Radio Notre Dame est le premier média à inviter Sylvie Glissant pour évoquer le 38ème Marché de la Poésie dont elle est Présidente d’honneur en 2020

Réécoutez l’émission de Radio Notre Dame avec Vincent Gimeno-Pons délégué général du 38ème Marché de la Poésie et Sylvie Glissant, Présidente d’honneur cette année où les Outre-Mer sont à l’honneur : https://radionotredame.net/emissions/enquetedesens/02-03-2020/

2 mars 2020 : La poésie peut elle nous aider à aller mieux ?

Vincent Gimeno-Pons : Délégué général du Marché de la poésie

41haBLmU0KL._SX301_BO1,204,203,200_Sylvie Glissant présidente d’honneur de ce 38 ème marché de la poésie qui aura lieu en juin 2020 et mettra cette année à l’honneur l’Outre-Mer. Elle est peintre et psychanalyste. Elle dirige l’Institut du Tout-Monde, fondé par Edouard Glissant. Elle a écrit « La terre magnétique. Les errances de Rapa Nui, l’Ile de Pâques » avec Edouard Glissant

 
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Christilla Pellé-Douël, journaliste Psychologie Magazine et  l’auteure de « Ces livres qui nous font du bien, initiation à la bibliothérapie »(Marabout)

Jasmine Catou au Salon Culture et Jeux mathématiques, une nouvelle inédite de Christian de Moliner

Jasmine Catou au Salon Culture et Jeux mathématiques, une nouvelle inédite de Christian de Moliner

