Pour télécharger l’argumentaire en PDF de « La fin des haricots » merci de cliquer ICI
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Guilaine Depis, attachée de presse (Balustrade)
Rampe de lancement ! Appuyez-vous sur la balustrade !
Un article de Maximilien Friche dans Le Bien Public de novembre 2022 sur Didier Guillot
Dans cinq ans, en 2027, le monde sera à la merci d’une multinationale d’origine américaine qui a pour nom Babel et qui produit une box connectée qui donne accès à tout et traduit en simultané une profusion de langues. Autrement dit Alphabet, l’autre nom du gros gogol, entreprise attrape-tout qui veut le monopole sur le savoir – donc le pouvoir. Son PDG est surnommé 3K, comme on disait Y2K pour désigner (jadis) le bug de l’an 2000 (qui n’a jamais eu lieu). Les trois K viennent de son nom grec imprononçable pour un gosier anglo-saxon. Car tout doit être traduit, adapté, réduit en anglosax, la langue des maîtres du monde.
Seul un petit pays résiste encore et toujours à l’envahisseur… Pas pour longtemps. Endetté, en déclin, la France voit avec joie proposer l’achat de rien moins que l’Académie française, ce ramassis de quarante vieilles birbes, dont très peu de femmes, qui a l’outrecuidance de vouloir être maître de la langue. Aline, executive woman qui a réussi dans la tech, a sa propre entreprise de traduction à destination des pays africains francophones, TimeExpert, et 3K la convoite. Plus l’entreprise que la fille, encore qu’il aime bien dominer.
Tout ce roman « hyper » contemporain (selon le mot tendance) a pour objet de montrer l’écartèlement d’Aline entre la globalisation et le terroir, Babel et le vieil hôtel de Toulouse qu’elle habite, le mouvement pour le mouvement et l’ancrage dans l’histoire. En bref, un dilemme « ultra » contemporain (autre mot tendance). Il se trouve que, tel le yin et le yang, la contestation se trouve au cœur de sa maison en la personne de Simon, prof d’histoire sans histoires qui possède quelques tantièmes de copropriété de l’hôtel particulier qu’Aline a fini par acquérir presque entièrement. Il refuse de vendre et n’offre aucune prise. Lui aime le territoire, le vin de pays et les paysages du Carroux, ce qu’aimait aussi Aline dans sa « première éternité », son enfance et son adolescence. Curieusement, elle n’a aucune famille subsistante, donc aucune racine, sauf les souvenirs. Tout l’art de Simon sera de faire ressurgir en elle ce qui fait d’elle ce qu’elle est.
Vaste programme ! Babel a une puissance démultipliée et, grâce à sa nouvelle box connectée en drone miniature, Fly, qui suit comme une mouche son propriétaire, puis grâce à la Chip, une micropuce implantée dans le lobe de l’oreille, le maître du monde peut maîtriser les grands du monde. Il fait ainsi que le nain coréen détruise ses bombes nucléaires et se retire dans un monastère bouddhiste, que le petit dictateur russe admette que le pétrole n’est plus l’énergie du futur, que le président français consente à vendre l’Académie française. Au fond, Babel est comme la langue d’Esope, la meilleure et la pire des choses : la meilleure parce qu’elle permet à quiconque ne parle aucune des langues dominantes de suivre des cours en ligne d’universités prestigieuses dans sa propre langue aussi improbable que le corse ou l’inuit ; la meilleure parce qu’elle enjoint les dirigeants des États à œuvrer pour la planète, le climat et la paix – mais aussi la pire car elle globalise la pensée avec le savoir formaté, la politique avec la moraline universelle décrétée par un seul (Mister 3K lui-même), la surveillance de tous avec les box, les fly, les puces. Tout se sait et tout est traqué à l’aide d’algorithmes puissants. Nul ne peut échapper, même sans puce, à ce Big Brother technologique.
Aline, ambitieuse parce que solitaire et engluée dans le système où elle excelle, ne voit que les bons côtés « généreux » du programme yankee de domination technologique du monde (l’auteur aurait pu citer aussi les Chinois, guère en reste sur cette avancée du contrôle). Elle s’aperçoit in extremis de l’impasse dans laquelle elle met le monde par son ego individualiste et tout tech. Avec Simon, un mâle, un vrai, elle succombe à l’attrait du sexe, sinon à l’amour (qui peu visible dans le roman), avant que ses racines ne l’enserrent à neuf et dessillent ses paupières alourdies par la réussite. Le prof fonctionnaire et la milliardaire entreprenante vont conjuguer leurs efforts pour que le pire n’arrive pas et que les puces ne sautent pas sur les humains comme sur tous les chats pour sucer leur fluide vital.
