Francine Keiser, créatrice de Francini_K, expose sa vision du vêtement dans Entreprendre

Ce que nos vêtements révèlent de nous

J’ai rencontré Francine Keiser par deux fois. Une première fois pour discuter de son entreprise et de l’opportunité, à l’âge mûr, de changer de direction professionnelle. Francine Keiser étant devenu styliste, et créatrice de mode, j’ai jugé bon cependant, de l’interroger aussi, en cette rentrée, sur le style, l’allure des femmes, le bon goût, la féminité, ce que l’élégance et la beauté ont encore de fascinant dans société actuelle. Entretien avec Francine Keiser.

Marc Alpozzo : « La fripe c’est la peau, la prothèse, la personnalité, la transfusion, la greffe, le greffon, ce que j’admire et que je peux prendre chez l’autre. Il suffit d’un rien parfois pour changer : un cartable, une robe de la haute, un sac, une coiffure, une bataille de mèches pour refléter l’élégance, l’intelligence, la sensibilité, les faiblesses même, celles que l’on cache ou celles que l’on veut bien montrer. » (Christine Orban, Fringues, Albin Michel, 2002) Pourriez-vous nous dérouler votre rapport aux vêtements ? Au fond, avec Francini_K, avez-vous créé les vêtements que vous auriez toujours rêvé de porter ?

Francine Keiser : J’ai toujours pris plaisir à m’habiller. J’aimais créer mon style, me donner une allure. Tout en ayant des responsabilités professionnelles importantes, j’avais envie de tenues féminines, colorées, dynamiques. Je voulais être originale tout en restant classique. En plus, j’avais besoin d’être confortable tout au long de mes interminables journées. Pas facile de réunir tous ces critères. Aujourd’hui, l’inspiration de mes créations est la synthèse de tous ces critères, la quête de la beauté et la mise en valeur de la femme active. Chaque femme est différente quant à sa morphologie et quant à son tempérament. Il existe une infinité de styles. Et chaque femme peut se mettre en valeur. En commençant ce métier et en entrant en contact avec mes clientes, j’étais étonnée de voir combien de femmes ne veulent pas se mettre en valeur et refusent de porter des vêtements élégants parce qu’elles ne se trouvent pas (ou plus) assez belles. Je me vois une véritable mission à rendre conscience aux femmes qu’elles sont belles et qu’elles peuvent être rayonnantes à tout âge.

Francine Keiser

« Le paraître est du côté de la civilisation. C’est le moins qu’il puisse faire, puisque c’est lui qui l’a créée. L’homme est sorti de la barbarie le jour où il a commencé à se soucier du regard de l’autre sur lui, et de l’opinion qu’on pouvait entretenir à son sujet, en face. » (Renaud Camus, Éloge du paraître, POL, 2000). Êtes-vous davantage attachée à l’esthétique ou au confort d’un vêtement ?

L’habillement est évidemment un phénomène social. La mode féminine a dû s’adapter au statut des femmes dans la société. Je crée des vêtements pour des femmes actives. Les femmes ne doivent pas choisir entre élégance ou confort. Je crée des vêtements pour des femmes qui veulent rayonner tout au long de la journée, qu’elles aient des responsabilités professionnelles ou familiales, qu’elles soient en voyage, au bureau ou à une soirée. Des femmes qui se respectent et qui veulent être respectées. Je crée des vêtements structurés qui résistent aux périples de la journée.

Où puisez-vous l’inspiration ? Quels sont les créateurs qui vous inspirent ?

Mes collections sont inspirées des années 60, la période pendant laquelle je suis née. Je pense qu’on est imprégné par les influences qu’on subit très jeune. Quand j’étais petite, j’adorais regarder les magazines de haute couture. Cela me faisait rêver. Cela a forgé mon sens de la beauté. Inconsciemment le style des années 60, les mini-jupes, les formes géométriques, les empiècements techniques, les couleurs fortes se glissent dans mes créations. Mais évidemment tout le vécu se reflète dans les créations d’un artiste. Plus on voyage, plus on est ouvert d’esprit, plus on a d’inspirations diverses. Mes idoles sont les créateurs des années 60 : André Courrèges, Pierre Cardin, Paco Rabanne. Ils prônaient l’émancipation et la liberté des femmes. Leurs créations incarnaient la femme active, dynamique et sportive. Ils étaient avant-gardistes, mais les valeurs qu’ils défendaient restent d’actualité aujourd’hui.

