Bretagne actuelle célèbre « Le Manoir de Kerbroc’h » de Léo Koesten
Le manoir de Kerbroc’h, un roman de Léo Koesten Note : 3 sur 5
Le plus difficile à l’évocation d’un livre est de ne rien dévoiler de son intrigue tout en motivant les éventuels lecteurs à la découvrir. Le manoir de Kerbroc’h est un roman d’ambiance et d’atmosphères autour de personnages environnés de moult secrets domestiques. La passion tournoie au souffle du vent breton en dissipant les brumes conjugales avant qu’elles ne s’agglutinent un peu plus loin.
L’art de savoir dire les choses
Ce texte, élégamment écrit, offre l’originalité d’une vision contemporaine de la Bretagne à travers la vie complexe d’Éloïse de Kerambrun, femme amoureuse perdue dans la naïveté des sentiments, qu’explore le narrateur comme un regard neuf et pénétrant sur le monde. Évidence discrète et spontanée de ce que peut-être une vie… Le lecteur est confronté à la verve… Au brillant… Mais aussi à certaines allégresses de style nourries par la puissance évocatrice du dessein général… Léo Koesten écrit comme l’on raconte, ou plutôt comme l’on écoute un feuilleton radiophonique : il a l’art de savoir dire les choses avec la fluidité d’un style de belle coulée ; d’autant que l’histoire évite le pire des affaires de famille : ici, le sentiment ne tourne jamais au sentimentalisme.
Le manoir de Kerbroc’h ne dissimule aucune vérité des vicissitudes conjugales. Elles nous concernent tous et nous frappent au cœur. Violemment. Passionnément. Tout à coup l’on s’interroge de savoir qui est vraiment celui que l’on aime et dans les yeux duquel on croit lire la bonté, l’amitié, l’amour. D’étranges intuitions nous font douter de ce mariage dont les preuves attestent qu’il s’étiole de jour en jour. Le suspens s’installe. Il prend forme au sein du manoir, belle et sombre demeure bretonne appartenant aux beaux-parents d’Éloïse, hostiles à leur bru ; Leo Koesten propose une intrigue étonnante à la mesure de son sujet. On le connaissait pour ses documentaires historiques, il atteint ici la plénitude d’une écriture simple mais efficace.
L’humeur de l’âme bretonne
Pour comprendre les évocations de l’auteur, il faut avant tout envisager la mystérieuse âme bretonne. Difficile de faire tenir dans des formules rigides un phénomène aussi subtile, aussi complexe que l’esprit d’un peuple. Pour autant, il existe une spécificité bretonne, non seulement en hérédité de la Bretagne bretonnante d’hier, mais aussi et surtout à travers la grande originalité des Bretons : ils ont la psychologie des solitaires, des isolés, trop longtemps replier sur eux-mêmes. L’âme bretonne est au reste en lutte constante avec une nature et des éléments âpres, en particulier la mer et le vent qui, patronnesse pour l’une et rude pour le second, font triompher la légendaire ténacité péninsulaire. Sans oublier le climat : capricieux. Le ciel : pernicieux. Les Bretons sont en quelque sorte comme leur pays, à l’étrave du navire, soumis au suroît qui détraque les nerfs, au crachin qui glace, et aux embruns qui masquent les larmes. Est-il étonnant que leur humeur soit changeante ?
L’île engloutie du plaisir de lire
Voilà aussi ce que raconte Léo Koesten en filagramme. Car la Bretagne est la grande héroïne de cette intrigue qui mérite de très nombreux lecteurs, précisément parce qu’elle touche le cœur sans nulle facilité. Rares sont aujourd’hui les romanciers ne considérant pas comme une faiblesse de voir leur plume courir plus vite que l’imagination. Embarquons-nous à la suite du Manoir de Kerbroc’h. La croisière bretonne de son auteur n’a qu’une destination : l’île trop lointaine que l’on croyait plus engloutie que l’Atlantide où se réfugie le plaisir de lire.
Jérôme Enez-Vriad
© Juillet 2023 – Bretagne Actuelle & J.E.-V. Publishing
Le manoir de Kerbroc’h, un roman de Léo Koesten aux éditions Baudelaire – 243 pages – 19,00€