« Un roman qui titille la morale » : Tribune Juive a aimé « Un drôle de goût ! » d’Alain Schmoll

La Chronique estivale de Jérôme Enez-Vriad- “Un drôle de goût !” : le nouveau roman d’Alain Schmoll

Un drôle de goût ! : le nouveau roman d’Alain Schmoll

Alain Schmoll est de retour avec un roman à suspense. Son titre : Un drôle de goût ! L’intrigue se profile dans un monde inquiétant au sein duquel on reconnaît le nôtre par analogie. La seule limite de l’histoire est l’imagination fertile de son auteur. Voyons donc… 

Après son étonnant La tentation de la vague (L’Harmattan, 2019 ; Cigas, 2022) Alain Schmoll revient avec un thriller des plus haletant. Il s’agit d’une plongée dans les méandres d’un univers qui ressemble beaucoup au nôtre, où les problèmes quotidiens apparaissent au format d’une fable contemporaine en frontière avec la réalité. Inspiré de faits imaginaires que le lecteur est invité à croire réels, Alain Schmoll offre avec Un drôle de goût ! bien davantage qu’une simple histoire à suspense. 

Le sifflement du serpent

Alain Schmoll signe un cinquième roman ambitieux, mieux ! audacieux, surprenant par sa construction dans laquelle se superposent Feuillets et Chroniques intercalées, sorte de mise en abîme de l’auteur qui, dans le préambule, affirme être collaborateur du travail d’écriture de son héros, un certain Werner Jonquart. « Mon nom ne dira rien à la plupart d’entre vous. Il arrive pourtant que votre œil s’arrête sur mes mots, qu’il suive le fil de mes phrases. J’écris sur toutes sortes de sujets, importants ou mineurs, graves ou futiles, passés ou futurs ; j’écris pour des journaux, pour des magazines, pour des éditeurs. » Et. Un peu plus loin. Dans l’introduction. Nous apprenons ceci. « Tout a commencé de façon diffuse, impalpable. Comme le murmure introductif des cordes, avant que l’orchestre n’emplisse en force l’espace sonore. Comme le souffle éthéré d’une brise tiède annonciatrice de tempête. Comme le sifflement d’un serpent méditant une attaque sournoise. » De quoi diable ! s’agit-il donc ? D’une intrigue financière sur fond de contamination alimentaire et… Stop ! Ne dévoilons pas le complot, car c’est bien de cela dont il est question, et rien n’est plus frustrant pour le lecteur que d’en trop connaître avant d’entamer l’histoire. Disons qu’il y a du Robin Cook (on pense à Toxine) et du John Grisham dans ces pages. Alain Schmoll joue avec les nerfs de ses lecteurs comme le bourreau s’amuse à repasser le scalpel sur la plaie. 

Une étrange maladie

Un drôle de goût ! se lit comme une médication qui vous fait trembler de l’intérieur, à la manière d’un exorcisme horrifique accentué avec la dose supplémentaire du chapitre suivant ; nul ne prononce d’ordinaire le nom de cette étrange maladie méconnue par la nouvelle génération, pas même les professeurs qui semblent ne plus la connaître, elle se résume pourtant en quatre petits mots : le plaisir de lire. Au fil des pages, Alain Schmoll réussit à nous faire regretter une journée sans lecture, telle est l’étonnant pouvoir de son livre : si singulier, si étrange que l’on se fait d’une construction romanesque classique, puisque ses Chroniques et Feuillet intercalés transfigurent l’équilibre de son texte autant qu’ils en refondent l’agencement sans lourdeur ni maladresse. 

Chapitre 9 de la 1ère partie (page 134) : « Le soleil s’étendait en un vaste halo blanc, plus puissant que le bleu du ciel, qui lui cédait en intensité. Frappée par des rayons impitoyables, la neige prenait l’aspect d’une nacre éblouissante. » ; chapitre 13 de le 2ème partie (page 296) : « Marcher, tout seul. Une bonne méthode pour s’oxygéner l’esprit, pour tenter de réfléchir fructueusement à une solution aux problèmes qui se posent. » ; et, un peu plus loin : « À l’angle du pont et du quai, à une cinquantaine de mètres de l’entrée de leur immeuble, Werner s’arrête, s’accoude au parapet et contemple distraitement les flux de navigation montants et avalants. » Trois extraits qui donnent envie de renier ce que l’on vient de lire en poursuivant sa lecture. Je m’explique. Toute avancée romanesque est animée par le souffle paradoxal des contraires. Alain Schmoll exploite la fadeur de l’angoisse comme personne, grâce à des phrases et des images simples qui nourrissent un suspense construit sur une intrigue où s’entrecroise la primauté de deux imaginations fertiles : la sienne et celle du lecteur. 

Avant que l’histoire ne s’achève 

Du baptême au dernier verre de rhum, la vie est un livre ouvert dont nous refermons les pages sans toujours avoir eu le temps de les lire. Certains les parcours en diagonal… D’autres les dévorent de la première à la dernière ligne… Werner Jonquart, héros de notre histoire, ne laisse personne lire aucune page à sa place, et nous incite à en faire de même… S’il fallait deux bonnes raisons pour lire Un drôle de goût ! , la première serait de glisser un roman d’été instructif dans son sac de plage ; la seconde relève d’une intrigue qui ne vous glace pas seulement le sang, elle vous titille aussi la morale dans ce qu’elle a de plus géométriquement variable lorsqu’elle est davantage soucieuse de profit que d’éthique. 

Un drôle de Goût

Roman d’Alain Schmoll

Éditions Cigas – 325 pages – 13,90 €

Jérôme Enez-Vriad

© Juillet 2024 – Tribune Juive & J.E.-V. Publishing

Une histoire d’entreprises contée par Jean-Philippe Bozek

Jean-Philippe Bozek, Paul et Suzanne 1800-1931

C’est une histoire vraie, une histoire d’entreprises au pluriel, une analyse de l’esprit d’entreprendre. Nous sommes dans les grandes familles du Nord de la France qui aiment la sociabilité et l’ingénierie. Ces deux penchants font les bonnes entreprises : de la technique et du commercial.

Jean-Philippe Bozek, lui-même entrepreneur et coach de dirigeants, montre que la psychologie plus que la comptabilité influence leur façon d’entreprendre. Il ne s’agit pas de finance, qui n’est qu’un outil, mais de volonté : d’innover, d’entretenir de bonnes relations clientèle, de soigner ses ouvriers qui travaillent bien, de s’adapter au marché. C’est un tempérament. Il faut être un homme complet, pas seulement une tête bien pleine. Les exemples des grands-pères fascinés par la technique mais qui n’ont pas su écouter la demande sont éclairants.

Dans cette épopée en trois tomes, fondée sur les archives familiales et les témoignages des vivants, Les aïeux décrivent l’aventure de la famille Dubrule et Mamet au XIXe siècle. L’actuel Paul Dubrule (tous les fils aînés portent ce prénom), né le 6 juillet 1934 à Tourcoing, est coprésident Fondateur du Groupe Accor. On le voit, de la ferronnerie à l’hôtellerie, de l’industrie lourde aux services, la famille a su s’adapter.

La Révolution délivre des normes contraignantes et des droits seigneuriaux, la révolution industrielle anglaise donne l’exemple technique des machines, la demande sous Napoléon 1er offre un marché. L’ancêtre Paulus crée un atelier de fonderie, armes, outils agricoles,matériels de transport hippotractés. Son fils Paul, devenu ingénieur Arts et métiers (l’école portait alors un autre nom), inventa de nouvelles machines textiles.

Ce fut un grand succès, porté par l’essor de la société notamment sous Napoléon III, et de l’armée. La guerre 14-18 va détruire les usines du Nord, les Boches du Kaiser agissant comme les barbares de Poutine avec une volonté vengeresse. L’auteur passe sur la reconstruction et saute directement des ruines de 1918 à la prospérité 1925. On aurait aimé en savoir plus sur la façon de remettre en état, les financements, les initiatives. De même après « la crise de 29 », qui a au fond assez peu touché la France, sauf par contrecoup.

Le livre est illustré de documents d’époque, cartes postales anciennes, affiches d’événements, lettres, photos de famille. Il se lit avec intérêt.

Paul Dubrule, né en 1905, épouse Suzanne Mamet, née en 1912 et l’épouse en 1931. Auparavant, il a accompli un rêve : voyager dans l’Orient-Express, de Paris à Istanbul ; il en gardera un souvenir émerveillé. Car l’entreprise signifie aussi s’ouvrir au monde, être attentif aux changements. Dès son mariage, le couple génère quatre enfants, dont un petit Paul, destiné à prendre la suite. Ce sera l’objet du tome suivant.