Pour les fans de Jasmine Catou, voilà une nouvelle enquête de la célèbre chatte détective. Tous les anecdotes sur les mathématiques aussi incroyables qu’elles soient sont vraies !
Je soupire : moi qui n’aime tant que me prélasser sur mon canapé, je suis une nouvelle fois sur le front, loin de notre petit appartement. J’aurais dû me méfier quand Philippe, le client de Maman qui nous rendait visite, s’est extasié devant moi :
– Votre chatte est vraiment magnifique, elle a une présence incroyable et elle attire les regards sur elle. Nous allons la faire poser à côté d’un ruban de Mobius en bois et nous aurons ainsi l’affiche pour le prochain salon des mathématiques !
Je ne connaissais pas encore les propriétés de la figure géométrique qui allait partager la vedette avec moi, mais j’étais ravie d’entamer une carrière de mannequin. D’après Philippe, le comité qu’il présidait ferait de la publicité dans les principaux médias écrits. J’étais contente de devenir une star.
Philippe est revenu la semaine suivante, avec une caisse recouverte d’un velours noir et un huit en bois blanc, le fameux ruban de Mobius. Il nous a expliqué que ce dernier n’avait qu’un seul côté et non deux comme les objets ordinaires. Il a fait une démonstration en suivant du doigt l’intérieur de la boucle, mais je n’ai pas compris grand-chose à son argumentation : je ne dois pas avoir l’esprit scientifique. Maman non plus si j’en crois l’air interrogatif qu’elle arborait. Heureusement, les attachées de presse n’ont nul besoin d’être expertes dans les domaines qu’elles défendent, sinon qui ferait la publicité du salon des mathématiques ?
J’ai pris la pose sur la caisse, transformée en podium, le ruban de Mobius étant placé contre le rebord de ce dernier. Ma mère m’a photographiée sous tous les angles afin de composer l’affiche, elle est douée dans ce domaine. J’ai été mitraillé une cinquantaine de fois, avant que Philippe et Agathe ne se déclarent satisfaits.
Le résultat est flatteur ; je suis mise en valeur et je pense que ma photo a fait sensation dans la presse écrite, que de nombreux Parisiens sont tombés amoureux de moi. Je plaisante ! Vous savez bien que je ne suis pas prétentieuse.
Hélas toute médaille a son revers. Puisque je suis l’égérie du salon des mathématiques, je me dois d’être présente pendant les quatre jours que dure cette manifestation. Enfin, on ne m’oblige pas à rester confinée dans une cage, comme lors du concours de beauté féline auquel j’ai participé l’année dernière. Je suis libre de me promener comme je l’entends, du moment que je revienne de temps à autre sur la petite table qu’on a aménagée pour moi. À côté de l’espace qui m’est réservé, trône un magnifique ruban de Mobius en bois vernis. Le public se presse autour de nous, mais je crois, sans me flatter, avoir plus de succès que l’objet mathématiques. Pourtant, une affiche précise sa particularité géométrique et explique pourquoi il est si exceptionnel. Malgré cela, je reçois plus d’éloges que le huit en chêne verni :
– Quel beau chat !
– J’en voudrais un comme lui, Maman.
Je m’efforce de ne pas me rengorger et de rester humble. Le destin vous assigne à la naissance des gènes qui vous rendent séduisante ou quelconque et vous n’y êtes pour rien. Bien folle celle dont la beauté lui monte à la tête !
Ah voilà Maman qui vient me chercher. Ce matin, elle m’a avertie que je devais me tenir à côté des membres du jury pendant la remise du prix Gödel. Cette distinction a été créée pour ce salon et porte le nom d’un mathématicien célèbre. Selon Philippe, ce chercheur était à la fois génial et perturbé. À la fin de sa vie, il vivait comme un clochard et ne mangeait plus tant il redoutait d’être empoisonné. Notre visiteur a ajouté, sarcastique que les mathématiques rendent fou ; il a raison au vu des anecdotes qu’il nous a rapportées.
Philippe fait une brève allocution dans laquelle il remercie le public d’être au rendez-vous, les jurés d’avoir lu les diverses thèses qui concouraient pour le prix. Il laisse ensuite la parole à un des confrères, Hervé Liers, un des plus grands mathématiciens Français. Il a décroché le prix Abel, l’équivalent du Nobel dans sa matière. Quand il a déjeuné chez nous, Philippe nous a raconté une historiette qu’il tient pour fausse : Alfred Nobel lorsqu’il a créé les prix qui portent son nom aurait délibérément écarté les mathématiques, car le jury aurait immanquablement récompensé Niels Abel, l’hypothétique amant de Madame Nobel. En 2003, les Norvégiens ont créé le prix Abel, aussi richement doté et aussi prestigieux que les Nobels pour honorer les mathématiciens et combler une lacune.
Hervé Liers me plait : il porte une moustache à la Hercule Poirot avec deux fines pointes dressées vers le haut. Il arbore un nœud papillon de couleur grenat et il a agrafé sur le revers de son veston une chouette dorée. Cet oiseau nocturne serait d’après Philippe, qui est une source inépuisable de renseignements son totem et il lui porte un culte fervent. Bref M. Liers est un original comme le sont beaucoup de ses confrères. Néanmoins, il inspire la sympathie et il est un chercheur de premier plan ; il participe au rayonnement de la France en mathématiques, domaine où notre pays est leader avec les États-Unis. Je cite Philippe.
