L’écrivain Luc-Olivier d’Algange, fin lecteur de l’ambitieux ouvrage de Daniel Horowitz

Leibowitz ou l’absence de Dieu

Le livre de Daniel Horowitz, Leibowitz ou l’absence de Dieu, qui vient de paraître aux éditions de l’Harmattan, dans la collection « Ouverture philosophique », est de ceux qui requièrent immédiatement l’attention du lecteur, – pour peu que celui-ci attende d’un livre, non la confirmation de ses opinions ou de ses croyances, mais une aventure, voire une radicale mise-en-demeure.

Yeshayahu Leibowitz est un penseur inclassable: scientifique, philosophe, moraliste, voire théologien, mais de façon apophatique. Son œuvre récuse la notion même de spécialité, – et donc le conformisme méthodologique et académique qui limite toute spécialité, – afin de penser le paradoxe, et ici, en l’occurrence, le paradoxe suprême: comment être juif et, sans rien renier de sa tradition, penser l’absence de Dieu ?

Le mot paradoxe doit être pris au sens étymologique: être en marge de la doxa, de l’opinion commune, de ces assentiments grégaires qui tournent à l’idolâtrie et à la stupeur collective. Or, pour Leibowitz, le souci fondamental de la pensée, sa raison d’être, est d’échapper à l’idolâtrie, y compris à cette idolâtrie métaphysique qui ferait de l’Unique, du Dieu transcendant, une universelle administration de nos pensées et de nos actes et le prétexte à de nouvelles servitudes.

Le grand mérite de l’ouvrage de Daniel Horowitz est de montrer, en s’y impliquant, par quelles audaces et quels détours, la pensée de Leibowitz nous devient une permanente incitation à la disputatio, autrement dit à la pensée créatrice, ouverte. Ouverte, précisons-le, non sur un vague « indicible », mais sur la possibilité de dire autrement, de dire avec exactitude, hors de cette confusion sommeillante en laquelle se complaisent les systèmes et les idéologies.

Le grand mérite du livre de Daniel Horowitz, est de nous restituer la présence de Leibowitz, dans sa recherche et ses engagements, parfois contradictoires: présence drue, exigeante, hostile à nous conforter dans l’idée humaine que nous nous faisons de notre bien, dans la facilité de nos interprétations qui tournent toujours à la fabrication de nouvelles idoles.

Pour Leibowitz, en effet, les idoles les plus fallacieuses ne sont pas les anciennes idoles visibles, répertoriées, passées, obsolètes, muséologiques, classées, mais les idoles récentes, rassembleuses et planificatrices, qui sans cesse menacent de nous ressaisir, changeant de formes, alors même que nous croyons en être délivrés.

Daniel Horowitz suit, ainsi, étape par étape, le déploiement de  l’œuvre de Leibowitz dans son exigeante démystification, sans jamais se laisser à la facilité de conclure. Nos préjugés en prennent pour leur grade ainsi que nos illusions moralisatrices; celle, par exemple qui voudrait voir dans les Commandements bibliques le fondement de la morale « humaniste ». Un commandement, nous rappelle Leibowitz, n’a, par définition, rien d’humain, ni rien de moral.

La pensée aiguë de Leibowitz, son intelligence perçante, comme on le dit d’un regard, fera ainsi du signe de de feu de l’Alliance non un nouveau conformisme, une nouvelle idolâtrie, mais cette voie vers l’absence de Dieu qui n’est pas un athéisme confortable, et moins encore un matérialisme vulgaire, mais l’expérience du vide le plus radical, – d’où naît finalement, en fiat lux, toute pensée.

Luc-Olivier d’Algange

 

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