Caractère le 19.11

Télégrammes

La rédaction, Caractère, le 19/11/2007 à 10h00
Le premier salon des éditeurs indépendants du Quartier latin
Parallèlement à l’implantation des villages d’hiver sur la place Saint-Sulpice (Paris VIe) pendant le mois de décembre, la mairie accueille dans ses murs, fin novembre, le premier salon des éditeurs indépendants du Quartier latin. Organisé à l’initiative de Brigitte Peltier (éditions Pippa), il réunira près d’une soixantaine de participants dont Alain Baudry, Bernard Dumerchez, Baudoin Jannink, l’atelier de la Cerisaie/éditions Persepolis avec le typographe Michael Caine, les éditions des Cendres, ou encore La Délirante et Odile Jacob. Dans le cadre de la journée professionnelle seront présents le vendredi la graphiste Martine Fichter, qui animera un atelier maquette, le metteur en pages Christian Millet, ou encore Rémi Amar de la nouvelle structure de distribution (Calibre mise en place par le SNE pour les petits éditeurs). L’avocate Valéry Montourcy animera une conférence (vendredi à 11h et samedi à 14h) sur les questions d’édition, notamment le droit à l’image et la liberté d’expression.

Le salon est ouvert du jeudi 29 novembre au dimanche 2 décembre ; entrée libre de 11h à 18h ; jeudi jusqu’à 21h, dimanche ouverture à partir de 14h. Pour tous renseignements : www.pippa.fr ou www.mairie6.paris.fr .

Shari Benstock (« Femmes de la rive gauche ») a écrit dans le catalogue des trente ans des éditions Des femmes

benstock3a.jpgMon expérience avec les Editions Des femmes a représenté un des moments les plus importants de mon travail littéraire. Les échanges intellectuels et les engagements avec des écrivains et des critiques français ont été déterminants pour mon propre développement. La maison d’édition, qui a touché tant d’écrivains et de lecteurs, touchera aussi les jeunes générations.
Merci pour tout ce que vous avez fait, notamment en donnant une dimension internationale à la communauté des femmes écrivains. Vous nous avez honorées comme collègues et amies.

S.B.

Marche de Silence et de Lumière pour Aung San Suu Kyi, samedi 17 novembre, 18 h, Parvis du Trocadéro

APPEL DE L’ALLIANCE DES FEMMES POUR LA DEMOCRATIE – ANTOINETTE FOUQUE :

Comité de Soutien au peuple birman
marchebirmane@yahoo.fr
c/o Buddhachannel
206, rue La Fayette
75010 Paris

GRANDE MARCHE DE SILENCE ET DE LUMIERE

Face à la situation inquiétante en Birmanie,
face aux exactions de l’armée,
face au silence médiatique imposé par la junte,
face aux incertitudes actuelles,
un comité de soutien au peuple birman s’est constitué.

Ce comité de soutien
animé par des valeurs pacifistes et humanistes
souhaite que la situation politique en Birmanie s’apaise et change,
que les moines ne soient plus pris en otages,
que le peuple puisse retrouver sa sérénité,
dans le respect des droits fondamentaux.

Nous ici rassemblés comme membres de ce comité
appelons à une grande Marche de Silence et de Lumière

SAMEDI 17 NOVEMBRE 2007 A 18 HEURES, PARVIS DU TROCADERO

pour que le peuple de Birmanie retrouve un climat de Paix,
pour que les souffrances de tous les protagonistes s’effacent.

Passons de l’ombre à la mulière
en apportant chacun une bougie
pour raviver la flamme de l’espoir.

N’OUBLIONS PAS LA BIRMANIE

« Ce n’est pas le pouvoir qui corrompt, mais la peur: la peur n’est pas l’état naturel de l’homme civilisé. »

Mme Aung San Suu Kyi

(diplômée d’Oxford en philosophie, sciences politiques et économiques, a recu en 1990 le prix Thorolf Rafto pour la défense des droits de l’homme et le prix Sakharov pour la liberté de la pensée décerné par le parlement européen. Prix nobel de la Paix en 1991)

le comité de soutien de la Birmanie, coordonné par BuddhaChannel TV, info Birmanie, et l’Alliance des Femmes.

vous invite à une marche silencieuse en hommage au peuple Birman.

le samedi 17 novembre 2007 à partir de 18h Parvis du TROCADERO

Métro : Trocadéro (ligne 6 & 9) tel 06 21 20 18 15 – 06 20 48 01 41

pour ceux qui souhaitent figurer sur la liste du comité de soutien
envoyer un mail à: marchebirmane@yahoo.fr

Bien à vous,

Jean Bernard Chardel Beaufort des Champs
www.jbchardel-art.com

Antoinette Fouque sélectionnée pour Empreintes, collection de prestige

Empreintes http://www.france5.fr/empreintes/

Longtemps on hésite, on doute, et l’enthousiasme l’emporte, on l’annonce :
une collection de 120 documentaires, 120 fois 52 minutes, un par semaine pendant quatre années.

Les projets arrivent, les listes s’allongent :
une femme, un homme, un écrivain, un scientifique, un historien, un sportif, une personnalité politique…

On discute, on sélectionne, on s’enflamme, on n’élimine jamais, on respecte. Les auteurs sont au rendez-vous, les producteurs aussi. Un formidable élan fait suite aux hésitations, aux critiques. Les tournages commencent, l’aventure est lancée.

Empreintes sera
sur France 5 à la rentrée 2007.

Philippe Vilamitjana,
Directeur de l’antenne
et des programmes de France 5
Collection Empreintes, mode d’emploi
Une collection de 120 documentaires de 52′
Co-produits par France 5 sur 4 ans (30 documentaires coproduits par an)
diffusés dans une case hebdomadaire identifiée à partir de septembre 2007

Le concept de la collection « Empreintes »
Ils sont ceux qui laisseront leur empreinte sur notre époque. Personnalités françaises, elles appartiennent aux mondes des arts, de la culture, des sciences, du spectacle, du sport, du monde politique ou de la société civile… Connues du public pour leur action, leur engagement, leur production, elles sont, aujourd’hui, à un moment de leur vie où elles sont prêtes à transmettre au plus grand nombre le fruit de leur expérience et leur vision du monde. C’est cette parole généreuse, cette expérience partagée que la collection  » Empreintes » va offrir au public à travers chaque documentaire de 52′.

Chaque documentaire sera centré sur une personnalité. Il évoquera son apport à notre époque à travers, bien sûr, la rencontre, mais aussi à travers des images d’archives qu’elles soient publiques ou personnelles. Chacune de ces personnalités nous racontera le ou les événements qui ont été constitutifs de sa trajectoire, ces événements qui l’ont déterminé à être ce qu’elle est, et qui l’ont amené à agir comme elle l’a fait et à produire ce qu’elle a produit. Une parole donnée qui s’adressera autant aux néophytes qu’aux initiés.

Ni portrait, ni biographie, chaque documentaire sera un tête à tête avec le téléspectateur, une rencontre intime. Au sortir de cette rencontre, le téléspectateur aura eu accès aux éléments biographiques, aux événements historiques qui ont amené la personnalité à devenir ce qu’elle est devenue, pour marquer de son  » empreinte  » notre époque. Ceci implique une adhésion forte de la personnalité au principe de la collection. Pourtant, le documentaire ne devra pas avoir de caractère introspectif mais, au contraire, être dans la générosité du partage du vécu et du regard personnel porté sur le monde d’aujourd’hui pour nous éclairer sur son avenir.

Le mode de sélection
La liste des 120 documentaires n’est pas pré-établie.
La collection est ouverte à tous les producteurs et auteurs
Les projets sont à adresser au pôle documentaire de France 5. iIs doivent comporter :
Le nom de la personnalité et son accord
Un projet éditorial et une intention d’écriture et de réalisation
Le ou les auteurs et réalisateurs associés au projet
Un comité éditorial formé des responsables de l’antenne de France 5 et d’Annick Cojean, directrice de la collection, se réunira régulièrement pour sélectionner les projets.
La sélection de France 5 s’ effectuera tout autant en fonction du choix de la personnalité que de la singularité du projet

Le documentaire
La personnalité centrale du film est le seul intervenant.
La rencontre se déroulera dans plusieurs lieux et non sur un plateau.
Des séquences de vie, des séquences dans l’intimité de la personnalité, renforçant le propos du film, s’ajouteront aux séquences d’interview.
Chaque film rendra compte des moments clés – événements historiques ou intimes – qui ont influencé la trajectoire de la personnalité rencontrée
Les archives publiques, privées ou personnelles doivent représenter environ 20′ du film.
Le documentaire privilégiera la parole de l’invité mais pourra intégrer si nécessaire, des éléments de commentaire
Le nom de la personnalité devra obligatoirement faire partie du titre du documentaire

Les moyens
Chaque documentaire sera co-produit par France 5
Tournage et finalisation du documentaire en HD
Livraison d’un master HD
Droits demandés par la chaîne :
3 multidiffusions sur 5 ans
Exclusivité sur la France
Modalités d’exploitation commerciale et partage des RNPP à négocier
VOD

La collection
Un générique de collection identifiera la case de diffusion. (générique début, présentation, plateau de fin, générique de fin)
Chaque documentaire sera présenté. Cette introduction fera partie intégrante du programme.
Durée du programme 55′ ( durée du documentaire 52′)
Chaque personnalité se prêtera au jeu du portrait photo ainsi qu’au moulage de sa main et donnera son accord de principe sur la publication de l’entretien.

Fadéla M’Rabet, écrivaine algérienne rêveuse et rebelle par Eveline caduc dans ALGERIE LITTERATURE ACTION, publication du MARSA, n°109 – 110

Fadéla M’Rabet, écrivaine algérienne rêveuse et rebelle

Par Eveline Caduc

Eveline Caduc est née en Algérie où elle a vécu jusqu’en 1960. Professeure de littérature contemporaine à l’Université de Nice-Sophia Antipolis, elle a quitté ses fonctions en 2002 pour se consacrer à l’écriture de fiction. Après Saint-John Perse, connaissance et création, un essai de poétique paru chez José Corti en 1977, et diverses études sur Proust, Céline, Camus et des poètes contemporains de langue française à l’enseigne de Stratégies du déséquilibre, elle publie en 2004 un recueil de nouvelles intitulé Un et un égale un aux éditions du GREF, à Toronto. En septembre 2006, La Maison des chacals, son roman historique sur la Guerre d’Algérie, est publié aux éditions du Rocher.

Un livre (« Une Enfance singulière », Editions Balland, 2003 * « Une femme d’ici et d’ailleurs », « La liberté est son pays », Editions de l’aube, 2005 * « Le Chat aux yeux d’or », Une illusion algérienne, Editions Des femmes – Antoinette Fouque, 2006) chaque fois en lieu et place d’un tombeau.

debout contre la mort, celle qui dit « je » redonne vie à la forme sous le drap. Dans les premières pages d' »Une Enfance singulière », elle restitue le rire de Djedda, sa grand-mère, « malicieuse jusqu’au bout, Djedda, tu réussis à être toujours au centre de ma joie ».

Et c’est le sourire de Nana, la si légère, qu’elle fait revivre dans « Le Chat aux yeux d’or ».

Elle est debout celle qui dit « je » – Fadéla M’Rabet – et elle écrit pour témoigner de ce qu’ont été ces femmes, de ce qu’elles ont donné à l’enfant qu’elle fut, à tous les enfants, frères et soeurs, cousines et cousins de la grande famille abritée dans la maison de Skikda.

Rêveuse et rebelle à la fois, elle écrit pour dire une vie de femme, mais la sienne aussi entretissée de leur histoire, et construite dans leur sillage ou dans la lutte contre leur condition.
Au gré de ses associations d’images, elle y déroule sur trois modes – la poésie, l’analyse ou la diatribe – les fils de ce qui pourrait être une autobiographie d’éternelle insoumise.
La poésie : une promenade rêveuse dans les lieux de son enfance sous la protection de Djadda, « déesse tutélaire de la tribu. Telles ces divinités du Maghreb qu’a supplantées le Dieu unique et masculin de l’Islam ». (« Une Enfance singulière »)
L’analyse : issue des voyages de par le monde en Afrique, en Asie – souvent aussi en France – d’une femme d' »ici et d’ailleurs ».
La diatribe : un témoignage sur la femme algérienne et sur toutes celles qui vivent sous la loi des hommes dans les sociétés musulmanes.