On note chez Francini_K la singularité et l’originalité de certaines matières et aussi de grandes audaces comme vos spectaculaires chapeaux ou vos vestes à ailes de papillon. Qu’incarne le papillon pour vous ?  Est-ce une représentation de l’éternel féminin ?

Le papillon est omniprésent dans mes collections – et d’ailleurs dans le logo de la marque. Le papillon est l’incarnation de la beauté, des couleurs, de la liberté et de la joie…tout ce que je veux transmettre par mes créations. En plus, le papillon symbolise la métamorphose. La chenille passe par la chrysalide et sort en toute beauté de son cocon. C’est l’envol. Cette symbolique reflète parfaitement la transformation que j’ai subie en me convertissant de mon métier d’avocate à celui de créatrice de mode.

Vous revenez de la Fashion Week de New-York, qu’est-ce qui vous a le plus surprise là-bas ? Les gens de la mode ouvrent-ils leurs cœurs plus facilement que dans le milieu de la finance ?

C’est vrai qu’au premier moment, en arrivant à la Fashion Week, je me sentais étrangère, différente des autres, peut-être plus « normale » que beaucoup d’entre eux, n’ayant pas les cheveux mauves ni des semelles de 12cm, des collants volontairement cassés ou des faux cils exagérés. Mais c’est en effet ce qui me plaît beaucoup dans ce monde. Bien que les créateurs soient tous très différents, qu’ils aient des looks très variés et créent pour des gens tous singuliers, nous sommes quelque part, dans notre âme, tous pareils, nous constituons une communauté, nous partageons le même plaisir de créer, nous sommes artistes, nous nous comprenons, nous nous entraidons. Finalement, que ce soit dans la mode, dans la finance ou ailleurs, nous sommes tous des humains et nous sommes responsables de la qualité des relations que nous construisons.  J’ai toujours mis l’accent sur le côté humain dans mes relations de travail et on récolte toujours ce que l’on sème.

Que pensez-vous de certains accoutrements : un créateur a-t-il besoin de provocations pour imprimer sa marque, que les gens retiennent son nom ?

La provocation peut faire remarquer, mais ne suffit pas à elle seule pour que les gens l’adoptent. Les gens doivent pouvoir s’identifier avec une marque.

« La fripe, c’est la part de re-création qui est offerte, pour cela d’abord les vêtements m’émeuvent. Je lis sur les fringues comme d’autres dans le marc de café, je compare, théorise, réfléchis. Je préfère un bustier de la haute sur une femme moche qu’un top Kookaï sur une belle. Le chic et le charme s’achètent. Voilà la vraie justice. Les fringues comme les mouchoirs de papier sèchent les larmes ». (Christine Orban, Fringues, Albin Michel, 2002). Êtes-vous d’accord avec la romancière française ?

Je vénère la beauté et l’élégance. Ce sont des valeurs indispensables dans notre société. La quête de la beauté existe depuis toujours dans toutes les cultures. Mais la beauté, le charme et l’élégance ne s’achètent pas. Beauté et charme ne sont pas synonymes de luxe. L’élégance n’est pas une question de prix.  L’élégance est une attitude. Personne ne l’a aussi bien décrit que Coco Chanel en affirmant que « l’élégance c’est quand l’intérieur est aussi beau que l’extérieur ». Le plus beau vêtement ne peut embellir une personne qui se sent mal dans en son for intérieur, qui est malveillante, mécontente ou hésitante. Les achats de fringues ne réparent pas non plus les frustrations. On ne peut sécher ses larmes qu’en trouvant sa paix intérieure. Ensuite le charme et l’élégance s’installent tout seul.