Le plus symbolique est que tout se termine par un coup de lame de silex préhistorique dans le cerveau avancé de la technologie post-historique. Le serpent du destin se mord la queue.
L’auteur, Sup de co Toulouse et licencié en histoire, commercial international pour l’aérospatiale durant 17 ans avant de créer sa boite de consultant, connaît bien le monde technologique des multinationales. Il aime à se ressourcer dans ses Pyrénées natales où il traque les truites fario. Son roman d’anticipation montre comment, de glissement vers le savoir en glissement pour le bien des autres peuples (moins « avancés »), se met en place insidieusement, démocratiquement et moralement, une « intelligence » artificielle qui n’est au fond qu’une technologie totalitaire destinée à transformer l’humain en fourmi. Sauf le terme WASP (White Anglo-Saxon Protestant) qui s’écrit sans H après le W, le livre est bien écrit et l’action soutenue.
Jean-Pierre Noté, Tantièmes – un monde sanspuss, Az’art atelier éditions, 2021, 205 pages, €20,00
Le livre n’est référencé ni sur Amazon ni à la Fnac en ligne, ce qui est probablement un choix idéologique mais restreint sans conteste sa diffusion.
Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com
Christian Mégrelis chez Bénédicte Le Châtelier sur LCI (31/10/22)
Christian Mégrelis chez Marie-Aline Meliyi sur LCI (30/10/22)
Christian Mégrelis fut l’invité du Club Le Châtelier le 26/1022
Pour moi, il n’y a, finalement, que deux thèmes dans la littérature, depuis toujours : l’amour et la mort…
En écrivant son premier roman, Une heure avant la vie, Svetlana Pironko se lance le défi de répondre par la voix de sa narratrice à une formule suggestive qui l’obsède depuis son adolescence et dont elle fait la vraie fondation narrative de son récit : « l’invention de soi ». Dès lors, un vaste éventail de thèmes – l’amour, la liberté, le désamour, la solitude, le déracinement, la condition d’apatride, la filiation, l’écriture, la fiction, la mort, l’au-delà –, va se déployer, le tout accompagné d’une sensibilité venue d’ailleurs, des territoires infinis de la steppe kazakhe, ce « nulle part » aux magnifiques couleurs et « au parfum si fin, si différent » qu’elle aime tant. Son pari est plus que réussi, son roman dévoile un vrai talent, apte à construire une réflexion fouillée sur la condition humaine à travers le regard sensible d’une femme de notre temps qui revendique son droit à son indépendance et au bonheur.
–Permette-moi de commencer par une question que l’on vous a sans doute posée maintes fois, pourquoi avez-vous choisi d’écrire en français ? Quel est lien que vous entretenez avec cette langue qui n’est pas votre langue maternelle ?
Pour moi, la question du choix de la langue ne s’est jamais posée. J’ai quitté l’Union Soviétique il y a trente-cinq ans, et j’ai vécu toute ma vie adulte en France. Je ne me sens chez moi qu’à Paris, et le français est ma langue de cœur. Mais en fait, j’ai commencé à écrire mon journal intime en français dès que j’ai senti que je le maîtrisais suffisamment pour pouvoir exprimer mes sentiments et mes idées. Vers l’âge de 18 ans, peut-être… Au début, maladroitement et avec des fautes, bien sûr. Mais plus j’écrivais, et mieux j’écrivais. Le français est donc devenu ma langue d’expression intime – et naturelle – même avant ma venue en France. Et même si j’aime et je maîtrise très bien l’anglais (et le russe, bien sûr), la beauté, la finesse et la richesse de la langue française sont pour moi incomparables. Je vis depuis trop longtemps hors d’un environnement russophone, et même si je pratique le russe, je trouve que ma façon de m’exprimer est peut-être un peu « rouillée ». Mais je dois dire que le multilinguisme a toujours été naturel pour moi, car j’ai grandi avec mes grands-parents bulgares, qui parlaient bulgare entre eux, et je le parlais donc quand j’étais enfant. J’ai également appris des bases de la langue kazakhe à l’école. Pas assez bien, malheureusement, mais cela me fait plaisir de comprendre parfois des mots turcs, quand je suis à Istanbul (le kazakh est une langue turcique). Et puis, je suis tombée amoureuse de la langue française, et elle a évincé toutes les autres. C’est mon grand amour et ma patrie, pour citer Albert Camus, dont la phrase sur la langue française j’ai fait mienne depuis longtemps…
–Dès la première page de votre roman, vous écrivez, en citant Lermontov, que « l’histoire d’une âme humaine est probablement plus intéressante et plus instructive que l’histoire de tout un peuple ». Est-ce la raison qui vous a poussé à écrire ce roman et raconter la vie de L., votre héroïne ?