D’un bout à l’autre, le « je » mène la danse des souvenirs, des commentaires sur le présent ou des rêves d’avenir, mais la narratrice a plusieurs voix et, partant, plusieurs modes d’expression qui font les différentes tonalités d’une écriture toujours sobre d’effets où la forme brève semble privilégiée.

C’est d’abord la poésie de l’éloge, celle de l’enfant sensible à la beauté du monde au petit matin, lovée dans la chaleur des bras de femme, de sa grand-mère Djedda, ou de sa mère Yemma, ou de sa tante Nana, une autre figure de mère. C’est au jardin, aux terrasses ou aux cuisines, toute la poésie sensuelle des fragances de la fleur d’oranger, du jasmin, ou du café, de l’anis ou de la coriandre. Dans les clartés tournantes des robes longues, des foulards de couleur, du khôl ou du henné, dans le cliquetis sans fin des bracelets d’or ou des anneaux de pieds, l’éloge se déploie « pour fêter une enfance » (l’expression est empruntée au titre d’un poème de Saint-John Perse) dans la maison haute, toutes portes ouvertes sous le signe de Djedda, la qâabla, « grande prêtresse, déesse de la maternité et de la vie », « très belle et très pulpeuse », toujours « maîtresse de son corps », « irradiée de joie et de santé », « équilibrée et rayonnante d’amour » pour ses enfants et les enfants de ses enfants.
Et c’est ainsi que toute une part de l’oeuvre de Fadéla M’Rabet constitue un chant en l’honneur de la femme, généreuse et épanouie comme Djedda, ou douce et lumineuse comme Nana « au regard d’ailleurs », toujours « tourné vers l’intérieur », et « qui était au monde pour les autres ».

Mais Fadéla M’Rabet fait aussi l’éloge d’un homme lorsqu’il témoigne de sagesse et d’ouverture d’esprit : tel de ses oncles mais surtout Baba, son père, ancien élève de la Zitouna de Tunis, ami de Ben Badis et passeur d’un « Coran humaniste et universaliste qui n’est jamais entré en conflit avec l’enseignement (…) à l’école française ». Baba que le colonialisme avait acculé au commerce parce que les lettres arabes, ses lettres de noblesse, n’avaient pas cours dans l’Algérie colonisée.

Baba qui dissimulait son mépris de l’interlocuteur sous un humour si brillant qu’on oubliait son insolence. Elle fait aussi l’éloge d’un de ses cousins, Wahib, personnalité lumineuse à qui est dédié « Une femme d’ici et d’ailleurs ». Wahib, grand amateur de poésie française et dont elle dit : « Rimbaud ne quittait pas ses poches. René Char, Saint-John Perse non plus ». Enfin dans la lumière de Beni Abbès, elle fait l’éloge de celui qui deviendra Tarik pour l’opéra du mariage :

« La lumière, l’espace, l’allégresse provoquée par la chaleur, donnent un sentiment d’éternité et de plénitude. Chaque parcelle de l’oasis est une source de lumière, une lumière qui lie, fusionne les formes et couleurs, les êtres et les choses, de proche en proche, unit le ciel et la terre.
J’étais le grain de sable, la rose des sables, la gazelle, l’étoile. Je n’avais plus aucun désir, sauf l’envie que rien ne bouge, puisque plus rien ne me manquait ».

Et c’est à chaque fois l’éloge de l’intelligence lumineuse, de la générosité, de l’ouverture aux autres qui rétablissent l’harmonie rompue dans le monde de l’enfance, le cercle de famille ou la relation à deux en permettant à chacun d’être soi-même.

« Il y a la haine de soi parce qu’on lui a inculqué la haine du sexe. En même temps, on lui a donné une éducation machiste, qui glorifie la force, la virilité. La virilité, pour la plupart des hommes, c’est le sexe. Dans ce contexte de machisme et de haine du sexe, la sexualité n’est pas une activité ludique. Le sexe, c’est la guerre, où le mâle impose sa loi à plus faible que lui. Il se comporte comme un violeur de guerre. Il va vers la fille comme il va à la guerre. Pour nier l’autre, pour l’avilir, pour le détruire, pour le tuer. Et par l’intermédiaire de la femme, il piétine ainsi toute sa famille, toute sa tribu. Dans sa jubilation, les sentiments de sa partenaire ne comptent pas. Elle n’est que le lieu d’assouvissement jubilatoire de ses pulsions de destruction, de haine. » (« Une femme d’ici et d’ailleurs », p.56 57

Phrases brèves, expressions frappantes, oppositions rapides, comparaisons afficaces concourent à imposer la conclusion de l’analyse : la nécessité de constituer un système de défense à l’échelle de la société tout entière.

Mais Fadéla M’Rabet est trop passionnée pour continuer longtemps sur le mode de l’analyse psycho-sociologique. Sous la forme d’une vive diatribe contre l’homme de toutes les sociétés musulmanes (au Mali, en Syrie, en Iran, en Algérie, ou ailleurs) qui cherche, si ce n’est à détruire, du moins à asservir la femme par toutes sortes de procédés humiliants (injures, coups, excisions, enfermement ou autres ensevelissements sous voiles) elle prend la défense de la femme et l’appelle à la révolte au nom de sa dignité et de son authenticité.

Anecdotes significatives narrées sous forme paratactique dans des phrases brèves, réparties immédiates et impitoyables pour une conclusion, celle de Djedda, « qui m’a montré que la vie est plus importante que les hommes » (« Une Enfance singulière », p.116)

Tandis que sur un autre versant, Nana, la douce, indulgente à l’homme bon comme à tous les enfants, continue de briller comme une étoile dans la nuit, image de l’Algérie aimée et souffrante. Comme cette Nedjma dont elle a les deux lettres : initiale et finale. A son chevet veille le chat aux yeux d’or : ne serait-ce donc qu' »une illusion algérienne » ?

Fadéla sur www.elwatan.com (15.11.07) par Benaouda Lebdaï

Benaoudahttp://www.elwatan.com/spip.php?page=article&id_article=80608&var_recherche=fad%25C3%25A9la

Fadéla M’Rabet (Écrivaine)
« Me taire m’aurait demandé du courage »
Considérée comme la première féministe algérienne, elle continue par l’écriture à arpentersa mémoire et affirmer ses convictions.

Après les années 1960-1970, en Algérie, vous êtes restée longtemps silencieuse.
J’ai été interdite de radio, de presse, d’université. Caricaturée ignoblement à la une des journaux, traitée d’aventurière à la solde de l’étranger. Sans soutien des intellectuels de l’époque, ni des organisations féminines (Ndlr : il n’existait alors que l’UNFA, dépendante du parti FLN) qui militaient pour la libération de l’Angola et du Mozambique, mais pas pour celle de la femme algérienne.
Quand avez-vous quitté l’Algérie ?
En juillet 1971. Tous mes diplômes étant français, j’ai obtenu très rapidement un poste d’assistante à la Faculté de médecine de Paris.
Et l’écriture ?
Pendant mes vacances, je faisais des reportages avec mon mari Tarik Maschino pour Le Monde diplomatique. Invitée dans les congrès internationaux, je continuai à dénoncer la condition de la femme algérienne. Dans ce combat, je me retrouvais seule Algérienne, mais toujours soutenue par des Tunisiennes, des Marocaines, remarquables d’intelligence et de culture. Il arrivait qu’une Algérienne sous influence vienne m’insulter en public.
Seule ?
En effet, pendant au moins vingt ans, j’ai mené mon combat dans une totale solitude du côté algérien, même si j’ai eu l’affection de mes élèves et de mes lecteurs. La relève s’est faite avec des jeunes femmes très courageuses à partir des années 1980.
Depuis, quel regard avait vous porté sur l’Algérie ?
Mon analyse n’a pas changé. Elle est toute entière dans La Femme algérienne , Les Algériennes et L’Algérie des illusions. La situation de la femme comme celle de l’homme tient à l’absence de démocratie. Leur situation ne doit rien à une particularité culturelle. Sa cause réside essentiellement dans la structure patriarcale de la société. Il n’est pas une seule religion qui ait favorisé, dans ce type de société, l’égalité des hommes et des femmes. En détruisant le système patriarcal, la bourgeoisie européenne a libéré, en grande partie les femmes. Accuser l’Islam, c’est prendre l’effet pour la cause. Je déplais à beaucoup de féministes d’ici (interview réalisée à Angers) et d’ailleurs quand je déclare que j’ai beaucoup de tendresse pour le prophète Mohammed.
Qu’entendez-vous par tendresse ?
Oui, j’ai beaucoup de tendresse pour cet homme qui, à l’époque où la femme n’était rien, lui a donné une personnalité juridique. A l’avant-garde de son temps, il lui a octroyé un statut supérieur à celui de la femme juive ou chrétienne. C’était, au VIIe siècle, une avancée considérable. Dérision, ses prétendus héritiers imitent servilement ce qu’il a établi au VIIe siècle. Au lieu de répéter l’histoire, ils devraient se tourner résolument vers des horizons encore inexplorés, comme le prophète en son temps, qui n’est plus notre temps. Ils devraient s’inspirer de son esprit de fondateur, de précurseur, de révolutionnaire. Le prophète a éduqué des tribus de bédouins incultes, non pas en les flattant, mais en leur donnant un art de vivre adapté à leur époque. Il a réussi, à force d’intelligence, de courage, d’amour, à les unir, à les éduquer et à jeter les bases d’une civilisation fabuleuse. Une civilisation qui n’est plus qu’un souvenir dans le monde arabe à cause d’une absence de volonté politique, et parce que les dirigeants de ces pays non seulement n’aiment pas leurs peuples, mais n’ont que mépris pour eux.
Vous êtes réapparue dans le champ éditorial avec Une Femme d’ici et d’ailleurs. Comment avez-vous repris votre plume ?
Le livre a été publié en 2005. J’ai recommencé à écrire sur l’Algérie dès que j’ai cessé mon activité hospitalo-universitaire. J’ai publié Une Enfance singulière en 2003. Ce livre, que j’avais en moi depuis toujours, je l’ai écrit pour que le monde de mon enfance ne meurt pas. La mort reste pour moi inacceptable, celle des êtres comme celle des peuples. Je voulais que ces femmes et ces hommes magnifiques, qui ont peuplé mon enfance, laissent une trace, ne serait-ce que dans une bibliothèque à Alger, Tunis, Rabat, Paris, parce que mes premiers ouvrages, je les ai trouvés dans les bibliothèques universitaires partout dans le monde.
Un besoin et un désir nécessaire ?
Effectivement, ces hommes et ces femmes m’ont faite autant que mes études en me donnant un modèle humaniste universaliste. C’est la raison pour laquelle des lecteurs de toutes origines se retrouvent dans mon enfance, Français, Italiens, Allemands, Russes… Ils retrouvent la figure du père, de la mère, de la grand-mère. Cette reconnaissance est ma plus grande gratification.
Vous êtes une scientifique. D’où vous vient ce désir d’écrire, et bien car dans vos derniers ouvrages, j’ai décelé de belles évocations poétiques ?
J’ai toujours hésité entre sciences humaines et sciences fondamentales. J’ai eu deux bacs, scientifique et philo. J’ai opté finalement pour une carrière scientifique parce que je voulais des certitudes que ne m’apportaient pas les Lettres. Je pensais enfin que les sciences biologiques seraient plus utiles à mon pays que la poésie. Je ne regrette pas mon choix. La biologie me sert plus dans la vie quotidienne que la littérature.
Revenons à votre premier ouvrage, La Femme algérienne. Etait-ce une nécessité de vouloir parler au nom des autres ?
J’ai écrit La Femme algérienne et Les Algériennes d’abord pour dénoncer ce crime contre l’innocence : le mariage forcé de petites filles qu’on retirait de l’école pour les marier, souvent à des hommes beaucoup plus âgés. Beaucoup d’entre elles se sont suicidées pour échapper à ce véritable viol. Comment pouvait-on parler de valeurs arabo-islamiques, alors que les trottoirs d’Alger étaient pleins de femmes répudiées, jetées avec leurs enfants hors du domicile conjugal ? On les retrouvait avec de toutes jeunes filles séduites et abandonnées, dans des bordels autogérés. Ne pas dénoncer cette barbarie, c’était être complice de malfaiteurs, c’était ne pas porter assistance à personne en danger. Jusqu’à présent, je ne vois pas d’héroïsme à ce que j’ai fait. C’était me taire qui m’aurait demandé du courage.
Il y a autre chose dans cet ouvrage, une critique globale de la société algérienne, toujours d’actualité, du reste ?
Oui, je n’ai pas seulement dénoncé la barbarie contre des enfants, et les femmes, j’ai dénoncé aussi l’absence de démocratie. Si la femme restait un sous-être humain, l’homme n’était pas un citoyen sous ce régime qui se prétendait démocratique et populaire.
Avez-vous été réduite au silence durant ces années ?
Personne ne m’a jamais menacée. Mais, pendant dix ans, l’ambassade d’Algérie à Paris a refusé de me renouveler mes papiers. Je les ai obtenus seulement à l’époque de Chadli et je ne me suis jamais autocensurée. Je parle quand j’en éprouve le besoin et quand on veut bien me donner la parole.
Vous avez aussi écrit sur les maliennes.
Dans Une Femme d’ici et d’ailleurs, j’ai décrit tout simplement la magie de la rue africaine bigarrée, sensuelle, joyeuse, contrastant avec l’austérité, la tristesse de la foule algérienne. J’ai dit mon éblouissement devant la beauté des Africains, leur générosité et leur absence d’agressivité.
Pourquoi le Mali ?
J’étais au mali en pèlerinage personnel. Mon cousin Wahib Abdelwahab Abada y avait eu un accident d’avion. Il était conseiller du ministre des Affaires étrangères, M. Benyahia, et il était avec lui quand leur avion est tombé dans la savane malienne*. Dans mon livre, je fais de Wahib un beau portrait d’Algérien qui aimait son pays et qui est resté fidèle aux idéaux de l’Algérie de notre enfance.
Plus de quarante ans après La femme algérienne, êtes-vous optimiste ?
Quand je suis en Algérie, je ressens une double oppression : celle des morts et celle des vivants. Les morts imposent leur loi aux vivants et chaque homme, chaque femme veut imposer sa loi à l’autre. Les Algériens sont soumis à cette double violence en permanence. On fera un grand progrès le jour où les féministes auront comme objectif, non pas le pouvoir pour être à leur tour des mollahs en jupon, mais la démocratie. Avec des hommes et des femmes réconciliés qui auront un désir commun : le bonheur, ici et maintenant. Dans le respect de soi et des autres. Dans la dignité. Dignité incarnée par les femmes de l’Algérie de mon enfance, ces magnifiques ambassadrices de leur pays et de l’Afrique, berceau de l’humanité.