M. Liers commence dans son discours par présenter Kurt Gödel. Il trace sa biographie en quelques lignes, avant d’expliquer le théorème le plus célèbre que ce savant a démontré, celui de l’incomplétude qui porte son nom. Je me raidis à l’avance étant sûre de ne rien comprendre : je suis totalement hermétique aux mathématiques.
– Pour illustrer cette proposition, je vais vous raconter une fable, s’amuse Hervé Liers. Imaginez que dans une petite ville, le conseil municipal décrète, sous peine d’amende, que tous les hommes qui ne se rasent pas eux-mêmes doivent l’être par Frantz le barbier et que ce dernier ne doit raser que ses concitoyens qui ne le font pas eux-mêmes. Frantz sera vite dans une impasse. S’il ne se rase pas lui-même, il contrevient à l’arrêté, car il doit s’occuper de sa barbe selon le décret. S’il se rase, il est également en faute, car il ne doit offrir ses services qu’à ceux qui n’entretiennent pas eux-mêmes leurs barbes. Le malheureux Frantz n’a aucune échappatoire sauf s’il est une femme, ce qu’il n’est pas. Selon le théorème de l’incomplétude de Gödel, dans toute théorie mathématique, un résultat peut être soit vrai soit faux soit indémontrable – On dit indécidable – La situation de Frantz illustre ce troisième cas.
Miaou ! Au secours ! J’ai mal à la tête ; je ne comprends rien à ce galimatias scientifique. Les mathématiciens aiment se placer dans des situations impossibles. Dans la vraie vie aucun conseil municipal ne prendra un décret aussi stupide. Je me mets à ronronner discrètement et Maman comprend le message : elle me caresse la tête. Je me détends et me serre contre elle.
M. Liers continue son discours en présentant les deux finalistes du prix Gödel. Ils les invitent à le rejoindre et à se placer à sa droite.
Le premier se prénomme Christophe ; il est petit, ses cheveux sont longs et son jean est troué. Je ne crois pas qu’il suive la mode, mais que son pantalon est usé à force d’être porté. Le second, Benjamin, fait contraste avec lui, il est grand, athlétique, il est impeccablement habillé avec un costume gris de bonne coupe, une chemise bleue et une cravate foncée : le sdf et le dandy ! Ce sont les mots qui me viennent à l’esprit lorsque je les regarde.
Hervé explique que les deux candidats sont normaliens ; les humains semblent accorder beaucoup d’importance à cette qualité. Les finalistes sont tous les deux boursiers à l’école de la rue d’Ulm. Christophe a étudié les singularités des variétés non affines et Benjamin les idéaux non principaux des extensions algébriques des corps d’entiers en base p. Ne me demandez pas ce que ces recherches recouvrent : Hervé Liers a tenté d’en donner un aperçu, en vain. Et à voir les mines dubitatives du public je ne suis pas la seule à n’avoir rien compris. Cependant, je fais confiance au jury, ces travaux sont sans nul doute novateurs et importants, même s’il est impossible présentement de savoir à quoi ils serviront. Philippe, toujours en verve, nous a donné un exemple célèbre lorsqu’il a déjeuné chez nous : les matrices paraissaient n’avoir aucun intérêt lorsque les chercheurs qui les ont étudiées ont découvert leurs principales propriétés. Or elles se sont révélées par la suite capitales pour la relativité et la mécanique quantique ; elles ont permis des avancées majeures en physique. Bien entendu, j’ignore tout des matrices, de la relativité d’Einstein, de la physique quantique et des liens qui les unissent.
Philippe a copié la cérémonie des Césars que nous regardons à la télévision avec Maman : une de ses étudiantes amène à Hervé une enveloppe dans laquelle se trouve le nom du lauréat. Le mathématicien à la chouette d’or prend son temps, décachette le courrier, en sort un petit morceau de carton, fait mine de le lire soigneusement et annonce enfin :
– Christophe Coiffeur pour ses travaux sur les singularités des variétés non affines.
Les humains évidement applaudissent à tout rompre à l’énoncé du verdict. Mais celui-ci fait aussitôt l’objet d’une vive contestation au point que le public, surpris, arrête de frapper dans ses mains. Benjamin est pris d’une crise de rage, il invective son camarade.
– C’est un scandale ; les travaux de Coiffeur présentent une faille énorme qui invalide ses résultats. Et il le sait, il me l’a avoué. Ce faussaire a réussi à vous tromper et vous le récompensez !
Philippe se dirige vers le chercheur en fronçant les sourcils :
– Calmez-vous Christophe, je vous prie. Soyez beau joueur.
– Je me moque de perdre. Je ne prétends pas que mes théorèmes sur les idéaux principaux soient extraordinaires. J’estime même qu’ils ne méritent aucune récompense. Mais je refuse qu’un tricheur triomphe. Je connais beaucoup de jeunes chercheurs que vous auriez dû distinguer à la place de ce falsificateur.
Hervé Liers s’approche à son tour, le visage fermé.
– J’ai transmis ton émail à tous les membres du jury. Nous étions bien embarrassés. Tu ne nous apportais aucune preuve. Selon toi, un soir de beuverie Christophe Coiffeur t’aurait avoué que sa théorie présentait une faille béante, restée jusqu’à présent inaperçue, mais tu ignores laquelle. Malheureusement, personne à part toi n’a entendu les prétendues confidences de ton camarade et ne peut appuyer tes dires. Dans le doute, j’ai décidé de vérifier points par points sa thèse. J’ai consacré à cette révision tout mon week-end et tous les soirs de cette semaine. Je n’ai trouvé aucune erreur. Les travaux de Coiffeur me semblent parfaitement cohérents et je les valide.