Jean-Philippe Bozek, Paul et Suzanne, histoire de la famille Dubrule-Mamet, tome 1 Les aïeux, 1800-1931, 2023 éditions Place des entrepreneurs, 248 pages, €25,00

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaires)

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

L’excellente revue « Souffle inédit » a adoré « Les Bergers d’Arcadie » d’André et David Grandis

L’artiste photographe Laurent Denay nous livre sa critique de « La cuisine des âmes nues » de Yezza Mehira

Yezza Mehira, La Cuisine des âmes nues. Nouvelles et recettes, éditions de la Zitourme, 2023, 146 pages, 13€

L’Histoire – avec un grand H – a été écrite par des hommes. Mais les histoires, les histoires intimes ou les histoires du quotidien ont souvent été écrites par des femmes : de Georges Sand à Colette et de Violette Leduc à Sylvia Plath.

Yezza Mehira s’inscrit dans cette prestigieuse lignée. Plus précisément, par le prisme de la cuisine et de la vie domestique, elle nous permet de découvrir l’intimité de femmes de culture méditerranéenne.

À la première personne, avec pudeur, mais sans rien cacher de leurs souffrances et de leurs déceptions, ces femmes se confient. Sans haine ni ressentiment, elles nous content le « misérable petit tas de secrets » dont parlait Malraux ; ces vies infimes qui furent si souvent cachées ou méprisées.

À chaque héroïne, correspond une recette de cuisine.

Une jeune Lybienne, mariée sans amour à un homme « comme il faut ». Elle se retrouva chosifiée et humiliée, soumise aux lois du patriarcat. Répudiée, elle s’épanouit et se découvrit elle-même dans un amour adultère ; un homme marié qui l’aimait et la respectait. Il lui permit de reprendre ses études : « Je me suis dévouée et j’ai vécu pour lui et pour moi. Je savais que je vivais une relation réprouvée par la morale, pas bien accordée avec nos coutumes, mais en dix-neuf ans, je n’ai jamais cessé d’être une femme bien ».

La vie intime d’une mère de famille, à Zarzis en Tunisie, du premier matin – El Fajar – au coucher du soleil – El Mereb. Une vie rythmée par les tâches domestiques ainsi qu’une vie sociale qui tourne autour de l’hypocrisie et des ragots. Cette jeune femme a une seule amie Lobna : « Lorsque j’ai vu ses yeux j’ai su que ce n’étaient pas ceux d’une fouine. […] j’ai su qu’elle était comme moi, emprisonnée dans cette cage à histoires et à apparences ».

SoniaK2Tataouine, la jeune étudiante au regard sombre de la banlieue parisienne qui aspirait à la liberté. Issue de l’immigration, prisonnière des « quartiers » ; les études étaient la porte d’entrée vers le monde. Au moment où elle touchait son but du doigt, elle fut trahie par les siens.

La jeune fille du Caire, odieuse avec sa belle-mère parce qu’elle souffre, en silence, de la disparition de sa maman.

En cette fin des années soixante, elle se réfugie dans la lecture des magazines féminins et fantasme la femme occidentale. Elle sera libre. Son acte de rébellion : brûler son soutien-gorge… Problème, elle n’en a que deux ; et, le soutien-gorge brûle en dégageant une odeur épouvantable.

Son secret, elle ne sait pas cuisiner.

Des femmes empêchées, prisonnières du carcan familial ; il est difficile de lutter contre des traditions multiséculaires.

Pour les femmes des différentes diasporas méditerranéennes, émigrées de la deuxième génération, les choses ne sont pas si faciles : accéder au monde des valeurs occidentales implique de rompre avec son passé et sa culture ; c’est-à-dire rompre avec soi-même.

Le monde capitaliste chosifie ; différemment, mais tout aussi bien que le monde traditionnel. Être transformé en outil de production plutôt qu’être le rouage symbolique d’une organisation patriarcale.

Le problème des héroïnes de « La Cuisine des âmes nues » n’est pas tant La Liberté, en tant que concept, que l’assignation à résidence, les chemins tout tracés et les idées préétablies. Elles souhaitent ouvrir les fenêtres ; avant tout, elles souhaitent vivre.

La solution se trouve dans la vie intérieure, l’acceptation d’une solitude ontologique ; apprentissage de la liberté qui passe par l’écoute de soi et de son corps. Et la cuisine n’y est pas étrangère.

La cuisine est ici un rituel et une création ; une expression et don de soi. Un acte d’amour en somme.

La recette de cuisine comme texte hermétique- au sens philosophique du terme, permettant la transmutation des âmes et des corps au moyen d’un élixir de belle et longue vie.

C’est le chemin que nous indique Yezza Mehira dans « La Cuisine des âmes nues » ; le chemin vers sa vérité intérieure.

Laurent Denay

Le grand site Actualitté présente « Une autre voix » nouvelle maison d’édition de Valérie Gans

20 ans après #MeToo

Harvey Weinstein, Gérard Depardieu, Roman Polanski, Benoit Jacquot… Depuis quelques années, nombre d’acteurs, de producteurs ou de réalisateurs se trouvent accusés d’abus sexuels. Ancienne critique littéraire, notamment au Figaro Madame, publiée notamment chez JC Lattès, Valérie Gans a choisi d’évoquer ce sujet sensible à travers un percutant roman, diffusé par ses soins car refusé par de nombreuses maisons. Texte par Étienne Ruhaud

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La Question Interdite

ActuaLitté

2018. Un peu boulotte, orpheline de père, mauvaise élève, Shirin Djahavani vit seule avec Irène sa mère, masseuse, dans le centre de Paris. À quatorze ans, l’adolescente semble totalement sous la coupe d’Irène, prématurément veuve, toujours célibataire. Projetant ses fantasmes sur Shirin, Irène l’encourage ainsi à poser pour Adam Lepage, vidéaste quadragénaire marié à une psychiatre, Pauline.

Féministe, habitué des reportages-choc, Adam photographie ainsi Shirin, en compagnie de femmes, pour la mise en scène de La force du destin, opéra signé Verdi. Naguère méprisée, devenue objet de fascination pour ses camarades car supposée en couple avec un « vieux », Shirin s’épanouit, pour le grand bonheur d’Irène, qui l’habille, la maquille, afin de la rendre plus sexy.

Chaque semaine, ainsi, pimpante, surexcitée, Shirin se rend à l’atelier d’Adam, en plein Marais, et pose nue, révélant une féminité naissante, désormais assumée. Tout ne se passe pas comme prévu, toutefois : rentrée en pleurs, un soir, à l’appartement familial, Shirin confie, devant une inspectrice, avoir été violée par Adam – contrainte à effectuer une fellation.

Dès lors, tout s’effondre. Jeté en pâture sur les réseaux, conspué par la presse internationale, quitté par Pauline, Adam finit par se suicider en se jetant dans le vide, un samedi soir. Shirin, de son côté, traitée en paria par ses copines, voit ses notes dégringoler, se replie et s’éloigne définitivement d’Irène. 

Vingt ans après

2038. Les relations hommes/femmes sont devenues exécrables, chacun fuyant l’autre, ce qui sape les fondements mêmes de la société. Devenue reporter de guerre, Shirin vit désormais avec Lalla, libanaise, lesbienne, elle aussi orpheline d’un père tué lors d’un attentat. Âgée de trente-quatre ans, Shirin sillonne ainsi le monde avec cette femme, sans pour autant partager son homosexualité.

Ayant totalement rompu avec sa mère, peu épanouie, Shirin paraît rongée par le passé. Ainsi finit-elle par avouer la vérité, à travers un post Facebook. Non, Adam ne l’a jamais violée, et cette histoire fut montée de toutes pièces. Devenue à son tour, comme Adam, victime des réseaux, conspuée par certaines féministes radicales l’accusant de traîtrise, de complaisance à l’égard d’une gent masculine nécessairement prédatrice, Shirin voit, à son tour, son monde disparaître.

Indésirable, dans le milieu de la presse, Shirin est également harcelée par diverses militantes, puis lâchée par son patron, Stanley, et enfin par Lalla, elle-même éclaboussée par le scandale. Résolue à en finir par overdose médicamenteuse, Shirin est prise en charge par une clinique privée, où Irène, toujours masseuse, officie.

Elle y retrouve par hasard Pauline, et avoue tout. Amoureuse d’Adam, éconduite, manipulée par une mère abusive, omnipotente, Shirin s’est laissé manipuler, jusqu’à salir l’honneur d’un homme, et le pousser dans la fosse. Une histoire s’ébauche finalement avec Stanley, l’ancien patron. 

Une dénonciation ?

Le propos est évidemment polémique. Dénonçant la dégradation des rapports homme/femme, et la toute-puissance d’un lobby féministe dans une réalité alternative, Valérie Gans fait œuvre de subversion. Car naturellement les armes ne sont pas égales : dans le roman, Shirin est nécessairement victime d’un adulte. Les rôles sont d’emblée attribués, et aucune marge d’erreur n’est tolérée, dans la mesure où l’idéologie, et non le réel, prend le pas.

Ce même lobby est d’ailleurs capable de violence contre les femmes elles-mêmes : celles qui refuseraient de se soumettre, de haïr les hommes, de se poser en martyres sont ainsi physiquement châtiées. Lesbienne, Lalla est malgré tout harcelée puis frappée pour avoir pris la défense de Shirin, avoir appuyé sa version des faits.