Que révèle notre souci vestimentaire sur le plan du respect de soi ? Est-ce plutôt un respect des autres Thorstein Veblen écrivait dans Théorie de la classe de loisir : « Le besoin d’habillement est éminemment un besoin supérieur et spirituel. »[1]

L’élégance et la beauté ont des effets psychologiques sur nous et sur les gens que nous fréquentons. Elles constituent en effet une des clés de notre réussite personnelle. D’abord il s’agit du respect de soi. Je reviens à l’affirmation que l’élégance est une attitude. C’est une question d’amour-propre, d’être en harmonie avec soi-même, d’admettre qu’on le vaut bien. Ensuite, le respect de vous-même vous apporte le respect des autres. Si vous vous vous aimez et vous vous mettez en valeur, vous rayonnez et vous attirez les autres. Une attitude élégante fait que les gens vous remarquent, vous respectent, vous adorent, vous suivent et ne vous oublient plus. 

Quel serait votre rêve pour Francini K ? Que la marque vous survive ?

C’est un combat intérieur difficile entre la nécessité commerciale et le désir de faire ce qu’on a vraiment envie de faire, c’est-à-dire rêver, imaginer, laisser libre cours à ses inspirations et créer dans son petit atelier. Bien sûr l’idée de devenir – peut-être – un jour célèbre et que ma marque me survive, m’effleure parfois.  Mais l’activité créative requiert une certaine distance à cela. Ainsi beaucoup d’artistes sont morts pauvres et sont devenus célèbres seulement après leur mort.

On dit que l’art est pionnier des grandes révolutions de la société, la mode est évidemment concernée, peut-elle faire évoluer la tolérance ?

La mode devance de nombreux mouvements sociaux, tels que l’émancipation de la femme ou le mouvement LGBTQIA+. C’est un rôle que la mode peut et doit jouer. La mode est un moyen qui arrive à toucher et à regrouper énormément de monde, au-delà des frontières géographiques et politiques. Il est important que chacun reste libre de décider de la tenue vestimentaire qui correspond à sa personnalité.  C’est une liberté d’expression. Lors de la journée internationale de la femme, je voyais beaucoup de messages sur les réseaux sociaux qui rappelaient le droit des femmes de porter des mini-jupes. Il est en effet triste qu’il reste nécessaire de le rappeler.

Nos sociétés étant multiculturelles, et chaque être humain étant unique, croyez-vous saine l’uniformisation des tenues, ou bien chaque catégorie de femmes doit-elle porter les vêtements qui lui ressemblent vraiment ? Peut-il exister une universalité de vêtements ?

Chacun doit développer son propre style qui correspond à sa personnalité, au lieu de suivre aveuglement des tendances éphémères. A part les considérations écologiques (les vêtements trop tendance sont généralement le produit de la fast fashion) un style personnel va de pair avec charisme et personnalité.

À travers votre ligne de vêtements, y a-t-il des valeurs que vous aimeriez transmettre ? Francini_K a-t-elle le souci écologique ? Des engagements humanistes ?

Bien sûr. Tout d’abord, je suis une adepte de la slow fashion. La longévité des vêtements Francini_K est garantie par leur style classique et les tissus de qualité. Pour les matières techniques, j’essaie de trouver des matières recyclées. Et la production en Europe garantit des rémunérations justes et des acheminements raccourcis. J’ai eu l’occasion de travailler avec des réfugiées. Cela me fait chaud au cœur de les voir heureuses de pouvoir contribuer à mon projet d’entreprise. Dans la mesure du possible j’emploie aussi des stagiaires. L’avis des jeunes m’importe beaucoup. C’est important de donner une chance à d’autres de se développer, surtout dans un domaine qui peut paraître assez intangible aux jeunes.

Propos recueillis par Marc Alpozzo


[1] Cité en épigraphe de Fringues par Christine Orban.

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