– Vous souvenez-vous de la démonstration du théorème de Fermat ? La première version paraissait crédible aux yeux de tous, mais au bout d’un an on s’est aperçu qu’un des maillons de la chaîne des arguments était manquant. Je ne doute pas du sérieux avec laquelle vous avez examiné les théorèmes de Coiffeur, mais vous avez procédé dans l’urgence et en dépit de votre bonne volonté vous avez peut-être admis une déduction fausse, surtout si elle a l’apparence de la vérité.
M. Liers a l’air contrarié : est-ce parce que la caution qu’il apporte, lui le grand chercheur récompensé à l’international, ne semble pas suffisante aux yeux de cet étudiant ou pour une autre raison ? Je connaissais l’anecdote mise en avant par Benjamin, car évidemment Philippe nous avait parlé du lemme de Fermat. Je n’ai retenu de son exposé que deux points : l’énoncé du théorème est simple et Fermat a prétendu l’avoir démontré en quelques lignes, mais sans expliquer comment il y était parvenu. Pendant trois cents ans des milliers de chercheurs se sont échinés en vain à retrouver ce résultat prétendument facile avant qu’un Russe, vivant encore chez sa mère très âgée et en voie de clochardisation avancée, ne parvienne à élaborer une solution complexe, qu’il a réussi à affiner après qu’on eut relevé une imprécision. Indifférent à l’argent, il a refusé la récompense d’un million de dollars, offerte par un mécène à celui qui résoudrait ce problème. Les mathématiques sont un monde à part, un univers où les illuminés sont rois. Pour ma part, si j’étais humaine, je ne sacrifierais pas douze mois de ma vie à vérifier la démonstration d’un théorème qu’on savait juste depuis trois siècles.
– Le débat est clos, décrète Hervé Liers. Nous allons si vous le voulez bien poursuivre cette cérémonie.
Pourtant, il semble gêné, peu sûr de lui. Deux gardes de sécurité ont fait leur apparition et encadrent le contestataire.
– Tu ne l’emporteras pas au paradis, hurle Benjamin.
– Calmez-vous ou sortez, ordonne Philippe d’un ton sec.
Le normalien maugrée avant de hausser les épaules et de se tenir coi. Hervé Liers reprend le fil de son discours, mais le cœur n’y est plus. Il bâcle l’éloge de Christophe. Celui-ci bredouille quelques remerciements à ses professeurs, à son directeur de thèse et à ses parents. On remet au lauréat un chèque géant ; je m’approche dans les bras de Maman et un photographe immortalise la scène réunissant la mascotte du salon des mathématiques portée par sa mère, le vainqueur 2020 du prix Gödel serrant sa récompense contre sa poitrine, le détenteur du prix Abel et l’organisateur de cette manifestation. Le cliché pris, le lauréat plie sans façon son chèque en huit avant de le glisser dans sa poche. Quelle désinvolture !
À l’invitation de Philippe, la foule se rue sur le buffet. Maman me dépose sur le sol, en me demandant de faire attention et de ne pas trop m’éloigner. Par curiosité, je m’attache aux pas d’Hervé Liers ; il paraît si préoccupé que Philippe s’approche de lui en souriant et essaye de lui remonter le moral :
– Détends-toi, cher ami ! Tu es trop crispé. Veux-tu que j’aille te chercher une flûte de champagne ? À moins que tu ne préfères un jus d’orange ?
– J’espère que nous ne serons pas désavoués, grommelle son collègue.
– Que passe-t-il ? Aurais-tu à nouveau des doutes ?
– Oui, à la réflexion, je me demande si le passage à la limite du paragraphe cinq est vraiment justifié.
– Attends ! Tu m’as assuré que oui !
– Depuis, mon inconscient a travaillé en arrière-plan, j’ai un contre-exemple à étudier.
Philippe pâlit.
– Pourquoi ne nous en as-tu pas parlé tout à l’heure. Nous aurions retardé la remise du prix Gödel, expliqué qu’il fallait procéder à de nouvelles vérifications. Là, tu nous mets dans le pétrin.
– Écoute, à première vue le contre-exemple auquel je pense ne marche pas. Seulement, je dois poser mes équations dans le calme de mon laboratoire pour m’en assurer. Mais ne t’inquiète pas. Il y a quatre-vingt-dix-neuf pour cent de chance pour que la thèse de Coiffeur soit correcte.
– Quand même ! Tu aurais dû nous faire part de tes réticences immédiatement !
– Navré, cette idée ne m’a effleuré que lorsque Benjamin Leurs a parlé du théorème de Fermat. Il était déjà trop tard !
– Nous sommes dans la mouise, grommelle Philippe. Combien de temps dureront tes vérifications ?
– Je l’ignore ! Une heure, une semaine, voire plus. Je ne veux plus prendre de risques. Mon avis devra être définitif et sans ambiguïté.
– En effet, ne te précipite surtout pas.
– Mon passage à la limite est justifié, les interrompt Christophe Coiffeur.
– Eh bien si votre argumentation est correcte, vous n’avez rien à craindre, rétorque Philippe.
– La probabilité que tu aies tort est infime, le rassure Hervé.
Le jeune homme s’éloigne en marmonnant. Je décide de le suivre pour le surveiller. Il fend la foule et se dirige vers le buffet. Il saisit deux coupes de champagne avant de s’extraire de la horde des invités, grimaçant un sourire à ceux qui le félicitent. Il regarde tout autour de lui avant de repérer Benjamin qui boude dans un coin. Il s’approche de lui et lui tend une des flûtes.
– Sans rancune, Benjy ?
– Laisse-moi tranquille ! Tu sais bien que je ne bois jamais d’alcool ! Et même si j’en consommais, je ne trinquerais pas avec toi.
– Pour ma part, je ne t’en veux pas.
– Parce qu’en plus je serais fautif ?
– Tu m’as traité de faussaire, je te rappelle !
– J’ajouterais un autre qualificatif si tu insistes : escroc.