Innocent condamné par cette société partiale, qui fait de tout mâle un potentiel violeur, Adam Lepage n’a même pas la possibilité de se défendre, de démontrer l’illégitimité de l’accusation. Son honneur définitivement sali, le vidéaste n’a d’autre issue que la mort. Pareillement, le monde futur imaginé par Valérie Gans a quelque chose de terrifiant.

Basculant dans l’uchronie, l’ex-critique et romancière figure une nouvelle ère, située vers 2038, et où toute forme de séduction hétérosexuelle serait bannie, ou chaque geste, chaque mot, serait soigneusement soupesé afin de ne pas choquer, de ne pas contrevenir à l’ordre imposé par de nouvelles ligues de vertu misandres.

Adieu « Big Brother », bonjour « Big Sister » ?

Il ne s’agit pas pour autant d’un essai ni d’un pur roman à thèse. Écrit dans un style à la fois sobre et limpide, La Question interdite se lit sans peine – explorant un avenir dont nul ne pourrait avoir envie.

Ayant déjà publié de nombreux récits, Valérie Gans sait ménager le suspense, construire une intrigue efficace, prenante. Passé (trop) inaperçu car publié par l’auteure elle-même, comme dit plus haut, ce petit livre éclaire le présent, peut-être l’avenir, et mériterait, à ce titre, une plus grande diffusion.

« l’éclairage sensible et puissant de la transmission » sur « Les Bergers d’Arcadie » d’André et David Grandis dans Tribune Juive

Jérôme Enez-Vriad a lu “Les Bergers d’Arcadie” d’André et David Grandis

Les Bergers d’Arcadie

Avec Les Bergers d’Arcadie, André et David Grandis signent une autobiographie à quatre mains, celle d’un père et de son fils témoignant de ce qu’est l’amour filial lorsqu’il aide à dépasser les épreuves de la vie. 

Au commencement, deux hommes. Le premier est un célèbre journaliste dont la plume à capturé la nature et les tumultes de son époque ; le second est un musicien émérite, directeur musical du Virginia Chamber Orchestra(Alexandria – Virginie) et du William & Mary Symphony Orchestra (Williamsburg – New-York). L’un et l’autre sont respectivement père et fils. Ils ont « conscience de ne plus être à la mode dans cette époque qui renie l’importance des pères, mais les lubies des idéologies du moment n’effaceront jamais les vérités biologiques et ancestrales. »* Une occasion offerte aux lecteurs de se rapprocher des intimités générationnelles unies par le sang. 

Une certaine idée de l’autobiographie

Il est légitime pour un chroniqueur littéraire de s’inscrire dans un ton légèrement décalé par rapport à celui de la lecture à propos de laquelle il s’apprête à prendre position ; aussi, ne me voyais-je pas raconter ce dont parle Les Bergers d’Arcadie par le biais d’une énième recension plus banale que les précédentes. Car ce livre n’est pas ordinaire. Tant s’en faut. J’entamerais donc mon propos par une simple question. Quoi de plus banal qu’une autobiographie ? Convenons toutefois qu’elle le sera un peu moins si elle est bicéphale… Moins encore quand elle est écrite à quatre mains… Toujours moins lorsqu’elle engage un père et son fils, dont ni l’un ni l’autre ne racontent du préfabriqué émotionnel. Au contraire ! André et David Grandis ont construit leur récit à travers le « pourquoi » et le « comment », loin du banal « quoi » des autobiographies qui se contentent d’être racontées. Ils décrivent leurs expériences intérieures plutôt que de les narrer, manière de s’installer en véritables personnages de roman dont chaque lecteur entend les voix et visualise le quotidien. On imagine certains visages, les colères et les rires, les silences aussi qui, parfois, étendent leur eau secrète et féconde. Voilà ce qu’il faut commencer par écrire à propos des Bergers d’Arcadie. Ce livre n’en est pas un. Il est avant tout un rendez-vous. Celui entre un père et son fils par l’éclairage sensible et puissant de la transmission. 

Père et fils

Il ne fait aucun doute que l’un sans l’autre, père et fils n’eussent jamais été capables d’aller au bout de ce texte tant ils ont besoin de leurs routes respectives pour l’écrire lorsque, dans un premier temps, la naissance de David s’inscrit en suite logique de l’existence d’André. « C’est donc à Limoges que je suis né, quelques mois après l’affectation de mon père dans cette rédaction de province. Puisque j’étais l’enfant de la dernière chance, puisqu’il fallait une dernière fois tenter de sauver le couple, mes parents décidèrent de s’isoler et de vivre plus lentement, au rythme de la campagne environnante, en construisant une petite maison dans un lieu-dit des environs. »

L’enfant de la dernière chance pour sauver le couple ! Les mots sont rudes, mais peut-être sont-ils également la raison qui mènera David, d’abord vers la spiritualité…  « Alors je me mis à prier : « Faites que mon père soit heureux », et cela devint une prière récurrente pendant bien des années, jusqu’à ce que je me rende compte du vide de l’univers, et dégouté que l’on ne réponde pas à la prière la plus pure et la plus désintéressée d’un enfant, que je sombre dans l’athéisme par rébellion. » … Vers la spiritualité, donc, puis vers la musique comme une forme de prolongement en contrepied… « Et la musique devint intimement liée à la spiritualité pour tout le reste de ma vie. Subitement, le petit garçon que j’étais eut la foi et se mit à prier. Prier pour qui ? Pour moi ? Bien sûr que non, je ne manquais de rien, non, plutôt pour mon père. Il était seul, il n’était pas heureux (…) ».

Au-delà des océans 

À travers leur récit, André et David font de leur cas personnel un témoignage qui interroge plus largement la relation qu’entretient chaque fils avec son père. Par là-même, découvre-t-on quelques-unes des plus lumineuses facettes déployées vers les paradis perdus de l’enfance. Mais pas seulement. Il est aussi question de voyages : Berlin-Ouest en 1966 [passionnant !]… La Pologne de Jaruzelski en 1985… Puis la Thaïlande de 1990… Suivie par le Vietnam deux ans plus tard… André voyage aux quatre coins du monde, là où David choisit la musique et le conservatoire de la Villa Paradiso (Nice) pour s’évader avant de s’envoler Au-delà de l’océan – titre du chapitre XIII… « Cette première séparation fut difficile pour lui et il me manquait beaucoup, mais j’étais ravi de continuer mes études dans ce lointain pays. C’était une expérience et une chance remarquables ; j’avais eu l’impression d’étouffer dans ma bonne ville de Nice où plus aucune évolution ne m’était possible. »

Puis la fin. Tel un autre océan à découvrir, et dont les courants, flux et ressacs ressemblent à du Rachmaninov que l’on écoute à une vitesse à la fois insupportable de lenteur et stupéfiante de rapidité… « Ces moments de joie furent hélas de courte durée. Nous découvrions au printemps 2016 que mon père était sans doute atteint de la maladie d’Alzheimer, ce qui se révéla être inexact, mais la réalité était encore bien pire, puisqu’il s’agissait de la maladie à corps de Lewy qui réunit les symptômes d’Alzheimer à ceux de Parkinson. J’ai bien cru avoir pleuré toutes les larmes de mon corps lorsque j’appris cette triste nouvelle, mais tout ceci n’était qu’un prélude. » 

Alors ! Faut-il lire Les Bergers d’Arcadie ? Oui. Parce que chacun y apprendra comment ne plus gaspiller son temps… « Arrêtons-nous tout de suite ici au bord de mer pour nous assoir sur un banc, côte-à-côte, et profiter l’un de l’autre en regardant [l’océan]. » Voilà bien l’essentiel de la vie ! Apprendre à gagner du temps sur celui qui défile de plus en plus vite au fur et à mesure qu’il passe. 

* Les passages en italique sont extraits du livre.

Les Bergers d’Arcadie 

Un livre d’André et David Grandis

Éditions La Route de la Soie – 405 pages, 27 euros

Jérôme Enez-Vriad

© Juin 2024 – Bretagne Actuelle & J.E.-V. Publishing

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Jérôme Enez-Vriad. Photo Matthieu Camile Colin

« Un cheminement de thriller passionnant » pour « Un drôle de goût ! » d’Alain Schmoll

Alain Schmoll, Un drôle de goût !

L’auteur reprend les personnages de La tentation de la vague, paru en 2020, pour distiller un nouveau thriller financier à la manière de Sulitzer (et de ses nègres) jadis. C’est plutôt réussi, avec les mêmes défauts que dans le roman précédent : un début poussif, trop long, qui s’étale sur la vie privée passée sans enclencher l’action. La « préface » (datée de « mai 2029 »!) d’un faux rédacteur qui aurait connu les personnages est inutile et alourdit l’intrigue, d’autant qu’elle n’ajoute rien. Mais, une fois parti et passé le premier quart, c’est passionnant.

Werner Jonquart est fils de famille entrepreneur, patron depuis sept ans d’une multinationale familiale suisse du fromage de bonne réputation. Il sait déléguer et il finit par s’ennuyer. Alors, pourquoi ne pas vendre ses parts ? Il en possède assez peu, conservées dans une holding de tête qui elle-même possède des participations qui… au total une fraction du capital, mais suffisant pour assurer la direction.

