Auteur : Guilaine Depis
Dorothée Blancheton dans Psycho Enfants (novembre-décembre) écrit « Je joue donc je suis » – Entretien avec Sophie Marinopoulos
Au-delà des plaisirs qu’ils procurent, les jeux en disent beaucoup sur l’équilibre psychique et psycho-affectif de nos enfants. Dans son nouveau livre
Dites-moi à quoi il joue. Je vous dirai comment ll va, Sophie Marinopoulos, psychologue, léve le voile sur le pouvoir qu’ils possèdent.
Entretien. Par Dorothée Blancheton
PsychoEnfants : Pourquoi avoir écrit un livre sur le jeu ?
Sophie Marinopoulos : Parce que les jeux en disent long sur la santé psychique de nos enfants. Quand un enfant a de la fièvre, nous savons que quelque chose d’anormal se passe et nous allons consulter. La santé psychique, elle, n’a pas de visualisation. Cependant, en analysant la manière dont un enfant joue, il est possible d’établir des repères pour savoir ce qui se passe dans sa tête s’il se sent bien avec lui-même, s il a une estime de lm suffisante, si le rythme du quotidien lui convient.
PE. : De manière générale, qu’apportent les jeux à nos enfants ?
S. M. : Ils les aident à gagner en autonomie.
PE. : Est-ce aussi vrai pour le bebé ?
S. M. : Tout à fait. Dès la naissance, le bebe joue avec sa bouche pour decouvrir le monde et s’autonomiser. Le jeu lui donne la possibilité de sans faire sa curiosité. Le bebe fait ainsi ses premières expériences par lui-même. Cette découverte est possible par l’espace que ses parents lui laissent.
PE. : Dans votre ouvrage, vous créez un ludomètre, De quoi s’agit-il ?
S. M. : II s agit d’un outil qui permet aux parents d’être plus attentifs à l’évolution psychique de leur enfant. A travers le ludometre, j’explique ainsi que pour grandir, un enfant doit passer par des stades de croissance mesurables par le jeu. Ces stades sont un peu nouveaux par rapport a ceux de la psychanalyse qui sont le stade oral de O a I an, le stade anal de I à 3 ans, le stade phallique de 3 a 5 ans Ici, les phases se succèdent et se superposent.
PE. : Qu’est-ce que les enfants découvrent à travers ces stades ?
S. M. : De O a 8 mois l’enfant s’éveille essentiellement par la stimulation sensorielle les sons, les odeurs, le toucher, les paroles le nourrissent. Les tapis d’éveil, hochets, boîtes à musique sont donc à privilégier. II est aussi possible de fabriquer soi-même des jouets en faisant contraster les matières, les couleurs. De 8 a 20 mois, c’est la motricité qui prime L’enfant s’éloigne peu a peu du corps de ses parents pour explorer le monde qui l’entoure. Les cartes a tirer, les livres d’images ont du succès a cet âge. II faut opter pour des jeux avec une qualite de compréhension. L’enfant sera fier de pouvoir tenir son jouet tout seul.
PE. : Et au-delà de 20 mois ?
S. M. : De 20 mois a 3 ans, les enjeux affectifs sont plus compliqués. L’enfant se sent plus fort. II casse, crie, court et devient bruyant. Preuve évidente qu’il grandit. Les parents ont alors un rôle une fonction interdictrice à tenir. Ce qui, bien entendu, est épuisant puisque l’enfant désobéit. Celui-ci est encore trop petit pour intérioriser chaque règle, chaque non, chaque interdit. A cet âge, il a besoin de jouets solides, de pâte a modeler, de jeux d’eau. Les sorties au parc sont également importantes, elles canalisent son energie. Vers 4 5 ans, l’enfant devient plus calme. Il se construit des reperes et intègre davantage les interdits. Il aime ses jouets et veut les garder pour lui. Durant cette période, il découvre qu’il est un enfant sexué et comprend qu’il existe des jouets pour les garçons et des jouets pour les filles. C’est le début du triangle oedipien. Les petits garçons ont besoin de jouer avec leurs petites voitures et leurs circuits et les petites filles avec leurs poupées.
PE. : Et pour les 5-6 ans ?