– Eh bien, moi. Je bois à ta santé.
Il avale le contenu d’une des deux flûtes tout en narguant son camarade du regard. Mais son expression se fige et il s’écroule sur le sol, pris de convulsions, sa jambe droite repliée sous lui. Une femme crie dans la salle :
– Vite ! Le lauréat vient d’avoir une crise cardiaque.
On s’empresse autour du malheureux. Je m’écarte pour ne pas gêner les secours. Un homme barbu, sans doute, un médecin, s’agenouille, prend le pouls de Christophe, essaye un massage cardiaque. Mais il n’insiste pas et se relève :
– Il est mort, annonce-t-il.
Philippe et Hervé accourent, catastrophés.
– Que lui est-il arrivé, docteur Mysers ? Il a fait un infarctus, un AVC ? demande Hervé.
– Non ! Au vu des symptômes, il a été empoisonné au cyanure.
– Vous plaisantez ?
– Hélas non !
– Que personne ne sorte, ordonne Philippe aux agents de sécurité qui viennent demander des instructions. Et que quelqu’un appelle la police.
Une jeune fille rousse vêtue d’une longue robe verte se précipite sur le cadavre et le couvre de baisers avant que Hervé et le médecin n’arrive à la relever et à l’écarter du mort. À peine libérée de l’emprise du docteur Myers, elle se jette alors sur Benjamin et lui martèle théâtralement la poitrine de petits coups de poing rageurs.
– Il l’a tué ! hurle-t-elle en proie à une crise de fureur. Il n’a pas supporté que je lui préfère Christophe et que ce dernier lui souffle le prix Gödel. Nous étions très amoureux l’un de l’autre, nous parlions même de nous marier, il l’a assassiné !
– Sophie, je vous en prie, tente de la calmer Hervé Liers en l’éloignant de Benjamin. Rien n’indique pour l’instant qu’il ne soit coupable.
– C’est une de tes disciples ? demande Philippe.
– Pas du tout. Elle s’appelle Sophie Blanchard. Elle est étudiante en master de sociologie, elle m’a sollicité pour enquêter sur l’origine sociale des étudiants de Normale Sup dans le cadre de son mémoire de fin d’études. Je n’ai vu aucune objection et je lui ai donné mon autorisation.
– Était-elle la petite amie de Christophe ?
– Aucune idée ! Je ne m’intéresse absolument pas aux amourettes des élèves.
Hum. Un point me tracasse. Mais comment faire passer cette information aux humains ?
– C’est sûrement Benjamin l’assassin, éructe Sophie. Il a volé le cyanure dans le laboratoire de l’école normale. Des étudiants ont affirmé qu’en dérober dans l’armoire contenant les produits dangereux était un jeu d’enfant.
Philippe s’étonne :
– De quoi parlez-vous ?
– Lors une soirée à laquelle ils m’ont conviée, ils ont discuté de la meilleure façon de commettre un crime. Ils ont alors parlé de ce poison.
– Qui étaient présents ? Des normaliens ? Christophe ? Benjamin ?
– Oui les deux étaient là : nous nous étions tous réunis dans les caves de la rue d’Ulm, pour l’ambiance.
– Coiffeur s’est enivré, précise le suspect. Et c’est à cette occasion qu’il m’a avoué que son mémoire était truqué. Il ne supportait pas l’alcool. Moi non plus, mais je m’abstiens de boire.
– Vos camarades ont vraiment évoqué les moyens de se procurer du cyanure ? interroge Philippe, perplexe.
– Oui, marmonne Benjamin. Comme un des thésards en mathématiques se montrait incrédule, l’un des physiciens lui a donné le numéro permettant d’ouvrir le cadenas protégeant le cyanure.
– Ils sont inconscients ! proteste le docteur Myers.
– Ils sont jeunes, les défend Liers. Ils n’ont pas pensé à mal.
– Hervé, sais-tu si depuis le code a été changé ? demande Philippe.
– Je l’ignore. Mes collègues du département physique ne m’en ont pas parlé, mais ils n’avaient aucune raison de le faire. Néanmoins, si tu veux mon avis, aucun normalien ne s’est vanté d’avoir enfreint les règles de sécurité. En plus, beaucoup de nos étudiants en chimie ont besoin de ces réactifs dans le cadre de leurs études. Aussi, si on a modifié la combinaison les protégeant, elle n’est pas restée secrète très longtemps.
– Le laxisme qui semble régner à l’école normale de la rue d’Ulm est inquiétant, monsieur Liers, constate le docteur Myers. Il n’est guère étonnant dans ces conditions qu’un tel drame se soit produit.
– Je vous répète que c’est Christophe le meurtrier, hurle Sophie.
– Arrête de beugler des âneries, marmonne le suspect. Je n’y suis absolument pour rien ! Il y a plus de chances que ce soit toi la criminelle plutôt que moi.
Philippe le réprimande :
– Ne cherchez pas à détourner les soupçons ! Elle était la petite amie de Christophe.
– Sa fiancée, hoquète Sophie.
– Dans ses rêves uniquement ! Il ne voulait surtout pas d’elle.
Notre client se tourne vers Hervé.
– Hervé, as-tu des informations à ce sujet ?
– Je t’ai déjà dit que je ne m’intéresse pas à ces histoires de cœur. Attends, je vais m’adresser à une spécialiste qui est au courant de tous les potins de l’école.
Hervé ! Rappelez-vous du discours de remerciement. Il est significatif. Liers interpelle une jeune femme vêtue d’une parka d’hiver verte, alors que nous sommes en juin et que le soleil brille.
– Anna, éclairez notre lanterne. Qui est amoureux de qui ?
La fille semble embarrassée.
– Je n’aime pas dire du mal des gens.
– Les circonstances sont trop graves, Anna. Allez-y !
– Sophie a tendance à affabuler.
– Donc selon vous, Christophe n’était pas amoureux d’elle.
Bien sûr, sinon il aurait remercié sa fiancée pour son aide au moment de recevoir son prix puisqu’il a parlé de ses parents. Si vraiment ils allaient se marier, il ne l’aurait certainement pas oubliée.