Ce n’est peut-être pas la raison, mais c’est un « alibi » ! L’unique roman achevé de Lermontov n’a jamais cessé de me fasciner, et cette phrase m’a servi de permission, en quelque sorte, de créer le personnage de L. qui, s’il n’égale pas le personnage de Pétchorine – je n’ai pas cette prétention ! – a des traits en commun avec lui. Du moins, je l’espère… Lucidité impitoyable, introspection, recherche de sens et pourtant une insatisfaction permanente et un idéalisme déçu, dont résulte, parfois, un certain cynisme. Et puis, en tant que lectrice, j’ai toujours aimé des romans centrés sur un personnage, qu’il soit bon, méchant ou un peu des deux : Lolita de Nabokov, Le Prince noir d’Iris Murdock, Au-delà du fleuve et sous les arbres de Hemingway, par exemple – les premiers qui me viennent à l’esprit…
–L’histoire de L. est racontée à la 3e personne, celle de celui que l’on nomme communément le narrateur omniscient. Et pourtant L., Luciole, comme l’appelle ses proches, renvoie sensiblement vers vous. D’où ma question, qui risque de frôler l’indiscrétion, est-ce qu’il s’agit d’un roman autobiographique, avec toute la place qu’il convient de céder à la fiction ?
Ecrire un roman autobiographique n’était certainement pas mon but, même si Une heure avant la vie contient beaucoup d’éléments autobiographiques, surtout dans la partie enfance et jeunesse du personnage. L. n’est pas moi. Ou ce n’est plus moi. Je ne me cache pas derrière elle pour raconter ma vie. Je l’ai « écrite », je crois, pour qu’une partie de moi puisse exister en dehors de moi, avoir une vie propre. Sera-t-elle plus courte ou plus longue que la mienne ? Seul le temps le dira…
Je pense que c’est Chagall qui a dit : « Il faut tout mettre de soi dans une œuvre. » Je pense qu’il ne faut pas le prendre à la lettre. Je sais d’expérience que beaucoup d’écrivains sont tentés de « tout mettre » dans leur premier roman. J’espère avoir évité l’écueil. Depuis que j’ai terminé l’écriture de ce roman, plus le temps passe, et plus je me détache de L. J’ai toujours de l’empathie pour elle, bien sûr, mais je continue à vivre ma vie (en ce moment, dans la tête d’un Parisien de 40 ans – le personnage de mon roman en cours), et elle vit la sienne. Plutôt qu’un autoportrait, c’est, comme toute œuvre (en littérature, tout comme en peinture ou en musique), un fragment matérialisé, « solidifié », de l’âme de son auteur.
D’ailleurs, pour moi, le personnage central du roman est celui du père, omniprésent. Et l’élément le plus autobiographique est probablement le cheminement de L. de la lecture vers l’écriture…
Quant aux autres personnages, certains sont inspirés par des personnes réelles, mais toujours réinventées quand-même. D’autres s’inspirent vaguement de quelques connaissances ou bien de personnes rencontrées brièvement ou par hasard – un détail qui marque… un souvenir qui reste… Je ne sais pas si l’on peut vraiment créer un personnage de toutes pièces. Peut-être… Mais peu importe – pourvu qu’ils « sonnent vrai », n’est-ce pas ?
–La dimension géographique situant le pays de l’enfance de L. est constituée par la steppe avec sa beauté enivrante. À cette immensité, à ce « bleu infini, pur, sans un nuage » se rajoute une autre infinité, symbolique cette fois, qui la pousse soudainement « comme un creux à l’estomac » vers d’autres horizons. Comment s’explique cette faim de L. de voyager, « de voir d’autres cieux », comme elle dit ? D’où viennent ces rêves de lointain au milieu d’un espace infini en lui-même ?
Je crois que c’est le fameux appel du large, qui est réel – plus l’horizon recule, et plus on a envie de l’atteindre, même si L. est assez lucide : elle comprend très vite que « nomadisme » ne rime pas forcément avec « liberté ». Par ailleurs, elle lit beaucoup, mais découvrir le monde uniquement à travers des livres ne lui suffit pas – bien au contraire. Ses lectures ne sont pas une fenêtre sur le monde. C’est une porte qu’elle veut pouvoir pousser.
–Un des thèmes de votre roman est, comme nous l’avons dit, le déracinement. Il marquera, par exemple, la fin de l’enfance lorsque la famille de L. déménagera dans une autre ville. Mais ce sentiment accompagnera votre héroïne tout au long de votre récit. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet, surtout lorsque l’on sait qu’il est un des éléments constitutifs de la personnalité de L. ?