Une fois cette idée instillée en lui, il est approché par deux groupes, l’un américain et l’autre chinois. Tous deux sont des fauves redoutables du capitalisme. Le premier en égocentré libertarien qui n’hésite pas à user de tous les moyens pour parvenir à ses fins, y compris les alliances troubles avec les mouvements extrémistes de droite trumpiste et les cartels colombiens. Le second en mandataire de l’Etat-parti chinois qui a le temps et les moyens pour lui et qui n’hésite pas à manipuler les banquiers des Triades qui font du trafic en tous genres ; des malversations tolérées par le régime s’il affaiblit l’Occident.

Werner a la fatuité de vouloir lui-même fixer les règles du jeu : une date et heure précise pour les offres ultimes, la possibilité de refuser, le cautionnement de 90 % du prix proposé à l’achat qui sera ferme et définitif une fois l’offre acceptée, le tout scruté et bardé par une bataillon d’avocats. Comme si les requins de la finance allaient obéir à des règles…

D’ailleurs, un drôle de goût survient dans certains fromages du groupe, pas partout et pas tout le temps. C’est un hacking habile qui a introduit un cheval de Troie dans le système informatique régissant les dosages. Le pentester (je ne connaissais pas ce métier neuf !) mandaté pour trouver les failles est curieusement retrouvé mort peu après s’être vanté de pouvoir remonter à la source ; il aurait succombé à une overdose dans sa baignoire, lui qui ne prenait aucune drogue… Cette déstabilisation ne serait-elle pas opérée pour faire baisser les cours de bourse et disposer d’un moyen de pression sur le « deal » ?

Comme la pression ne fonctionne pas, objectif sa vie privée. Werner est un homme à femmes depuis tout petit, mais l’homme d’une seule femme depuis son adolescence attardée lorsqu’il fut gauchiste à Cuba. Julia est son alter ego, avocate vouée aux causes libératrices, des femmes battues aux écolos anti-pollution. Elle est restée idéaliste, lui devenu réaliste. Ils se voient, se quittent se remettent, s’ennuient et se séparent, se regrettent et se remettent : drôle de goûts… Julia est mère d’une petite fille qu’elle a eu avec un avocat de Bordeaux, duquel elle s’est séparée, et qui a refait sa vie avec une autre en lui enfournant quatre enfants, elle qui en avait déjà deux. L’auteur s’amuse.

Mais Julia fréquente à Paris des gauchistes attardés de plus en plus radicaux depuis qu’ils voient que ça ne marche pas et que la jeunesse se détourne de leurs idéaux utopistes et irréalisables. De quoi être prêts au terrorisme de type Brigade rouge ou Action directe. De dangereux « insoumis » qui provoquent et paradent, agitateurs professionnels pour bouter le chaos dans la politique, l’économie, la société. Bizarrement, pour un auteur très au fait de l’actualité, la connexion islamiste n’apparaît jamais dans ces dérives sectaires à la Mélenchon, pourtant elles existent dans les mentalités. Reste que le gauchisme activiste est aussi un ennemi pour Werner, outre l’extrême-droite affairiste yankee et les Triades du parti communiste chinois.

De quoi s’en inquiéter, d’autant que l’affaire traîne à se faire. D’ailleurs, une question se pose : pourquoi diable un conglomérat américain et une entreprise chinoise veulent-ils à tout prix acheter une entreprise familiale suisse de fromages ? Certes, elle est installée à Genève, certes, elle a une excellente réputation auprès des banques, certes, elle est à proximité des Ports-francs et Entrepôts de Genève, zone peu réglementée qui abrite très souvent des œuvres d’art stockées comme en banque en dépôt sous douane illimité – parfois volées ou pillées. Est-ce la raison ? Mais la Fromagerie Jonquart ne loue aucun entrepôt dans les Ports-francs.

L’Américain mandate un commando de Colombiens pour zigouiller les Chinois, lesquels tentent d’enlever au GhB en plein Paris une Julia trop confiante. L’affaire se corse, si l’on ose dire. Werner va tout d’abord se rapprocher dune amie d’enfance devenue major à Interpol, puis, comme les enquêtes sont lentes et les menaces de plus en plus précises, il va devoir actionner ses petites cellules grises pour trouver une parade. Il s’agit de sauver sa vie, celle de sa compagne et de leur fille (il a adopté celle de Julia, dont son père biologique se désintéresse), et celle de son entreprise.

Il va trouver… et c’est plutôt original même si l’on se dit (mais après coup) que « bon sang, mais c’est bien sûr ! » Je ne vous en dis rien, ce serait ôter le suspense, même si c’est le cheminement du thriller qui passionne plutôt que la fin.

Alain Schmoll, Un drôle de goût !, 2024, éditions CIGAS SAS, 333 pages, €13,90, e-book Kindle €4,49 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Les romans d’Alain Schmoll déjà chroniqués sur ce blog

Le site d’outre atlantique La Métropole recommande « L’assassinat de Mark Zuckerberg » d’Alexandre Arditti

L’assassinat de Mark Zuckerberg

​Si pas mal de choses vous fatiguent – idéologies creuses, wokisme, cancel culture, gestion hystérique des virus émergents, inquisitions morales en tout genre – ce roman est pour vous. 
Alexandre Arditti

​Si pas mal de choses vous fatiguent dans cette société – idéologies creuses, wokisme, cancel culture, gestion hystérique des virus émergents, inquisitions morales en tout genre – ce roman est pour vous. 

Son titre pour le moins audacieux ne peut que retenir l’attention. Et si un tel meurtre était perpétré? Y aurait-il des raisons à cela? L’auteur, Alexandre Arditti, a en effet imaginé Table Rase, une secte. Articulée autour de diverses cellules, née pendant la pandémie alors qu’on a vu « la plupart des dirigeants de la planète brader en seulement quelques semaines le monde démocratique que l’on avait mis quatre-vingts ans à construire », cette secte au nom limpide élimine les potentats de ce monde qui ne font que lui nuire. L’organisation secrète a déjà réussi à abattre Bill Gates, Tim Cook le P.D.G. d’Apple, et Donald Trump… On croit à un effet du hasard, mais lorsque le célébrissime Zuckerberg, créateur de Facebook, « multimillionnaire aux allures d’adolescent attardé », meurt d’une balle dans la tête, on arrête un suspect, Travis, et on le confie au commissaire Gerbier.

​Publié aux éditions La route de la soie, le roman, écrit au je, tient de divers genres, dont du récit et de la pièce de théâtre. Le narrateur, le commissaire lui-même, se livre jusqu’à la fin (ou presque) à l’interrogatoire du suspect numéro un, un être construit, calme et, évidemment, aux idées bien arrêtées. Une véritable joute oratoire a lieu entre l’accusé et le policier tandis que tous deux livrent leurs arguments pour défendre leurs points de vue. Une éloquence sans prétention ni lourdeur –limpide comme le nom de la secte. 

​C’est alors que l’auteur prend son envol et que sa mise en scène se transforme en essai, sinon en conte philosophique. Là résident la principale valeur et l’originalité de cet ouvrage. Alexandre Arditti a le don de la synthèse, et la fiction qu’il propose se lit comme un recueil de réflexions – La Rochefoucauld n’est pas loin.  Un défi pas facile en ce monde où les causes les plus opposées et multipliées à l’infini sont défendues jusqu’au délire, et que les pensées les plus pointues sont englouties dans le gouffre des points de vue grossiers et pétris d’ignorance – le ragoût humain sent de plus en plus mauvais.

​Dans ce roman habilement mené, alerte, et à la fin si inattendue qu’on souhaite presque le relire pour mieux savourer sa construction, Arditti expose son propre accablement – on dirait mieux écœurement – devant une société qui s’écroule. Son cri d’alarme, comme il y en a tant, s’efforce de fuser dans le gigantesque chaos voué à l’anéantissement. Pourquoi, à l’heure où, malgré tant d’avancées, de savoir, le monde va-t-il si mal, les gens sont-ils si mécontents, malheureux, excédés? Au fond, à lire Arditti, dont les fines analyses sont autant de vérités, les raisons sont simples. On en connaît certainement pas mal, mais cela ne fait aucun mal de se les rappeler, surtout quand l’auteur a le talent de si clairement les énoncer.

​Pourquoi s’être attaqué à Zuckerberg? demande le commissaire. 

