Un si brûlant secret : la femme fatale reinventée
Un si brûlant secret, publié aux Éditions de la route de la soie, est le deuxième roman de Bernard Méaulle, qu’il place sous le signe de la féminité, renouvelant le mythe de la femme fatale qui transforme le tragique en une aventure du plaisir. L’auteur couche sur le papier la vie de Maria, meurtrie par une enfance difficile, celle-là même qui lui a donné le goût éperdu de la liberté. Par Marion Catalayoud.
Maria a tout de la séductrice et Bernard Méaulle sait en jouer : l’onomastique nous rappelle la Carmen de Prosper Mérimée ou la Concepcion (in La femme et le pantin, 1898) de Pierre Louys, à la différence près que notre personnage principal ne prend pas son jeune âge comme une arme éternelle ; Maria est l’Espagnole qui fascine, qui intimide, elle est la femme infidèle et pourtant sincère, forte et parfois docile, tantôt impertinente tantôt grave, cette femme de tous les paradoxes s’unifie sous le nom de Beauté.
Une séductrice née
On l’imagine sous ces traits : « Avec son strict chignon en forme de casque argenté civilisant, sa crinière de lionne et son regard translucide, elle ne laissait personne indifférent. […] Ils [les hommes] regardent avec avidité cette jeune femme brune, ses yeux vert d’eau, sa peau de miel, qui déambule sur les quais de Seine avec sa séduisante silhouette couronnée d’une folle crinière de jais ».
L’art de la description s’inspire de la littérature du XIXe siècle et s’inscrit dans le sillage du roman d’apprentissage où la physionomie, et en particulier le regard, sont au cœur de l’écriture qui rend grâce à l’admiration que le lecteur ne peut s’empêcher de vouer à l’héroïne contemporaine. Non seulement elle est une redoutable Vénus, mais elle l’est d’autant plus que son intellect doit prendre sa revanche sur le physique avantageux de Maria qui, déjà, doit venger son enfance.
Introspection et humour
Le tour de force de Méaulle est d’exposer la psychologie du personnage sans perdre le sel de la narration, c’est-à-dire de l’action. Le savant équilibre entre narration et description résulte d’un dispositif romanesque ingénieux : les chapitres du livre sont régis par un âge de la vie de Maria et l’intelligence de cette succession ne fait aucun doute.
En effet, chaque instant de vie, chaque événement éclairent les comportements de Maria, ses questionnements, ses choix, ses doutes, son devenir, sans pour autant tout laisser reposer sur le « secret » qui la constitue plus qu’il ne l’accable. La distance qui sépare les tranches de vie servent à mettre en perspective les amours vécues, les drames et les folies qui s’enchaînent avec le recul propre à la maturité. De facto, l’intérêt de cette lecture s’approche de celle que l’on porte aux Mémoires.
L’intimité déployée entre le lecteur et les personnages sont aussi le succès d’un narrateur qui ne juge pas et s’emploie souvent à un humour proche du burlesque, il écrit par exemple : « S’il existe un vibromasseur de l’âme, c’est celui-là [le travail de la respiration ventrale]. »
De plus, Méaulle donne à lire nombre d’aphorismes – ô combien risqués ! – mais qui réussissent chaque fois ; le fait est qu’ils sont étonnamment légers, loin de l’abstraction, toujours de circonstances, dans la mesure où l’esprit de sérieux ne correspond pas à l’auteur, lequel note malicieusement « l’élégance ne doit jamais sauter aux yeux. Celle de cette Espagnole étrange et hypnotique sautait à l’âme ». La plume de Méaulle est aussi chafouine que Maria, et le sourire du lecteur est de connivence : « La taquinerie est un ange déguisé en fille de joie. Une call-girl platonique. Qui vous taquine vous aime. Comment ne pas adorer une marchande d’amour qui ne demande pas d’argent ? »
Une passion sage : le chemin de la médiation
Autour des thèmes de la séduction, l’auteur élabore un récit sur fond de l’enseignement de Lanza del Vasto, philosophe et artiste italien, qui fut un disciple de Ghandi. Sa vie tout entière était tournée vers la paix, de cette sagesse Maria s’en est nourrie ; d’abord elle a vécu cette morale comme liant avec un homme de cœur, ensuite comme un perpétuel émerveillement. À travers cette formation spirituelle, les questions existentielles prennent une autre forme et se chargent d’une profondeur pure de n’être pas entravées par la colère d’un être qui a vécu.
In fine, Un si brûlant secret fait le pari d’inspirations multiples couplées d’une forme romanesque originale qui font la part belle à un personnage féminin éminemment actuel qui au terme de sa vie se demande, sans regret toutefois, « pourquoi ai-je cru plus dans le désir plus que dans l’amour ? »