* Ndlr : L’accident a eu lieu en 1981, M.S. Benyahia et A. Abada sortiront miraculeusement indemnes. Cependant, en mai 1982, Benyahia et 15 cadres du MAE, en mission de paix durant le conflit Irak-Iran, périrent suite à un« mystérieux « tir de missile contre leur avion à la frontière Turquie-Irak (cf. El Watan, 3 mai 2007).

Repères

Issue d’une famille de Skikda, Fadela M’rabet effectua une scolarité brillante qui lui permit de se rendre à Strasbourg dans les années cinquante pour étudier la biologie. Elle fut l’une des premières algériennes à étudier à l’étranger. En France, elle entre en contact avec les milieux nationalistes et milite pour l’indépendance. Elle observe en 1956 la grève des étudiants et se voit exclue pour cela d’un collège où elle travaillait. A l’indépendance, elle entre au pays et enseigne au Lycée de filles Frantz Fanon (Bab-El-Oued). Elle rencontre et épouse alors un autre professeur de lycée d’Alger, Tariq Maurice Maschino, français d’origine russe, militant pour l’indépendance de l’Algérie, converti à l’Islam et naturalisé algérien en 1963. Son premier livre, La femme algérienne (Maspero, 1965), vaut à M’rabet la reconnaissance de ses nombreux lecteurs et provoque un des premiers débats de société de l’Algérie indépendante. Elle a publié Les Algériennes (Maspero, 1967), L’Algérie des illusions (Laffont, 1972, cosigné avec Maschino), Une Enfance singulière (Balland, 2003), réédité à Alger par l’Anep, Une Femme d’ici et d’ailleurs (Ed. de l’Aube, 2005) et Le Chat aux yeux d’or, une illusion algérienne (Ed. des Femmes-Antoinette Fouque, 2006).

Benaouda Lebdaï

Les éditions Des femmes et le Japon : Yûko Tsushima

TsushimaYuko.jpgJe ne sais plus avec précision à quel moment il a été pour la première fois question que je sois traduite et publiée aux Editions Des femmes. C’était en tout cas au début des années 1980, à l’occasion d’un voyage d’Antoinette Fouque au Japon. Des projets concrets ont alors soudain vu le jour.
 
Non que d’éventuelles traductions n’aient jamais été évoquées auparavant, mais tout était resté dans le vague. Ce que l’on connaissait alors de la littérature japonaise à l’étranger se limitait aux classiques ou aux oeuvres de célèbres auteurs masculins tels que Kawabata ou Mishima, et que l’on puisse vouloir traduire et publier un auteur jeune, de surcroît une femme comme moi, était totalement inouï.
 
La littérature féminine japonaise que l’on connaissait alors en Occident mettait essentiellement en scène des figures féminines toutes d’une soumission que l’on croyait éminemment japonaise. Tandis que dans mes romans les femmes repoussent fermement les hommes, ce qui me valait d’ailleurs bien des critiques, essentiellement masculines, au sein même de la société japonaise. Aujourd’hui encore, je suis donc pleine d’admiration pour la décision prise par les Editions Des femmes de s’intéresser à mon travail. Lorsque j’ai rencontré Antoinette Fouque à Tokyo, elle m’a proposer de publier cinq de mes textes, et a signé sur-le-champ un engagement en ce sens. Je n’oublierai pas ce qu’elle disait alors : pour faire connaître un auteur, il ne suffit pas de présenter un livre, il faut au moins en présenter cinq.
 
A l’époque, l’Occident ignorait encore, à un degré presque inimaginable aujourd’hui, ce que pensaient les femmes japonaises, la manière dont elles vivaient. Je suis persuadée qu’en France, et plus largement en Europe, ces publications, qui étaient un véritable acte de courage, ont ouvert une brèche pour permettre à la littérature féminine japonaise actuelle de rencontrer un large public.
Y.T.

Fadéla M’Rabet à « Femmes d’ici et d’ailleurs » (1er décembre 2007) – Et c’est aussi le titre d’un de ses livres !!!

Femmes d’ici et d’ailleurs

Combats de femmes, femmes au combat

Communauté de commune Gartempe – Saint-Pardoux

Salle Jean Sénamaud, Châteauponsac

EXPOSITIONS – CONFERENCES – DEDICACES – TABLES RONDES – DINER CONTE

Du mercredi 28 novembre au jeudi 6 décembre

Salle cullturelle Jean Sénamaud – Châteauponsac
Exposiitiions
· Visages de la Résistance, exposition des Archives municipales de
la ville de Limoges, portraits d’hommes et de femmes pendant la
seconde guerre mondiale,
· Portraits de femmes du Limousin, exposition de l’association Ni Putes
Ni Soumises, photographies de femmes au travail ou militantes,
· Itinéraires de femmes turques, exposition de l’association Beaubreuil
Vacances Loisirs et du Conseil Général de la Haute-Vienne,
· Portraits de femmes dans l’art, Atelier CER’AMIE,
· La femme dans la guerre, FNACA-GAJE.
Conférences publliiques
· jeudi 29 novembre, 20h30, Jean-Pierre Gaildraud, historien et
écrivain, et Yasmina Bousbata, présidente d’une association de
femmes algériennes :
« La femme algérienne durant la guerre d’Algérie ; courtisée
ou torturée, objet de toutes les convoitises, victime de
toutes les trahisons, elle est un enjeu considérable. »
· jeudi 6 décembre, 20h00, Thérèse Menot, résistante et déportée :
Causerie sur la Résistance
Interventiions scollaiires
· jeudi 29 novembre, collège de Châteauponsac, Jean-Pierre
Gaildraud, historien et écrivain, s’adressera aux 4èmes :
« Les étapes de l’évolution de la femme algérienne (1830-1954)
(1954-1962) (1962 à nos jours) ; sa place, son rôle dans la société. »
· jeudi 6 décembre, collège de Châteauponsac, 15h-17h, Thérèse
Menot s’adressera aux 3èmes sur le thème de la Résistance et des
camps.

Samedii 1er décembre

Salle cullturelle Jean Sénamaud – Châteauponsac
Journée de rencontres avec des femmes engagées dans un combat.
10h00, ouverture des rencontres-dédicaces en présence de :
– Marie-France Houdart, qui présentera l’ouvrage L’ombre de l’amour
de Marcelle Tynaire, féministe du début du XXème siècle,
– Chahla Chafiq, de l’association SOS racisme, sociologue et auteur de
La femme et le retour de l’Islam, Le nouvel homme islamiste,
« Chemins et brouillards », Femmes sous le voile,
– Diane Afoumado, auteur de Exil impossible, l’errance des Juifs
du paquebot Saint-Louis,
– Laurence Pourieux, agricultrice, auteur de Semailles et pagaille et SEP’pas
ma faute, c’est la sienne…, sur le thème de la Sclérose en Plaques,
– Nadine Coeffe, auteur de Ecoute l’appel de la vie, sur le thème de la dépression,
– Isabelle de Giverny, auteur de Ma vertu préférée, cent
personnalités se dévoilent,
– Yasmina Bousbata, Présidente d’une association de femmes algériennes,
– Dagmar Galin, ethnologue, écrivain et reporter, auteur de Ana et
Blanca, histoire d’ une adoption,
– Thérèse Menot, résistante et déportée pendant la seconde
guerre mondiale,
– Jean-Pierre Gaildraud, historien et écrivain, auteur de Destins de femmes,
– Valérie Boucher-Pateau, chef d’entreprise,
– Marie-Françoise Pérol-Dumont, Députée de la Haute-Vienne,
Présidente du Conseil Général de la Haute-Vienne,
– Editions Des Femmes.
Les librairies Pages et plumes de Limoges et Au Croc’Livres d’Aixe-sur-
Vienne proposeront tout au long de la journée un choix d’ouvrages à la vente.
11h30 : vernissage de la manifestation en présence de Mme Marie-
Françoise Pérol-Dumont, Députée de la Haute-Vienne, Présidente du
Conseil Général de la Haute-Vienne.

14h00 : Tables rondes animées par Marie-Hélène Restoin-Evert,
journaliste
14h00-15h00 : les femmes dans la société et le féminisme avec Marie-
France Houdart, Isabelle de Giverny et Marie-Françoise Pérol-Dumont ;
15h00-16h00 : les femmes face à la guerre et la religion avec Diane Afoumado,
Chahla Chafiq, Dagmar Galin et Yasmina Bousbata ;
16h15-17h00 : les femmes face à la maladie avec Laurence Pourieux et
Nadine Coeffe.
La participation de Mme Thérèse Menot et de M. Jean-Pierre Gaildraud
sera sollicitée tout au long des tables rondes.
20h00 : dîner conté avec Jean-Claude Bray à la salle des fêtes de
Roussac, sur inscription (contacter la bibliothèque intercommunale au
05.55.76.68.73 ou au 05.55.60.23.68)
Couleur localCouleur locale – Contes de la Marche et du Berry
Quand Jean-Claude Bray arrive en scène, sa pudeur et sa discrétion le
suivent, pas de gestuelle exacerbée, pas de mimiques mais tout de suite il parle
et fait jaillir des images réelles et vivantes. Les spectateurs sont entraînés
dans un monde rural et attachant, parfois presque disparu, mais encore bien
présent dans les mémoires. Un monde où se côtoient les enfants et les vieux,
les belles et les farfadets, où les amoureux aiment tant qu’ils acceptent tous les
défis de leurs belles, et où les petits sont assez malins pour vaincre les puissants
et leur couper les oreilles…

Agenda Thérèse Clerc

Babayagas.jpgMa Maison des Babayagas – L’art de bien vieillir : une utopie réaliste

15 novembre : Mâcon

17 et 18 novembre : états généraux des maisons des Baba avec toute la province qui monte un projet Baba

19 et 20 novembre : Besançon, les vieux et le plaisir 2000 personnes

21 novembre : France inter à la Maison de la Radio

28 novembre, 9 h 18 h, Institut Emilie du Châtelet, grande galerie Jardin des Plantes

29 novembre : Intervention-débat Centre dramatique de Montreuil

30 novembre : L’art de vieillir Oulins Lyon

2 décembre : Mairie du 6ème, signature

4 / 5 décémbre : Tours

7 décembre : Folies d’encre signature

8 décembre : Anniversaire

11 décembre : Bordeaux

21 décembre : Réveillon Maison des femmes

22 décembre : Réveillon Baba et leur famille

17 janvier : Librairie « Le temps des cerises » Clermont-Ferrand

27 / 28 février : Relier Ardèche

1er Mars : L’art de vieillir, La Roche sur Foron (Annecy)

Eva Forest sur www.prison.eu.org (ban public)

http://www.prison.eu.org/index.php3

http://www.prison.eu.org/article.php3?id_article=10074

eva_forest.jpg13 LE CHOC CARCÉRAL ET LES PREMIÈRES RUPTURES

TROISIEME CHAPITRE :
LE « CHOC CARCERAL » ET LES PREMIERES RUPTURES

« Nous ne nous sommes pas quittés mais
[…] ils nous ont séparés. »

Eva FOREST, Journal et lettres de prison,
Paris, éditions des Femmes, 1976, p. 112.