Le premier déracinement de L., celui dont vous parlez, est un déracinement subi et sa deuxième expérience de perte. Il est donc très douloureux. Le deuxième – Paris – est un déracinement choisi et joyeux. C’est son rêve qui devient réalité. Il est très différent, et elle ne le regrette jamais, même lorsqu’elle se rend compte qu’elle se retrouve apatride pendant un certain temps et dans l’impossibilité de retourner voir sa famille à un moment difficile. C’est sa famille qui lui manque et non le pays qu’elle a quitté. Le sentiment du déracinement l’accompagne certes toute sa vie, mais c’est un sentiment doux-amer. C’est en France qu’elle se sent chez elle – elle n’est pas une « immigrée ».
–Trente ans après son arrivée en France, L. retourne dans son pays d’origine. « Tout est douloureusement familier » – pense-t-elle, en regardant les lieux qui réclament des souvenirs lointains. Vous nous offrez, à travers sa voix, une profonde réflexion sur la nostalgie, cette douleur de la séparation du pays : « Elle a envie de faire durer ce moment. Hors du temps. Hors de sa vie maintenant. Hors d’elle-même. » Ce sentiment vous l’avez sans doute vécu vous-même. Quelle place occupe-t-il dans la construction de votre personnage, en quoi déterminera-t-il sa personnalité ?
L. n’est pas vraiment nostalgique de l’endroit – elle nostalgique de son enfance. Comme beaucoup d’entre nous, d’ailleurs… Car l’endroit – elle s’y trouve, et rien ne l’empêcherait d’y retourner de nouveau, et pourtant elle sent que « la nostalgie est toujours là ». Elle comprend alors qu’elle « s’est affranchie de son lieu de naissance. Au pays des ours et des loups il n’y a pas de place pour elle. »
Oui, j’ai vécu ce sentiment. Je l’ai vécu comme une libération – on peut être en même temps d’Ici, par choix, et d’Ailleurs, par naissance, sans que cela soit un interminable conflit existentiel. En ce qui me concerne, je suis venue à considérer ce fait comme une richesse.
–L. cherchera tout au long de votre récit à être une femme libre. Une phrase prononcée par un amant l’avertit pourtant que liberté ne rime pas toujours avec bonheur. Dépitée, L. avouera vers la fin du roman être « fatiguée du déferlement des mots des autres ». Comment comprendre cette évidence allant à l’encontre de ses idéaux de vie ? En quoi la liberté est importante pour la femme qu’elle est et qu’elle veut surtout rester ?
La liberté individuelle est un vaste sujet. Je n’ai fait que l’effleurer, sans doute… L. hérite cette soif de liberté de son père, tout en comprenant, plus tard, que cette aspiration est quelque peu illusoire : du moment que l’on aime quelqu’un ou quelque chose, on n’est plus tout à fait libre. On s’enferme soi-même dans ses obligations, dans ses responsabilités…
Le fait de grandir dans un pays qui « enferme ses citoyens » y est aussi pour beaucoup – ne serait-ce que par esprit de contradiction : « On ne me laisse pas partir. Je partirai coûte que coûte. » Mais cette aspiration à la liberté, même « conditionnelle » est néanmoins importante – elle la pousse à aller de l’avant, ne pas s’enfermer dans une routine, garder ou retrouver une intensité des sentiments et, finalement, trouver peut-être une autre façon d’être libre – dans la création.
–L. voit dans l’amour une voie sublime d’accomplir son désir de bonheur, de panser son corps et son cœur. Vous décrivez en même temps le sentiment contraire, celui du désamour dont elle dit qu’il « commence là ou l’amour-propre est blessé ». L’amour-désamour fait partie des thématiques féminines fondamentales que vous abordez dans votre roman. En quoi cette dichotomie est importante pour vous et pour la construction de l’intime de votre personnage ?
Désolée de vous contredire, mais je ne vois pas l’amour-désamour comme une thématique exclusivement féminine. Pour moi, il n’y a, finalement, que deux thèmes dans la littérature, depuis toujours, et quel que soit le sexe de l’auteur : l’amour et la mort…
Pour revenir à L., elle souffre de ne plus aimer peut-être plus qu’elle ne souffre de ne plus être aimée. Elle se sent plus souvent bourreau que victime – elle préfère devancer et provoquer la rupture plutôt que la subir. Par amour propre, justement. Il n’empêche qu’elle en souffre – et blâme sa mère pour lui avoir trop souvent répété que l’on est responsable de ceux que l’on apprivoise… Pour la même raison, elle a aussi un peu peur d’aimer – et de perdre sa sacro-sainte liberté.
