La Bretagne s’intéresse au livre d’Isée St John Knowles sur Coco Chanel

COCO CHANEL : UNE FEMME LIBRE QUI DÉFIA LES TYRANS

Avant d’être une marque de luxe, Chanel fut une femme au destin exceptionnel. Le biographe Isée St. John Knowles revient sur sa période la plus sombre, celle de son comportement sous l’Occupation. Un texte qui relativise bien des accusations outrancières.

 

Elle a tout inventé du vestiaire de la femme moderne. Les tailleurs gansés… L’accessoire devenu bijou… La tenue « liberté » pour les irrévérencieuses… Le sac à main tenu sur l’épaule… Les parfums numérotés… Et surtout une mode de vie, un style : le sien.  Que n’aura-t-on dit sur elle, digressé sur ses origines, sa sexualité, ses relations avec les Grands de l’époque : Cocteau, Picasso, Stravinsky, …  et, bien entendu, à propos de son attitude pendant la dernière Guerre Mondiale ? L’hostilité viscérale à laquelle se heurta Coco Chanel dès 1944 est aujourd’hui rarement apaisée par ses biographes, tant s’en faut, alors que la plus célèbre couturière au monde n’a jamais été condamnée pour fait de Collaboration ni quoi que ce soit dont son honneur de patriote eut pu rougir.

Une silhouette et un esprit

C’est l’histoire d’une orpheline de douze ans issue d’une famille de forains sans le sous. Élevée au fin fond de la ruralité corrézienne par des religieuses, Gabrielle va devenir Coco à force d’un travail acharné. Créatrice révolutionnaire, « Mademoiselle » enflamme le tout Paris où scintille les Ballets Russes de Diaghilev, les Grands ducs, Apollinaire et Colette. Chanel impérieuse,  Chanel féroce, mais aussi Chanel solitaire, blessée dans son enfance par l’abandon d’un père dont elle ne se remettra jamais. Et pourtant ! Royale… Généreuse…Impétueuse… La petite auvergnate devenue étoile de la mode se confronte à la vie comme si elle lui avait toujours souri. Devenue monstre sacré, elle s’inscrit dans son époque au point d’évoquer aujourd’hui encore, à un siècle de distance, les fameuses « années Chanel », celles qui enflammèrent Deauville, Biarritz et Paris durant les Années Folles. Chacune de ses créations déclenche à la fois scandale et engouement. Elle vit des passions tumultueuses avec, entre autres, un cousin du roi d’Angleterre, un neveu du tsar et un poète surréaliste. Autant de drames sentimentaux à répétition qui finiront par assécher ses sentiments et durcir son caractère. Chanel deviendra impitoyable et colérique.

Réfléchir à deux fois

À l’annonce de la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, Coco Chanel présente une collection « bleu-blanc-rouge » patriote, puis ferme subitement sa maison de couture pour la rouvrir quinze années plus tard, en 1954, elle vient d’avoir 71 ans. Entre les deux, on lui aura reproché tout et son contraire, à commencer par une poignée de main à Hitler alors qu’aucune photo ne l’atteste, et pour cause ! cette hypothétique rencontre avec le Führer n’a jamais eu lieu. Suivront des accusations d’antisémitisme, en particulier à l’encontre de la famille Wertheimer, propriétaire de ses parfums. La créatrice ne s’est guère privé de dire ce qu’elle pensait des deux hommes d’affaire avec lesquels elle eut maille à partir, et qui effectivement se trouvaient être juifs ; de là à y voir un antisémitisme structurel et systématique, peut-être est-il intéressant d’y réfléchir à deux fois, ce que fait Isée St. John Knowles dans Cette femme libre qui défia les tyrans.

Certes ! Il existe des témoignages imparables à son encontre. Citons, par exemple, la fois où Françoise Sagan, outrée de ses propos (considérés antisémites), quitta un dîner pour ne pas être à la même table. Idem en ce qui regarde les accusations d’entremise avec l’ennemi. Oui ! Collabo elle le fut, de fait, par ses actions et réactions puisqu’elle était impliquée dans les rouages que l’occupant souhaitait mettre en place. Ainsi, dès la première quinzaine de mars 1941, Coco Chanel appris par Josée Laval, fille de l’ancien vice-président du Conseil, que l’attaché d’ambassade allemand, Hans Günther von Dincklage, était responsable de l’internement de son neveu, André Palasse, lui aussi orphelin, et qu’elle avait pris sous son aile comme une mère. Dès lors, Dincklage exerça un infâme chantage sur la couturière. Le marché était simple. En échange de son ralliement à la cause nazie, elle obtiendrait la libération dudit neveu. Chanel refusa tout net.

Un document de « l’intérieur »

Riche de sources inédites et d’entretiens avec d’importants témoins ayant connu la créatrice, Isée St. John Knowles commente les nombreuses accusations face auxquelles biographes et journalistes sont en discorde : Innocente ou coupable ? L’auteur a enquêté, obtenu de nombreux témoignages de la part des proches de Gabriel Chanel et de tous ceux susceptibles d’éclairer une existence déformée par l’histoire. Un livre surprenant parce qu’inattendu, fort bien documenté de « l’intérieur » ; Chanel y vie, elle parle, et le lecteur respire entre les pages l’arôme du célèbre N°5 alors que son odeur continue d’envoûter… le monde entier depuis 1921.

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Septembre 2023 – Bretagne Actuelle & Enez-Vriad Publishing

Coco Chanel : cette femme libre qui défia les tyrans – Un livre d’Isée St. John Knowles aux éditions C&C – 148 pages avec illustrations couleur – 49,00 €

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