Fadéla sur www.elwatan.com (15.11.07) par Benaouda Lebdaï

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Fadéla M’Rabet (Écrivaine)
« Me taire m’aurait demandé du courage »
Considérée comme la première féministe algérienne, elle continue par l’écriture à arpentersa mémoire et affirmer ses convictions.

Après les années 1960-1970, en Algérie, vous êtes restée longtemps silencieuse.
J’ai été interdite de radio, de presse, d’université. Caricaturée ignoblement à la une des journaux, traitée d’aventurière à la solde de l’étranger. Sans soutien des intellectuels de l’époque, ni des organisations féminines (Ndlr : il n’existait alors que l’UNFA, dépendante du parti FLN) qui militaient pour la libération de l’Angola et du Mozambique, mais pas pour celle de la femme algérienne.
Quand avez-vous quitté l’Algérie ?
En juillet 1971. Tous mes diplômes étant français, j’ai obtenu très rapidement un poste d’assistante à la Faculté de médecine de Paris.
Et l’écriture ?
Pendant mes vacances, je faisais des reportages avec mon mari Tarik Maschino pour Le Monde diplomatique. Invitée dans les congrès internationaux, je continuai à dénoncer la condition de la femme algérienne. Dans ce combat, je me retrouvais seule Algérienne, mais toujours soutenue par des Tunisiennes, des Marocaines, remarquables d’intelligence et de culture. Il arrivait qu’une Algérienne sous influence vienne m’insulter en public.
Seule ?
En effet, pendant au moins vingt ans, j’ai mené mon combat dans une totale solitude du côté algérien, même si j’ai eu l’affection de mes élèves et de mes lecteurs. La relève s’est faite avec des jeunes femmes très courageuses à partir des années 1980.
Depuis, quel regard avait vous porté sur l’Algérie ?
Mon analyse n’a pas changé. Elle est toute entière dans La Femme algérienne , Les Algériennes et L’Algérie des illusions. La situation de la femme comme celle de l’homme tient à l’absence de démocratie. Leur situation ne doit rien à une particularité culturelle. Sa cause réside essentiellement dans la structure patriarcale de la société. Il n’est pas une seule religion qui ait favorisé, dans ce type de société, l’égalité des hommes et des femmes. En détruisant le système patriarcal, la bourgeoisie européenne a libéré, en grande partie les femmes. Accuser l’Islam, c’est prendre l’effet pour la cause. Je déplais à beaucoup de féministes d’ici (interview réalisée à Angers) et d’ailleurs quand je déclare que j’ai beaucoup de tendresse pour le prophète Mohammed.
Qu’entendez-vous par tendresse ?
Oui, j’ai beaucoup de tendresse pour cet homme qui, à l’époque où la femme n’était rien, lui a donné une personnalité juridique. A l’avant-garde de son temps, il lui a octroyé un statut supérieur à celui de la femme juive ou chrétienne. C’était, au VIIe siècle, une avancée considérable. Dérision, ses prétendus héritiers imitent servilement ce qu’il a établi au VIIe siècle. Au lieu de répéter l’histoire, ils devraient se tourner résolument vers des horizons encore inexplorés, comme le prophète en son temps, qui n’est plus notre temps. Ils devraient s’inspirer de son esprit de fondateur, de précurseur, de révolutionnaire. Le prophète a éduqué des tribus de bédouins incultes, non pas en les flattant, mais en leur donnant un art de vivre adapté à leur époque. Il a réussi, à force d’intelligence, de courage, d’amour, à les unir, à les éduquer et à jeter les bases d’une civilisation fabuleuse. Une civilisation qui n’est plus qu’un souvenir dans le monde arabe à cause d’une absence de volonté politique, et parce que les dirigeants de ces pays non seulement n’aiment pas leurs peuples, mais n’ont que mépris pour eux.
Vous êtes réapparue dans le champ éditorial avec Une Femme d’ici et d’ailleurs. Comment avez-vous repris votre plume ?
Le livre a été publié en 2005. J’ai recommencé à écrire sur l’Algérie dès que j’ai cessé mon activité hospitalo-universitaire. J’ai publié Une Enfance singulière en 2003. Ce livre, que j’avais en moi depuis toujours, je l’ai écrit pour que le monde de mon enfance ne meurt pas. La mort reste pour moi inacceptable, celle des êtres comme celle des peuples. Je voulais que ces femmes et ces hommes magnifiques, qui ont peuplé mon enfance, laissent une trace, ne serait-ce que dans une bibliothèque à Alger, Tunis, Rabat, Paris, parce que mes premiers ouvrages, je les ai trouvés dans les bibliothèques universitaires partout dans le monde.
Un besoin et un désir nécessaire ?
Effectivement, ces hommes et ces femmes m’ont faite autant que mes études en me donnant un modèle humaniste universaliste. C’est la raison pour laquelle des lecteurs de toutes origines se retrouvent dans mon enfance, Français, Italiens, Allemands, Russes… Ils retrouvent la figure du père, de la mère, de la grand-mère. Cette reconnaissance est ma plus grande gratification.
Vous êtes une scientifique. D’où vous vient ce désir d’écrire, et bien car dans vos derniers ouvrages, j’ai décelé de belles évocations poétiques ?
J’ai toujours hésité entre sciences humaines et sciences fondamentales. J’ai eu deux bacs, scientifique et philo. J’ai opté finalement pour une carrière scientifique parce que je voulais des certitudes que ne m’apportaient pas les Lettres. Je pensais enfin que les sciences biologiques seraient plus utiles à mon pays que la poésie. Je ne regrette pas mon choix. La biologie me sert plus dans la vie quotidienne que la littérature.
Revenons à votre premier ouvrage, La Femme algérienne. Etait-ce une nécessité de vouloir parler au nom des autres ?
J’ai écrit La Femme algérienne et Les Algériennes d’abord pour dénoncer ce crime contre l’innocence : le mariage forcé de petites filles qu’on retirait de l’école pour les marier, souvent à des hommes beaucoup plus âgés. Beaucoup d’entre elles se sont suicidées pour échapper à ce véritable viol. Comment pouvait-on parler de valeurs arabo-islamiques, alors que les trottoirs d’Alger étaient pleins de femmes répudiées, jetées avec leurs enfants hors du domicile conjugal ? On les retrouvait avec de toutes jeunes filles séduites et abandonnées, dans des bordels autogérés. Ne pas dénoncer cette barbarie, c’était être complice de malfaiteurs, c’était ne pas porter assistance à personne en danger. Jusqu’à présent, je ne vois pas d’héroïsme à ce que j’ai fait. C’était me taire qui m’aurait demandé du courage.
Il y a autre chose dans cet ouvrage, une critique globale de la société algérienne, toujours d’actualité, du reste ?
Oui, je n’ai pas seulement dénoncé la barbarie contre des enfants, et les femmes, j’ai dénoncé aussi l’absence de démocratie. Si la femme restait un sous-être humain, l’homme n’était pas un citoyen sous ce régime qui se prétendait démocratique et populaire.
Avez-vous été réduite au silence durant ces années ?
Personne ne m’a jamais menacée. Mais, pendant dix ans, l’ambassade d’Algérie à Paris a refusé de me renouveler mes papiers. Je les ai obtenus seulement à l’époque de Chadli et je ne me suis jamais autocensurée. Je parle quand j’en éprouve le besoin et quand on veut bien me donner la parole.
Vous avez aussi écrit sur les maliennes.
Dans Une Femme d’ici et d’ailleurs, j’ai décrit tout simplement la magie de la rue africaine bigarrée, sensuelle, joyeuse, contrastant avec l’austérité, la tristesse de la foule algérienne. J’ai dit mon éblouissement devant la beauté des Africains, leur générosité et leur absence d’agressivité.
Pourquoi le Mali ?
J’étais au mali en pèlerinage personnel. Mon cousin Wahib Abdelwahab Abada y avait eu un accident d’avion. Il était conseiller du ministre des Affaires étrangères, M. Benyahia, et il était avec lui quand leur avion est tombé dans la savane malienne*. Dans mon livre, je fais de Wahib un beau portrait d’Algérien qui aimait son pays et qui est resté fidèle aux idéaux de l’Algérie de notre enfance.
Plus de quarante ans après La femme algérienne, êtes-vous optimiste ?
Quand je suis en Algérie, je ressens une double oppression : celle des morts et celle des vivants. Les morts imposent leur loi aux vivants et chaque homme, chaque femme veut imposer sa loi à l’autre. Les Algériens sont soumis à cette double violence en permanence. On fera un grand progrès le jour où les féministes auront comme objectif, non pas le pouvoir pour être à leur tour des mollahs en jupon, mais la démocratie. Avec des hommes et des femmes réconciliés qui auront un désir commun : le bonheur, ici et maintenant. Dans le respect de soi et des autres. Dans la dignité. Dignité incarnée par les femmes de l’Algérie de mon enfance, ces magnifiques ambassadrices de leur pays et de l’Afrique, berceau de l’humanité.