–Justement, la mort de l’être cher, la recherche d’une présence dans l’au-delà, le deuil et enfin l’apaisement est une autre dimension qui traverse tout au long de votre roman. Comment comprendre cette peur qui marque le vécu de L., sa peur de l’abandon, d’être seule au monde et son besoin de s’accrocher à l’au-delà ?
Je ne connais pas d’expérience qui change la vie et notre façon de voir les choses plus que celle de la mort d’un être cher. Est-ce que L. a peur d’être seule au monde ? Je ne pense pas. Si elle s’accroche à l’idée de l’au-delà, de la survie de l’âme, malgré son esprit d’habitude lucide et cartésien, c’est parce qu’elle n’arrive pas à croire que son amour pour son père et l’amour de son père pour elle (tant d’amour !) pourrait simplement disparaître. S’évaporer… L. perd celui vers qui elle pouvait se tourner dans des moments difficiles, sachant qu’elle serait soutenue et ne serait pas jugée. Elle perd la personne dont l’approbation était pour elle plus importante que celles des autres. Elle perd – ou croit perdre – son alter ego. On s’accroche à ce que l’on peut pour traverser l’épreuve du deuil qui, quoi qu’il en soit, ne laisse pas intact. Elle ne se tourne pas vers « dieu » pour autant, et si elle cherche de la consolation dans la vallée des Morts en Egypte, c’est parce que dans cette civilisation-là, comme dans d’autres civilisations anciennes, « l’avenir est la quintessence de la mort. Et vice versa. » Chacun doit trouver sa propre façon de survivre à la perte. C’est sa façon à elle, jusqu’à ce qu’elle ne comprenne qu’il y a un autre moyen d’y remédier.
–Retournons-nous, en guise de conclusion, à la problématique de l’écriture. Pour L., cette occupation est « un besoin artistique de donner une forme aux choses et aux sentiments », une « invention de soi », « son unique activité créatrice ». Que représente l’écriture pour la traductrice, l’éditrice et l’auteur que vous êtes ? Pensez-vous avoir trouvé votre voie/voix, et avez-vous l’intention de continuer à écrire ?
Pour aussi longtemps que je me souvienne, mes soirées idéales et mes dimanches matins de rêve étaient ceux que je pouvais passer pelotonnée sur le canapé ou au lit avec un bouquin. Chez nous, il n’y avait pas de livres que je ne devais pas lire parce que j’étais « trop jeune », et on avait le droit de lire à table. Et tard le soir, même s’il y avait école le lendemain. Mais ma mère me mettait parfois dehors sans me donner la clé et ne me laissait rentrer que quand j’avais pris (à son avis) suffisamment d’air. Pas trop souvent, heureusement !
Il est donc naturel que ma vie professionnelle soit toujours liée au langage et à la littérature. Je me demande parfois pourquoi j’ai attendu si longtemps pour me mettre à écrire… Une des raisons est sûrement celle de L. : « le déferlement des mots des autres » (ils nourrissent, mais parfois au point d’étouffer). L’autre, sans doute, est d’avoir grandi dans une ambiance de vénération des créateurs – écrivains, artistes, compositeurs… Travailler avec des écrivains a quelque peu démystifié le processus et m’a finalement désinhibée. Et puis j’avais cru ne pas avoir d’imagination, sauf quand il s’agissait d’améliorer le manuscrit de quelqu’un d’autre… Mais le déclic a eu lieu, finalement, et j’en suis très heureuse. Oui, je peux dire que j’ai trouvé et ma voie, et ma voix. Je continue à écrire. Le deuxième roman est bien avancé, et une autre idée est en train de germer dans ma tête. J’ai peut-être de l’imagination, après tout…
Propos recueillis par Dan Burcea
Photo de Svetlana Pironko : © Joe Butler
Svetlana Pironko, « Une heure avant la vie », Éditions Le Passeur, 2022, 272 pages.
Rencontre avec Svetlana Pironko interviewée par Guilaine Depis, suivie d’une séance de dédicaces, jeudi 27 octobre à 19h30 à la librairie Tropiques, 63 rue Raymond Losserand, 75 014 Paris
Un court essai philosophique sur le bonheur, écrit de manière très accessible avec nombre d’exemples pris dans l’actualité, la littérature, le cinéma. Trois parties ponctuent l’ouvrage : 1. Le malheur, 2. L’heur, 3. Le bonheur. L’heur est un terme qui veut dire « chance ». Il peut être mauvais (malheur) ou bon (bonheur). L’heur, du latin augurium (présage), est ce qui nous arrive, à nous de le considérer positivement ou négativement.