​Il s’agit de démanteler Internet, répond le coupable, cette arme de destruction massive. En effet, « grâce aux données personnelles de milliards d’individus gracieusement cédées à la société Facebook – dont le principal objectif est de les revendre à vil prix à d’autres collecteurs de « datas » comme on les appelle aujourd’hui, tous vos faits et gestes sont désormais surveillés, vos déplacements tracés, vos goûts décortiqués, vos opinions évaluées, voire censurées s’il le faut. Vous êtes épiés du soir au matin, quoi que vous fassiez. »

​Arditti n’est pas le premier à faire remarquer que la nouvelle réalité mondiale ressemble presque en tous points à celle qu’Orwell décrivait dans 1984, mais il est l’un des seuls à avoir imaginé une solution extrême pour éradiquer les responsables de l’immense perdition que, dans la Bible, on nomme Apocalypse. Seul Big Brother, précise l’assassin, « est habilité à décider du vrai et du faux, du bien et du mal. Les citoyens sont surveillés dans la rue, chez eux dans leurs propres maisons par l’intermédiaire des « télécrans », mais aussi à travers leurs fenêtres, grâce à des hélicoptères ou des drones. Lorsqu’il ne convient pas ou plus à l’idéologie officielle du gouvernement, le passé est tout simplement réécrit, révisé, effacé. […] Le conformisme, l’obéissance à l’autorité et même la délation en place publique des citoyens récalcitrants deviennent des valeurs cardinales. »

​L’engourdissement massif est depuis longtemps efficace, et d’autant plus avec le vigilant concours des surpuissants médias sociaux et médias tout court matraquant les publicités propagandistes qui les financent. « La meilleure façon de contrôler la pensée d’une population est simplement qu’elle n’en ait pas, argue le meurtrier. Noyer sa réflexion et son attention dans un flot continu d’informations stupides – ou commerciales, ce qui revient à peu près au même – est un excellent moyen d’y parvenir. Limiter l’esprit humain est aujourd’hui devenu un véritable programme politique. »

​Moutons, plus que jamais. Guidés sous prétexte de protection, sous couvert de sécurité accrue, vaccinés à répétition, insidieusement pucés. Certes, la gestion des masses n’est pas une mince affaire, mais peut-être plus tant que ça, alors que la prise de conscience individuelle conduisant à l’insurrection se raréfie jusqu’à disparaître. « L’économie, souligne l’assassin, ne survit qu’en générant des besoins artificiels, avec pour seul objectif d’écouler des produits dont la plupart sont inutiles voire nocifs pour la population, comme pour la planète. »

​L’ouvrage, qui pourrait s’intituler La société pour les nuls, divertit, fait réfléchir, surprend et sème le trouble. Les arguments du commissaire ne font pas vraiment le poids en comparaison de ceux du coupable, articulés, songés, empreints de gros bon sens. Ainsi le lecteur est-il conduit à comprendre sinon à admettre toutes les motivations de l’assassin. Pour qu’un monde aussi corrompu, malsain, dangereux, néfaste – notre monde – puisse retrouver son équilibre, c’est la tête qu’il faut couper. Le tueur précise : « La société n’est pas la vie. Elle en est juste une forme d’expression. » Quant aux hommes politiques qui devraient se charger de la diriger, ils se sont eux-mêmes, « à force d’imaginer de nouveaux droits sur mesure pour s’assurer le vote de chaque segment de la population […] condamnés à un clientélisme sans fin. » Qui croire? Qui suivre? Il n’y a plus de sens, conclut-il. 

​Travis a-t-il tort de rappeler que « les réseaux sociaux sont devenus un gigantesque forum où s’accumulent la frustration et la haine, les agressions et les insultes […] une désolante machine à nourrir les clivages et à opposer les gens» ? D’énumérer les responsables? Le GAFAM, dit-il.« Amazon, Google, Facebook, Appel, Microsoft… Le fameux « big five » du numérique, rejoint aujourd’hui par de nombreux mastodontes de l’intelligence artificielle. » Les humains, vivant derrière un écran, n’ont jamais été si seuls.

​Mais cela n’est-il pas le progrès? Une notion vénérée depuis l’aube de l’ère industrielle? Le criminel ne permet aucune illusion : « La destination finale, qui n’est aujourd’hui même plus dissimulée, reste que les êtres humains finissent par perdre le contrôle de leur propre destinée. Qu’ils soient contrôlés par des machines, ou plutôt par ceux qui les programment, car il y aura toujours quelqu’un derrière l’intelligence artificielle… »

Ces points de suspension ne peuvent être plus lourds de sens. Les quelque cent trente pages de ce roman le sont tout autant. Arditti traite habilement de tous les aspects de la société d’aujourd’hui jusqu’au coup de théâtre de la fin. Son livre, qu’on peut feuilleter n’importe où pour y découvrir une assertion riche de sens, d’humour, d’intelligence et de lucidité, et qui se lit d’une traite, est plus qu’utile, mais nécessaire

Tribune Juive a aimé « Tintamarre » de Laurent Benarrous

Entretien avec Laurent Benarrous: “La France et les Juifs c’est terminé”. Par Marc Alpozzo

Laurent Benarrous et Marc Alpozzo


Par Marc Alpozzo – Philosophe et critique littéraire. Il a publié une douzaine de livres, dont SeulsÉloge de la rencontre (Les Belles Lettres), La Part de l’ombre (Marie Delarbre) Lettre au père (Lamiroy), Galaxie Houellebecq (et autres étoiles) (Ovadia) et il est coauteur de plusieurs ouvrages collectifs, dont L’humain au centre du monde (Cerf).

Laurent Benarrous – Avocat au barreau de Paris et écrivain, auteur d’un premier roman Tintamarre, La Route de la Soie, 2024.


Marc Alpozzo : Cher Laurent, la lecture de Tintamarre m’a mis en joie, notamment grâce à ce découpage très moderne en brefs chapitres, ce qui permet de bien résumer votre itinéraire. Aussi, vous écrivez dans votre livre une phrase qui me paraît essentielle : « J’étais juif parce qu’on m’avait dit que j’étais juif. Je n’en avais pas honte, mais j’étais d’abord français. » C’est une idée majeure, notamment dans le débat politique et sociétal actuel où l’on parle de « droit du sol » et de « droit du sang », évacuant tout de même l’idée centrale d’assimilation. Vous reconnaissez-vous dans la qualification d’assimilé ? Pourquoi pensez-vous que ce mot fait tant polémique aujourd’hui ?

Laurent Benarrous : J’ai toujours vécu le judaïsme comme un problème. Je n’en avais pas honte mais je comprenais instinctivement que cela n’allait pas me rendre la vie facile. Très tôt, j’ai proposé à ma mère « qu’on arrête d’être juif » mais elle m’a expliqué que ce n’était pas possible. Ayant eu un père d’extrême gauche qui haïssait les religieux, il avait interdit la religion à la maison. On n’en parlait jamais. La religion avait été « inventée pour pouvoir profiter des pauvres gens et les empêcher de se révolter et la Thora était un tissu d’âneries pour incultes ou illuminés ». À tel point que j’ignorais tout de mes origines et de ma religion. Papa nous a totalement coupés de nos origines, allant jusqu’à me proposer de devoir choisir entre une raquette de tennis et l’organisation de ma Bart Mitzva ! 

Évidemment, j’ai choisi la raquette de tennis, ne comprenant pas ce que voulait dire Bart Mitzva même si maman me disait à voix basse pour ne pas contrarier mon père « que c’était comme la communion des catholiques, et que je devais dire oui car j’aurais des cadeaux ». Dès petit, j’ai senti qu’être juif c’était quelque chose de compliqué puisque tout le monde me charriait dans ma cité avec ça. Quand on est enfant, on veut être comme tout le monde. À cette époque, les blagues racistes étaient en réalité dénuées de méchancetés réelles et je n’ai jamais vécu le moindre racisme. Mais j’avais le droit aux blagues qu’on entend sur les Juifs : « Tu caches où ton argent », « Vous êtes radin », « Vous dominez le monde », etc… J’avais du mal à comprendre tout cela, vu que nous étions très modestes et qu’on vivait en HLM et en banlieue ! Je dois aussi confesser que la religion catholique m’attirait. Je trouvais les cathédrales sublimes et on y parlait en français. J’ai même un jour appris une prière catholique que je répétais le soir avant de dormir, jusqu’au jour où ma mère m’a surpris et m’a dit « qu’elle n’en avait pas dormi de la nuit et qu’il fallait arrêter cela ».

En grandissant, le regard des autres, les blagues permanentes sur mon identité m’ont obligé à m’y intéresser. J’ai lu la Thora. Je n’y ai pas rencontré Dieu. Cette lecture a été une grande déception. J’ai aussi fréquenté des synagogues, mais j’y ai découvert que les juifs n’étaient pas meilleurs que les non-juifs. Puis, lors de la seconde intifada, devant l’agressivité des militants pro-palestiniens, je me suis intéressé à la question juive, au sionisme et à Israël. J’ai lu des centaines de livres sur la question et je suis consterné quand j’entends des gens parler de ce conflit sans avoir un minimum de culture.

