Dossier dans Muze Hors-Série sur Lou Salomé (juillet-août 2008)

Juillet-août 2008

Dossier par Yves Simon

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(…)

L’Extrait
La maison, roman de 1921
(éd. des Femmes). extrait de la postface.
« Être seule, vivre intérieurement, pour soi, était pour moi un besoin aussi impérieux que le contact et la chaleur humaine. Besoins aussi forts et passionnés l’un que l’autre, mais séparés et sujets au changement et à l’alternance, et c’est précisément cela qui paraît infidèle et inconstant. »

Une femme a renoncé à une carrière de pianiste pour se marier. Vingt ans plus tard, elle observe ses enfants et s’interroge. Un roman sur l’art et son corollaire, la liberté. Les enfants, Gitta et Balduin, sont inspirés de Lou et Rilke. La narration est classique, le style un peu suranné, mais le charme est là (éd. des Femmes). Lire aussi extrait.

La Clause, par Violaine Lucas dans « Femmes » (Choisir)

Femmes, juillet-août 2008

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Propos recueillis par Laure Dumont

L’EUROPE TRAVAILLE POUR NOUS

Que toutes les femmes d’Europe bénéficient des lois nationales solidaires qui leur sont le plus favorables. Est-ce l’idée géniale qui pourrait marquer la présidence française de l’Union ? Eléments de réponse avec Violaine Lucas, co-auteure de « La clause de l’Européenne la plus favorisée ». Propos recueillis par Laure Dumont. (…)

Antoine Wicker remarque « Le temps du tableau » (Dernières Nouvelles d’Alsace, 6 juin 2008)

f2c1d2ed1ac3c193acf2fe868204e7ef.jpg Les Poétiques de Weinzaepflen

Catherine Weinzaepflen. Photo Guy Vacheret.

Quel rapport aujourd’hui entre la douleur intime et le sort du monde ? La Strasbourgeoise de Paris réédite Am See, et compose en trois séquences le très personnel inventaire poétique de Le temps du tableau : récit, théâtre, et correspondance – un même Journal, en vérité.

« Il faudrait / avaler sans les digérer / les moments de temps / qui frisent l’éternité / et dans le jour blafard du lendemain / se dire que le temps du tableau / est toujours mêlé…» Nouvelle version donc de Am See, publié une première fois il y a plus de vingt ans, et qui sous le cliché de carte postale convoque un imaginaire que Catherine Weinzaepflen de livre en livre sollicita : l’idée et la sensation de la correspondance épistolaire, du rendez-vous amoureux pris à l’autre bout du monde, du voyage donc et de la villégiature, et du paysage, naturel ou urbain, des villes enfin…

« Au-dessus de la porte d’entrée du café d’où je t’écris, l’image d’un immense paquebot dans un cadre en loupe. Tu vois où je veux en venir… » Qu’importe la destination. Seuls importent l’horizon et l’odeur de la haute mer, ou la perspective des villes. La perspective de Paris même, où elle s’installa en 1977, quittant alors Strasbourg, sa ville natale, qui de sa vie ni de son oeuvre ne s’effaça certes pas : « toujours la pensée de Goethe, lâche-t-elle ainsi au détour d’une page de Le temps du tableau, juste paru. La pensée de Goethe et sa «germanitude» à lui, associée aux tilleuls de la rue Froidevaux à Paris. Aux tilleuls en fleur, « unter den Linden ».

