LEIBOWITZ OU L’ABSENCE DE DIEU de Daniel Horowitz, une critique de Dominique Iwan
« Il n’est pas aisé de cerner l’approche philosophique de Leibowitz du judaïsme, parce que nous sommes confrontés au paradoxe d’un Juif orthodoxe qui en tant que rationaliste exclut toute idée d’intervention divine dans la Nature ou dans l’Histoire. En quoi, dans ces conditions, consiste la foi de Leibowitz ? »
C’est l’objet de l’ ouvrage écrit par Daniel Horowitz : Leibowitz ou l’absence de dieu, publié par les Editions l’Harmattan.
Daniel Horowitz est né en Suisse où il grandit au sein de la communauté juive. Passé la soixantaine il émigre en Israel où cet intellectuel autodidacte se consacre à l’écriture. Il pratique six langues et cultive une identité juive athée.
Interpellée par cette présentation de l’auteur j’ai voulu en savoir plus, en effet je partage avec lui ce particularisme qui fonde également mon identité de juive athée.
Pour ce faire l’auteur nous livre la parole de Yeshayahu Leibowitz qui se situe au coeur de deux questions primordiales : comprendre comment le monde fonctionne et savoir pourquoi il fonctionne ainsi. C’est surtout la deuxième question qui va nous préoccuper.
Mais d’abord qui est Leibowitz ? « Scientifique, philosophe il fut l’un des penseurs juifs les plus remarquables du XXè siècle. »
Daniel Horowitz a compris très jeune que le sens de la vie n’était pas une question à poser à d’autres qu’à soi-même. « Je n’ai jamais éprouvé de sentiment religieux … », pourtant le judaisme fait partie de ses racines c’est à ce titre qu’il se livre à un exercice intellectuel passionnant.
Nous entrons dans le vif du sujet : « les religions, toutes les religions sont des formes d’idolâtrie. » et le judaisme rabbinique n’échappe pas à cette règle. Le rôle du judaisme a donc été d’en diminuer la toxicité et de faire apparaitre « un Dieu transcendant, abstrait, absent et finalement selon l’auteur, inexistant … »
La pensée de Leibowitz juif orthodoxe s’articule autour du concept de valeur (…) l’homme dispose d’après lui du libre arbitre qui se manifeste par « ce qu’il veut ». « Dieu n’a ni forme ni corps » dit Maïmonide, « on ne peut rien en dire, pas même qu’il existe » formule attribuée à Ben Schlomo Zalman (autorité rabbinique du XVIIIè siècle).
« Dieu invisible et indicible », on ne parle pas encore d’athéisme concept formulé vers la renaissance, mais les juifs sont sans doute les premiers a l’avoir pensé en empruntant la voie du monothéisme.
Pour comprendre la foi de Leibowitz ou tout au moins s’en faire une idée, l’auteur évoque les grands courants de la pensée juive, celle de Maïmonide philosophe juif du XIIè siècle déjà cité précédemment, qui réfute le surnaturel et la superstition, Yehuda Halevy qui représente un courant mystique juif, et Baruch Spinoza philosophe hollandais du XVIIè siècle issu d’une famille juive marrane (donc forcée à la conversion mais continuant a pratiquer en secret). Il est l’un des premiers philosophes à avoir pensé une Cité ou la religion serait séparée de l’Etat.
Leibowitz voulait préserver la pratique religieuse tout en mettant fin à l’illusion d’un Dieu personnel, cette notion peut sembler paradoxale pourtant il répondait que « le judaisme n’est pas une croyance mais une exigence » (…) Pratiquer les commandements est pour Leibowitz un art de vivre qui ne suppose aucune intervention divine, quelle qu’elle soit, parce que c’est la pratique en elle-même qui est la contrepartie. »
Daniel Horowitz acquis à la lumineuse cohérence du philosophe nous indique à la fin de son livre que « l’héritage spirituel de Leibowitz réside peut-être en ce que le judaisme des origines n’a jamais été autre chose qu’une marche vers l’athéisme, et que dans ce sens le judaisme est un humanisme malgré tout ».
Et enfin, plus récemment dans une interview à Causeur, il nous confie (…) « Leibowitz rend à Dieu ce qui est à Dieu et au monde ce qui est au monde » (…). Cette vision implique une séparation radicale entre Etat et religion. »
Important ouvrage philosophique où je me replongerai certainement, car cerner la pensée complexe de Leibowitz, est un travail redoutable et sans doute audacieux, peut-être arriverai-je juste à donner l’envie de penser, de réfléchir comme son épigraphe en début de livre que je fais mienne « A mes petits-enfants, non pas pour qu’ils pensent à moi, mais pour qu’il pensent. »