J’ai découvert qu’on pouvait être juif sans croire en Dieu et aimer passionnément Israël. Le Juif assimilé que je suis est profondément attaché à Israël, d’une façon même excessive parfois. On ne touche pas à Israël chez moi. C’est un point de rupture. Pour autant, la France est ma patrie. Quand je regarde un match de foot entre Israël et la France, je soutiens la France sans aucune hésitation. La France m’a permis de vivre dans un pays libre, d’aller à l’école et d’être soigné, puis de faire des études et de devenir quelqu’un. J’ai la reconnaissance du ventre. Je crois que je donnerai ma vie pour ce pays sans aucune hésitation, même si j’ai découvert par ailleurs que le statut des Juifs en France n’avait pas été aussi naturel que je l’avais imaginé. Mais quel pays au monde m’aurait permis de devenir ce que je suis ? Reste que je constate comme beaucoup que l’assimilation est vécue par beaucoup comme un renoncement de ce qu’ils ont été. Pour eux, l’assimilation c’est une forme de reniement. Je pense qu’il faut l’entendre et qu’il faut arrêter ces débats et avoir pour seule exigence, l’intégration. L’assimilation viendra après. Je pense que forcer le lien, c’est prendre le risque de l’abîmer. La France ne doit pas obliger. Chacun doit comprendre que la France est une chance.

M. A. : La montée de l’antisémitisme aujourd’hui dans notre pays devient un fléau, notamment à cause du conflit à Gaza que La France Insoumise (Nouveau Front Populaire) essaie d’importer dans les débats nationaux. Votre roman est fort parce qu’il est un hymne à la France, vous y exprimez avec beaucoup de poésie l’amour de votre France qui est en grande partie d’objet de votre livre. Cependant, le moment de rupture c’est lorsque vous devenez père. À cet instant, vous souhaitez transmettre votre identité juive à vos enfants, décidant de faire circoncire vos fils. Est-ce que vous pensez que cette double appartenance est encore tenable dans la France d’aujourd’hui, et surtout celle de demain, cette République française, qui semble honnie par les tenants de la gauche radicale?

L. B. : Mon livre est un hymne à tous ceux que j’ai croisés et qui m’ont permis de me construire. J’ai été élevé sans aucun racisme et par éducation, je refuse totalement d’essentialiser les gens en fonction de leurs origines ethniques, religieuses et même sociales. J’en ai trop souffert pour le supporter. Pour moi, un homme est un homme et ce qui compte c’est ce qu’il fait. Je pense aussi que c’est une voie sans issue qui n’apporte que la division et la haine. Créer des différences qui ne doivent pas exister, c’est accepter de fabriquer les prémices de la division. 

Le Front Populaire à cet égard est une honte et un danger pour la France.

Ce que ces gens ont fait, par pur calcul électoral, c’est de monter les communautés les unes contre les autres. Pour être plus précis, monter la communauté musulmane contre la communauté juive en se servant du conflit israélo-palestinien. Dans le climat de désespérance sociale, ce projet est criminel et je ne comprends pas qu’aucune sanction ne soit intervenue pour y mettre un terme.

C’est un aveu de défaite.

Par ailleurs, même si je ne pense pas que les hommes et femmes d’un certain âge y seront sensibles car la manipulation est grossière, je pense que la jeunesse arabe de France, qui a perdu le contact avec sa culture d’origine et qui ignore que les Juifs étaient présents au Maghreb avant les musulmans, se sont vu accorder par LFI un permis de tuer des Juifs avec la conscience du juste. En tant que juif ayant eu un père qui parlait l’Arabe et qui aimait profondément la culture arabe, allant jusqu’à m’inviter lors de nos séjours au Maroc à passer avec lui des moments dans des mosquées pour nous recueillir et mieux appréhender l’âme musulmane, j’en suis pétrifié. Si mon père était encore en vie, il aurait du mal à croire à l’ampleur et à la gravité du phénomène auquel nous assistons. Pour mon père, nous étions certes juifs, mais des Juifs arabes et depuis près de 800 ans et il adorait les Arabes qui le lui rendaient bien, en toutes circonstances. J’ai moi-même gardé cet attachement avec cette culture, si proche de celle de mon enfance, en ayant un entourage arabe très présent et qui me renouvelle son amitié avec une récurrence qui me fait du bien. Nous avons de très grandes choses en commun. La générosité, le sens de la fête, le respect des parents et un sens de l’humour. Cette proximité est tellement forte que je me suis marié avec une femme française, mais d’origine algérienne dont je suis éperdument amoureux. Par ailleurs, jamais un Arabe musulman ne m’a fait du mal. Ils ne m’ont fait que du bien depuis l’enfance, me protégeant des voyous de mon quartier et m’invitant chez eux à manger régulièrement. Je les considère comme des frères et je sais pouvoir compter sur eux. Quand nous nous croisons, nous sommes malheureux de ce que nous voyons arriver à grands pas. Dans mon roman, les Arabes ont une belle place. Mon ami Farid est mon héros et la plus belle preuve de générosité que j’ai rencontrée depuis que je suis né, c’est dans un petit village du Maroc où un enfant d’une pauvreté extrême m’a donné son tam-tam lors de mon départ. LFI salie la culture arabe et les musulmans qui méritent d’être représentés par des gens plus honorables. Mais quand on souffre, on fait souvent des mauvais choix. Cela étant, malgré la politique et cette proximité avec la culture arabe, ni moi ni mon père n’avons oublié la réalité. Nous étions des Juifs, et avant de mourir, mon père, avait un peu évolué sur la question juive et sur ses positions politiques. Il était devenu plus sage. La gauche l’avait écœuré. La gauche que mon père et moi avons adorée n’était pas celle d’une bande de voyous incultes, n’ayant aucun amour de la France et vendant ses Juifs pour gagner des élections. Et puis, lorsque j’ai décidé de circoncire mes fils, papa est venu et j’ai vu de la fierté dans ses yeux quand il portait mes fils sur la chaise de circoncision. Ce jour-là, j’ai compris que papa était encore juif, mais trop en colère pour l’accepter. Il connaissait toutes les prières par cœur ! Il m’a demandé pourquoi j’avais fait ce choix. J’ai été incapable de lui répondre et aujourd’hui encore je ne sais pas quoi vous répondre. Je crois que le judaïsme est inscrit dans nos gènes et que l’alliance est un sentiment qui survit à tout, même au Trotskysme de mon père. C’était très important pour moi de circoncire mes fils, à un point tel que lorsque le Moal m’a dit « on peut décaler d’une journée, pour vous ce n’est pas important : je l’ai attrapé par le col pour lui dire « mes fils sont juifs » ! » Ensuite, avant de mourir, papa m’a dit « je veux mourir en homme et pas en juif. Mais tu me liras le kaddish si cela te fait plaisir ». Par contre, « écoute moi mon fils, tu dois te préparer à faire des valises car pour les Juifs, la France c’est terminé » ! J’étais sidéré. J’ai tenté de le relancer, mais il était épuisé. Il m’a juste dit « écoute moi ». Je n’ai pas écouté mon père, mais jour après jour, je constate qu’il avait malheureusement raison.

La France et les Juifs c’est terminé. Il ne manque que la date. Un jour, des guides touristiques feront des visites dans Paris pour rappeler où nous vivions. Cela me rend très malheureux car je suis très attaché à cette terre et profondément français. Mais pour moi, un départ est très compliqué. Mes enfants ne sont pas juifs. Personne ne parle hébreux et je suis marié avec une femme qui n’est pas juive. J’attendrai qu’on vienne me tuer. Je ne partirai pas, quelles que soient les menaces et les pressions.

M. A. : Autre point essentiel de votre roman : les névroses héréditaires, et notamment la psycho-généalogie. Vous avez une relation très difficile à votre père, qui s’apaise un tant soit peu dès lors que vous apprenez qu’il a été lui-même maltraité par son père : « Ton père, lui, non seulement il était seul, mais il était maltraité dans sa propre famille ». Est-ce que votre roman est un roman de la résilience ? Pourquoi l’avoir intitulé « Tintamarre » ? Est-ce le tintamarre familial ?

L. B. : Mes amis me demandent comment je peux aimer un tel monstre ! Ils me demandent si je ne suis pas victime du syndrome de Stockholm. Je les comprends. Mais on pardonne ce qu’on peut comprendre et moi j’ai compris mon père, sa folie, sa violence, ses souffrances et je ne veux pas le juger car je sais qu’il a été le premier puni de sa folie. Je n’ai jamais douté que cet homme nous aimait, mais il souffrait trop pour faire la paix et malgré ses immenses talents, il n’a pas trouvé comment se réconcilier avec la vie. Mais un homme n’est pas qu’un monstre. On ne peut pas réduire un homme comme ça. On est tous complexes, avec des cotés sombres et peu recommandables. Papa avait aussi des qualités exceptionnelles. Il y avait 500 personnes à son enterrement. Il n’a pas fait que du mal. Il n’a pas connu ce que vous appelez la résilience. Pourtant, il le méritait car il avait toutes les qualités pour la rencontrer : la volonté, l’énergie, la culture, un humour foudroyant et une répartie exceptionnelle. Mais la vie est une loterie tragique. En ce qui me concerne, je n’ai pas eu la volonté de parler de résilience. J’ai écrit ce livre pour mes enfants, car finalement, on ne connaît jamais ses parents. Je suis stupéfait quand je vais aux enterrements de constater que personne ne connaît réellement le défunt. Je l’ai aussi écrit pour tous ceux qui souffrent de n’être rien et qui sont en réalité exceptionnels, car c’est grâce à eux que j’ai pu survivre et rester debout. J’ai eu envie de les consoler et de leur dire qu’ils étaient des héros car ce qui compte lors de notre bref passage sur terre, c’est de donner et de ne pas abîmer. Ceux-là ne comptent pas. Seuls comptent les imbéciles prêts à tout pour exister et à accumuler des objets inutiles. Reste la question du pourquoi du comment de ce livre !