– Au départ, il a bien essayé de la draguer, mais il s’est vite aperçu qu’elle était folle à lier, une vraie malade.
Quelle hargne pour quelqu’un qui prétend ne pas médire des autres ! Sophie gifle Anna.
– Salope, faux jeton, l’insulte-t-elle
On s’empresse autour des deux filles pour les séparer.
– Étiez-vous présente lors de la soirée dans la cave, Anna ? demande Philippe.
– Oui, bien sûr. Tous les normaliens étaient là !
– Comment en est-on arrivé à parler du cyanure ?
– Nous participions à un jeu sur le thème : comment éliminer sans violence un de nos ennemis. Chacun proposait sa solution à tour de rôle. Par la suite, nous avons voté pour la meilleure méthode et choisi l’irradiation avec une minuscule bille d’uranium 238 déposée dans la voiture de la victime potentielle
– Quelle idée de jeu tordue, maugrée Hervé. Vous n’auriez pas pu faire une partie de Trivial Pursuit comme les gens normaux ?
– Nous voulions nous amuser !
– Sophie ou Benjamin ont-ils marqué de l’intérêt pour le cyanure ? s’enquiert Philippe.
– Je ne sais pas !
– Vous avez affirmé que mademoiselle Blanchard était folle à lier, je vous cite. Au point de commettre un crime ?
– En fait, elle est mythomane. Au début, nous la croyons mais au fil du temps nous avons eu des doutes tellement ses mensonges devenaient de plus en plus gros.
Elle se tourne vers Hervé :
– Savez-vous monsieur Liers, que contrairement à ce qu’elle a prétendu, elle n’est pas inscrite en master de sociologie à la Sorbonne ?
Le mathématicien pâlit :
– Comment cela ?
– Elle a abandonné ses études juste après le bac.
– Mais pourquoi voulait-elle faire cette enquête sur l’origine sociale des normaliens si celle-ci n’entrait pas dans le cadre de son diplôme ?
– Elle cherchait un prétexte lui permettant de s’introduire dans l’établissement de la rue d’Ulm, pour connaître de nouvelles personnes. Je suppose qu’ailleurs elle est grillée.
– L’aviez-vous démasquée depuis longtemps ? interroge Hervé
– Il ne nous a fallu qu’un mois pour cela.
– Pourquoi personne ne m’a jamais rien dit ? gémit Liers.
– Elle ne fait rien de mal et elle est amusante dans son genre. Nous nous demandons toujours ce qu’elle va inventer. Nous faisons même des paris sur le contenu des prochaines histoires qu’elle va nous débiter. Nous avons créé la Banchardoliphie, la science consacrée à l’étude de Sophie Blanchard.
Bref, elle a l’esprit un peu dérangé, mais elle est à sa place parmi les normaliens, si on en croit toutes ces biographies de mathématiciens
– Anna, Sophie a-t-elle pu empoisonner Coiffeur ? Par dépit amoureux ou pour toute autre raison.
– Sincèrement je l’ignore ; en revanche je ne m’étonne pas qu’elle ait prétendu être fiancée à Christophe. Elle aime ramener la lumière sur elle en toutes circonstances.
– N’écoutez pas cette garce ! éructe Sophie qui a retrouvé un peu d’aplomb. Elle ne cherche qu’à me faire porter le chapeau alors que vous tenez le coupable : Benjamin.
– Il a un mobile en effet : si on écarte la rivalité amoureuse qui semble hypothétique, il reste le prix Gödel ! admet Phillipe
Le visage du normalien s’empourpre.
– N’importe quoi. Je ne l’ai pas tué.
– J’aurais tendance à croire ses dénégations, remarque Hervé. Être coiffé au poteau n’est pas un motif suffisant pour commettre un meurtre.
Chez les humains peut-être, mais les mathématiciens sont si particuliers. Philippe hoche la tête :
– Si on s’en tient à la seule logique aucun crime n’a été perpétré. Pourtant, nous avons un cadavre sur les bras et l’assassin est probablement un normalien.
– J’allais étudier à fond sa thèse, hurle Benjamin. J’aurais trouvé sa satanée faille, dussé-je y passer le reste de ma vie. J’aurais ruiné sa réputation. Pourquoi l’aurais-je empoisonné puisque j’avais un moyen plus sûr de lui nuire ?
– Cette remarque est juste s’il vous a vraiment avoué que son mémoire est erroné, reconnaît Philippe. Dans ce cas, le tuer n’était pas pour vous l’option privilégiée.
Il se retourne vers Anna.
– Mademoiselle, connaissez-vous des ennemis à votre camarade ?
– Au point de vouloir sa peau ? Aucun.
– Étiez-vous liée à lui ?
– Non ! Christophe était un grand solitaire.
Une idée me traverse l’esprit et comme à chaque fois que j’en ai une qui pourrait orienter une enquête dans le bon sens, j’essaye de l’imprimer par télépathie dans le cerveau de ma mère. Je me concentre pour donner plus de force à mon signal.
– Anna, intervient Agathe, Christophe aurait-il pu nouer une relation sentimentale sans que vous en soyez informée ?
Youpi ! J’ai réussi à influencer Maman. Ou alors, elle a pensé la même chose que moi ; les grands esprits, paraît-il, se rencontrent ! Il fallait poser cette question puisque dans trois cas sur quatre, l’amour est à l’origine des crimes.
– S’il avait une copine dans l’établissement, je m’en serais immanquablement aperçue. Maintenant, il fréquentait peut-être une fille à l’extérieur de l’école. Encore une fois je n’étais pas intime avec lui.
– Selon vos dires, il aurait essayé de draguer Sophie.
– Tout à fait ! Pour cette raison, je serais étonnée d’apprendre qu’il avait une petite amie.
– A-t-il rapidement renoncé à la séduire ?
– Moins vite que les autres, mais quand il a compris la vraie nature de cette malade, il a fui à son tour. Elle a beau être mignonne, elle est tarée.
– Arrête de m’insulter, s’insurge la fausse étudiante en sociologie.