Dans Les Romantiques (1964, 184), en grande partie autobiographique, le poète et écrivain turc, Nazim Hikmet, met en scène Eminé. Prisonnier, il risque de rester longtemps incarcéré et il implore sa jeune épouse, Nérimane, de « refaire » sa vie, se marier, avoir des enfants. Son propos fait écho à la dernière lettre à son épouse du résistant Missak Manouchian, du groupe Francs-Tireurs et Partisans – Main d’Œuvre Immigrée (F.T.P.-MOI), fusillé avec ses camarades le 23 février 1944. Aragon s’en inspira (« L’affiche rouge », Le Roman inachevé, 2002) et Léo Ferré la chanta : « Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent / Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses, / […] Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline, / Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant. » Près de deux siècles auparavant, les condamnés à la guillotine conseillaient, dans leurs dernières lettres à leurs proches, recueillies par Blanc (1984), d’éviter l’accablement.
En fait, se met souvent en place, dès l’incarcération, un discours qu’on explorera ultérieurement : « L’important, ce n’est pas pour moi, c’est le mal que ça fait à mes proches ». Il implique la minimisation de la souffrance causée par l’abandon des proches (« Il ne supporterait pas de venir au parloir, ») ou, à l’inverse, justifie une rupture volontaire (« Comme ça, ils souffrent moins »). Ce discours illustre l’éthique du « prendre sur soi » des personnes détenues (afin de préserver les proches) – une éthique du reste partagée par leurs proches.

A. L’ARRIVEE EN PRISON
La typologie de Chantraine (2004, 15) des rapports à l’incarcération propose cinq idéaux-types : « incarcération inéluctable » (aboutissement de la galère et de la répression routinière), « incarcération break » (arrêt d’une « dérive délictueuse » et/ou pause dans une « désorganisation interne »), « incarcération catastrophe » (rupture de la « normalité sociale »), « incarcération calculée » (passage assumé d’un mode de vie) et « incarcération protectrice » (fuite d’un dehors violent et/ou retour à un dedans intégrateur). Cette typologie permet de comprendre les parcours individuels. Elle éclaire donc notre objet, c’est-à-dire les histoires familiales : celles-ci s’écrivant avec celles-la.

1. La mise sous écrou et le « choc carcéral »
Redoutée ou pas, la prison est exceptionnellement parfaitement appréhendée par les individus qui n’y ont jamais été confrontés : l’incarcération est généralement un « choc », pour les détenus comme pour leurs proches. Certains disent l’avoir prévue, d’autres s’y être préparés… Mais aucun n’avait une juste appréciation de la vie carcérale et de ses conséquences. Il faut donc s’habituer à cet univers et à ses règles, qui sont sommairement expliquées par un livret remis aux arrivants (voir Annexes, doc. 2.a).

Des arrestations traumatisantes
Lors des entretiens, beaucoup de détenu(e)s ou de proches commencent spontanément leur témoignage par l’arrestation elle-même. Celle-ci marque l’irruption de la prison et du délit/crime dans la vie quotidienne et familiale. Par exemple, Brigitte (compagne de détenu) résume : « Pour moi, tout ça a commencé lorsque le Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale (G.I.G.N.) a fait exploser ma porte à six heures du matin. » Beaucoup insistent sur le caractère traumatisant de l’arrestation pour les proches, en particulier pour les jeunes enfants et les parents âgés. À leur traumatisme, s’ajoute souvent l’humiliation d’être menotté devant eux ou devant des voisins, voire des collègues de travail. Le récit de Mohamed, détenu à la maison centrale de Clairvaux, est édifiant :
Le G.I.G.N. est venu chez moi, ils ont fait le grand jeu… Nous, quand on braque une banque, y a des psys pour les victimes, pour les familles, y a que dalle… La maison, elle a été complètement détruite…
L’arrestation, lorsqu’elle a lieu au domicile, est le premier (d’autres suivront) viol de l’intimité, comme le raconte Jena, incarcérée à la maison d’arrêt de Pau :
J’vais chez moi, et là, on m’ouvre la porte. C’était les gendarmes, en plus, il y avait des voisins à moi à l’intérieur… J’ai tapé ma crise. Ils ont fouillé le fin fond de mon intimité. Bonjour le respect ! En plus, mes voisins qui étaient là, ils connaissent rien à ma vie… Quand ils ont marché sur le carnet de santé des gosses, là, j’ai vraiment tapé ma crise, je leur ai gueulé dessus !
Du reste, la famille peut être « prise en otage » par le juge d’instruction ou la police lorsque la personne se soustrait à la Justice, c’est-à-dire lorsqu’elle est en « cavale ». Cela a été le cas de Fayçal (incarcéré au centre de détention de Bapaume) :
Y avait un mandat contre moi. Ils savaient que j’allais appeler chez moi, alors ils ont fait une descente chez moi, ils ont emmené dix-sept personnes au poste, même mes parents… Y avait toute ma famille, des amis qui vivent dans le même immeuble… Quand j’ai téléphoné, je me suis inquiété, j’ai téléphoné sur le portable de mon frère. Il m’a passé le commissaire, qui m’a dit de me rendre. Je voulais rien entendre, alors il m’a passé ma mère… J’ai dit : « C’est bon, j’arrive. » C’est comme ça qu’ils ont fait…
Les actes – et leurs motivations – qui amènent les personnes en prison sont d’une grande diversité. Mais, bizarrement, les récits de l’incarcération, par les détenu(e)s ou par leurs proches, ont beaucoup de similitudes, que l’acte s’inscrive dans une « carrière » délinquante ou qu’il arrive brutalement et accidentellement. Les premiers jours sont souvent marqués par un état de sidération, des symptômes de dépression (notamment l’amaigrissement), voire des tendances suicidaires. Beaucoup évoquent leur arrivée en prison par ses conséquences physiques. Ainsi, Guy, désormais incarcéré au centre de détention de Bapaume décrit :
Je suis rentré en prison à quarante ans. Quand je suis rentré en prison, j’ai eu peur pendant une semaine. C’est normal, j’avais l’image de la prison par les films américains ! En deux mois et demi, j’ai perdu quinze kilos !
Les « films américains » évoqués par Guy contribuent très souvent aux stéréotypes que les arrivants ont sur la prison. Les séries télévisuelles – souvent américaines, comme Oz (diffusée sur M6) – montrent d’ailleurs des conditions de détention qui ne peuvent être comparées avec celles des prisons françaises. Du reste, même dans les films « réalistes » français, les travestissements de la réalité sont fréquents (port d’uniforme par les détenus et usage d’un téléphone entre la personne incarcérée et son visiteur au parloir, par exemple). Ainsi, Jena (maison d’arrêt de Pau), ayant entendu parler des viols et de l’homosexualité dans les prisons d’hommes, était, au début de son incarcération, terrorisée :
On a peur quand on arrive ici. On m’a dit qu’il y avait des homos… Ça craint. Au début, j’étais dans une cellule avec une femme ho
mo. On m’avait dit de faire attention. Je me déshabillais pas devant elle, j’avais vachement peur.
L’idée selon laquelle les « sauvageons » ne seraient même plus effrayés par la prison, en plus d’être un poncif, est inexacte. Selon un lieu commun, véhiculé par les médias, la prison est l’étape finale d’un parcours délinquant et/ou judiciaire : le sentiment d’impunité (née de la commission de délits jamais condamnés) serait entretenu par le laxisme de la Justice (avec le préjugé de la non-exécution des « petites » peines). Familiers des admonestations par le juge pour enfants, des mesures de Travail d’Intérêt Général (TIG) ou de contrôle judiciaire, le jeune délinquant serait « déjà » inaccessible à la sanction carcérale. Or, selon Christie (2003, 49), si les « primaires » sont moins inquiets, c’est qu’ils sont ignorants. Les « sauvageons », si coutumiers de la Justice soient-il, ont sans doute davantage peur de la prison que ceux qui n’y ont jamais songé. Parmi ceux-ci, figurent notamment les personnes arrivées à un âge mûr, qui reconnaissent souvent qu’une expérience passée de vie en collectivité (armée, pensionnat, etc.) a atténué le choc.
Complétons ce tableau sur les conditions de l’arrivée en prison en évoquant le fait qu’il arrive que les proches soient témoins des faits et assistent, peu après, à l’arrestation. Cela a été le cas pour Jean-François, détenu à la maison d’arrêt des Baumettes :
Quand j’ai été arrêté la première fois, c’est à cause d’une fusillade que j’ai faite de l’appartement. Mes parents étaient là, ils m’ont vu me faire arrêter. Ça a du être dur pour eux de me voir arrêté. On en a reparlé une fois, mais vaguement.

Annoncer la détention
Excepté pour les mineurs, dont la famille est obligatoirement informée de l’incarcération par la direction de l’établissement, les détenus ont le choix d’avertir ou non leurs proches. Les proches ont d’ailleurs pu être prévenus lors du placement en garde à vue. À l’arrivée en prison, il est théoriquement possible de faire prévenir une personne de sa proche famille. Il arrive néanmoins que le service social, trop occupé [1], ne le fasse pas ou qu’il ne parvienne pas à le faire : par exemple lorsqu’il s’agit d’une personne dont la famille réside à l’étranger et/ou qui ne parle pas français. La famille peut alors être avertie par une lettre du détenu lui-même ou par un appel téléphonique d’un codétenu libéré ou d’un proche allé rendre visite à un codétenu et chargé de faire la commission.
Ils l’ont appris longtemps après… quatre ans après. C’est des amis qui leur ont dit que j’étais en prison, il m’avait connu en prison à Cayenne, et quand il est retourné au Surinam, il leur a dit. Ils avaient entendu que j’étais mort… Après, quand je suis arrivé en France, j’ai pu leur téléphoner… (Dennis, maison centrale de Clairvaux)
Le courrier est la première façon dont le détenu peut prendre contact, personnellement, avec ses proches. On pourrait croire que la première lettre est donc particulièrement difficile à écrire.
Il est vrai que les difficultés de certains à manier l’écriture font de ce courrier une vraie gageure, notamment lorsque s’ajoutent l’expression de sentiments complexes.
On a appris son incarcération par une lettre, mais je le connais, il a pas eu le courage d’écrire lui-même, il a demandé à son éducateur, il avait peur de notre réaction parce que c’est la deuxième fois, et quelque part, il nous a déçus… (Christine, mère de détenu)
La plupart des détenus racontent leur envie frénétique d’écrire à leurs proches lors des premiers jours d’incarcération, une frénésie souvent jamais ressentie auparavant. Du reste, la correspondance devient surtout difficile lorsque, par la suite, les personnes détenues ont l’impression de s’être installé dans la routine de la vie carcérale.
La première lettre, je l’ai écrite tout de suite. Résumer les deux jours de garde à vue… C’était pas dur à écrire, ça faisait du bien de se vider, j’avais besoin de m’exprimer. Comme j’avais rien pour écrire… Ça peut vous paraître bête, mais je n’avais pas de stylo, de papier, d’enveloppe… Eh bien, j’ai écrit sur une feuille de cantine verte, et puis j’ai trouvé un crayon… (Guy, centre de détention de Bapaume)
Cette première lettre est souvent impatiemment attendue par les proches. Monique Boiron, dont l’époux, André, avait, à 46 ans, déjà passé dix-huit ans en prison, raconte, dans Un foyer derrière les grilles (1995, 43), l’arrivée de son premier courrier après sa nouvelle arrestation, en 1989 :
J’ai ouvert sa première lettre avec fébrilité. Je n’avais pas communiqué avec lui depuis une éternité… La déception fut immense. André parlait presque uniquement des démêlés juridiques de son affaire, d’avocats, de jugement, établissait des pronostics sur sa peine. Tout juste semblait-il avoir pris conscience de la naissance de Damien.
La déception de Monique Boiron à la réception de ce premier courrier ressemble certainement à celle de beaucoup d’autres femmes. Comme la plupart des lettres envoyées de prison, celle qu’elle a reçue était remplie d’instructions.
Ma première lettre, c’était pour un collègue [« associé »] [2], mon meilleur ami. Le jour même je lui ai écrit… On vous donne tout ce qui faut le premier jour. Je lui ai écrit pour lui dire que je suis en prison, fais ceci pour moi, fais ça, ça va… C’est après que c’est dur d’écrire, car c’est toujours la même chanson… On voit les mêmes personnes, y a pas d’action… (Eric, maison d’arrêt des Baumettes)
Certains détenus désirent dissimuler leur incarcération à leurs proches ou à une partie d’entre eux. Les raisons invoquées sont l’âge – trop jeunes (les enfants) ou trop vieux (les ascendants) – ou l’état de santé. Cet argument est ainsi utilisé par Hocine, incarcéré à la maison d’arrêt de Pau :
Ma mère, mes deux frères, mes deux sœurs, ils ne le savent pas que je suis ici. J’ai peur que ma mère ne le supporte pas. Déjà, quand mes frères sont tombés, elle a failli mourir. Je préfère l’écarter de tout souci. Je veux pas lui faire de mal. Je lui téléphonerai quand je serai dehors, mais je lui dirai pas.
L’incarcération et ses motifs sont, surtout dans les premiers temps, souvent cachés aux enfants, avec la complicité du conjoint libre (voir Troisième partie, p. 204). En effet, les parents ne savent alors pas comment et quoi dire. Ainsi, Moktar (maison d’arrêt des Baumettes) raconte :
Je ne pense pas que mes enfants savent que je suis en prison… J’étais en Algérie, ils penseront que je suis resté plus longtemps. Ça m’arrivait de partir plusieurs mois… Je leur dirai s’ils insistent. Mais c’est entre moi et ma conscience. Je leur expliquerai pas tout… je leur dirais vaguement. On peut pas tout raconter à l’extérieur. Je ne suis pas un criminel, c’est que passager. Personne n’est parfait. Mais je pouvais pas expliquer, ça n’intéresse que moi. Celui qui veut des détails, il peut attendre.