Car – et c’est là le message du livre – » l’intelligence consiste à anticiper les événements qui vont t’arriver, non à les ignorer. Dans le premier cas, ta tristesse est moindre puisque tu avais prévu l’événement ; dans le second cas, ta tristesse est renforcée par ta naïveté te faisant croire que cela aurait dû ne pas se produire et par ta mauvaise foi affirmant, pour mieux te mentir à toi-même, que ce qui t’arrive est une injustice. » Autrement dit, il ne sert à rien de se prendre la tête pour ce qui nous arrive, si l’on n’y peut rien. C’est au contraire s’enfoncer dans le malheur que d’adopter le statut (à la mode) de victime. Il s’agit plutôt de rester positif et de poursuivre sa vie en acceptant ce qui s’est passé comme un fait auquel on ne peut rien changer.
Vaste programme pour les mentalités effrayées, panurgiques et limitées de nos contemporains !
Le malheur vient de ne pas accepter le réel et de s’illusionner sur le « comme si » d’une Justice immanente. « Osons cette hypothèse : la manie de l’être humain post-moderne de se vivre comme un Ego n’est-elle pas responsable de son malheur ? » La réponse est OUI.
La faute en est, outre aux personnalités affaiblies par l’éducation indigente, la mode inepte et les soucis quotidiens, aux faux espoirs fournis par la science et par la technique depuis le XIXe siècle. » La science mit l’humanité en confiance : elle produisit régulièrement de nouvelles découvertes et développa des applications techniques modifiant le quotidien de l’être humain ». D’où l’utopie du transhumanisme et la cryogénisation des corps au cas où. Mais toute découverte a son revers car nous ne serons JAMAIS dans un monde parfait, ce Paradis des mythes du Livre. L’énergie nucléaire a fourni de l’électricité plutôt propre et pas chère – mais aussi des bombes, des accidents et des déchets. La médecine a accru l’espérance de vie – mais aussi les années de vie dépendante, indignes et souffrantes (d’autant que le droit de mourir volontairement n’est toujours pas accordé en France aux personnes conscientes qui en manifestent la volonté, sur l’inertie des interdits catholiques !). Notons que l’auteur cède à cette confusion courante entre « espérance de vie » (à la naissance) et durée de vie moyenne ! Contrairement au mythe, les hommes préhistoriques ne mouraient guère plus jeunes qu’il y a un siècle ! Seuls les progrès de la médecine depuis quelques décennies ont amélioré la fin de vie et fait reculer les décès des bébés ou des femmes en couche.
« Ce qui est bizarre chez les citoyens actuels ne vient pas du progrès de leur espérance de vie : il provient de leur angoisse de mourir ». Plus la science et la médecine reculent l’âge probable du décès, plus l’angoisse croît, ce qui ne fait pas le bonheur des gens. D’où probablement cette crispation sur « l’âge de la retraite » que le gouvernement voudrait (rationnellement) augmenter, à l’image des pays voisins, mais que les salariés refusent (irrationnellement), par crainte de ne pouvoir « en profiter ». Cette « angoisse de la mort est bien plus forte que lorsque les religions régnaient et nourrissaient les âmes », note avec raison l’auteur. Comme s’il fallait « croire » pour mieux vivre, en méthode Coué pour l’élan vital. Après tout, il existe bien un effet placebo des l’homéopathie et des « miracles » de Lourdes…
Mais les humains (des trois sexes +) sont peu armés pour la logique. « Lorsque tu fondes la mort de ton enfant ou de ton conjoint sur la maladie, tu cherches une cause à la mort, voire un responsable ; tu refuses au fond d’être toi-même res-ponsable, c’est-à-dire capable de répondre de la mort de ce proche. Attention : être responsable ne veut nullement dire « coupable ». La responsabilité signifie ici que tu comprends et acceptes les événements qui arrivent parce que tu les as anticipés. Tu réponds donc des événements avant qu’ils arrivent et, lorsqu’ils arrivent, tu les accueilles. « Trouver une cause, un coupable, mandater un bouc émissaire de tous les péchés, est un réflexe atavique – mais inutile et vain. Condamner un « méchant » ne fera pas revenir l’assassiné, ni accuser « le gouvernement » de ne pas vacciner, puis de trop vacciner, puis d’obliger à la vaccination lors d’une pandémie sur laquelle personne ne sait grand-chose. C’est se défouler pour se faire plaisir, et se dédouaner de ses propres responsabilités.
