livre : être dépaysé.
Le maître de la lumière de Bernard WOITELLIER, librinova, 24,90 € 637 pages
Christian de Moliner
Illustration : DR
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