Ce livre est un accident et je m’en excuse par avance…. Comme tous les Français écrivent, même ceux qui n’ont rien à dire ou qui oublient en publiant qu’ils ne bénéficient que d’un système qui donne à ceux qui peuvent rendre, je n’avais pas envie de gêner ! Et puis les arbres sont si rares que je culpabilisais quand même un peu. Il est sûrement né pour permettre aux romans que j’écrivais depuis des années d’être débarrassés de ces récits qui les polluaient, les rendaient illisibles, à force de vouloir à tout prix raconter tout cela, dans des histoires qui ne le permettaient pas vraiment. Il fallait probablement écrire celui-là pour pouvoir devenir enfin écrivain. Je n’ai d’ailleurs jamais voulu l’éditer, pensant qu’il n’avait aucun intérêt. Ce manuscrit était posé sur une table de mon cabinet. Il prenait la poussière depuis plus de 10 ans et j’en avais écrit 25 versions. C’est une associée du cabinet où je travaille qui l’a lu ! Qu’est-ce que c’est ? Un livre pour les miens. Je peux le lire : oui ! Et il est arrivé dans les mains de Guilaine Depis, puis de Sonia Bressler. Je suis donc le seul écrivain qui n’a rien fait pour être édité et je trouve ça stupéfiant !

Je n’ai pas réalisé la portée universelle du message de ce livre. Les gens qui reviennent vers moi me disent qu’ils se sont repassé toute leur vie. Il ne parle donc pas de moi, mais de nous ! Cela étant dit, quand on écrit, on souhaite être lu et ce serait totalement hypocrite de prétendre que ce désir n’existait pas. Mais j’ai toujours préféré rêver ma vie que de la vivre. Ça évite d’avoir des refus. C’est comme avec les filles. Pourquoi draguer pour prendre une veste ? J’ai toujours préféré qu’une femme soit nue dans mon lit pour tenter ma chance et encore, il fallait qu’elle me pousse dans le lit et qu’elle me confirme que « j’avais une ouverture. » Cela s’appelle avoir peur. Peur de vivre. Bref, mon histoire n’a aucun intérêt. Elle est d’une banalité affligeante et consternante. Même moi, elle ne m’intéresse pas. Que la vie soit dure ne sera une découverte pour personne et chacun pourrait raconter la même histoire et même pire que celle-là. Aujourd’hui, le seul statut enviable est celui de victime ! Moi, je n’ai jamais voulu être une victime. C’est une voie sans issue. On préfère donc être plaint que d’être admiré, sauf à vouloir être admiré parce qu’on est à plaindre…

Ce qui est original dans ce livre, je le pense, c’est la manière de la raconter, à travers les yeux d’un enfant qui forcément n’a pas de point de vue. Je ne vous dis pas à quelle page il faut rire ou pleurer. Vous faites ce que vous voulez. J’ai horreur qu’on me manipule. Et je vais au plus profond et au plus sincère. Ce n’est pas un adulte qui revient sur son enfance. C’est un enfant qui vous raconte son enfance. J’y ai mis toute mon âme. Ne me parlez donc pas de récit de vie. Ma vie n’a aucun intérêt ! Et d’ailleurs qui vous dit que c’est ma vie et ou que je n’y ai pas glissé quelques mensonges pour rigoler ? Quant à la structure, ne m’en voulez pas d’avoir choisi la forme chronologique.  J’aurais pu structurer ça à l’américaine. Vous savez ces écrivains qui écrivent des livres de 500 pages ou qui font des scénarii oscarisés, qui vous tiennent en haleine jusqu’au bout et vous font vivre les montagnes russes, mais que vous avez oublié totalement dès le lendemain, en étant même incapable de vous rappeler du sujet ! J’aurais aussi pu l’écrire en utilisant des mots qui font intelligent et distingué et faire des phrases définitives, mais moi en général, cela me donne envie de dormir. Je n’aime pas qu’on se cache derrière des mots et qu’on cherche à enfermer la vie dans des phrases. Je veux que les mots cognent, qu’ils aillent au but. Enfin, pourquoi « tintamarre » ? J’ai été incapable de trouver un titre à ce livre moi qui adore donner des titres aux chapitres ! C’est une amie à moi qui a trouvé ce titre après l’avoir lu en me disant « mais quel tintamarre cette vie » ! Et j’ai trouvé ce titre amusant et enfantin et disant que face à la vie, il faut un peu de dérision car tout cela n’est que du boucan et un peu de baraka !

M. A : La France a malheureusement un passé douloureux et trouble avec sa communauté juive. Nous n’allons pas rentrer dans les détails, mais durant la Seconde Guerre mondiale, la France a échoué à protéger ses Juifs des griffes des Nazis. Voilà que le passé nous revient comme une sorte de retour du refoulé. La France d’aujourd’hui est haut en couleurs et multiculturelle, ce qui ne semble pas vous déplaire. C’est ainsi que vous aimez votre France et vous en dressez dans votre livre un panorama enthousiasmant. Pourtant, avec un certain antisémitisme d’importation, un antisémitisme à gauche de plus en plus dangereux, une tribune dans Le Monde de vendredi 20 juin qui prétend que c’est instrumentalisé par l’extrême droite, comme s’il pouvait y avoir un antisémitisme acceptable parce que de gauche et un antisémitisme inacceptable parce que de droite, ne voyez-vous pas là le point de bascule, qui donne raison au mot de Gérard Colomb, désormais nous vivons face à face, et les Juifs sont désormais mis en première ligne ? Que vous inspire cette époque à propos de cette France que vous chérissez ? Est-ce que vous ne craignez pas de la quitter un jour à cause de cela ?

L. B. : J’ai été de gauche pendant 40 ans. J’ai même eu ma carte du Parti socialiste et j’ai défendu avec acharnement la motion Rocard. Aujourd’hui, j’ai honte de moi. D’avoir participé à l’effondrement de notre pays, de ses valeurs, de sa culture. D’avoir été à ce point dans l’erreur. Évidemment que nous allons devoir partir, mais moi je ne partirai pas. Je ne peux pas vivre ailleurs qu’en France. Les Juifs se débattent et sont dans le déni, mais c’est terminé pour nous ici, sauf mort ou en rasant les murs. La démographie est contre nous et quand elle sera à son point culminant, que se passera-t-il ? Nous avons déjà perdu. C’est toujours comme ça lorsqu’on a 50 ans de retard sur un problème. Nous sommes aujourd’hui totalement dépassés et impuissants car peu nombreux et incapables de résister à cette violence qui n’est pas dans notre culture. L’inquiétude est d’autant plus grande que les événements du 7 octobre nous ont démontré que l’antisémitisme était mondial et qu’il n’existait plus aucun endroit sur terre où nous pouvions vivre en paix. Je ne suis pas sûr que même sur Mars on n’irait pas nous chercher pour violer nos femmes et nous brûler vifs en famille. L’absence de réaction du pays démontre aussi qu’il a accepté sa défaite. Quand on craint sa population, c’est qu’on a déjà perdu.

M. A. : Dans votre roman Tintamarre, vous écrivez à un moment être passé « d’outsider à looser ». Que voulez-vous dire par là ? Vous êtes un avocat de forte renommée pourtant, n’est-ce pas là le signe tout de même d’une belle réussite sociale ? Est-ce que pour vous le gagnant que vous dîtes être aujourd’hui se devait de devenir écrivain, sans quoi vous auriez considéré votre vie comme ratée ?