2. Les réactions familiales à l’incarcération
Au début de l’incarcération, l’accaparement des proches par des démarches pratiques (dépôt de linge, demande de permis de visite, etc.) facilite paradoxalement la séparation. « Pour l’instant ça va, mais est-ce que je tiendrais jusqu’au bout ? » s’interroge ainsi une femme dont le conjoint vient d’être incarcéré. Pour les proches, l’annonce de l’incarcération s’accompagne souvent d’une blessure narcissique : « Comment a-t-il pu me faire ça ? A moi ? » Cette pensée peut déboucher sur deux réactions très différentes : une remise en cause personnelle (« j’ai raté quelque chose dans mon rôle de … ») ou le
questionnement sur leur relation (« s’il m’aimait, il n’aurait pas fait ça »).
Les réactions des personnes qui connaissaient les délits/crimes du détenu et/ou qui avaient choisi cette « vie-là » sont très éloignées de celles qui sont surprises par l’arrestation, l’incarcération et les faits reprochés. Nous avons mis en évidence quatre archétypes de réactions familiales à l’incarcération : le traumatisme de l’inimaginable, l’émotion de la mauvaise anticipation, le soulagement et l’indifférence (face à une incarcération inévitable et/ou routinière). Autant dire que la situation de Marie-Françoise (maison d’arrêt de Pau) est exceptionnelle, car elle a eu le temps, après sa condamnation, de se préparer et d’y préparer ses proches :
Il y a eu huit mois entre ma condamnation et mon incarcération. Ça a été un peu surréaliste… Un gendarme m’a téléphoné pour ma convocation d’incarcération. Je partais le lendemain en congé pour quinze jours. Il m’a dit de partir, mais que lui partait deux semaines plus tard… Bref, il m’a retéléphoné un mois plus tard. Il m’a dit qu’il m’attendait le lendemain, et que si je voulais, je pouvais laisser ma voiture sur le parking de la Gendarmerie. J’ai donc eu le temps de préparer ma famille à mon incarcération.

Le traumatisme de l’inimaginable
Pour beaucoup de personnes, l’incarcération d’un proche est, à proprement parler, inimaginable. D’abord parce que la prison est étrangère à leur univers social. Plus souvent encore, ce sont les faits incriminés qui troublent l’entourage du prévenu : soit ils ne peuvent même pas concevoir la commission de tels actes (« comment peut-on faire ça ? ») et ressentent une impression de radicale étrangeté à leur proche, soit les faits paraissent incompatibles avec la personnalité habituelle du prévenu (« comment mon père, si…, a-t-il pu faire ça ? »). Parfois, le choc ressenti est celui que provoque par Un ami insoupçonnable, pour reprendre le titre du livre du docteur Tersand (2000), à propos de Guy Georges. Dans d’autres cas, le crime a été commis sous le coup d’une passion ou d’une émotion violente. Simplement et brutalement, Georges (maison d’arrêt des Baumettes) raconte : « Un jour, j’ai perdu la tête, je l’ai tué. » Faouzi (maison centrale de Clairvaux) explique pour sa part : « Ben… Moi, je me suis réveillé un matin et j’ai fait une connerie, et je suis en prison. » Dans de nombreux cas, au choc de l’incarcération, s’ajoutent les conséquences de l’acte. Alors, comme l’écrit Marchetti (2001, 53) :
C’est sans doute l’homicide d’un proche et notamment des enfants qui engendre le plus de remords ; dans ce cas l’endeuilleur se retrouve aussi fréquemment endeuillé, et donc doublement susceptible de souffrir.
Lowenstein (1986) a enquêté auprès de 118 familles de prisonniers. Il a estimé que l’incarcération est particulièrement pénible pour les proches d’auteurs de délits financiers ou de délits/crimes à caractère sexuel. Effectivement, ces personnes n’avaient eu aucun contact avec la Justice auparavant. Le choc est d’autant plus brutal, notamment dans les villes de province, que la personne bénéficiait précédemment d’une situation sociale avantageuse, liée à sa profession (métier de maintien de l’ordre public, chef d’entreprise, profession libérale, etc.) ou à sa notabilité (élu local, responsable associatif, par exemple). Les témoignages que nous avons recueillis corroborent les observations de Lowenstein.
J’ai jamais pensé venir en prison… Vous voyez, votre question me fait sourire…Non, je l’imaginais pas, j’avais mes occupations, pour moi, ça a été la chute du haut de la falaise… Me retrouver de l’autre côté de la barrière. J’étais adjudant de Gendarmerie, j’étais comme on dit un ange de la route… (Jean-Luc, centre de détention de Caen)
Je ne pensais pas aller en prison. Je menais une vie d’honnête citoyen, mais pas de bon père complètement, par rapport à une de mes filles, la plus grande. Ça a été un drame terrible, épouvantable… En plus, je suis un ancien policier syndicaliste. C’est une tragédie, un drame épouvantable. Nous vivons un drame depuis cette époque-là. Je pense constamment à la souffrance des miens. (Raymond, maison d’arrêt de Pau)
L’incarcération peut être d’autant plus inimaginable que ses circonstances sont médiatisées : certains proches apprennent en effet par les médias, non seulement l’arrestation, mais ce qui est reproché à leur proche.
Elle ne l’a pas su tout de suite. Elle l’a appris malheureusement quand j’ai été arrêté. Elle l’a appris au J.T. [Journal Télévisé]. Pour elle, c’était la stupeur. (Frédéric, maison centrale de Clairvaux)
J’ai pas eu besoin d’expliquer à mon fils pourquoi je suis en prison… Les journaux s’en sont chargés. Et maintenant, y a même un livre… Il ne parle pas que de moi, mais une page ou deux… Mon fils, de toute façon, il m’a toujours connu en prison. On n’en a jamais parlé. (Serge, maison d’arrêt des Baumettes)
La surprise des proches (et éventuellement leur déception) s’explique souvent également par leur découverte des faits reprochés qui ne correspondent pas à ce qu’ils savent de la personne et/ou qui ne concordent pas avec son caractère. Fayçal, détenu au centre de détention de Bapaume, relate ainsi la réaction de sa famille :
Pour l’I.L.S.[Infraction à la Législation des Stupéfiants]. , ils sont tombés de haut… On n’en parle jamais. Si, des fois, ils me disent : « Mais où t’as caché l’argent ? » Parce que dehors, j’étais un rat, je leur donnais rien…
Il faut également noter que beaucoup de personnes incarcérées pour des délits/crimes sexuels ne comprennent pas leur arrestation : ils ne conçoivent tout simplement pas le caractère délictueux des faits qui leur sont reprochés. C’est notamment fréquemment le cas des pères poursuivis pour un inceste. Ainsi, l’un de ceux que nous avons interrogés nous demandait, perplexe : « Si vous aviez fait l’amour avec votre père, vous l’auriez dénoncé après ? » Plus fréquemment, dans les cas de délits/crimes à caractère sexuel, c’est la banalité (selon l’intéressé) des faits qui est soulignée par leur auteur, comme dans le cas de Gérard (maison d’arrêt de Pau), mis en détention préventive pour un viol :
Pour moi, c’est une connerie de troisième mi-temps… Vous voyez ce que je veux dire… Moi, il y a vingt ans, je faisais du rugby, j’ai fait des choses équivalentes, il ne m’est jamais rien arrivé !
La surprise de l’entourage naît souvent de son propre aveuglement, auquel s’ajoute l’habilité de la personne à avoir dissimulé ses problèmes et/ou son nouveau mode de vie. Ainsi, Nordine (centre de détention de Bapaume) raconte :
Ça a surpris tout le monde, j’avais jamais de problèmes, j’étais apprécié par tous. Ils sont tombés en larmes… Je sais pas ce qui m’a pris, ça a mal tourné et j’ai mangé douze ans. […] J’ai écrit tout de suite à ma famille, pour demander pardon.
Dans beaucoup de familles, l’incarcération est une surprise car elle ne concerne pas celui pour qui, unanimement, cette issue était redoutée, voire parfois attendue. C’était le cas pour Dominique, incarcéré au centre de détention de Bapaume, suite à un drame passionnel :
Tout le monde a été surpris, parce que dans la famille, avec mon frère A***, qui est plutôt chabraque [« remuant »], bagarreur, c’était plutôt lui qu’on se serait attendu qu’il aille en prison. Moi, personne s’y attendait, et j’dirais même qu’ils ont culpabilisé. Ils savaient pas que j’étais dans un état dépressif aussi grave… Le service social a prévenu mes soeurs, et une de mes filles l’a appris dans le journal… En garde à vue, j’étais pas moi-même, j’éta
is pas en l’état de penser à les prévenir.

elkar01.jpgL’émotion et la mauvaise anticipation
Certaines personnes s’attendent à connaître la prison, car ils ont choisi le « métier de voleur » et le mode de vie afférent. À moins d’être un as en la matière (et d’avoir de la chance), le banditisme implique inéluctablement l’incarcération : ce sont les « risques du métier », comme l’analyse Pascal, incarcéré à la maison centrale de Clairvaux :
Je ne suis pas un accidenté. Voleur, c’est mon métier. Quand j’ai été arrêté à vingt-sept ans, je connaissais les risques… La prison, c’est les risques du métier.
On ne peut pas aller plus loin que la prison.
Pour certains couples, la délinquance est donc choisie, ses risques (la prison, la mort, etc.) évalués et partagés. Les femmes mènent donc une vie de « femmes de voyou », avant de devenir des « femmes de détenu », ainsi que le raconte Jacques (maison d’arrêt des Baumettes) :
J’ai tout fait en parfaite osmose avec ma femme. Quand je partais sur une affaire, elle le savait […]. Je lui ai rien caché quand on s’est rencontré. Je me suis mis à table direct.
Le risque d’être arrêté/incarcéré, même lorsqu’il est connu, est souvent mal appréhendé : les détenus et leurs proches qui considéraient la prison comme inéluctable sont souvent surpris par leur propre désarroi. D’ailleurs, les « affranchis » disent, lorsqu’ils sont arrêtés, qu’ils « tombent » : n’est-ce pas éloquent du caractère finalement foncièrement imprévisible de l’incarcération ? En effet, elle peut se produire quand on ne s’y attend plus. De plus, une vie déviante n’implique pas forcément une juste anticipation de ses conséquences (« l’engrainage » [sic]) et notamment des risques encourus. Ainsi, partager sa vie avec une personne qui se prostitue suppose, si on est un tant soit peu lucide, se savoir susceptible d’être interpellé pour proxénétisme. Néanmoins, Gent, détenu à la maison centrale de Clairvaux, raconte benoîtement : « J’avais jamais pensé y aller… […] Je vivais avec une gonzesse qui faisait le trottoir. »