Nous entendons un brouhaha. Une demi-douzaine d’agents en uniformes bleus escortant deux civils arborant un brassard rouge où est écrit Police arrivent enfin sur le lieu du crime. L’un des nouveaux venus porte une sacoche de plastique noir. Philippe résume la situation. Il laisse la parole au docteur Myers pour qu’il fasse un court compte-rendu de ses constatations médicales ; le praticien réaffirme sa certitude d’avoir affaire à un empoisonnement au cyanure.
– Le produit a dû être ajouté dans la flûte de champagne, conclut-il. Il a agi dès qu’il a été ingéré.
– Qui lui a donné le verre ? s’enquiert l’inspecteur. Quelqu’un le sait ?
Diantre ! Je m’en veux ! J’aurais dû songer à cette piste tant elle était évidente. La détective Jasmine Catou vient de commettre une grave erreur de méthodologie. Je connais la réponse à la question du policier, car j’ai suivi Christophe, mais je suis bien entendu incapable de témoigner, puisque je ne sais que miauler et non parler. Heureusement, une jeune femme dont les cheveux sont recouverts par un turban vert lève la main.
– Je l’ai félicité alors qu’il était au buffet, explique-t-elle. À mon avis, il a choisi ses coupes au hasard.
– Donc si le cyanure avait déjà été versé dans le verre avant qu’il ne le prenne, le défunt n’était pas particulièrement visé. Il a été empoisonné par hasard.
Philippe se décompose.
– Si cette hypothèse est juste, quelqu’un voulait saboter le salon des mathématiques ! Mais pour quelle raison le ferait-il ?
Hum ! Un ancien élève qui aurait souffert toute sa scolarité dans cette matière et développé une haine tenace au point de se venger ? Absurde.
– Aurions-nous affaire à un maniaque, propose Maman, comme celui qui, il y a quelques années en Australie a empoisonné des paquets de céréales qu’il a replacés ensuite dans les rayons d’un supermarché.
– Je crois qu’en fait c’était en Allemagne, complète l’inspecteur. Et si je me souviens bien, on était en présence non d’un fou, mais d’un maître chanteur cynique. Il exigeait que la chaîne alimentaire où il sévissait lui verse une rançon.
– Je n’ai reçu aucune menace et personne ne m’a réclamé d’argent, assure Philippe.
– J’interrogerai le traiteur et le propriétaire de cette salle. Eux aussi pourraient avoir fait l’objet d’un chantage. Cependant, selon l’hypothèse la plus probable, la victime a croisé son empoisonneur entre le buffet et l’endroit où elle est morte. Quelqu’un aurait-il remarqué quelque chose ?
J’essaye de rassembler mes souvenirs : Christophe a fendu la foule compacte des invités. Moi-même en dépit de ma petite taille, j’avais du mal à me faufiler dans la forêt de jambes. Le chercheur a été à de nombreuses reprises abordé par des admirateurs qui tenaient à le féliciter pour ses travaux ; un potentiel assassin a donc pu se glisser à côté de lui et verser la poudre mortelle dans sa coupe sans que je m’en aperçoive. En réponse à la question de l’inspecteur, plusieurs témoins décrivent la cohue pour accéder aux boissons.
– Bref, tout ou le monde ou presque est suspect, conclut l’enquêteur pensif.
– C’est Benjamin le coupable, hurle Sophie Blanchard.
Le policier fronce les sourcils :
– Madame ?
Philippe s’empresse de faire les présentations avant de résumer la discussion qui a précédé l’arrivée des policiers, le prix Gödel et le débat sur la validité de la thèse de la victime. L’inspecteur se tourne vers son collègue en civil qui porte la sacoche de cuir.
– Ali, de quelle quantité de réactif alcalin pour cyanure disposes-tu dans ta sacoche ?
– J’en ai peu Marc, mais j’ai amené un spectrogramme de masse de poche. Je vais le régler sur le cyanure d’hydrogène ; cela me permettra de déceler ce produit même s’il est à l’état de traces. En cas de doute, je testerai immédiatement le dépôt suspect avec le réactif.
– Ok ! Mesdames, messieurs, pour éviter de vous retenir trop longtemps nous allons procéder à une première vérification ; nous cherchons à déterminer si l’un d’entre vous a été en contact avec le poison.
L’idéal aurait été sans doute de saisir les habits de tous les invités et de les analyser en laboratoire, mais c’est évidemment impossible. Les visiteurs du salon ne vont pas rentrer tout nus chez eux.
J’aurai bien une piste à explorer, mais je vais attendre un peu avant d’orienter les recherches ; si les policiers n’y pensent pas, j’essaierais d’attirer leur attention sur ce point. Les agents font ouvrir les sacs à main et explorent les poches des invités à la recherche de traces de poudre suspecte. Ali promène partout son spectrogramme de masse, mais les participants sont trop nombreux : si l’assassin se trouve parmi eux, il risque d’échapper aux recherches.
Au bout de deux heures d’efforts, tout le monde y compris Agathe, Hervé et Philippe a été fouillé et les forces de l’ordre ont récolté les noms, les adresses et un premier témoignage de chacun des visiteurs du salon. Évidemment, aucun indice probant n’a été recueilli.
– Nous allons pouvoir libérer le public, décide Marc.
– Vous ne testez pas les suspects, Sophie Blanchard ou Benjamin Leurs ? demande Philippe.
– Ne vous inquiétez pas : les vêtements qu’ils portent actuellement seront examinés par la suite au microscope électronique, le rassure l’inspecteur. Néanmoins, nous allons procéder à un premier contrôle.
Une policière palpe soigneusement la fausse étudiante en sociologie, tandis qu’Ali étudie le revers de ses poches. Rien ! Il est de même pour le normalien quand ce dernier est mis à son tour sur le gril. Marc semble perplexe.
– À mon avis cette enquête sera complexe à élucider, marmonne-t-il.
– Avons-nous affaire à un terroriste ? s’inquiète Philippe. Ou à un fou qui tue au hasard ?
Pour ma part, j’envisage une autre solution. Mais encore une fois je ne sais pas comment mettre les humains qui m’entourent sur cette piste. J’essaye dans un premier temps la télépathie avant de renoncer devant le manque de résultats. Je me place juste à côté du cadavre qu’on n’a pas encore emmené. Il ne sera déplacé que lorsque tous les visiteurs seront partis et que la police scientifique aura fini ses investigations. Je me mets à miauler le plus fort que je peux. Si j’étais un chien, on dirait que je hurle à mort.
– Agathe, votre chatte devient insupportable. Remettez-la dans son panier, ordonne Philippe.
Maman se penche vers moi et me saisit.
– Je ne sais pas ce qui lui a pris, marmonne-t-elle sur un ton embarrassé.
Lorsqu’elle se relève, elle comprend soudain où je voulais en venir.
– Il faut tester Christophe à son tour.
– Cela n’aurait aucun intérêt, voyons, la morigène l’organisateur du salon.
– Et s’il s’était suicidé ? insiste ma mère.
– Pourquoi aurait-il mis fin à ses jours ? demande Hervé.
– Sa thèse est fausse et son argumentation a bien une faille. Vous alliez immanquablement le démasquer ! Il n’aurait pas supporté ce qu’il prenait pour un déshonneur. Il s’est empoisonné à côté de Benjamin pour le faire accuser.
Très bien Maman ! Je n’aurais pas mieux expliqué ses mobiles si je savais parler.
– Votre raisonnement se tient, reconnaît Hervé.
Je suis flattée et prends ce compliment pour moi ; il est d’autant plus important qu’il vient d’un mathématicien renommé pour son sens de la logique.
– Ali étudie les habits du mort ! décide Marc.
Son adjoint s’empresse délicatement auprès du cadavre et retourne les doublures de ses vêtements. Quand il passe son spectrogramme de masse portatif sur la poche droite de son pantalon, il grésille. Le policier verse une goutte d’un liquide verdâtre sur le tissu. Une tâche brunâtre apparaît. Ali se relève.
– Ne cherchons plus : le défunt a transporté le cyanure dans son jean.
– Il s’est donc suicidé, conclut ma mère.
– L’enquête va se poursuivre dans toutes les directions, confirme Marc, mais a priori la mort volontaire sera la piste privilégiée.
Maman me soulève en direction du plafond.
– Jasmine Catou, encore une fois, tu as vu juste.
Hervé fait la moue :
– Attendez ! Vous ne pensez quand même pas qu’elle avait percé à jour ce pauvre Christophe !
– Bien sûr que si.
– N’importe quoi, marmonne le lauréat du prix Abel. Elle n’est qu’une chatte.
Non M. Liers je ne suis pas une minette ordinaire, je suis l’égérie du salon des mathématiques. Et je lui ai fait honneur en faisant preuve de logique : ni Sophie ni Benjamin ne semblaient coupables, la thèse d’un terroriste était invraisemblable, aussi il ne restait qu’une alternative : le suicide. Ai-je droit à un prix pour avoir si bien raisonné ?

