Une nouvelle voie vers le bonheur pour Emmanuel Jaffelin
Le développement personnel connaît actuellement un essor incroyable. En témoignent les rayons de nos librairies. Chacun y va de sa proposition pour réussir, être épanoui, mener une bonne vie, devenir riche et célèbre, rester au mieux de sa forme. Aucun de ces coachs, de ces auteurs à succès, ne semble pourtant répondre à la question première : qu’est-ce que le bonheur ? Et en quoi le fait d’acquérir toujours plus ou de vivre de plus en plus longtemps, pourrait nous permettre d’y accéder, de le rendre durable ? Par Etienne Ruhaud.
Soumis à l’angoisse de la mort, mais aussi à la crainte du déclassement, nos contemporains cherchent parfois le bonheur là où il ne saurait résider, ou se trompent de direction…
Face au malheur
Nous sommes souvent stupéfaits lorsque des personnes au faîte de la gloire, de la réussite, se suicident. De fait, qu’est-ce qui rend heureux ? Et pourquoi tant d’hommes, ou de femmes, pourtant favorisé(e)s par le sort, ne semblent pas comblé(e)s ?
Peut-être convient-il d’abord de définir ce qu’est le bonheur, en quoi il consiste. Partons, en premier lieu, du constat suivant : la technoscience ne nous a pas nécessairement rendus heureux. L’espérance de vie s’est considérablement allongée et pourtant nous n’avons jamais autant craint la violence, la disparition.
La plupart d’entre nous ne croit plus en l’au-delà, et de fait nous ne nous consolons plus en espérant aller au Ciel. Longtemps admis, le décès d’un enfant constitue ainsi un drame, alors que cela s’inscrit dans l’ordre des choses. Beaucoup cèdent pourtant au sentiment d’injustice. Comment, dès lors, accepter le réel, accepter précisément le deuil d’un être cher, jeune ?
Dans un premier temps, admettons que ce que nous nommons « mal » (la mort prématurée, le viol, le meurtre, la vieillesse, etc.) n’a rien d’exceptionnel, mais constitue une possibilité. Possibilité que nous devrions, dans l’absolu, accueillir avec détachement, dans la mesure où nous n’avons aucune prise sur le temps.
Inévitable, la souffrance physique et/ou la maladie peut ainsi générer du malheur, ou, paradoxalement, du bonheur. Tout dépend en réalité de notre état d’esprit, comme nous le montre l’exemple de Stephen Hawking : affrontant une sclérose latérale amyotrophique, le physicien s’est concentré sur sa vie intérieure, intellectuelle, produisant ainsi de brillants postulats, devenant un savant reconnu.
Il en va de même quand le méchant nous attaque. Soit nous nous révoltons, et cédons à la passion, au malheur. Soit, tel le stoïcien Épictète, nous choisissons de demeurer fort, maître de la situation, tandis que notre agresseur, lui, reste en position de faiblesse, car esclave de ses (mauvaises) passions ou de la cruauté qui l’anime, qui le ferait alors tomber dans la passivité.
Qu’est-ce que l’heur ?
Ni bon, ni mauvais en soi, l’heur, qui désigne le moment, la chance, demeure purement fortuit. Surgit inopinément, l’heur du coup de foudre est ainsi lié au hasard. De même, les gagnants du Loto ont-ils simplement connu la chance, l’heur de cocher les bons numéros.
Toutefois ni l’heur du coup de foudre, ni l’heur du gain financier subit, ne sauraient nécessairement conduire ni au bon-heur, ni au mal-heur. Notre comportement peut faire de cet « heur », justement, quelque chose de positif, ou de négatif. Le coup de foudre peut ainsi mener à la dépression, au suicide, en cas de rupture, quand le fait de devenir subitement très riche peut faire perdre la tête, dépenser inconsidérément, être harcelé par son entourage. Seule une attitude rationnelle, raisonnable, détachée des passions, nous permettra d’envisager l’heur avec sérénité, et donc de le transformer, de le bonifier en quelque sorte.
Semblablement, s’il est préférable d’être riche, en bonne santé, ou de connaître la gloire, il ne s’agit guère de phases transitoires, contingentes. La santé, comme la jeunesse, comme la célébrité passent, s’éteignent, et un pauvre sera souvent plus heureux qu’un riche, un malade plus heureux qu’un sportif. D’où l’importance de garder une position détachée, d’admettre la fugacité, sinon la futilité de l’heur.
Vers la liberté, vers la félicité
Le désir, plus que la passion, peut donc mener au bonheur. Prisonnier de sa passion, par exemple de son coup de foudre, l’individu ne peut plus finir que par souffrir, et ne sera pas libre. Non obstant, il paraît très difficile de dominer l’heur, soit les évènements qui adviennent, et qui fondamentalement ne dépendent pas de nous, puisque nous sommes en réalité régis par des causes qui nous dépassent.
Dès lors, la félicité, le bonheur, ne consistent pas dans l’aversion à l’égard de tel ou tel heur (tel un tsunami, ou un cancer), ni dans le désir à l’égard de tel ou tel préférable (la gloire, la santé, etc.), mais bien dans la liberté, soit dans le fait de savoir que nous sommes déterminés, que tout est contingent.
Seule cette même liberté permet justement d’accepter ce qui demeure inéluctable, en étant conscient, et plus encore d’anticiper, afin de ne pas être surpris. Être libre, c’est donc, étrangement, se savoir déterminé et accueillir l’heur tel qu’il se présente, soit possiblement le transformer en bon-heur ou en mal-heur. En ce sens, le bonheur ne vient que de nous, de notre intelligence.
Un essai pédagogique, accessible
Agrégé de philosophie, auteur de neuf ouvrages, dont certains vendus à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires, Emmanuel Jaffelin répond donc au pari initial, formulé dès l’introduction : tenter de comprendre ce qu’est le bonheur, et se donner les moyens d’y arriver. Dépassant les lieux communs, déployant une série de raisonnements complexes, mais relativement accessibles, l’auteur tente de fournir des réponses, en perturbant nos idées reçues, en bousculant nos schémas, nos habitudes. S’appuyant également sur une série d’exemples, situations concrètes ou souvenirs de lecture ou de films.
Emmanuel Jaffelin définit une voie exigeante, mais malgré tout à notre portée. Le ton est souvent familier, direct, le penseur tutoyant son lecteur, comme s’il s’agissait d’une simple discussion, ou comme s’il s’adressait à un ami. Plusieurs grands penseurs, sont également évoqués, enrichissant la réflexion du lecteur devenu complice, compagnon. Par-delà la vulgarisation, le désir de créer une philosophie populaire, Emmanuel Jaffelin signe là un livre vrai, riche, un vade-mecum.