* Ndlr : L’accident a eu lieu en 1981, M.S. Benyahia et A. Abada sortiront miraculeusement indemnes. Cependant, en mai 1982, Benyahia et 15 cadres du MAE, en mission de paix durant le conflit Irak-Iran, périrent suite à un« mystérieux « tir de missile contre leur avion à la frontière Turquie-Irak (cf. El Watan, 3 mai 2007).

Repères

Issue d’une famille de Skikda, Fadela M’rabet effectua une scolarité brillante qui lui permit de se rendre à Strasbourg dans les années cinquante pour étudier la biologie. Elle fut l’une des premières algériennes à étudier à l’étranger. En France, elle entre en contact avec les milieux nationalistes et milite pour l’indépendance. Elle observe en 1956 la grève des étudiants et se voit exclue pour cela d’un collège où elle travaillait. A l’indépendance, elle entre au pays et enseigne au Lycée de filles Frantz Fanon (Bab-El-Oued). Elle rencontre et épouse alors un autre professeur de lycée d’Alger, Tariq Maurice Maschino, français d’origine russe, militant pour l’indépendance de l’Algérie, converti à l’Islam et naturalisé algérien en 1963. Son premier livre, La femme algérienne (Maspero, 1965), vaut à M’rabet la reconnaissance de ses nombreux lecteurs et provoque un des premiers débats de société de l’Algérie indépendante. Elle a publié Les Algériennes (Maspero, 1967), L’Algérie des illusions (Laffont, 1972, cosigné avec Maschino), Une Enfance singulière (Balland, 2003), réédité à Alger par l’Anep, Une Femme d’ici et d’ailleurs (Ed. de l’Aube, 2005) et Le Chat aux yeux d’or, une illusion algérienne (Ed. des Femmes-Antoinette Fouque, 2006).

Benaouda Lebdaï

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