Dana Ziyasheva : « Les Ukrainiens ont vraiment eu tort de faire confiance à Zelensky. »
Le parcours de Dana Ziyasheva est hors du commun. Née au Kazakhstan, où elle a passé toute sa jeunesse, elle a connu l’Union soviétique. Elle a ensuite été journaliste dans des zones sensibles puis diplomate à l’UNESCO, ce qui l’a amenée à vivre en Corée du Nord, en Irak et en Amérique centrale. Aujourd’hui, Dana habite à Los Angeles, où elle écrit et corrige des scénarios pour les géants du cinéma et les grandes plateformes de vidéo à la demande. Son expérience dans des pays sensibles, au contact des services secrets, est évidemment précieuse pour Hollywood.
Elle vient de publier « Choc », un livre sur un mercenaire français, François Robin. Brillant latiniste, catholique pratiquant, élève officier des commandos d’élite de la DGSE, puis mercenaire dans les zones grises post-guerre froide, il a été mis en examen pour « homicide et cannibalisme » en 1996, avant de mettre fins à ses jours.
« Choc » de Dana Ziyasheva est distribué sur Amazon.
Kernews : Vous êtes originaire du Kazakhstan et vous vivez à Los Angeles, où vous écrivez des séries d’espionnage pour Hollywood. Vous avez connu l’Union soviétique pendant votre enfance. Ensuite, vous avez vécu en Irak et en Corée du Nord, puisque vous étiez spécialiste des zones de conflit, en tant que journaliste, mais aussi en tant que diplomate à l’UNESCO. La Corée du Nord reste toujours le pays le plus secret au monde…
Dana Ziyasheva : Effectivement, on ne peut pas tous aller en Corée du Nord. Par exemple, mes collègues de l’UNESCO originaires du Japon ou des États-Unis, ne pouvaient pas entrer en Corée du Nord. J’ai pu avoir l’autorisation d’aller y travailler, parce que je suis originaire du Kazakhstan. C’était vraiment une expérience intéressante. Les travailleurs des Nations Unies étaient complètement isolés. J’étais suivie en permanence par les services secrets nord-coréens et j’avais un guide et un chauffeur pour m’accompagner pendant toutes mes visites, donc pour m’espionner aussi. Je ne pouvais pas bouger sans être accompagnée. Il n’y avait pas beaucoup de voitures en Corée du Nord, maintenant il y en a davantage en raison du soutien de la Chine, mais j’étais parfois la seule à circuler en voiture dans toute la ville. J’ai de la peine pour le peuple de Corée du Nord. J’ai vu leurs souffrances, j’ai vu la force de la propagande, parce que c’est un pays complètement fermé. Il n’y a que quelques bribes d’informations qui arrivent. Les gens vivent toujours dans ce sentiment que la guerre de Corée n’est pas terminée. Leur leader est plus que leur dieu : c’est le soleil et, le jour de son anniversaire, c’est le jour du soleil, tous les Coréens doivent venir vénérer leur leader. C’est maintenant une dynastie et c’est assez spécial. Cela n’a rien à voir avec le communisme. C’est l’autoritarisme total, c’est la dictature totale, avec tous les attributs d’une royauté. J’ai vraiment souffert pour le peuple de Corée. Il y a aussi quelques éléments communs avec le système socialiste. Par exemple, tous les intellectuels, notamment les journalistes, doivent donner un jour de leur semaine au travail collectif. Les journalistes doivent aller chaque samedi travailler dans les champs pour récolter des patates. J’ai connu cela au Kazakhstan, mais ce n’était pas aussi rigide. On pouvait quand même respirer à l’époque de l’Union soviétique, il y avait de l’art et plein d’activités. En Corée du Nord, les gens ne peuvent pas se déplacer, ils doivent attendre un autobus pendant deux heures, ils n’ont pas le droit d’utiliser une bicyclette, pour ne pas bouger. Dans les magasins, j’ai retrouvé les mêmes produits que nous avions au Kazakhstan au cours des dernières années de l’Union soviétique.
Ensuite, il y a eu Bagdad sous Saddam Hussein. Le cliché est inverse, on était très frappé par le dynamisme de cette ville. En plein embargo, les magasins étaient largement approvisionnés et les restaurants étaient nombreux…
Je n’ai pas la même image, car j’étais au Kurdistan. Mais c’est vrai, à Bagdad il y avait énormément de vie. Malheureusement, il y avait parfois des coupures d’électricité. Les gens résistaient à cet embargo que j’ai trouvé injuste. Je suis toujours du côté du peuple. On punit les dictateurs, qui ne subissent pas les sanctions. Il y avait une vraie vie et une grande liberté à Bagdad et, chaque fois que je revenais du Kurdistan, venir à Bagdad, c’était une bouffée de liberté. À l’inverse, au nord de l’Irak, au Kurdistan, tout était très contrôlé par les clans de Massoud Barzani. C’était une région laïque, mais les femmes n’avaient pas le droit à grand-chose et elles devaient respecter des règles très strictes.