Et du vivant théâtre urbain de son 14e arrondissement parisien elle sait aussi ne se priver jamais – voir les formidables croquis humains qu’elle recomposa en libre journal et roman dans La place de mon théâtre (chez Farrago en 2004). Et sa Jeune fille avec entourage, dans Le temps du tableau, en réussit aujourd’hui quelques autres, de ces croquis et portraits – la jeune fille, l’Africain et le Généreux, le muet, l’enfant et la vieille…
Paris donc, où elle voudrait pouvoir vivre indifférente à la nostalgie mais où l’humeur maussade si souvent la rattrape : « Paris est gris, froid, mort / non / c’est moi / la froide morte grise / d’aujourd’hui ». Où la rattrape le spectacle du monde même : « pluie d’hiver sur Paris / un nouvel avion crashé / dans un monde usé / que l’imbécillité / travaille ». Où ce monde la rattrape et la scandalise, et ressuscite toujours à nouveau en elle la « peur fossile » qui jamais ne l’abandonna : « avril déchiré / par le goût sucré du sang / ils tuent en Palestine (…) / mes dents se cognent / entre mâchoires serrées / de rage ».

Car l’appel de l’autre et l’invitation du large toujours en ses méditations l’emporta, et l’emporte loin, là encore. A Saint-Petersbourg ou à Los Angeles comme au Mexique ou en Afghanistan, en des sites et des villes et des paysages humains où elle se souvient parfois de l’Europe, dit-elle, comme d’une autre planète.
L’avenir il y a longtemps allait de soi, songe-t-elle, et quel rapport aujourd’hui entre les états et douleurs intimes et le sort du monde ? C’est par où s’avance la rêverie de l’écrivain, sa confidence, sa quête – d’amour et d’amitié, et de tendresse. Entre des étincelles d’humanité et les échos des explosifs meurtriers qui ensanglantent la planète. Dans l’intensité humaine et érotique et poétique, incisive autant que bouleversée, qu’entre mémoires et paysages tricote là encore une fois, mariant récit et théâtre et correspondance, le Journal de Catherine Weinzaepflen.

Antoine Wicker

Lesbia Magazine, avec « Alba, correspondance à une voix » ! (par Jacqueline Pasquier)

LM Lesbia Mag N°281 juillet aout

fc4a845a1d94d12cc7becbcc90211ead.jpg A celles qui aiment les romans de plus de cinq cents pages, qui apprécient une écriture classique, qui sont sensibles au sens de l’honneur et à l’élégance du comportement humain, qui sont intéressées notamment par la période 1950-1960 et par de fortes histoires d’amours saphiques, je recommande cette excellente saga qui met en scène une multitude de personnages essentiellement féminins, aux personnalités bien dessinées. Des femmes qui s’insurgent pour vivre comme elles l’entendent.

La jeune Roxane, pensionnaire s’éprend à 12 ans d’Alba qui hélas quitte le pensionnat pour suivre, en Espagne, son père ambassadeur. Elle entreprend par conséquent avec cette amie désormais éloignée, une correspondance où elle raconte sa vie au fur et à mesure qu’elle se déroule : le pensionnat, le retour pour les vacances dans la propriété familiale, le père autoritaire qui rend malheureux toute la maisonnée, la mère aimante et malheureuse en couple, la jeune soeur capricieuse, Gipsy, la jument adorée, le personnel dévoué, les vignes, puis la Sorbonne et Paris où elle vit chez sa tante, ancienne résistante, la rencontre avec la pianiste Salomé et sa grande histoire d’amour, enfin le retour définitif à La Révillière, où elle devra affronter la misogynie du monde viticole et faire encore de belles rencontres…

Ce résumé étant présenté vous pouvez imaginer tous les domaines abordés par Anne de Bascher dans cette saga optimiste et tolérante qui n’évite cependant pas les drames inhérents à la condition humaine. Un beau roman, bien construit, qui devrait ensoleiller vos vacances ! JP 576 p. 20 euros

Jacqueline Pasquier

Toute une page sur Sophie Freud (par Alain Rubens, Lire de juillet-août 2008)

L’EPOUSE HYSTERIQUE

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Petite-fille du psychanalyste, Sophie Freud livre ses souvenirs familiaux.

