Si un jour vous allez visiter le Yasukuni-jinja, ou sanctuaire Yasukuni 靖国神社 à Tokyo, parmi toutes les photographies des soldats tués lors de la Seconde Guerre mondiale, l’une devrait attirer votre attention. Celle d’un officier (capitaine) qui se nommait Ryo Kurusu. En effet ses traits sont loin d’être asiatiques mais tout à fait occidentaux. Traître ? Sûrement pas, c’est bien un soldat japonais d’origine japonaise qui combattit pour les armées de l’empereur.
C’est la vie de cet homme que romance Jean-François Kochanski dans Vents contraires à partir d’une importante documentation dont des pièces d’archives de sa famille.
Ryo りょう (dont le prénom occidental était Norman) est né d’un père diplomate et d’une mère, Alice, américaine. Son père, Saburo さぶろう, était alors consul du Japon à Chicago. Il poursuivra sa carrière jusqu’à devenir ambassadeur à Berlin (c’est lui qui au nom du Japon signera la Triple Alliance avec l’Allemagne et l’Italie), c’est lui qui est missionné par le ministre des affaires étrangères (à peu prêt le seul membre du gouvernement japonais d’alors à vouloir la paix) qui est envoyé aux États-Unis comme ministre plénipotentiaire exceptionnel pour renouer les relations entre les deux pays, la veille de Pearl Harbor. Tout cela lui valu d’être inquiété à la fin de la guerre, mais il fut vite dédouané.
De l’union d’Alice et de Saburo sont né deux filles et un fils. Quand ils étaient jeunes, les enfants suivirent leurs parents au gré des affectations de leur père. Mais, au-début de l’adolescence, Ryo, sous la responsabilité de son oncle paternel, est placé dans un pensionnat. Il y fait de bonnes études, et, au lieu de suivre la voie diplomatique comme son père, il poursuit des études d’ingénieur aéronautique, tout en suivant une formation d’officier. Lors de la guerre, il est versé dans l’aviation, d’abord comme « testeur » des nouveaux modèles d’avion, puis comme pilote d’un chasseur. Il est décédé officiellement au retour d’une mission où il avait été mortellement blessé. De fait, Il a été décapité par une hélice, ce qui est nettement moins glorieux.
Dans ce roman, Jean-François Kochanski montre toutes les difficultés pour Ryo à démontrer son appartenance à la société japonaise, très raciste, avec son physique d’occidental. Pour se faire, il doit être toujours le meilleur, le plus fort, le plus nationaliste. Pour autant, on perçoit un homme tourmenté par le choix de ses parents : pourquoi ont-ils voulu qu’il soit japonais et pas américain ? Pour autant, il n’opère aucune recherche sur la culture américaine issue de sa mère qui, par ailleurs a embrassé totalement la culture de son mari. En quelque sorte, en se mariant avec Saburo, elle a fait un trait définitif, sans aucun retour possible, sur son passé. Et c’est donc tout à fait naturel que les enfants soient élevés comme n’importe quel japonais. Même la guerre ne la fait pas hésiter sur son choix, et, par voie de conséquence, sur ceux de ses enfants, dont Ryo.
Soit, il regrette de devoir combattre ses potentiels cousins, mais il se bat pour le « Japon éternel », contre cet Occident qui a humilié l’Asie en général et le Japon en particulier et dont le but (fantasmé, mais nous sommes dans les années 30) est la destruction de sa culture et de son art de vivre.
Au-delà des difficultés de s’intégrer dans une société quand on ne correspond pas aux standards « physiques » de celle-ci, Vents contraires aborde un aspect de l’histoire bien peu connu chez nous.