Le soulagement
Certains auteurs de délit/crime à caractère sexuel attendent, finalement avec impatience, leur interpellation, vécue avec soulagement. Une enquête auprès de délinquants sexuels a montré que l’arrestation était considérée comme un soulagement pour 38% d’entre eux (Ciavaldini, 2001, 84). Parmi les témoignages de nos interlocuteurs, celui de Stéphane, incarcéré au centre de détention de Caen, est éloquent :
J’attendais. D’ailleurs, je pense que c’est significatif de quelque chose, parce que lorsque j’ai été convoqué et que le policier m’a demandé si je savais pourquoi, j’ai répondu : « Oui, enfin. » De toute façon, j’avais mon sac dans la voiture, je savais où j’allais. J’avais réalisé avant d’être incarcéré.
Certains, même s’ils ne le reconnaissent que difficilement, voient la détention d’un proche comme une consolation, notamment ceux qui craignaient une issue fatale à une spirale dans la délinquance ou à un engagement politique (et militaire). C’est par exemple le cas de Philippe (maison centrale de Clairvaux), militant basque, vivant, à son incarcération, depuis sept ans dans la clandestinité : « Je pensais me faire tuer… J’ai trouvé super d’être en vie, alors, le reste, c’est du bonus. » Le soulagement des proches est mêlé de culpabilité. Ainsi, Hélène, compagne d’un détenu, dit avoir été « heureuse, parce que l’incertitude, c’était terminé » : « là, je savais ce que j’avais à faire, j’avais plus à me poser des questions, c’était plus simple d’une certaine façon. Même si je l’aurais jamais dit que j’étais soulagée, parce que ça aurait voulu dire que j’étais contente qu’il était en taule. » C’est une situation similaire, dans sa version « voyou », qu’expose Jean-Pierre (maison d’arrêt des Baumettes), dont les proches craignaient le décès lors d’un « coup », d’un « braquo » (« braquage ») :
Ils l’ont appris par le tapage médiatique… Oui, faut comprendre que je suis pas arrivé ici par accident. Donc, ils s’y attendaient. Mais pour eux, le pire, c’était que j’arrive dans un sac en plastique.
Beaucoup de proches de toxicomanes considèrent également la prison comme une issue préférable à la mort qui semble inexorable, l’incarcération venant donc briser une « spirale du pire » … même si elle enclenche souvent un « cercle vicieux », car la prison n’a jamais été un lieu thérapeutique :
Ma mère, c’est dur à dire, mais je suis sûr qu’elle était plutôt… pas contente que je sois en prison, non, ce serait trop fort… Mais déjà, elle s’y attendait, et puis elle savait que ce serait une petite peine… Elle a plus peur qu’il m’arrive du mal, avec des produits… (Hassan, ex-détenu)
Dehors, il y en a qui sont contents que je sois en prison. Ma belle-mère par exemple. Elle me l’a pas dit bien sûr, mais elle a toujours essayé de préserver le petit de moi, alors c’est sûr, elle préfère que je sois en prison… (Hocine, maison d’arrêt de Pau)
Derrière les propos de certains détenus, qui semblent entretenir des relations tyranniques avec les autres membres de leur famille, on devine que, pour les proches, l’incarcération peut être un soulagement. Deux extraits d’entretien nous paraissent particulièrement significatifs :
Au bout d’un mois que j’étais en taule, j’étais trop véner [énervé] parce que ma soeur m’avait pas apporté mes affaires. Elle s’est trop foutue de ma gueule ! Mais elle a vu comment ça s’est passé quand je suis ressorti ! (Hassan, ex-détenu)
Ma soeur, elle a rien fait quand j’étais au placard, rien… Ça, pour sortir avec un tel ou un tel, ça va… Pour toutes les fois où je l’ai aidée ! Elle sait très bien qu’il y a des choses, je pouvais pas le demander à ma mère, elle est trop fatiguée, et déjà, qu’elle vienne de temps en temps au parloir, c’était déjà beaucoup. Mais elle, elle pouvait apporter du linge. C’est facile… Tiens, quand je suis sorti, elle a tout de suite arrêté ses conneries… (Ahmed, ex-détenu)
La garde-à-vue, ainsi que le début de l’instruction, est souvent l’occasion pour les familles, comme pour les détenus, d’apprendre des faits, des événements passés, des éléments de l’histoire conjugale ou familiale qui avaient été cachés. Ainsi, Bertrand (maison d’arrêt de Pau) a appris pendant sa garde-à-vue que son épouse le trompait. En ce sens également, l’incarcération peut être un soulagement, car « tout devient clair ».

L’indifférence : l’inévitable et le routinier
« Quand je suis incarcéré ? Mes proches, ils sont blasés… » Les propos d’Hassan, déjà incarcéré à quatre reprises, révèlent un entourage habitué à la prison. Parce que les incarcérations sont devenues routinières ou parce que le comportement devait aboutir à la prison, les proches peuvent également exprimer une impression de routine, voire de la lassitude.
Certains détenus ont eu, par la famille ou plus généralement les proches, si ce n’est une « socialisation délinquante », au moins une familiarisation avec l’univers de la prison, qui fait de l’incarcération un événement possible. Ces personnes connaissent donc déjà certains usages de ce milieu.
Je suis arrivé en prison comme si j’allais à la boulangerie… J’avais des connaissances du quartier qui y étaient déjà allées. J’avais vaguement pensé y aller, mais je ne me rendais pas compte. Les deux premiers jours, j’ai rien compris… Après, c’est dur. (Je
an-Marc, maison d’arrêt de Pau)
La première fois, je ne me suis pas inquiété, et c’est ça qu’est grave pour les mecs comme nous qui grandissent dans les cités. Parce que pour moi, c’était une deuxième cité. Y avait que des gens que je connaissais. On retrouve toujours les mêmes, c’est un peu comme une carte de fidélité le placard. Tu grattes, t’as des points, jusqu’à ce qu’ils te lâchent parce que t’es plus tout jeune ! (Samir, centre de détention de Bapaume)
A dix-huit ans, bien sûr que j’savais qu’un jour j’irais en prison… parce que tous mes potes y étaient déjà, ils faisaient l’aller-retour. En plus, j’allais les voir sur la colline, à V***. Derrière la prison, y a un endroit pour faire des sortes de parloirs sauvages… En plus, quand je suis arrivé au placard, j’étais là pour une agression à deux francs… J’ai vu qu’les autres, au moins, ils s’étaient fait de l’argent, et ils allaient se prendre comme moi. Alors quand je suis sorti, j’ai vendu du shit. Et c’est ce qui m’a ramené en prison, l’I.L.S. La première fois, la maison d’arrêt, c’est un piège pour les jeunes comme nous. On rencontre tous nos potes, que des personnes que tu connais, t’as tous tes repères… (Fayçal, centre de détention de Bapaume)
Certains détenus (parfois auteurs des crimes les plus graves) constituent un vrai défi aux théories dites de la « rationalité de la peine » : passés à l’acte en toute connaissance de la peine encourue et certains d’y être condamnés, ils ont donc été insensibles à la fonction inhibitrice de la prison. Ainsi, Yannick (maison centrale de Clairvaux) a commis le crime pour lequel il purge une peine de réclusion à perpétuité lors d’une permission de sortir obtenue au cours d’une précédente peine de dix ans :
Bien sûr que je savais que j’allais aller en prison. Je ne suis pas un imbécile. C’était soit la morgue, soit la prison. Je savais ce qui m’attendait… Dans mon histoire, il n’y a rien de passionnel. Je savais que c’était la perpétuité. Mais pas au-delà ! [Il rit.] Le verdict, je me le suis donné d’avance… Mes proches ne connaissaient pas mes intentions, sinon ils ne m’auraient pas laissé sortir…
Les proches peuvent également ne pas se sentir concerné ou être indifférents à l’incarcération, car l’histoire familiale s’est écrite à partir d’expériences davantage déterminantes (un décès, une agression sexuelle, etc.). Il ne faut pas oublier que la prison est une unité théorique, née de l’intérêt du chercheur (on l’a vu par exemple avec les parcours toxicomaniaques : Devresse, 2004, 135-136). L’expression d’une continuité du vécu social dedans et dehors n’est pas rare, comme le trahit cette formule : « La zonzon, c’est comme dehors. » On retrouvera d’ailleurs ce discours à propos de la « misère sexuelle ».

3. La famille, au risque de la prison
Il existe deux préjugés opposés et tout aussi faux : l’un fait des proches de détenus des victimes, l’autre associe aux délinquants leurs familles. Celles-ci seraient, au pire, coupables (par association/complicité ou par contamination) et, au mieux, responsables. D’ailleurs, l’article 227-17 du Code pénal permet de sanctionner les parents pour les fautes de leurs enfants avec des peines allant jusqu’à la prison ferme.
Le lien entre famille dissociée et délinquance n’est pourtant pas établi. Wells et Rankin (1991, 1985) ont recensé les corrélations établies par une cinquantaine d’études depuis plus d’un demi-siècle. La mesure de cette relation varie de un à dix, essentiellement selon les présupposées, la méthodologie et les indicateurs utilisés. La corrélation entre famille dissociée et délinquance est faible ou nulle pour les délits graves (vols, comportements violents), un peu plus forte pour la consommation de drogues (surtout « douces ») et seulement significative pour les « comportements problématiques ». Or on sait que la définition de ceux-ci résulte de critères culturels. Ainsi, une étude, menée dans les années 1990, par le programme International Self Report Delinquency, indique que les « broken homes » sont liées à la consommation de drogues et aux « status offenses », non à la délinquance et à la criminalité (in Mucchielli, 2000). Hirshi (1969), puis Wells et Rankin (1985) et Von Voorhis et al. (1988), ont noté que la proportion d’enfants issus de familles dissociées est plus forte parmi ceux condamnés et/ou suivis par la Justice que parmi les mineurs qui déclarent des comportements délictueux dans les enquêtes de délinquance autorévélée. Cela traduit un double effet de stigmatisation : c’est d’une part la conséquence du préjugé selon lequel le parent seul serait moins capable d’élever correctement son enfant ; d’autre part, si les délinquants et les familles dissociées se retrouvent plus dans les classes populaires, établir un lien de cause à effet serait une erreur.

B. LES PROCHES FACE A LA PRISON
L’incarcération d’un proche implique l’apprentissage des nouvelles règles auxquelles les relations avec lui seront soumises. La plupart des établissements affichent des notes explicatives comme celle de la maison d’arrêt de Pau (voir Annexes, doc. 2.b). Il n’est en effet pas rare que certains ignorent la nécessité d’un permis de visite pour rencontrer la personne incarcérée, d’autres pensent qu’on peut, en permanence, la voir ou même lui téléphoner.
Parmi leurs premières impressions, les familles de détenus citent unanimement le mépris avec lequel les institutions, à commencer par l’Administration pénitentiaire, les traitent. Deane (1988, 48) insistait notamment sur le sentiment des proches d’être traités « comme des criminels ». Bénédicte, compagne de détenu, exprime cette sensation :
En France, les familles, quoique « privilégiées » (« Travail, Famille, Patrie », hein ?), ami(e)s et autres, c’est attention ! Danger pour la sécurité ! On fait chier d’exister, alors charité chrétienne et pays des droits de l’homme obligent, on nous donne des micro miettes de temps pour leur conscience et leur humanisme, et surtout pas de sexe, « pas de ça chez nous » ou alors juste un peu… Oui, mais, le colis de Noël, qui fait l’unanimité dans toutes les taules : « Merci, mon Dieu ! » [Elle rit.] On est ceux/celles en général qui rentrons le moins loin dans la détention, bon d’accord, ça permet à ceux et celles que l’on vient voir d’être près de la sortie !
Au début de l’incarcération (marquée par l’instruction, puis le procès), la famille se réorganise, les proches manifestent ou non leur solidarité. La désapprobation ou l’absence de soutien peut entraîner des séparations, notamment lorsque la belle-famille rejette la responsabilité sur la femme (Carlson, Cervera, 1991a). D’ailleurs, l’incarcération peut être un moyen pour la famille (en particulier la mère) de « récupérer » le détenu.
Cette période est particulièrement difficile pour le détenu car ses liens avec sa famille (et plus généralement ses proches) subissent un « moment de vérité » : les ruptures ont proportionnellement davantage lieu au début. Selon l’INSEE (2002, 43), plus d’une union sur dix serait rompue dans le mois qui suit l’incarcération. Ensuite, 20% le seraient au cours de la première année, 25% dans les deux premières années et 36% dans les cinq premières années.
Mais l’INSEE se déclare incompétente à déterminer si les comportements délictueux sont à l’origine ou, à l’inverse, le résultat des ruptures d’union. Si les proches rompent souvent relativement vite, avec le temps, les couples continuent à se séparer, nonobstant une diminution (en proportion) de la tendance. Une union a donc moins de risque de se rompre, après trois ans d’incarcération, pendant les deux prochaines années que durant le premier mois
d’incarcération. Le début de l’incarcération est donc généralement décrit comme le plus douloureux, concentrant la plupart des ruptures et des déceptions, comme le raconte Fayçal (centre de détention de Bapaume) : « Tu tombes de haut… Tout le monde te lâche… »