« A mes yeux, Hitler et Freud sont les deux faux prophètes du XXème siècle. » D’où surgit l’outrageant, le blasphématoire parallèle ? De la bouche de Sophie Freud, la petite-fille du maître, une dame alerte de 84 ans, professeur émérite de psychosociologie au Simmons College de Boston. « Oui, j’ai dit cela, il y a quelques années. » Pourtant son livre, passionnante autobiographie croisée d’elle et de sa mère, est plein de vénération pour son grand-père.

Vienne, mai 1938. Freud, sommité de 82 ans, est contraint à l’exil. Sur le chemin de Londres, il passe à Paris une unique soirée dans l’hôtel particulier de la princesse Marie Bonaparte. Sophie Freud se souvient : « Quand il est passé par Paris, on est allées à la gare Saint-Lazare. Il y avait Anna sa fille, sa femme et d’autres personnes. J’étais venue lui dire adieu et j’étais triste à pleurer à la pensée de lui dire, définitivement, adieu. C’est vrai, ils ont passé cette fameuse nuit chez la princesse Marie Bonaparte. Ma mère et moi, n’avons pas été invitées. » A Vienne, la collégienne mena une existence paisible au rituel immuable : « Je venais le voir chaque dimanche. Un brin de conversation et il me donnait de l’argent, huit schillings exactement, que je dépensais pour aller au Burgtheater. J’avais des sentiments mélangés. Il n’avait pas à me payer pour que j’aille le voir. C’était un honneur pour moi. Il était considéré par toute la famille comme un être supérieur. Formel, un peu distant, peu de mots. Il souffrait de son cancer du palais, si bien qu’il parlait peu. Il m’accordait, dans son cabinet, un petit quart d’heure hebdomadaire, ça faisait de moi une princesse ! » Une princesse qui ne sera jamais invitée à un seul repas familial. Car la hantise des Freud, c’est sa mère Esti Drucker (1896-1980), l’épouse de Martin Freud, le fils aîné, juriste et banquier, qui finira buraliste près du British Museum. Un mariage qui vire au désastre. Esti, l’hystérique patentée, est prompte à l’éclat, au coup de colère, à la meurtrissure permanente. Volontariste et dépressive, intelligente et violemment affective, cherchant noise et querelle à la terre entière, Esti, dotée d’une inflexible indépendance, deviendra une orthophoniste reconnue aux Etats-Unis. D’emblée, le professeur avait flairé la faille. Dans une lettre du 14 mai 1938, Freud écrit à son autre fils Ernst : « Elle n’est pas seulement meschugge, mais aussi folle au sens pathologique. » Une folie à couper au couteau, et Sophie de préciser : « Il en faisait l’unique responsable du mauvais mariage de son fils Martin. C’était bien dans l’air de ces temps viennois. Mais un mariage est toujours une partie qui se joue à deux. »

979afb182083c8b065452e7eb41b3e0e.jpg Esti Drucker, épouse de Martin Freud : sa fille Sophie en brosse l’autoportrait.
CETTE HERITIERE NE S’EST JAMAIS EMBARRASSEE DU LEGS FREUDIEN

En mai 1938, Sophie et sa mère se réfugient en France. « A Paris, nous dit-elle, j’étais élève au lycée La Fontaine. J’ai commencé à lire les Cinq psychanalyses. Je les lisais comme des histoires faciles, des nouvelles. D’ailleurs si mon grand-père a reçu le Prix Goethe, c’était plus pour ses magnifiques qualités littéraires que scientifiques. »

1940, la débâcle. Esti et sa fille traversent la France en bicyclette. Une fois en Afrique du Nord, elles embarquent de Casablanca, au prix d’une odyssée hallucinante, pour New-York.