Toujours 5 étoiles (note la plus haute) sur Babelio pour « La Défense d’aimer »

annelyon   01 mars 2020
★★★★★
★★★★★
 
Je n’ai pas eu l’honneur de recevoir ce livre par masse critique, qui me boude et me refuse systématiquement (…), mais grâce à Alext63 qui me l’a prêté. Il m’a tendrement accompagné en ce beau dimanche de mars. Il m’a renvoyé à de vieux souvenirs oubliés d’amours éphémères, lors d’un voyage professionnel à l’étranger, où moi aussi j’ai résisté puis succombé à la magie du moment présent et d’une rencontre avec ce fameux supplément d’âme, rencontre dans l’incertitude du lendemain. Merci Alexandre pour cette belle lecture.

« Amour, pouvoir et chute, le tout saupoudré à la sauce people », dans Le Dit des Mots

Le Roman des Macron par François Cardinali

Amour, pouvoir et chute, le tout saupoudré à la sauce people : jouant sur le réel et la politique fiction, Alain Llense signe dans Emmanuel, Brigitte et moi (*), un roman de l’ère Macron. Une époque où l’image est reine.

Toute ressemblance est tout, sauf fortuite, dans Emmanuel, Brigitte et moi. L’histoire est transparente… Lorsqu’ils se rencontrent et tombent éperdument amoureux l’un de l’autre, Emmanuel a 15 ans et Brigitte 40. Lui est un prodige en devenir de la gastronomie française, elle est une bourgeoise, mère de famille épanouie de trois enfants dont la plus jeune a l’âge d’Emmanuel. Ensemble, ils vont affronter le scandale, courir après la gloire matérialisée par un restaurant prestigieux de la Côte d’azur surnommé « le Château » et connaître toutes les vicissitudes liées au succès. Le narrateur, le « moi » du titre est, pour sa part, un journaliste qui les retrouve par hasard, quinze ans après qu’ils aient tout perdu et chuté de leur Olympe…

En jouant sur trois narrateurs – outre l’auteur du livre, un ancien reporter reconverti dans la lucrative presse dite « people » – Alain Llense s’inspire plus ou moins librement de la réalité et s’amuse même à glisser vers la politique fiction puisque l’ex-couple présidentiel est décrit après sa chute et des soubresauts politiques qui ont vu une certaine Marion accéder au pouvoir, c’est-à-dire à la tête de cette cuisine d’un grand restaurant symbolisant les coulisses de la vie politique. Avec Emmanuel Macron, il peut ainsi décrire le parcours d’un jeune arriviste qui se décrit comme tel sans barguigner. Verbatim : « On m’a traité d’arriviste sans savoir que je n’en prenais aucun ombrage et que si, par ce terme, on désignait celui qui veut toujours aller plus haut, loin de m’insulter, on visait juste, mieux on me flattait. »Fonctionnaire de l’Éducation nationale – il est le principal adjoint d’un collège de Perpignan –  passionné d’histoire, l’auteur jongle avec les codes de la vie politique française, montrant bien comment les hommes de pouvoir cultivent des liens troubles avec la presse people. Le narrateur n’est-il pas un des héros de cet univers où tous les coups sont permis pour attirer lecteur et spectateur. N’est-il pas l’auteur du « scoop-coup monté contre François lors de l’élection d’Emmanuel » ?

Décrivant ce couple vieillissant et un brin oublié, l’auteur s’amuse à retracer la vie de ce duo politique inattendu et uni par la même volonté de gravir tous les échelons, à partir d’une histoire d’amour qui fait scandale dans la bourgeoisie provinciale dont ils sont issus. Si cette partie du roman est attendue, tant le couple Macron lui-même a documenté une histoire d’amour qui fit scandale dans la bourgeoisie du Nord – l’auteur rend même hommage au courage des deux futures figures de la vie politique française – il est plus décapant dans la partie de politique fiction où le pays vit un séisme. Extrait : « La passation se déroula à l’intérieur de la salle de restaurant car la foule avait avancé jusqu’au perron que, cinq ans plus tôt, nous avions atteint en imperator. La populace bruyante faisait pression sur les portes d’entrées gardées par deux vigiles apeurés, collait son nez curieux contre les vitres, vociférait dans un mélange d’acclamation de la nouvelle élue et de haine d’Emmanuel devenu le symbole de tous leurs maux. » Il faut juste espérer que cette évocation ne soit point trop prémonitoire.

L’auteur aime l’actualité tout en ne maquant pas d’imagination, mais le plus gros défaut de son histoire tient à l’unicité de son style. On a du mal notamment à penser que Brigitte et Emmanuel, même si le couple reste fusionnel, s’exprime exactement de la même manière. Jouer sur deux, voire trois, styles de confessions aurait donné plus de caractère à l’ensemble de l’opus.

François Cardinali