S. M. : Place au relationnel, aux invitations d’anniversaire, aux amitiés On joue à faire comme si, à faire semblant. On opte pour la dînette, les déguisements, la marchande. Au delà de 6 ans, les sports sont conseillés, ainsi que les soirées pyjama l’enfant peut commencer à dormir à l’extérieur de la maison. Cette période est aussi celle du savoir et des activités qui vont avec maquette, jeux de societe, labo de chimiste. Attention toutefois à ne pas cristalliser d’attente narcissique sur l’enfant, à ne pas trop exiger de lui. Il doit aussi grandir seul, à travers l’ennui et l’échec.
PE. : Vous parlez du jeu du « cache-coucou » à partir de 12 mois. En quoi ce passe-temps est-il important ?
S. M. : Le « cache-coucou » a une fonction symbolique : Papa et maman se cachent derrière leurs mains pour reapparaître ensuite. Ce jeu permet à l’enfant de maîtriser son angoisse de la separation. Il lui donne l’impression de maitriser l’éloignement de ses parents et de mieux supporter leur distance.
PE. : Les enfants jouent-ils toujours autant qu’autrefois ?Sophie Marinopoulos – LLL 1790 €
S. M. : Ils joueraient autant si on leur laissait plus d’espaces et moins d’éc
rans. Les écrans annulent la créativite et la curiosité. Face aux écrans, on n’est plus dans la rencontre avec un autre.
À lire…
Quand s’inquiéter ? Quand votre bébé ne repond pas aux stimulations sensorielles. Quand votre enfant manifeste une peur
excessive face au monde qui l’entoure. Quand votre enfant n’évolue pas dans ses activites ludiques. Quand votre enfant manifeste de fortes désorganisations d’ordre corporel.
S. M. : Ils joueraient autant si on leur laissait plus d’espaces et moins d’écrans. Les écrans annulent la créativite et la curiosité. Face aux écrans, on n’est plus dans la rencontre avec un autre.
À lire…
Le site de Elle publie à nouveau l’article de Catherine Robin (02/11/09)
MLF : 40 ANS ET TANT A FAIRE sur www.elle.fr (02/11/09)
Elles étaient une quinzaine, âgées de 17 à 33 ans, bien décidées à ne plus s’en laisser conter. C’était en octobre 1968. Réunies dans un petit studio de la rue de Vaugirard, à Paris, elles posaient les bases d’un mouvement qui allait faire avancer les droits des femmes à pas de géant. Elles s’appelaient Antoinette Fouque, Monique Wittig… et venaient de fonder le Mouvement de libération des femmes. Quarante ans après, le MLF est toujours là en dépit des attaques et il a accompagné toutes les conquêtes des femmes : de l’IVG à la parité en passant par l’égalité au travail. « Nous avons plus fait en 40 ans qu’en 4 000 ans », déclarait récemment Antoinette Fouque. Aujourd’hui, la relève est-elle assurée ? « Oui, répond Jacqueline Sag, militante de la première heure. Mais c’est plus difficile. Les jeunes femmes qui ont bénéficié de nos acquis sont beaucoup moins politisées. Elles n’utilisent pas forcément les mêmes armes. En tout cas, il y a encore fort à faire. »
Catherine Robin
A lire : « Génération MLF » (Editions des Femmes). Sortie le 16 octobre.
La Quinzaine Littéraire remarque notre coffret Nathalie Sarraute (1er au 15 novembre 2009)


Le Dossier familial de novembre 2009 se penche sur Sophie Marinopoulos…
A lire « Dites-moi à quoi il joue, je vous dirai comment il va ».
Pour la premiere fois, un psychanalyste apprend aux parents à mesurer l’équilibre psychologique de leur enfant en le regardant jouer. A cette fin, l’auteur a conçu un « ludomètre », courbe de croissance ludique qui donne des repères par tranche d’âge.