1. L’expérience de la séparation
Durant les premiers jours de l’incarcération, dans l’attente de la première lettre et du premier parloir, les détenus appréhendent généralement la façon dont leurs proches ont appris la nouvelle de leur détention. Ils ne savent souvent encore rien de comment leur entourage a vécu leur arrestation.
Pourvu qu’on ne lui dise rien ! Pas encore, oh, pas encore ! Le temps que tout s’arrange ! Pauvre Grand-mère ! Comment supporterait-elle un choc pareil ? Une honte pareille ? Sa gamine en prison ! Grand-mère, fragile des jambes, du coeur. La nouvelle pourrait la tuer. Une crise cardiaque, et j’en serais responsable ! Pourvu que ces imbéciles ne lui envoient pas un dossier officiel trop tôt ! (Saubin, 1991, 107)
Beaucoup de détenus se disent déconcertés par la solidarité de leurs proches, leur amour et leur confiance. Ils s’attendent à leur rejet, voire le sollicitent. Cette attitude est souvent interprétée par travailleurs sociaux, prompts au psychologisme, comme relevant d’une tendance masochiste. Elle relève plus certainement d’une réaction de protection : préférer quitter qu’être quitté. Ainsi, Jean, un prêtre incarcéré à la maison d’arrêt de Pau, raconte :
La congrégation a été très surprise. J’ai écrit à mes supérieurs pour leur dire que je me jugeais indigne de continuer à faire partie de la congrégation et donc pour m’exclure. Mais ils ont refusé, rien n’a été fait en ce sens.
Lorsque le détenu a déjà été confronté à la Justice dans le passé, les conséquences de son incarcération sur ses relations familiales sont parfois davantage angoissantes que pour un primaire. Il peut en effet craindre que la colère de ses proches, leur désapprobation, etc., surmontées jusqu’alors, ne soit, cette fois-ci, indépassables. Ce serait alors l’incarcération « de trop », celle entérinant une rupture.
Mes parents, ils ont changé. Là, je les ai tués avec ce qui m’arrive, c’est dur pour eux. La première fois, ça nous avait rendu plus fort, ça nous avait rapproché, surtout au début. Après, quand j’étais en C.D., loin, ça nous avait éloigné… Mais là, ça m’a encore plus éloigné d’eux. (Jean-François, maison d’arrêt des Baumettes)
Je croyais que ma famille voulait pas venir. Après, ils m’ont dit qu’ils allaient venir. J’ai failli refuser. Je savais pas quoi leur dire. Mon père me disait toujours : « Si tu vas en prison, tu n’es plus mon fils. » (Nadir, maison d’arrêt de Pau)
Nous l’avons observé durant notre activité de visiteuse de prison : les auteurs des crimes les plus graves préfèrent s’attendre au rejet. Généralement, ils disent « le pire », le moins écoutable, vite et brutalement. Si le bénévole ne part pas, s’il revient même, alors une relation peut s’instaurer et ils risquent peu d’être ensuite déçus, puisque le plus difficile, selon eux, a été surmonté. Ce type de comportement est souvent mal compris par les proches, qui peuvent penser, à l’instar d’Olivier (compagnon d’une détenue), qu’ils sont rejetés : « J’avais l’impression qu’elle voulait m’écoeurer pour que je ne vienne plus, comme si elle devait se manger sa connerie jusqu’au bout. »
La première lettre, j’y ai été franco. En cinq ou six lignes. J’ai mis le motif, la date… Mais j’ai mis du temps à me décider. J’ai eu une réponse dans la même semaine. Ça a été une surprise… Ça m’a réconforté. (Dominique, maison d’arrêt de Pau)
D’ailleurs, beaucoup de détenus se disent rassurés lorsque les proches expriment leur colère et/ou leur déception. C’est connu : rien n’est pire que l’indifférence. Souvent, ces discussions houleuses sont décrites comme permettant justement à la relation de continuer, comme le raconte Mikaël (incarcéré au centre de détention de Bapaume) : « Ma femme m’a passé un savon, surtout qu’elle ne savait pas tout. Mais on n’en parle pas trop. » D’ailleurs, dans certains cas, l’incarcération peut être l’occasion d’une réactivation des solidarités. Louise, une jeune « voyageuse » (manouche), incarcérée à la maison d’arrêt de Pau, craignait tout particulièrement l’abandon de ses proches, étant incarcérée suite à un infanticide :
Ma famille est encore plus proche. Maintenant, ils me font la bise, alors que ça se faisait jamais. Mon père, il me disait : « T’es la moins de toutes les filles. » C’est une expression… Maintenant, je me sens plus aimée. […] Je pensais qu’ils allaient même pas me voir. Tout le terrain, ils me passent le bonjour. Ils ont compris. Y a même une femme mariée qui va faire une demande de parloir.
D’une façon générale, les premiers temps de l’incarcération éclairent ce qui, pour la personne incarcérée, fait sens dans ses relations familiales : « Que je sois là, ce n’est pas grave, ce que je ne supporte pas, c’est que ma mère souffre à cause de moi », « je m’attendais à ce qu’ils me lâchent… », etc. Rapidement, s’esquisse une réorganisation des liens familiaux, comme le raconte Lucette, centre de détention de Bapaume : « J’ai été bien entourée. Dès le départ, mes proches étaient en colère contre mon ex-mari. Mon fils, il m’a dit : -J’en veux à Papa, pas à toi, Maman.- [Elle pleure] »

2. Le premier parloir
Les personnes rencontrées se souviennent généralement parfaitement du premier parloir. Celui-ci est souvent empreint d’une dureté, mêlée à une impression de soulagement. En effet, la visite marque une solidarité réelle, bien plus qu’un courrier ou même un mandat :
La première lettre, c’était très court. Je l’ai écrite après le premier parloir. C’était angoissant ce premier parloir. Je n’attendais rien, mais j’attendais beaucoup… si vous voyez ce que je veux dire. Ils ne m’ont pas jugé, c’était surtout : « Pourquoi tu nous as pas dit ? On aurait pu t’aider financièrement… » La plupart des gens l’ont appris par la presse. (Jean-Rémi, centre de détention de Caen)
Le premier parloir, oui je m’en souviens… […] La peur, surtout. La peur, c’est quelque chose, quand on entre en prison, qui ne vous quitte plus, elle est toujours présente. Alors, de ce premier parloir, je ne me souviens que de la peur. Parce que même si avec ma soeur, il y a les liens du sang, je me demandais quelle serait sa réaction. Même si on se rend compte du mal qu’on a fait, on a besoin de ce soutien, de cette présence. Moi, j’ai la chance que ma famille m’ait suivi. Mais je me posais la question de leur réaction par rapport aux faits, à l’incarcération… On a peur que la personne vienne pour dire qu’elle ne viendra plus. J’étais prêt à accepter n’importe quoi. Ma mère m’a giflé, mais c’était presque un soulagement. Ça ne voulait pas dire qu’elle me pardonnait, mais qu’elle restait ma mère. C’était sa punition à elle. Et ce geste-là fait moins mal que certaines paroles. (Alain, centre de détention de Caen)
Le soulagement est visible, même si peu de propos sont échangés lors du premier parloir, comme Louise (maison d’arrêt de Pau) nous le raconte : « Mon premier parloir avec ma mère, c’était très, très dur, il y avait trop d’émotions. On a fait que pleurer. J’ai pas desserré les dents. » Roselyne (centre de détention de Bapaume), incarcérée six ans auparavant, raconte :
Le premier parloir, c’était avec mon mari. Il a été prévenu par les services sociaux. Ça était un soulagement, mais c’était dur. Je savais que c’était pour des années. Il y a eu beaucoup de pleurs.
De plus, pour certain
s proches, la réalité découverte lors de l’incarcération d’un proche est tellement brutale que leur état est proche de la sidération. C’est par exemple le cas décrit par Frédéric, détenu à Clairvaux, lorsqu’il évoque son incarcération après une cavale durant laquelle il a rencontré, puis vécu avec sa compagne actuelle :
Elle est venue au parloir comme si rien ne s’était passé. Comme si de rien. Pour moi, c’était bien. De toute façon, je n’avais pas les réponses aux questions qu’elle aurait pu me poser… Lorsqu’on regagne sa liberté de la façon dont je l’ai regagnée [par une évasion], et que tout s’arrête, on repart à moins zéro… Il faut déployer beaucoup d’énergie. Et elle a compris ça. Elle a été présente. Sincèrement, je ne pensais plus à rien. Et quand j’y ai pensé, je me suis dit qu’elle ne pourrait qu’être là. Parce que pendant ce temps regagné, c’était intense. Après, on a reparlé…
Dans le contexte du parloir – auquel les uns et les autres doivent s’habituer -encore sous le « choc » de l’incarcération, il est souvent difficile au nouveau détenu de s’exprimer.
Mon père, il est d’abord venu tout seul au parloir. Il voulait parler avec moi, rien que lui et moi. Il voulait des explications. Non, j’arrive pas à lui expliquer. Il me pose des questions. (Nadir, maison d’arrêt de Pau)
Les conditions concrètes de la visite, notamment sa brièveté et souvent la présence simultanée de plusieurs membres de la famille, empêchent souvent de réelles discussions et explications lors de ce premier parloir :
Mon premier parloir, c’était avec mon père, ma mère, ma soeur. C’était très chaud entre mon père et ma mère. Ils s’engueulaient… Ma mère accusait la famille de mon père… J’étais content d’avoir remué toute la merde ! (Cédric, centre de détention de Caen)
J’ai eu mon premier parloir après un mois, un mois et demi… On n’avait pas notre intimité. Sur le plan du couple, j’aurais souhaité qu’on soit tous les deux, mais il y avait tout le temps mes parents ou ma fille. (Jean-Luc, centre de détention de Caen)
Lors de ce premier parloir, la plupart des détenus veulent absolument (y compris malgré l’apparence flagrante du contraire) rassurer leurs proches. Ce souci de faire « bonne figure » est également partagé par les proches. On voit finalement moins de larmes dans les parloirs qu’à leur entrée ou à leur sortie.
Mes grands parents sont venus un mois après. C’est la première fois que mon grand-père pleurait. Je n’ai pas voulu pleurer pour ne pas leur faire du mal, mais j’ai craqué ensuite en cellule. (Valéry, centre de détention de Bapaume)
Mon premier parloir, ma mère est venue seule, elle m’a dit : « Ça te fait rire ? » Pour elle, c’était dur. Je lui ai montré que ça va, pour la rassurer. (Mikaël, centre de détention de Bapaume)
Plus rarement, ce premier parloir est l’occasion de renouer avec des personnes. Ainsi, Quentin (détenu à Caen), qui n’entretenait plus de relations avec sa mère, raconte :
Mais quand je l’ai vu, j’étais content, parce qu’on était fâché depuis deux ans… Alors ça m’a soulagé de la voir, parce que je pensais pas qu’elle allait venir. C’était parti en crabe [« mal parti »].
Dans des cas où le délit/crime est expliqué par la personne détenue comme une volonté de s’opposer à la famille, certains prisonniers expriment franchement leur plaisir (sadique ?) à voir leur proche venir au parloir :
Je crois pas que ça me faisait mal de les voir là, parce que pour moi, c’était plus comme une vengeance, comme pour leur faire du mal. Mais ça, je l’ai compris plus tard. (Pierre, maison centrale de Clairvaux)
Mon premier parloir, c’était avec ma mère, quelques semaines après mon arrestation… Bien sûr que je m’en souviens… Ma mère pleurait, et moi, ça me faisait rigoler. […] Ce qui me faisait rigoler ? Pour comprendre, il faut que je vous dise que ma mère est une femme très dure, alors, de la voir pleurer, je la voyais un peu petite… Ce qui me faisait rire, c’était de voir une femme qui pleure la douleur de son fils. (Marc, centre de détention de Bapaume)