Sophie Freud n’a pas entrepris d’analyse. D’ailleurs, cette héritière ne s’est jamais embarrassée du legs freudien. « Je suis très sceptique sur la psychanalyse, explique t-elle. Freud n’a jamais été un pionnier avec les femmes. Il était un enfant de son temps et ne savait rien de la sexualité féminine. Il n’était pas misogyne mais la femme était pour lui une espèce à part, comme les singes. C’est ce fameux « continent noir » dont il parle, une moitié d’humanité au service de l’homme. Même son épouse Martha lui préparait, la veille, ses vêtements et son mouchoir. »

Et le transfert dans tout ça ? « Il est normal qu’une femme tombe amoureuse de son thérapeute. Mais c’est très grave, car des femmes souffrent de cet amour sans réciprocité. J’ai vu des femmes entamer une analyse pour les soulager de la dernière. FRinalement, il a donné un nom scientifique à un sentiment normal, l’amour. L’envie du pénis ? Absurde ! Pourquoi Freud pensait-il que chaque femme ou jeune fille désirait un pénis ? C’est l’idée d’un enfant de trois ans. Le sexe n’est pas essentiel. Beaucoup de femmes ont une vie satisfaisante sans sexualité. Aux Etats-Unis, la psychanalyse est en chute libre. »

Aujourd’hui, elle vante la Reading Cure, la thérapie par la lecture : « Sans la lecture, je perdrais tout plaisir de vivre. A ma mort, mon épitaphe devrait indiquer mes quelques trois mille livres préférés. Je voudrais lire tout Proust dans le texte. Mon prochain cours sera consacré aux fils qui écrivent sur leurs pères. Je commencerai par la Lettre au père de Kafka. Puis, ce livre de haine rédigé par Niklas Frank, le bourreau nazi de la Pologne occupée. Enfin, un livre d’amour, Patrimoine. Une histoire vraie, l’autobiographie de Philip Roth. »Cette Freud n’est décidément pas très freudienne.

Alain Rubens

Toronto Star du 16.11.2003

Ce mot yiddish, plutôt affectueux, signifie « fantaisiste, exubérant »

A l’ombre de la famille Freud par Sophie freud, traduction de l’allemand et préface de Nicole Casanova, 538 p., Des femmes-Antoinette Fouque, 27 E

Femme actuelle parle de « La clause de l’Européenne la plus favorisée » (30.06.08) « 

30 juin – 6 juillet

7bc9cbcaf789a596cfad5412c6a89b48.jpg POURQUOI LES FRANCAISES NE SE SENTENT-ELLES PAS PLUS CONCERNEES ?

Alors que notre pays prend, le 1er juillet, la présidence de l’Union Européenne pour six mois, 44% de nos sondées estiment que l’Europe n’est pas assez concrète dans leur vie quotidienne. En cause, de nombreuses idées reçues.

L’Europe n’a rien fait pour moi…

Et pourtant saviez-vous ?

(…)

Pour s’informer « La clause de l’Européenne la plus favorisée », sous la direction de Gisèle Halimi, Editions des femmes.

Article de fond sur « Blottie » (par Pierre Cormary, Le Magazine des Livres, mai-juin 2008)

 zordan2.JPGParole en souffrance (sur Blottie de Laurence Zordan)

Un père blessé dans sa fierté filiale par une fille qui ne veut pas lui donner la preuve de sa réussite sociale. Un petit garçon défiguré à cause d’une vengeance qui tourne mal. Un accident de roller qui rend une mère aphasique et paralysée juste après qu’elle ait eu son enfant. Une petite fille sous influence d’un grand-père bourreau. Le jeu du foulard dans les écoles. Dans un roman de Laurence Zordan, les événements se lient sans se relier systématiquement. Le mal est aussi structurel que conjoncturel. La fatalité s’ajoute au déterminisme. On est dans la tragédie (tout ce qui arrive a un sens) comme dans le drame (tout ce qui arrive arrive par hasard). Comme le dit Gentiane, l’héroïne, « j’ai toujours moqué les gens qui cherchent un sens à leur vie, de braves toutous qui veulent une laisse métaphysique pour museler le non-sens ». Hélas, c’est elle qui, après son accident, tentera de substituer le sens au non-sens de son existence. En vérité, la métaphysique est une question de survie. Mémoire et raison vont en tous cas dans cette direction et nous font trouver (ou imaginer, mais quelle importance ?) des causes aux événements, des liens entre les situations, du sens, enfin, à nos malheurs. C’est que le mal n’est supportable qu’en perspective. La difficulté qu’il y a lire un livre de Zordan réside précisément dans cet enchevêtrement de hasard et de nécessité qui conduisent la narration. Le texte épouse en effet l’impossible objectivité qu’il y a rendre compte de la réalité en même temps que l’obsessionnel et subjectif besoin de le faire. Blottie fonctionne comme un monologue intérieur, celui de Gentiane, tout en restant écrit à la troisième personne (« elle »). Et donc, les accidents imprévus s’entrecroisent avec les incidences intérieures. Les lignes de fuite se juxtaposent avec les lignes droites.