Sophie Marinopoulos, éditions Les Liens qui libèrent, 17,90 €
Elisabeth Bing dans Le Journal des Psychologues (par Eva-Marie Golder, novembre 2009)
LE JOURNAL DES PSYCHOLOGUES
NOVEMBRE 2009
DOSSIER INTIME DE L’ECRITURE
RECITS CLINIQUES ET ECRITS DE L’ANALYSTE
Par Eva-Marie Golder
Lorsque les représentations ne s’organisent pas en récit qui ait un sens, la pensée est effractée, l’écriture est suspendue, et c’est bien de sa propre inscription dans la réalité et de son sentiment d’appartenance dont il est question. L’histoire ne peut être écrite. (…)
Bibliographie : Bing E., 1976, Et je nageai vjusqu’à la page. Paris, Editions des femmes, 1993
Elisabeth Bing
… et je nageai jusqu’à la page
320 p. – 22,50 € – 1982 – Réédition 1993, augmentée d’une postface
Le succès des ateliers d’écriture imposait la réedition de cet ouvrage publié une première fois en 1976, et qui a fait école…
Elisabeth Bing a choisi pour titre de son ouvrage l’expression enfantine petit François à qui l’écriture, labyrinthe mortel pour celui qui ne trouve pas sa voie, aura fini par apporter la paix et la confiance : » je nageai jusqu’à la page où je m’endormis « . Car ceci n’est pas à un récit comme les autres…
Vaste poème où il s’agit de dire la différence et l’excès, » texte oralisé « , recueil de créations enfantines, analyse des refoulements imposés dès leur plus jeune âge aux enfants qui ne correspondent pas à une norme d’éducation précise, témoignage, ni euphorique, ni pessimiste d’une femme qui a participé aux premiers ateliers d’écriture, plaidoyer pour une écoute de l’imaginaire, rêve intime d’une écriture de l’expression de soi, du voyage intérieur, d’une écriture-danse, travaillée, créatrice, libérée des tabous de l’âge adulte, telles peuvent être les mille et une façons d’aborder cet ouvrage.
» Tout geste est de torture s’il est condamné de l’intérieur « . Comment renaître à l’expression, quand la norme vous a in/formé depuis votre plus jeune âge ? Rétablir une positivité du geste, offrir aux enfants bloqués la possibilité d’une course libre, d’une marche accordée avec leur être profond, montrer que l’écriture ne se confond pas avec les règles de la grammaire, » créer un état de dérangement (…) pour que renaisse le désir « , tel est l’enjeu de ce livre sensible et émouvant.
Accorder la pulsion d’écrire à la pulsion du sang dans les veines, au rythme personnel des battements du coeur, au cheminement intérieur, « rétablir l’accord profond entre ce sang noir qui coulait de la plume et le rouge sang des veines « , c’est la démarche même d’Elisabeth Bing dans ce livre à la fois concret et poétique.
Au terme d’un parcours qui rappelle à chaque lecteur une relation oubliée entre son corps et sa parole, l’auteur nous aura appris à « oser l’impudence de faire écrire les autres « ; à » décontracter « l’enfant (en nous) qui écrit, à libérer ses gestes, ses mots ; à suggérer que la vie est » voix et corps « .
Du même auteur |
Elisabeth Bing a travaillé avec des enfants dits » caractériels » à partir de 1969. Elle a participé aux premiers ateliers d’écriture, et a poursuivi ses activités auprès d’adultes, à Paris comme à Aix-en-Provence.
Marina Da Silva revient sur Kateb Yacine dans Le Monde Diplomatique de Novembre 2009 (auteur aux éditions Des femmes-Antoinette Fouque)
Marina Da Silva signe un dossier Kateb Yacine dans Le Monde Diplomatique de Novembre 2009
Des mots qui pratiquent des brèches
Kateb Yacine, l’éternel perturbateur
Mort il y a vingt ans, l’écrivain Kateb Yacine connaît toujours une popularité certaine en Algérie, où un colloque international vient de lui être consacré. En France, les hommages n’ont guère été médiatisés. Ce «poète en trois langues», selon le titre du film que Stéphane Gatti lui a consacré, demeure un symbole de la révolte contre toutes les formes d’injustice, et l’emblème d’une conscience insoumise, déterminée à rêver, penser et agir debout.
«Le vrai poète, même dans un courant progressiste, doit manifester ses désaccords. S’il ne s’exprime pas pleinement, il étouffe. Telle est sa fonction. Il fait sa révolution à l’intérieur de la révolution politique ; il est, au sein de la perturbation, l’éternel perturbateur. Son drame, c’est d’être mis au service d’une lutte révolutionnaire, lui qui ne peut ni ne doit composer avec les apparences d’un jour. Le poète, c’est la révolution à l’état nu, le mouvement même de la vie dans une incessante explosion .»
Romancier et dramaturge visionnaire, considéré grâce à son roman Nedjma comme le fondateur de la littérature algérienne moderne, Kateb Yacine était avant tout un poète rebelle. Vingt ans après sa disparition, il occupe en Algérie «la place du mythe ; comme dans toutes les sociétés, on ne connaît pas forcément son œuvre, mais il est inscrit dans les mentalités et le discours social ». Il reste aussi l’une des figures les plus importantes et révélatrices de l’histoire franco-algérienne.