« Le mal est un « possible » et non une exception. En considérant cet acte criminel comme une exception, la victime se trompe logiquement : elle prend ce qui arrive comme une anomalie. Or le vol, le viol et le crime sont aussi normaux que l’accident, la maladie et la mort de vieillesse. En les déclarant normaux, ces événements ne sont nullement valorisés : ils sont seulement considérés comme des réalités que nous devons anticiper. » La norme veut dire que cela arrive souvent. Le malheur est culturel : notre société moderne refuse la mort, l’accident, le viol et les ennuis, tout simplement parce que la mathématisation du monde des savants et des technocrates lui a assuré que tout était calculable, donc prévisible, donc évitable. Mais le malheur survient et « la douleur morale n’est pas une souffrance dans la mesure où elle ne provient pas du corps, mais de l’âme : elle est l’effet de notre imagination qui considère qu’un événement aurait dû ne pas arriver. »
Dès lors, écrit l’auteur sagement, « pour essayer de ramener les citoyens dans la réalité, il convient de distinguer le méchant et le malheur. Le premier pratique le mal et finit, la plupart du temps, beaucoup plus mal qu’il a commencé. Le second, en revanche, n’est pas une réalité : il est une interprétation de ce qui nous arrive et dont nous attribuons la responsabilité à un méchant ou à la nature. »
Si le livre n’en parle pas (pour ne pas fâcher les élèves dans l’Education nationale et les classes du prof ?), le terrorisme est ici clairement visé. Il profite de l’interprétation que les Occidentaux font de ce qui leur arrive, il veut les sidérer, les angoisser – en bref les terroriser pour mieux imposer sa loi arbitraire et étroitement religieuse. Mais, « si le méchant réalise que nous sommes au-dessus de ce qu’il a fait, il ne comprendra bien sûr pas notre force, mais il finira par constater sa faiblesse face à l’indifférence que nous éprouvons pour lui. » Survivre et poursuivre dans nos pratiques, nos coutumes et nos valeurs est le meilleur antidote au terrorisme (sans parler bien-sûr de la traque policière et des représailles militaires si besoin est).
Le sage accompagne la réalité avec intelligence. « Inversement, celui qui est rivé à ses désirs ne voit rien arriver et ignore, au fond, qui il est : il n’est ni un moi, ni un ça, ni un surmoi. Il est un non-sage. » Autrement dit étourdi ou crétin ; c’est-à-dire un fétu de paille au vent, qui se laisse ballotter par la mode, les dominants qui passent et les circonstances qui viennent. Donc un con – un connard ou une connasse pour suivre la pente genrée de l’auteur.
Contrairement aux croyances les mieux ancrées, ni l’amour, ni l’argent, ni la santé ne font le bonheur. L’amour est un mot-valise qui comprend le désir, l’affection, la tendresse, la charité ; seul le don permet le bonheur, mais ni l’envie, ni la jalousie, ni la possession, ni le fusionnel. Combien se sont suicidés par amour déçu ? L’argent révèle la nature humaine, cupidité et égoïsme – au cœur de sa famille, de son conjoint et de ses amis. « La générosité par l’argent n’a pas d’odeur et ne sent pas l’amour. » Combien se sont suicidés parce que la richesse éloigne des gens et ne « paye » pas l’amour ? « Pourquoi les riches ne sont pas mécaniquement heureux et les pauvres mécaniquement malheureux ? La réponse est bien sûr liée au bonheur qui découle de l’esprit, d’un équilibre intérieur de la personnalité, autrement dit d’une force de l’âme. Dès lors, si un riche est heureux, il doit son bonheur à sa richesse spirituelle, non à sa richesse matérielle. «
Les apparences ne sont pas la réalité, pas plus que l’habit ne fait le moine. « Ce que tu prenais pour des biens – gloire, richesse et santé – ne sont que des préférables et qu’il est nécessaire que tu t’intéresses à la liberté si tu veux sortir de l’indifférence pour atteindre le Bonheur. «
Le bonheur, justement. Citant le film Quatre mariages et un enterrement, l’auteur conclut : « Contrairement aux coups de foudre, le bonheur est à la fois capable de s’adapter au réel et de résister au temps et aux difficultés. « Le bonheur n’est pas un but mais une récompense de ses actes.
Le désir est une excitation, une tension qu’il faut résoudre en la déchargeant. Il n’est pas un état de bonheur mais une libération du désir pour retrouver, le calme, l’équilibre ». « Les buts raisonnables et sensés que tu atteins génèrent du bonheur là où les buts irrationnels et excités engendrent plaisirs ponctuels et conséquences négatives ». Baiser ne fait pas plus le bonheur que devenir riche.