C. L’EPREUVE DU PROCES
Le procès fait partie des moments décrits comme une épreuve par les détenus : d’après Fishman (1981), il serait aussi traumatisant que l’incarcération. La médiatisation de certaines affaires est particulièrement redoutable pour la cohésion familiale et difficile à vivre pour les personnes concernées [3]. D’ailleurs, les juges et la presse (bien plus que les policiers et les surveillants) suscitent parfois de durables sentiments de haine et furieux désirs – fantasmatiques – de vengeance. Jean-Rémi (centre de détention de Caen), dont l’histoire a d’ores et déjà inspiré un livre et un film, affirme nettement : « Le procès a été la semaine la plus dure en dix-neuf ans de prison. » La publicité des débats n’est pas étrangère au sentiment de honte souvent évoqué par les détenus, comme l’exprime Cédric (centre de détention de Caen) :
À mon procès, ma mère et mon amie de l’époque sont venues témoigner. Mais elles ne sont pas restées. C’est délicat, c’est gênant, c’est la honte pour une mère de voir son fils aux Assises, surtout pour ce que j’avais fait.
La médiatisation est d’autant plus cruellement ressentie par le détenu que le délit/crime, notamment s’il a un caractère sexuel, est stigmatisé. Ainsi, Christian, ancien détenu, raconte :
Pour ma famille, ça était très dur, mon arrestation et après le procès. La presse m’a descendu, ils disaient que j’étais un monstre. Aux Assises, c’était terrible aussi. Ma mère, elle a vieilli d’un coup…
Même lorsque la personne dit n’avoir pas honte de ses actes, voire en tire une certaine fierté (en particulier lorsqu’il s’agit d’actes politiques ou de grand banditisme), le procès est, par nature, humiliant. Frédéric, aujourd’hui incarcéré à la maison centrale de Clairvaux, et qui avait rencontré sa compagne pendant sa cavale, raconte ainsi :
Elle a été présente à tous mes procès. J’aurais préféré qu’elle ne soit pas là. C’était inutile. De voir un homme menotté, avec les entraves, dont on véhicule une certaine imagine de dangerosité, c’est pas beau à voir…
L’instruction, puis le procès (notamment au moment des témoignages), peuvent faire émerger des divisions au sein de la famille. Lorsque le procès doit juger un délit/crime commis sur une personne de la famille, le risque de cristallisation de conflits est évidemment encore supérieur. Ainsi, Louise, une jeune femme, incarcérée suite à un infanticide commis sur un enfant né d’une relation avec un proche, appréhende particulièrement son jugement :
C’était un homme de la famille. J’ai plus de contact. Il est parti. Mes parents étaient pas au courant, sinon, je serais pas ici. J’ai pas envie de le revoir, mais il va peut-être venir au procès. C’est ça que j’ai peur. Je voudrais pas le voir.
Lors du procès, les proches doivent décider de témoigner ou non en faveur de l’accusé. Or le fait que ses proches se désolidarisent est souvent plus blessant pour la personne jugée que n’importe quelle attitude malveillante de la famille des victimes. On accepte davantage d’être offensé par ceux qui nous sont, a priori, hostiles que d’être déçu par ceux qui sont supposés nous aimer. Ainsi, Patrice, incarcéré à Bapaume, relate :
Les familles des victimes, elles m’ont pardonné. Elles me l’ont même dit au procès… Mais ma famille, elle est venue témoigner contre moi. […] Au procès, en appel, juste avec le regard, je vais leur faire peur. J’ai fait du satanisme, j’ai appris la haine. Moi, je peux pousser quelqu’un au suicide rien qu’en regardant sa photo. Moi, j’ai adoré Satan, et pour s’en sor
tir, c’est pas facile, c’est comme une spirale, alors…
On a parfois l’impression que le procès est, pour certains détenus, l’occasion de se venger, publiquement, de leur famille. On surprend même, croyons-nous, dans les propos de Ronan (maison centrale de Clairvaux), une certaine délectation de l’embarras qu’a causé, à ses proches, son jugement :
Ma famille a eu très mal à mon procès, en particulier à cause de mes
déclarations. J’ai revendiqué mon crime. J’ai dit que je tenais à personne, et je l’ai dit très crûment. Ils s’en doutaient, en plus je leur avais déjà dit, mais là, de se s’entendre dire devant tout le monde… Ils se sont beaucoup remis en question sur mon éducation. Oui… parce que j’ai tué pour voir ce que ça faisait. Et ce qui s’est passé, c’était inimaginable pour eux.
L’histoire familiale s’écrit et se réécrit lors des procès. En effet, ceux-ci sont parfois l’occasion, pour les condamnés, d’apprendre des détails, jusqu’alors cachés, de leur vie familiale : des incestes, des violences, etc. Autant dire qu’on se découvre rarement, dans les salles des tribunaux, un « oncle d’Amérique ». Ainsi, Jean-Rémi, détenu au centre de détention de Caen, a appris les circonstances de son abandon très précoce. Lors de son procès, c’est toute son histoire familiale que Jean-François (maison d’arrêt des Baumettes) a découvert :
Mes parents étaient à mon procès, pour me soutenir et pour me témoigner. Mais ce qui a été dur, c’est que j’ai appris des choses… Les histoires de ma mère avec sa mère… Apparemment, y a eu des actes de barbarie… Moi, je croyais que ma mère était orpheline… Tout cela, je l’ai appris aux Assises. Même maintenant, d’y repenser, c’est dur. J’aurais préféré ne pas le savoir. Ça était plus dur que les dix ans que je me suis pris.
La publicité des débats peut permettre aux proches d’exprimer, par leur présence, leur solidarité. Beaucoup d’ailleurs nous ont dit leur déception que l’intéressé ne la remarque pas, trop absorbé par l’enjeu de l’audience. Toutefois, pour les personnes accusées des crimes les plus graves, rien (même la présence de leurs proches) se semble susceptible de les soutenir dans cette épreuve, comme le raconte Sonia (maison d’arrêt de Pau) :
Je ne suis pas pressée de passer en procès… Ça va être le lavage de linge en famille devant plein de personnes. On n’arrête pas de me rabâcher : « Trente ans ! » Mon père, je n’ai pas de nouvelles de lui depuis que j’ai cinq ans… Il ne me connaît pas. Il y a des chances qu’il soit à mon procès, ça va être bizarre. Ma mère, ça me fait chier qu’elle soit là… Honnêtement, y a rien qui pourrait me soutenir pendant mon procès.
La présence de proches est quelquefois moins charitable. Elle est parfois commandée par le désir d’observer la « tenue » de l’inculpé et de vérifier qu’il est « régulier » (« réglo »). En outre, certains procès sont, notamment dans le cas des crimes les plus odieux, des catalyseurs des passions collectives, comme le film M le Maudit (Lang, 1931) le montre bien. Les proches préfèrent donc s’épargner ce spectacle, auquel les autres assistent, fascinés par la « chute ». Ce voyeurisme est souvent douloureusement ressenti par les détenus, comme en témoigne Yannick (centrale de Clairvaux) :
– Mes parents sont venus à mon premier procès, pas au second. Ils ont beaucoup souffert au premier à cause des journalistes. Pour le second procès, c’était un show. J’ai donné à la presse ce quelle voulait…
– Qu’est ce qu’elle voulait ?
– Elle voulait découvrir une bête… J’étais déjà condamné. J’ai jamais plaidé mon innocence… Mais la Justice a fait de moi ce que je suis maintenant…
Kokoreff (2004, 108) remarque justement que le procès produit un « double travail de mise en scène de l’action pénale et de trajectoires biographiques ». En effet, le judiciaire rationalise l’expérience personnelle et l’acte, aidé, surtout lors d’un passage devant un cour d’assises, par les expertises psychologiques. Durant le procès, ces dernières, exposées publiquement, sont fréquemment particulièrement mal vécues. Entendre parler de soi et de ses proches, notamment par des « experts », provoque souvent un sentiment de solitude et de « déshumanité ». Les proches sont d’autant plus heurtés qu’ils peuvent eux-mêmes être tenus (publiquement) pour « moralement » responsables de la personnalité (et incidemment de tel ou tel passage à l’acte) de leur proche. Pierre, incarcéré à la maison centrale de Clairvaux, raconte ainsi :
Mon père est venu pendant mon procès aux Assises. On a expliqué qu’il était responsable de ce qui s’était passé… Mon père comprenait pas… Et tous ont dit pareil. Après, il a fait un accident cardiaque, il est tombé d’un coup à la barre.
Le sens de ces expertises sont généralement moins bien comprises et admises par les membres des classes supérieures, dont on connaît la plus forte réticence à recourir à des solutions légales pour des questions d’ordre privé (voir Sherman, Policing Domestic Violence, 1992). Se joue effectivement, au cours du procès, une disqualification sociale, diversement marquée selon les origines sociales. Pour ceux issus des classes populaires, le procès ne fait habituellement qu’entériner le sentiment d’exclusion. Celui-ci se manifeste notamment dans les différences de compétences linguistiques, c’est-à-dire la confrontation à un langage commun aux juges et aux avocats. En ce sens, il faut noter, avec Kokoreff (2004, 116), que le rôle de l’avocat entérine une double disqualification du prévenu : c’est celui qui parle bien (le « baveux ») et qui présente bien (le « pingouin »).

[1] Il y a, dans les établissements pénitentiaires, en moyenne, un CIP pour 100 détenus

[2] Dans les extraits d’entretien, les éléments entre crochets sont de la rédactrice.

[3] À cet égard, l’affaire « Grégory » est exemplaire. Voir : Lacour (1993)

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La rencontre
Ban public est la première étape de la réalisation d’une promesse faite à d’anciens compagnons, amis. La volonté de ne pas cesser de lutter en sortant. Et le serment était d’autant plus impossible à oublier que la peine et l’enfermement continuaient même dehors. Pour le reste ce fût une série de belles rencontres, d’énergies, d’envies communes, pour réunir en un seul lieu toutes les sources d’information sur la prison. Ban Public naît durant l’hiver 1999 de ce besoin de dire, de rompre le silence.

L’association
BAN PUBLIC est une association, loi de 1901, areligieuse, adogmatique et apolitique, qui a pour but de favoriser la communication sur les problématiques de l’incarcération et de la détention, et d’aider à la réinsertion des personnes détenues.

Par son nom, l’association BAN PUBLIC se veut un lien symbolique entre le dedans, caché parce qu’infâme aux yeux du monde, et le dehors qui ne sait pas ou n’accepte pas son reflet, son échec. Nous voulons ouvrir les portes et les yeux, afin que la prison devienne l’affaire de tous.

Composée d’ancien(e)s détenu(e)s, de journalistes, d’universitaires, d’artistes, d’associations… de citoyens, BAN PUBLIC développe son action autour d’un site Internet, prison.eu.org.

Un site indépendant consacré aux prisons
Ce projet est né d’une observation simple : la relative confidentialité et surtout la dispersion des sources, témoignages, rapports et études consacrés aux prisons et aux prisonnier(e)s.

L’objectif est double :
1. Créer une plate-forme d’information et de réflexion accessible et pédagogique, le site ayant pour objet l’échange et la production d’information et, plus globa
lement, la mise en relation de celles et ceux qui travaillent sur les prisons et pour les détenu(e)s.

2. Accroître la visibilité du problème de la détention et sensibiliser le grand public à ces questions.

Le contenu
Les informations disponibles en ligne touchent autant à la vie “ dedans ” que “ dehors ”. La ligne éditoriale privilégie le service (infos pratiques, guide forum, listes de diffusion) et l’information (veille, analyse, documentation). Les archives intègrent des documents aussi différents que des textes de lois, des rapports, des lettres, photos, dessins, articles, études, statistiques, liens hypertextes ou interviews, structurés par une base de données et coordonnés par un puissant moteur de recherche. L’accès à la totalité des contenus est gratuit.

Le réseau
La dynamique fédératrice du projet fonctionne sur la constitution d’un réseau transversal de (ex)détenu(e)s, de familles, d’intervenants professionnels ou bénévoles, d’associations, de journalistes ou de chercheurs. Ces producteurs d’informations sont reliés par une liste de diffusion, et les associations membres de BAN PUBLIC peuvent créer leur propre site Internet au sein du réseau prison.eu.org.

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