Le grand art de Zordan est de montrer que la réalité ne laisse jamais tranquille la compréhension qu’on croyait avoir d’elle. Est réel en effet ce qui est à la fois flou et radical, insaisissable et qui pourtant nous saisit, incompréhensible mais qui ne laisse pas d’être. Est réel ce qui nous surprend et nous prend à notre corps défendant – un corps qui ne peut d’ailleurs plus se défendre. Supplicié dans Des yeux pour mourir, médicalisé jusqu’à l’insoutenable dans Le Traitement, hémiplégique et muet dans Blottie, le corps selon Zordan est cette membrane perpétuellement souffrante qui révèle l’existence autant que son empêchement – comme si nous ne pouvions qu’exister que dans le blocage de cette existence. Gentiane voudrait d’abord être la maman de Violaine mais la maman de Violaine est gentiane, sans majuscule et sans force, réduite à l’hémiplégie sur son lit. Si la littérature dite féminine est une littérature du manque et de l’excès, alors celle de Laurence Zordan l’est par excellence. Chez elle, le déficit de l’expression va de pair avec l’excédent de ce qu’il y a exprimer. C’est ce pauvre père, humble bureaucrate, qui aurait tant voulu transmettre à sa fille son goût des lettres et qui passe à son bureau pour un zouave dont tout le monde se paye la tête. C’est cette mère qui voudrait dire au monde entier que sa fille est innocente des rituels d’étranglement auxquels on la soumet dans la cour de récréation mais qui ne le peut car elle est incapable de parler ou d’écrire. C’est cette nounou étrangère qui s’exprime si mal et qui ne comprend pas que la petite fille ne veut pas mettre l’écharpe qui lui rappelle les étranglements. C’est enfin ce chirurgien qui parle toutes les langues sauf la sienne, car la sienne, plus que langue maternelle, est langue paternelle, de ce père qui était bourreau dans des camps de prisonnier. « J’ai voulu être polyglotte pour recouvrir les cris de douleur qu’il arrachés à tous ces malheureux, dira-t-il un jour. J’ai voulu découvrir toutes les littératures du monde pour montrer qu’elles contredisaient son idéologie de purification ethnique. »

