Dans Entreprendre, Philippe Rosenpick s’interroge sur la place des street artistes dans la guerre

Par Philippe Rosenpick, avocat d’affaires

TRIBUNE. Depuis le début de la guerre en Ukraine, beaucoup de street artistes se sont mobilisés. Certains avec pour slogans « stop the war » et sans prendre de parti pris politique, d’autres plus engagés, pastichant un Poutine rouge sang qui dégouline ou reprenant les couleurs de l’Ukraine pour soutenir le pays agressé. C215 est même parti sur place où il a dispersé ses pochoirs dans Kiev.

Mais où est Banksy ? Le pochoiriste prompt à prendre fait et cause pour l’opprimé et l’agressé est invisible. Pas de pochoir, pas de mur, pas de buzz. Pas le moindre petit truc qui permet de dire : « C’est lui ? » Pas le moindre pochoir persifflage. La planète street art retient son souffle : rien. Comme s’il boudait. Il a des problèmes de santé et du mal à se bouger après autant de grimpettes sur les murs ? Il est mort du Covid ?L’Ukraine nous parle de démocratie et de liberté

En vacances dans un hôtel de luxe à l’autre bout du monde, incognito, bien sûr ? Il travaille sur l’édition d’un nouveau print à 750 exemplaires pour réalimenter les ventes aux enchères bobo du monde entier ? Il est à Moscou pour braver la censure et on va voir ce qu’on va voir ? Un coup d’éclat est en préparation ?

Ou peut-être est-il gêné ? Gêné d’avoir à prendre le parti d’un pays qui a tenté de fuir le totalitarisme russe pour tenter de rejoindre le camp démocratique, à l’Ouest, peuplé de méchants capitalistes ? L’Ukraine nous parle de démocratie et de liberté, d’envie de nos bars peuplés de jeunes le soir qui peuvent tranquillement sortir, envie de notre liberté d’expression, envie d’une jeunesse qui peut décider ce qu’elle veut faire plus tard et renverser la table de ses parents… Tandis que Banksy nous parle d’oppression et des travers de nos sociétés qu’il brocarde à tous vents. Bien sûr, rien n’est parfait et si dénigrer permet parfois d’améliorer, il n’a pas tort sur certains aspects, c’est comme ça que l’on progresse. Mais c’est certainement bien mieux que dans beaucoup d’endroits dans le monde.

Philippe Rosenpick

Que voulons-nous ? Vivre sous le modèle russe où le PIB s’est effondré avec la présidence de Poutine ? Sans réelle liberté d’expression ? Ou la nostalgie de puissance nourrit rancœurs et faux espoirs ? Ou vivre à l’Ouest, en démocratie et essayer d’améliorer ce qui doit l’être ?

Au-delà d’une guerre déclenchée par un vieil homme incapable de se projeter dans un futur moins binaire que l’opposition entre son cerveau droit lobotomisé et son cerveau gauche cancérisé, cette guerre d’un autre âge nous parle avant tout de démocratie. Notre modèle capitaliste a bien des travers, dont certains minent notre développement réel, mais l’Ukraine nous place à l’heure des choix, nous oblige à regarder les choses en face et à remiser nos critiques faciles.

Banksy aurait-il pu exister en Russie ?

Rattrapé par l’Histoire, Banksy est peut-être mal à l’aise d’avoir à défendre un modèle qui aspire, qui attire, un modèle qu’il a tant critiqué. Banksy aurait-il pu exister en Russie ? La liberté d’expression a permis à Banksy de braver des interdictions molles et il est moins dangereux chez nous de faire illégalement un pochoir sur un mur pour critiquer le pouvoir ou ses dirigeants que d’oser émettre en Russie un son discordant du pouvoir en place…

Alors, Monsieur Banksy, un petit pochoir pour une fois se féliciter d’être à l’Ouest, ce serait cool. Une « wrong war » revue et corrigée, réinterprétée… En tous cas, je suis prêt à prendre l’énorme risque de défiler à Paris, à Londres ou à New-York avec votre futur pochoir… si vous trouvez l’inspiration juste.

Philippe Rosenpick


Philippe Rosenpick, avocat d’affaires (Shearman & Sterling, Francis Lefebvre, Desfilis…), est passionné et investi dans la promotion du street art. Avec son épouse, Françoise, ils étaient les directeurs artistiques des œuvres de street art qui embellissent depuis un mois la nouvelle concession Ferrari-Charles Pozzi. Philippe Rosenpick est également chroniqueur pour Graffiti Art Magazine, il écrit aussi pour Opinion Internationale et Forbes et participe régulièrement à des conférences sur le street art.

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