Votre livre raconte l’itinéraire d’un mercenaire français recruté par la DGSE, qui a sombré dans le cannibalisme…
Je n’utiliserai pas le terme de sombrer. J’ai dû expliquer comment cela est arrivé dans la jungle de Birmanie. Il venait de perdre la guerre, il était affamé et il y avait une pression psychologique énorme du côté de l’armée birmane. C’est un peu différent de quelqu’un qui décide de goûter la chair humaine. J’ai écrit ce livre pour comprendre comment ce jeune homme, qui était mercenaire, s’est retrouvé accusé de cannibalisme. À la fin, il s’est suicidé. C’est un travail d’enquête de sept ans, partout dans le monde, pour comprendre, et j’ai établi ce lien entre cannibalisme et suicide. Dans la guerre, il y a toujours beaucoup de psychologie. L’homme change pendant une guerre. On voit cela aujourd’hui en Ukraine. On a vu cela en Bosnie et en Irak.
Quel est le lien entre la guerre et le cannibalisme ?
Tout dépend des cultures locales et je ne pense pas qu’un mercenaire en Croatie ou en Bosnie va se mettre à manger des soldats tués. À l’inverse, chez les Karens, François Robin a été initié à cette pratique parce que c’était une coutume locale à travers les chasseurs de têtes. Ces gens mangent le foie de leur ennemi pour s’approprier leur vaillance.
Dans certaines tribus africaines, on mange le cerveau d’une personne pour s’approprier son âme…
Oui. Et les Vikings vidaient les crânes de leurs ennemis pour s’en servir pour boire du vin. Au Kazakhstan, les Khan faisaient cela aussi, à savoir boire de l’alcool dans le crâne de son ennemi.
Vous évoquez aussi la guerre en Ukraine en expliquant qu’une mauvaise paix vaut mieux qu’une bonne guerre. D’ailleurs, même dans les affaires, on dit souvent qu’un mauvais accord vaut mieux qu’un bon procès…
Absolument. Chaque fois que je revenais de Bagdad dévastée à Amman, qui était un paradis pour les touristes, je pensais à cela. Je pense que l’Ukraine est au bord de la désintégration. La Pologne peut récupérer une partie du territoire, et il y a aussi la Hongrie qui s’intéresse à d’autres parties, tout comme la Russie. J’ai de la peine pour les Ukrainiens, mais pas pour Zelensky et pas pour Zaloujny. Je suis allée plusieurs fois en Ukraine, je connais les Ukrainiens du Donbass et je connais ceux des autres régions. Malheureusement, ils vont perdre leur pays à cause de ces différences, car ils n’ont jamais réussi à se réconcilier. Les Ukrainiens ont vraiment eu tort de faire confiance à Zelensky.
Vous habitez à Los Angeles et vous avez l’information en provenance des médias américains. On a le sentiment qu’ils sont beaucoup plus libres que les médias français, qui nous cantonnent dans une seule analyse possible…
Oui. Quand je regarde les émissions françaises avec les prétendus experts ukrainiens, dès que quelqu’un dit quelque chose qui ne va pas dans le sens de Zelensky, les autres interlocuteurs n’acceptent pas une autre version. Tout le monde doit chanter la même chanson et répéter toujours les mêmes choses à la télévision. J’ai de la peine pour le public français, qui est obligé d’écouter les mêmes choses en permanence. Ces gens sont nourris par l’information en provenance de Kiev et, dès que quelqu’un dit quelque chose de différent, il ne peut plus parler.
Vous avez côtoyé de nombreux membres des services secrets dans différents pays. La plupart sont-ils des analystes qui essayent d’apporter la meilleure information possible sur une situation dans une zone ?
Dans mon livre, je décris le coup d’État aux Comores et je montre cette division au sein de la communauté du renseignement français. Quand ils arrivent aux Comores pour le coup d’État, ils se demandent entre eux qui a bien pu financer cette opération et qu’elle était la nature du feu vert. La communauté du renseignement français n’est pas unie, du moins dans les pays que je décris dans mon livre. J’ai consulté plusieurs anciens de la DGSE qui ont lu le livre et corrigé certains éléments. C’était une enquête longue, difficile, dangereuse et onéreuse. Quand je suis allé en Birmanie, j’ai dû me déguiser en réfugiée Karen et j’ai dû partir avec la guérilla à travers les montagnes. Mais j’ai grandi près des montagnes au Kazakhstan, donc je suis habituée.
Cette histoire peut-elle faire l’objet d’un scénario pour Hollywood ?
Pourquoi pas… Mais je ne suis pas comme Bernard Henri Lévy, quand il écrit « Qui a tué Daniel Pearl ? », il parle surtout de lui. Il est allé au Pakistan, il a frappé à une porte, personne ne le lui a ouvert… Personnellement, j’ai enquêté en Bosnie, aux Comores, au Sénégal, à Bangui, tout cela pour mettre en valeur mon personnage. C’est une œuvre littéraire, mais on ne peut pas inventer des choses, c’est pourquoi j’ai dû faire une réelle enquête en contactant des mercenaires. Ce qui compte, ce n’est pas moi, mais mon héros.
Aujourd’hui, les guerres actuelles peuvent-elles créer d’autre François Robin ?
Absolument. Il n’est pas spécifique à l’époque. Il y avait d’autre François Robin dans la guerre de Constantinople. C’est une figure éternelle, celle d’un jeune idéaliste qui veut vivre des sensations incroyables et fortes. Mais il finit par se perdre. Il n’arrive pas à contrôler ce qui se passe autour de lui, mais aussi en lui. Aujourd’hui, il y a des François Robin en Ukraine, et des deux côtés.
Votre expérience doit être très précieuse pour Hollywood…
Cela dépend. Ici, il y a d’autres règles et la propagande américaine veut mettre en avant d’autres choses, notamment les expériences purement américaines.