Paul Sunderland a aimé le polar de Pascal Framont sur le site « Mauvaise nouvelle »
L’affaire mirage life, de Pascal Framont
« El fin justifica los medios. »
« Nous prendrons contact avec vous très prochainement. »
Dans un pays sud-américain imaginaire, le Montelagos, une femme haut fonctionnaire voit son époux se faire assassiner lors d’un cambriolage à leur domicile. Bien vite, elle perçoit des incohérences dans le déroulement de l’affaire et dans ses suites. La mort de son mari a-t-elle été due à un dérapage incontrôlé ou s’agit-il d’une machination ? Précisons d’emblée que le Montelagos est un sorte de « dictature éclairée » : un contrat social implacable y a été passé entre ses habitants et le pouvoir damianiste (du nom de Damiano, son guide) : la soumission totale aux lois du gouvernement en échange de paix civile et militaire. Néanmoins, des communautés quasi-autonomes et thématiques voient le jour grâce à l’entreprise Mirage Life dont Gustavo, l’époux assassiné, était un cadre. Chacun est libre, en fonction de sa lubie (littérature, jeux mathématiques, etc) d’aller y vivre. Luisa, la veuve héroïne, occupe un poste élevé au ministère de l’Economie et se retrouve donc sans tarder en porte-à-faux entre son devoir d’obéissance à l’Etat et les soupçons qu’elle entretient à l’encontre de ce dernier. La redoutable Police secrète va-t-elle finir par s’intéresser à son cas ? Qui sont les gens qui prennent en filature Luisa à chacun de ses déplacements ? Qui cherche ensuite à l’éliminer ? Quel est le rôle joué par le mouvement occulte de résistance au damianisme ?
Ce thriller policier et politique est une sorte de jeu de piste mortel à travers le Montelagos. En le lisant, certaines références, certains souvenirs me sont venus à l’esprit : le film I comme Icare (Henri Verneuil), les ambiances à la Costa-Gavras, la série-culte Le prisonnier, mais aussi un roman de fiction spéculative publié en 1965 par le Britannique John Brunner, The Squares of the City (titre français : La ville est un échiquier, traduction de René Baldy). On a reproché à ce dernier d’avoir écrit un roman trop cérébral et de n’avoir pas suffisamment développé la psychologie des personnages. Il faut savoir tout de même que l’ambition de The Squares of the City était de reproduire dans son intrigue une très réelle partie d’échecs jouée entre deux champions à la fin du dix-neuvième siècle. Il serait tentant pour certains de faire le même reproche au roman de Pascal Framont (son premier) car l’impression générale est celle de la progression d’un pion (Luisa) sur un échiquier dont elle ne comprend pas les règles. Mais c’est bien là, selon moi, tout l’intérêt de cette histoire.
N’exagérons pas : tous les personnages de L’affaire Mirage Life sont crédibles.Tout tourne simplement autour de cette phrase : « el fin justifica los medios », « la fin justifie les moyens ». À première vue, on se dit que dans ce contexte sud-américain, tout imaginaire qu’il soit, elle s’applique aussi bien aux méthodes du pouvoir en place qu’à celles de la Résistance. De fait, nous qui lisons avec les yeux de Luisa, nous sommes joués dans nos interrogations et nos réflexes : il y a le Bien officiel (le damianisme), le Mal officiel (la Résistance) mais peut-être qu’en réalité, c’est le contraire. À moins que ce contraire soit lui-même une autre manipulation. Ce qui fait le bonheur de lecture de ce roman, c’est que nous nous grattons la tête sur plus de quatre cents pages. Comme dans un « village » dont il est impossible de sortir, nous sommes baladés d’un bout à l’autre de Solmar, la capitale du Montelagos, et une bonne partie du pays lui-même. Chaque mouvement va être porteur de sens (mais lequel?), chaque décision prise ne sera pas sans conséquences significatives dans ce labyrinthe à ciel ouvert.
La fin justifie les moyens : la progression de Luisa n’est pas seulement horizontale mais aussi verticale, lorsqu’elle se retrouve assez haut dans la hiérarchie du pouvoir en place. Haut fonctionnaire, elle possède suffisamment de galon pour approcher le premier cercle mais elle n’y est pas tout à fait. Ce premier cercle, constitué du chef de l’Etat et des pères fondateurs du damianisme, demeure énigmatique. Lisa, de fait, est un « pion » qui commence à s’interroger tout seul sur l’histoire de son pays et sur la légitimité de ses structures. Fallait-il asseoir la paix civile à coups d’opérations de la Police secrète ? Fallait-il autoriser une mesure compensatoire en permettant la fondation de villes peuplées de geeks ? Territoires dans le territoire, ces espaces thématiques ont leurs propres codes, leurs propres excentricités, leur propre mystère. Certains y sont-ils allés dans le but de fuir une réalité politique trop dure ? Ces zones sont-elles sous contrôle (la fin justifie les moyens) ou hors de contrôle (les moyens ne seraient donc pas parvenus à leur fin)?
Il s’agit bien, en définitive, d’un labyrinthe mental. Ecrire cela ne dévoile absolument pas la fin de l’histoire, qu’on me croie sur parole. S’il fallait remettre la tartine trop souvent habituelle sur le ressenti psychologique des personnages, nous ne comprendrions peut-être pas aussi bien, nous serions peut-être un peu trop égarés dans le dédale, et ce d’autant plus que l’auteur ne néglige pas la psyché de ses protagonistes, il la néglige même si peu qu’il en fait en réalité un ressort déterminant de l’intrigue, mais cela, nous ne le comprenons que tout à la fin et je me garderai bien d’en dire plus à ce sujet. Il est tout de même possible d’ajouter que dans cette histoire somme toute cynique, le terme « mirage » est décidément lourd de sens et semble à contre-courant (mais, précisément, le cynisme fait qu’il ne l’est pas) de cette cérébralité de principe (« la fin justifie les moyens ») qui cherche, par percolation depuis les sommets des buildings, les hauteurs du pouvoir, à descendre dans l’Histoire, à y prendre substance pour le bonheur ou le malheur de tout un peuple.
Une suite est attendue et je suis curieux de me promener dans les architectures à venir du discret Pascal Framont.
Pascal Framont, L’affaire Mirage Life, éditions Le Lamantin.