Les stoïciens avaient avancé dans la voie de la sagesse, Montaigne les a repris, et de nos jours entre autres André Comte-Sponville et Clément Rosset. « Marc-Aurèle était empereur, Sénèque était sénateur et Epictète était esclave. Mais ce qui les rendait heureux, tenait moins à leur situation sociale qu’à leur sagesse. » Le stoïcisme, étudié jadis dans les classes, est aujourd’hui vulgarisé sous forme de bouddhisme à l’usage des bobos et bobotes dans les « stages » de méditation et de « développement personnel ». Ils apprennent, avec l’exotisme du storytelling marketing de la sauce mercantile yankee, ce qu’est le bonheur acheté en kit. Selon l’auteur, qui ne les cite pas, « il y a dans la liberté (stoïcienne) une capacité à anticiper les événements te permettant de les accueillir sans pour autant penser que tu en serais la cause. Lect-rice/eur, tu sculptes ta liberté en mettant en œuvre ton pouvoir d’accepter ce qui arrive. « A noter l’écriture inclusive adoptée sans raison par Emmanuel Jaffelin ; elle est très agaçante à l’usage, n’apporte absolument RIEN au propos et ne montre aucun respect pour le lecteur dont elle limite les sexes à deux seulement ! C’est une fausse galanterie qui gêne l’œil pour obéir à une passion passive – celle de la mode – et se soumettre à une colonisation – celle des Etats-Unis.
Chacun est déterminé par ses gènes, sa famille, son milieu, sa religion, son pays et sa race. Nul n’est libre, pas même le plus puissant ou le plus riche. Même Trump ou Poutine n’ont pas fait ce qu’ils ont voulu, pas plus qu’Hitler ou Mao. Mais il y a un domaine dans lequel le destin n’intervient pas : la pensée de chacun. Il s’agit de « positiver » ! Par exemple, à propos de la mort d’un proche : « tu t’ouvres à nouveau sur la réalité pour voir son immensité et son infinité afin de raisonner et te dire que la vie de la personne qui vient de mourir était un miracle puisque tu aurais pu ne jamais la connaître. »
Ni maître et possesseur de la nature, ni pure Volonté de réaliser l’Histoire, mais la fin de la démesure et de l’orgueil de Fils de Dieu. « La personne qui renonce à maîtriser le monde, accepte en revanche de se maîtriser elle-même, ce qui donne lieu à une sagesse. En suivant ce but – la sagesse, Sophia – le sage a pour récompense le bonheur » – avis à ceux qui ont la prétention de « changer le monde » au lieu de le connaître. En général, ils aboutissent à des catastrophes…
Au fond, « trois moyens nourrissent la sagesse : d’abord bannir l’espérance (qui fait souffrir) ; ensuite, ne pas regretter le passé ; enfin vivre ici et maintenant. » C’est tout simple ! Cela veut dire bannir les illusions, qu’elles soient sur l’avenir ou le passé, et même au présent. « La vertu ne consiste donc pas à suivre un idéal hors du monde ou une réalité transcendante : elle est cette vue exacte que la raison a de la nature et de nous-mêmes. » La nature n’est pas celle des écolos mais le cosmos lui-même et son ordre, dont les mathématiques les plus poussées ne nous donnent encore qu’une vague idée. Cette nature « est une réalité dont nous ne sommes pas les maîtres, mais dont nous pouvons anticiper les phénomènes, non pour la transformer comme le fait superficiellement la technoscience, mais pour forger notre âme. » Sagement dit.
Mais qui touchera peu de monde, même s’il le faudrait : « dans la civilisation de l’égo, de l’égoïsme, de l’égotisme et du tout-à-l’égo qui caractérise notre civilisation au XXIe siècle, il est difficile d’expliquer à une personne que son MOI est une fiction et une invention de sa culture ». Je corrigerais en « sous »-culture, tant l’emprise de la mode et des mœurs anglosaxonnes imbibent les mentalités et les comportements, allant jusqu’à singer ce qui n’a rien à voir avec notre propre culture : Halloween, le puritanisme exacerbé, la haine entre hommes et femmes, la grande prosternation envers les cultures « dominées » et toutes les imbécilités à l’œuvre dans les universités américaines.
Un petit livre intelligent et sans jargon qui fait penser et dit sur le bonheur plus que des bibliothèques entières. Il remet les pendules à l’heure sur les mots, leur définition et ce qu’est véritablement le bonheur – qui ne résulte que de la sagesse.
Emmanuel Jaffelin, Célébrations du bonheur, 2020, Michel Lafon 2021, 176 pages, €12.00 e-book Kindle €9.99