Chez Zordan, la parole est toujours en souffrance et la conquête de celle-ci devient l’enjeu de ses textes. « Les pires accidents de la vie sont langagiers » disait Amélie Nothomb, cette autre déesse autodestructrice, grande spécialiste des sabotages amoureux et des mots qui assassinent. Dans Blottie, tout le drame débute par une faute d’orthographe que fit un jour le père dans un message informatique, écrivant « succint » au lieu de « succinct », et devenant, parce qu’il se targuait par ailleurs de littérature et de beau langage, la risée de ses collègues et le bouc-émissaire de son patron. Plus tard, lorsque sa fille se rendra chez ce dernier (comprenant trop tard qu’elle en fut la complice) afin de venger la mémoire de son père, elle le menacera de « l’engloutir dans le langage » dont il osé se moquer, c’est-à-dire de le diffamer progressivement par la rumeur, les ambiguïtés, les demi-vérité et les demi-mensonges que permet le pouvoir des mots, et cet enfer qu’on appelle nuance. Faire périr quelqu’un par attentat sémantique. Hélas ! C’est au moment où elle dégoupille sa bombe littéraire qu’explose pour de bon la bonbonne d’oxygène qui servait à faire vivre son père et qui va défigurer le petit-fils du patron. Comme dans Le comte de Monte-Cristo, la vengeance outrepasse son but et ce sont les innocents qui doivent payer pour les coupables. La réalité se mêle décidément de ce qui ne la regarde pas. Ou est encore plus imprévisible que prévu – comme dans cette belle scène où, des années plus tard, le garçon blessé, qui est devenu un adolescent romantique (et sans doute amoureux de celle qui a été sans le vouloir sa bourrelle) vient offrir des fleurs à celle-ci. « Le bonheur, est-ce lorsque tout s’arrange ? La sérénité après les péripéties ? Le bouquet de fleurs d’un garçon que je croyais avoir mutilé à vie ? » En fait, le pire, comme toujours, c’est la normativité des choses, la chute du langage singulier dans « le langage commun pour émotions ordinaires », et dans lequel s’enferme progressivement le mari désemparé – tandis que leur fille Violaine se met à imiter l’aphasie de sa mère dans un étonnant jeu de cache-cache des mots. C’est que « les mots de Maman sont cachés et qu’il faut les trouver ». Cependant, il y a des urgences où la condamnation de la mère au mutisme peut entraîner la condamnation de la fillette au martyr. Lorsque celle-ci est injustement accusée par l’école de sadisme à l’égard de ses petits camarades, prouvant par là-même qu’elle est bien la digne petite fille de son grand-père tortionnaire, et que seule la mère pressent son innocence, l’incapacité à dire les choses, à dire la vérité, se transforme en enfer intérieur. Car la mère sait que l’enfant qu’on croit cruel finit par le devenir pour de bon, selon le concept satanique de prophétie auto-réalisé.Mais pour Laurence Zordan, « il est impossible que la tendresse infinie soit impuissante. Il est inconcevable que la langue cachée des
émotions soit étouffée par ceux qui se payent de mots, des mots à la parade, dans un défilé verbeux. »

Le Verbe triomphant grâce à l’Amour ? la mère sauvant l’enfant coûte que coûte ? C’est là la sagesse du roi Salomon que l’auteure semble reprendre à son compte – ou à celui de son espoir. Il faut le lire jusqu’au bout ce beau livre difficile où l’écriture de la cruauté irradie de tendresse, où le langage de l’amour parle celui de la torture. L’on se dit alors que la part d’obscurité qui constitue l’écriture zordanienne n’est là que pour faire supporter au lecteur ce qu’il ne pourrait pas supporter dit dans une langue plus franche. Impossible, en tout cas, d’en sortir intact.

« Le temps du tableau » par Pierre-Georges Goudiou (Sitaudis)

bbaff30d43165f23d26dc968f690ec36.jpg http://www.sitaudis.com/Parutions/le-temps-du-tableau-de-catherine-weinzaepflen.php