Kateb, qui signifie «écrivain» en arabe, était issu d’une famille de lettrés de la tribu des Keblout du Nadhor (Est algérien). Le 8 mai 1945 — il n’a pas encore 16 ans —, il participe aux soulèvements populaires du Constantinois pour l’indépendance. Arrêté à Sétif, il est incarcéré durant trois mois à la suite de la répression, qui fait quarante-cinq mille morts. Sa mère, à laquelle il est profondément attaché — c’est elle qui l’a initié à la tradition orale et à la poésie —, sombrera dans la folie. Cette date du 8 mai marquera l’existence, l’engagement et l’écriture de Kateb à tout jamais.
C’est en septembre de cette même année, à Annaba, qu’il tombe éperdument amoureux d’une de ses cousines, Zoulheikha, qui va inspirer Nedjma («étoile»), rédigé en français, œuvre fondatrice qui a totalement bouleversé l’écriture maghrébine. Dans cette histoire métaphorique où quatre jeunes gens, Rachid, Lakhdar, Mourad et Mustapha, gravitent autour de Nedjma en quête d’un amour impossible et d’une réconciliation avec leur terre natale et les ancêtres, la jeune fille, belle et inaccessible, symbolise aussi l’Algérie résistant sans cesse à ses envahisseurs, depuis les Romains jusqu’aux Français. La question de l’identité, celle des personnages et d’une nation, est au coeur de l’oeuvre, pluridimensionnelle, polyphonique.
ment politique de Kateb détermina fondamentalement ses choix esthétiques : « Notre théâtre est un théâtre de combat ; dans la lutte des classes, on ne choisit pas son arme. Le théâtre est la nôtre. Il ne peut pas être discours, nous vivons devant le peuple ce qu’il a vécu, nous brassons mille expériences en une seule, nous poussons plus loin et c’est tout. Nous sommes des apprentis de la vie. » Pour lui, seule la poésie peut en rendre compte ; elle est le centre de toutes choses, il la juge « vraiment essentielle dans l’expression de l’homme ». Avec ses images et ses symboles, elle ouvre une autre dimension. « Ce n’est plus l’abstraction désespérante d’une poésie repliée sur elle-même, réduite à l’impuissance, mais tout à fait le contraire (…) J’ai en tous cas confiance dans [son] pouvoir explosif, autant que dans les moyens conscients du théâtre, du langage contrôlé, bien manié. »
(Retrouvez la version intégrale de cet article dans Le Monde diplomatique actuellement en kiosques.)
Marina Da Silva.
Xavier Lardoux rend compte du coffret Duras dans la revue ETUDES (novembre 2009)
La Mort du jeune aviateur anglais et Ecrire
Deux films de Benoît JACQUOT avec Marguerite DURAS (1993)
Editions Des femmes-Antoinette Fouque & Montparnasse (Coffret 1 DVD et 2 CD lus par Fanny Ardant)
En 1993, Jacquot tourne deux films autour de Duras, dont il fut l’ami et le jeune assistant (Nathalie Granger, India Song) : devant la caméra attentive et silencieuse du cinéaste, l’écrivain raconte d’abord la mort du jeune aviateur anglais. D’un nom sur une tombe d’un village de Normandie, elle tire peu à peu le canevas de l’histoire d’un Anglais de vingt ans, tué pendant la guerre par les Allemands. Bouleversée par cette mort qui lui rappelle le souvenir de son frère Paul disparu sans sépulture pendant la guerre du Japon, Duras cherche ses mots, dit que l’écriture ne peut rien ici et que seul le cinéma peut déchiffrer la douleur qu’elle ressent. Si elle invente peut-être de toute pièce cette histoire au fil de ses paroles, le film n’en est pas moins un poème sur l’innocence de la vie, un témoignage saisissant d’humanité sur « la mort de n’importe qui, ce qu’est précisément la mort ». Juste après ce film, Duras avoue à Jacquot qu’elle ne lui a pas tout dit : ils partent alors dans sa maison de Neauphle-le-Château tourner Ecrire. Le cinéaste interroge alors l’écrivain sur l’acte d’écrire et le film dévoile peu à peu les liens entre l’écriture et la solitude. «Il n’y a pas d’écrit sans solitude. Ecrire, c’est ne rien dire. Un écrivain, c’est muet. » La caméra rivée sur cette petite femme perdue au fond d’un fauteuil, Jacquot fait briller ses yeux malicieux, écoute, fait entendre sa voix rauque à la conquête de la simplicité et du silence. « Ecrire, dit encore Duras, c’est tenter de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait – on ne le sait qu’après…» Xavier Lardoux
Françoise Vergier rend présente Antoinette Fouque dans la Revue Aréa (automne-hiver 2009)


http://www.francoise-vergier.com/
Hommage à Kateb Yacine, auteur de « Parce que c’est une femme » (éditions Des femmes, 2004) par Marie-José Sirach dans L’HUMANITE du 29 octobre 2009
L’HUMANITE – Article paru le 29 octobre 2009 – Hommage littérature par Marie-José Sirach