Voilà un livre écrit en vers mais rarissime : le seul, peut-être avec Eugène Onéguine, qu’on puisse lire en continu avec un désir intact du début jusqu’à la cent-trentième page.
Le vers bref ne se met pourtant pas ici au service d’un récit, il donne à voir, d’abord des tableaux (vrais ou rêvés, chacun muni d’un titre) qui tiennent rarement sur une seule page mais ne débordent jamais la seconde, puis défilent les vingt-deux scènes impossibles et pourtant palpitantes, parfumées d’un théâtre imaginaire ; et le continuum n’a pas été rompu, incroyable … à la fin, tels ces interprètes magnifiques qu’on est confus de voir revenir pour un bis réclamé par leurs seuls proches, l’auteur a glissé une « lettre » en vers également (Migrations) qui aurait eu sa valeur dans un autre contexte mais qui épaissit sans raison le recueil, dommage.
Avant cette chute en trop, CW a réussi le prodige de ne pas lâcher son lecteur, de lui imposer le fil d’une douce, d’une sensuelle tension continue avec des fragments autonomes ; alors, ce lecteur, surtout celui du type envieux parce qu’il lui arrive d’écrire lui aussi en vers, revient sur les exploits pas courants de l’auteur, il cherche à savoir comment ses coups sont montés.
Pas de majuscule, pas de ponctuation, ça coupe et décape, le temps du tableau file droit et vite.
Le montage, voilà peut-être le seul secret de Catherine Weinzaepflen cinéphage, cinéphile, cinélogue,(cf. page 80 le titre dédicace à J.F. Stévenin ) un peu cinoque et beaucoup poète ; chacune de ses fins suscite la faim de la suivante mais impossible de prélever la moindre séquence sans dénaturer le tout.

Pierre-Georges Goudiou

Cette poésie qui nous est chère….

L’objet de ce Bulletin Poésie estival est de vous inciter à découvrir « Le temps du tableau » de Catherine Weinzaepflen et « On dirait une ville » de Françoise Collin. Les deux « marchent » étonnamment bien pour de la poésie, et ont en commun d’être aussi profonds que faciles et de ne plus pouvoir être lâchés dès le moment où on s’aventure à les ouvrir. (Si vous n’aimez pas la poésie, passez votre chemin… Sinon, des détails, des infos, des extraits etc etc Construction hyper organisée, liens à gogo pour approfondir etc)

Comme le remarquait Jocelyne Sauvard dans son superbe article sur Antoinette Fouque l’année dernière, la cofondatrice du MLF (1er octobre 68, date historique), (…) Antoinette Fouque n’est pas que la personnalité aux multiples activités, engagements, et missions, elle est aussi écrivain, au sens du Robert : personne qui compose des ouvrages littéraires. Qui puise au plus près de la poésie. Exemple. « Il pleut. Ciel bas, noir outremer à l’est. Mer formée, lourde, de plomb ou d’obsidienne, selon les fonds. Le petit bouquet du jour, crocus et narcisses, arrive avec le café et mes trois quotidiens… » (…) http://editionsdesfemmes.blogspirit.com/archive/2007/09/22/antoinette-fouque-par-jocelyne-sauvard-sitarmag.html

Depuis deux couvertures de livres, de Clarice Lispector et Hélène Cixous, les plus attentifs avaient pu noter le dessin au feutre sur papier comme autre talent possédé par Antoinette Fouque. A présent et jusqu’à la fin de l’été, ils sont invités à venir voir, au milieu d’une foultitude d’autres illustres artistes (Louise Bourgeois, Niki de Saint-Phalle, Aurélie Nemours, Sonia Delaunay etc voir liste complète en empruntant ce lien : http://editionsdesfemmes.blogspirit.com/archive/2008/06/15/concert-inedit-mardi-17-juin-a-20-h-huit-femmes-compositrice.html) certaines de ces oeuvres à la Galerie des Femmes, 35 rue Jacob.

Mais, revenons-en à la POESIE, puisque nous l’aimons aux éditions Des femmes. Cette année, deux excellentes surprises au niveau de ce genre littéraire : « Le temps du tableau » de Catherine Weinzaepflen et « On dirait une ville » de Françoise Collin. Pour les deux, les premières critiques sont dithyrambiques. Si vous souhaitez recevoir en service de presse l’un, l’autre ou les deux de ces recueils, je vous remercie de me communiquer votre adresse postale. Envoi immédiat. Je vous quitte en vous livrant suffisamment d’informations pour vous donner l’eau à la bouche sur ces deux pépites !

A très bientôt, je suis à votre disposition pour toute mise en relation avec Catherine Weinzaepflen ou Françoise Collin.