Kateb Yacine L’éternel insoumis
« Voici ma vie à moi / Rassemblée en poussière…/ Bonjour mes poèmes sans raison. » Kateb Yacine
Lire et relire Kateb Yacine. Pour ne pas mourir idiot. Pour garder les yeux ouverts sur le monde. Pour rire de la malice de son auteur, de son ingéniosité à défier, sans relâche, le pouvoir, tous les pouvoirs, qu’ils soient religieux ou politiques. Il fut et il reste un des plus grands écrivains de langue française même s’il affirmait sans se démonter : « J’écris en français, mieux que les Français, pour dire que je ne suis pas français. » Cette langue de la colonisation, il se l’est appropriée (« butin de guerre », disait-il) pour mieux la réinventer, sans cesse. Racée, élégante, lyrique, populaire, elle est à la croisée de tous les chemins. Elle pétille d’inventivité, croisant une langue paysanne et savante, burlesque et épique. Irrévérencieuse, elle sent le soufre, elle ne peut qu’inquiéter le pouvoir, quel qu’il soit. Kateb Yacine déjoue tous les académismes, les règles du bien écrire faisant éclater son récit en des intemporalités narratives qui saisissent par leurs audaces. Inventeur d’un continent imaginaire, l’Anafrasie, il est l’éternel défenseur des « ânes » prolétaires contre « les Frères monuments qui gardent la loi et vendent le pétrole » et tous les Bou Dinar qu’il croise sur son chemin.
Il vient à la littérature sans être passé par la case école qu’il ne fréquente plus dès l’âge de quinze ans, viré après avoir participé aux manifestations de Sétif et purgé deux mois de prison. Cela ne l’empêche pas de lire, au petit bonheur la chance. Une chance qui lui ouvre bon nombre d’auteurs, dont Eschyle, Sophocle, Aristophane, Höderlin, Baudelaire…
Il vient à la littérature par une conscience politique qui jamais ne le lâchera. Le 8 mai 1945, les massacres de Sétif marqueront à jamais son engagement en littérature. Sa plume, ses mots seront désormais ses armes : qu’il tournera d’abord contre le colonialisme ; puis contre les diktats d’un FLN agrippé au dogme d’une identité arabo-islamique ; enfin contre l’obscurantisme des religieux de tout poil.
« Ici est la rue des Vandales. C’est une rue d’Alger ou de Constantine, de Sétif ou de Guelma, de Tunis ou de Casablanca […]. Ici je suis né, ici je rampe encore pour apprendre à me tenir debout » : ces mots sont prononcés par Lakhdar en ouverture du Cadavre encerclé. Publiée en 1954 dans la revue Esprit, la pièce, créée par Jean-Marie Serreau, sera frappée d’interdiction en France. Nedjma (l’étoile) est son premier roman. Publié en 1956, Nedjma est une allégorie, une première tentative pour dire l’histoire d’un pays sans mémoire, une histoire à la peau trouée comme le corps criblé de balles du peuple algérien. Plus tard, celle du peuple vietnamien (l’Homme aux sandales de caoutchouc, 1970), mais aussi palestinien (Boucherie de l’espérance ou Palestine trahie, 1975). La rue des Vandales trouve des échos dans d’autres ailleurs, dans ce vaste monde qu’il parcourt, et qui lui renvoient toujours ces mêmes scènes d’injustice et d’oppression. Toute sa vie, Kateb, cet Africain errant, ne cessera de faire des allers-retours. Paris, Alger, Berlin, Moscou, Rome, Le Caire… Et même La Mecque, si l’on en croit ce fameux reportage avec les pèlerins en route pour la ville « sainte » (Minuit passé de douze heures). Il arpente le monde, exerce différents métiers parce qu’il faut bien bouffer. Docker, maçon, vendangeur, argenteur dans une usine de luxe à Montreuil, « paradoxal métier pour un sans-le-sou », raconte-til, et même fossoyeur. Depuis 1947, il est membre du Parti communiste algérien. Ça lui vaudra des « ennuis » avec les autorités coloniales ; plus tard avec le FLN au pouvoir. N’avait-il pas créé, en 1957, « le CCK, le Comité central de la Khahta, autrement dit le soviet de la cuite héroïque ou de la beuverie contestataire » pour se moquer, dénoncer la morale bigote que le FLN imposait à tous les Algériens. En 1962, après l’indépendance, il revient à Alger et reprend sa collaboration à Alger républicain. En 1971, il crée sa troupe, l’Action culturelle des travailleurs (ACT), s’installe à Bab El-Oued et se lance dans une aventure théâtrale qui ne va pas sans évoquer celle de Lorca et de la Barraca. OEuvrant à l’élaboration d’un théâtre populaire, épique, politique et satirique écrit en arabe dialectal, il parcourt l’Algérie et présente des pièces incroyables par leur audace, leur humour féroce, leur liberté de ton, leur langue comme les personnages aux noms invraisemblables et les situations choisies, souvent rocambolesques.
« Les racines de ma poésie se trouvent sous la terre de mon pays », confie-t-il. Durant cette période prolifique, il écrit et joue avec sa troupe Mohamed fait ta valise (1971), la Voix des femmes (1972), la Guerre de deux mille ans (1974), le Roi de l’Ouest (1975), alias Hassan II. Certaines de ces pièces sont aussi jouées en France, en Allemagne de l’Est. Mais Kateb devient chaque jour qui passe plus gênant aux yeux du pouvoir algérien. Il est alors nommé au théâtre régional de Sidi-Bel-Abbès, une façon de l’exiler sans le dire. Il est interdit d’antenne à la télévision, ses pièces se jouent dans des lycées, quelques entreprises. Ses positions sur la langue tamazight, sur l’égalité de la femme et de l’homme, contre le retour du voile ne plaisent pas. Et plus le pouvoir se raidit, plus Kateb est libre. Libre d’aimer la littérature, les femmes, le vin. Et de rir
e. Il est mort le 28 octobre 1989. Quelques mois plus tôt, le FIS venait d’être légalisé. Les muftis font la loi, lançant des fatwas depuis leurs mosquées. Pour Kateb, ce sera une fatwa post-mortem. Ce 1er novembre 1989, la foule se presse.
Entonne l’Internationale, en français, en tamazight ; puis Min jibalina, le chant des partisans algériens. Hommes et femmes l’accompagnent au cimetière. Un cimetière interdit aux femmes qui braveront cette consigne. Voilà ce peuple d’Alger, ce peuple de mécréants qui le conduit à sa dernière demeure. Kateb Yacine est mort, et sa mort marque les débuts d’une période sanglante, une décennie noire où les prêcheurs, à l’ombre des indéboulonnables « Frères monuments », lancent des condamnations à mort depuis le haut de leur minaret, où les listes de poètes et de démocrates à abattre noircissent les murs des mosquées. Alors oui. Lire et relire Kateb Yacine. Pour réapprendre à vivre libre. Tout simplement.
MARIE-JOSÉ SIRACH
Les Lettres françaises de novembre consacreront un dossier à Kateb Yacine. Une soirée d’hommage à Kateb Yacine aura lieu le mercredi 9 décembre 2009, à 18 h 30 à l’Institut du monde arabe. « Kateb Yacine, le coeur entre les dents », textes de Benamar Mediene, dits par Fellag, Marianne Epin et Sid-Ahmed Agoumi, et chants berbères de Fettouma Bouamari. (Entrée libre et gratuite)
Bibliographie
le Polygone étoilé, Éditions du Seuil, 1966 ;
le Cercle des représailles, théâtre, Éditions du Seuil, 1959 et 1976 ;
l’Homme aux sandales de caoutchouc, théâtre, Éditions du Seuil, 1970 et 1978
l’Œuvre en fragments, Éditions Sindbad, 1986 ;
Soliloques, poèmes, Ancienne Imprimerie Thomas, 1946, Éditions Bouchène, 1989, Éditions La Découverte, 1991 ;
le Poète comme un boxeur, entretiens, 1958-1989, Éditions du Seuil, 1994 ;
Minuit passé de douze heures, écrits journalistiques 1947-1989, Éditions du Seuil, 1999 ;
Boucherie de l’espérance, œuvres théâtrales, Éditions du Seuil, 1999 ;
Parce que c’est une femme, Éditions Des Femmes, 2004.