L. B. : Le regard qu’on porte sur soi dépend d’énormément de facteurs. Certains se regardent le matin et sont contents d’eux. J’aimerais être ainsi ! Quand j’ai réalisé que je n’étais ni le plus beau, ni le plus fort, ni le plus riche ni le plus intelligent, j’ai trouvé ça déprimant. Et puis surtout, avec le temps, j’ai réalisé que je ne tenais pas les promesses que je m’étais fait enfant ! Mais quand on ne prend pas le risque de n’être rien, on devient souvent rien, ou plus exactement, pas celui qu’on rêvait d’être. Je n’ai pas eu ce courage. Pour l’avoir, il aurait fallu accepter de renoncer à ce concours d’avocat ou d’avoir le courage de le rater et de ne faire qu’écrire. Mais j’étais las d’être pauvre et j’avais besoin de considération. Le métier d’avocat m’en donnait. Je n’étais plus « le fils à la petite Juju », j’étais Maitre BENARROUS, avocat au Barreau de Paris ! C’est assez pathétique, mais c’est la vérité. Je sais que je suis écrivain depuis que j’ai 10 ou 11 ans, sans avoir lu le moindre livre. J’ai écrit dans ma tête une bonne trentaine de romans, sans discontinuer, pour éviter le réel que je trouvais insupportable, mais dès que je passais à l’écrit, la magie s’évaporait et je découvrais un écrivain raté ! Depuis, j’ai vécu comme une femme enceinte qui n’aurait jamais accouché. Cela m’a rendu très malheureux et cela explique ce sentiment d’échec, car même si mon livre ne permet pas de le comprendre, j’ai créé dans ma tête une œuvre, qui je pense mérite d’exister et je ne veux pas mourir sans avoir tenu les promesses que je m’étais fait enfant. Aujourd’hui, malgré ce livre, je n’ai aucun sentiment de victoire. Je suis juste soulagé. Je serai heureux quand j’aurais écrit tous les livres qui m’envahissent et qui me gâchent la vie, car je me sens obligé de les écrire, mais je suis malheureusement pris par une vie avec de très fortes contraintes que je me suis bêtement imposées. Et puis, j’ai très longtemps souffert d’une mélancolie atroce, qui m’a fait perdre le goût des choses, rien n’ayant du sens à mes yeux, même si j’ai eu à cœur de sauver les apparences et d’avoir ce qu’il faut pour répondre aux critères de l’époque, une belle voiture, une maison de campagne et une femme superbe, car je n’ai pas voulu donner aux gens le plaisir de ma défaite. J’en ai été d’autant plus malheureux que le métier d’avocat ne m’a jamais rendu très heureux ! Je ne crois pas à la justice tandis que la Loi et le Juge me rappellent trop mon père et mon impuissance devant lui. Un bon résultat me permet de ressentir du soulagement. Un mauvais résultat et ce sont les ténèbres pendant plusieurs jours. Je crois que je revis éternellement mon impuissance d’enfant face à un père effrayant et dominateur. Cela ne m’empêche pas de faire mon travail avec un grand sérieux, mais il me provoque tant de souffrances que si j’avais pu écrire et en vivre, je me serais épargné cette souffrance, et ce, d’autant plus que pour beaucoup, trop, être avocat remplit une vie, et que dès lors, je n’aurais manqué à personne.

Propos recueillis par Marc Alpozzo

« La question interdite » un roman de Valérie Gans pour se poser des questions sur Me Too

Valérie Gans, La question interdite

Un roman puissant, d’actualité, sur la vérité. Écrit au lance-pierre, avec des billes lancées à grande vitesse qui frappent juste et lourdement : sur l’effet de meute, l’anonymat lyncheur des réseaux sociaux, la dérive hystérique d’un certain féminisme. La « question interdite » ne devrait pas l’être : « et si ce n’était pas vrai ? »

Pas vrai qu’un homme de 40 ans ait abusé d’une adolescente de 13 ans (et demi) ? Pas vrai que la fille l’ait ouvertement accusé ? Pas vrai que la mère abusive ait « cru » le « non-dit » ? Pas vrai que l’inspectrice de la police (on dit plutôt lieutenant aujourd’hui, je crois) ait capté la vérité dans les propos décousus et incohérents de l’une et de l’autre ?

Une histoire simple, comme dirait Sautet au nom prédestiné : un vidéaste connu monte un projet sur la féminité. Adam, au nom d’homme premier, est soucieux du droit des femmes et milite depuis toujours contre le machisme, ayant montré dans ses vidéos les horreurs de la soumission dans les pays autour de la Méditerranée et en France. Il s’entiche – professionnellement – en 2017 d’une gourde un peu grosse rencontrée dans un café où elle s’essaie à devenir adulte en ingurgitant le breuvage amer qu’elle n’aime pas. Il voit en elle son potentiel, le développement de ses qualités physiques et mentales. Il lui propose de tourner d’elle des vidéos spontanées, qu’il montera avec des vidéos de femmes plus âgées, afin d’exposer l’épanouissement d’une adolescente à la féminité. En tout bien tout honneur, évidemment, avec autorisation de sa mère et contrat dûment signé. Lui est marié à Pauline, une psy qui enchaîne les gardes pour obtenir un poste.

La mère, Ukrainienne mariée à un Iranien décédé, ne vit plus sa vie de femme depuis le décès de son mari cinq ans auparavant ; elle se projette sur sa fille et fantasme. Elle la pousse dans le studio, sinon dans les bras du bel homme connu. Shirin la gamine se révèle ; elle devient femme, se libère de ses complexes face aux regards des autres, améliore ses notes, devient populaire. Les autres filles l’envient, les garçons de son âge sont un peu jaloux et voudraient en savoir plus sur les trucs qui se passent.

Mais il ne se passe rien.

Jusqu’au jour où Shirin, désormais 14 ans, rentre en larmes et claque la porte de sa chambre. Sa mère, biberonnée à l’environnement féministe, aux soupçons immédiats sur le sexe pédocriminel, à la différence d’âge qui ne s’admet plus, se fait un cinéma : sa fille vient d’être violée et, même si elle n’a rien dit, c’est normal, elle est « sidérée » – mot de la mode qui plaque un concept qui n’explique rien. Elle la convainc d’aller « porter plainte », comme la mode le veut, pour que le (présumé) coupable soit « puni », autrement dit retiré de la société pour trente ans, comme s’il avait tué. La policière qui reçoit mère et fille entend surtout la mère, la fille est bouleversée, elle borborygme, elle n’avoue rien. Normal, pense la pandore formatée par l’époque, elle est « sous emprise » – mot de la mode qui plaque un concept qui n’explique rien.

Le présumé innocent est convoqué, interrogé, soupçonné. Il nie évidemment qu’il se soit passé quoi que ce soit, mais la fille ne parle pas. Il est donc coupable. Aux yeux de la police, aux yeux de l’opinion, aux yeux de son avocat, un soi-disant « ami » qui ne le croit pas puisque personne n’y croit. Les réseaux sociaux se déchaînent, chacun dans sa bulle confortable : les hommes prêts à juger les autres pour les turpitudes qu’ils auraient bien voulu avoir ; les femmes (qui n’ont que ça à foutre, faute de mecs à leur convenance) dans l’hystérie anti-mâles, revanchardes des siècles de « domination » – mot de la mode qui plaque un concept qui n’explique rien. Adam est boycotté par ses clients, jeté de sa galerie où il expose ses vidéos, une pétasse qui avait 15 ans et lui 19 vingt ans auparavant l’accuse (gratuitement) de « viol » – mot de la mode qui plaque un concept juridique qui n’explique rien des faits réels. Il entre en mort sociale. Pauline, sa femme, demande le divorce tant la pression des autres et de ses collègues lui font honte de rester avec un tel criminel (pas encore jugé, la justice est très très lente en ces matières). Désespéré, il se suicide.

Fin de l’histoire ?

Non. Shirin, vingt ans plus tard, a du remord. Elle sait ce qui s’est passé, c’est-à-dire rien, et elle voudrait réhabiliter Adam qui l’a révélée à elle-même contre les autres, sa mère possessive qui vivait ses fantasmes par procurations, ses petits copains boutonneux qui ne pensaient qu’à baiser sans aimer, ses copines jalouses et venimeuses qui ne songeaient qu’à se faire valoir aux dépens des autres. Tout le monde en prend pour son grade.

Nous sommes désormais en 2028 et la société a bien changé. Valérie Gans l’imagine sans peine comme un prolongement hystérisé des tendances actuelles, ce qui donne un chapitre savoureux (et inquiétant) d’anticipation. Plus aucune relation entre hommes et femmes sans le regard des autres, la « transparence » réelle des bureaux vitrés, des surveillances de tous contre tous. « Pour peu que Shirin s’offusque d’un compliment, d’un sourire, d’une invitation qu’elle jugerait déplacée, Stan se retrouverait condamné » p.116. « Un regard trop appuyé, s’il est surpris – voire photographié et instagramé – par quelqu’un de l’autre côté de la vitre peut entraîner sa perte » p.117. Admirable société où l’homme est un loup pour la femme et réciproquement. « Dans ce monde régi par la peur de se faire accuser de harcèlement, les hommes déjà pas très courageux avant se sont repliés sur eux-mêmes. Célibataires malgré eux, quand ils n’ont pas tout simplement viré gays, ils sortent entre eux, vivent entre eux… simplement parce qu’ils n’osent plus draguer. Triste » p.116. Mais vrai, déjà aujourd’hui.

Shirin, qui vit avec son amie Lalla sans être lesbienne, faute de mec à accrocher, décide de rétablir la vérité contre sa mère, contre la police qui n’a pas été jusqu’au bout, contre la société qui a hystérisé la cause sans chercher plus loin que « le symbole » – mot de la mode qui plaque un concept qui n’explique rien. Elle poste donc un rectificatif sur l’ex-fesses-book des étudiants d’Harvard, devenu vitrine respectable des rombières de la cinquantaine ménopausées en quête de CAD (causes à défendre) : « Et si ce n’était pas vrai ? »

Mais raconter qu’on ne s’est pas fait violer – ça n’intéresse personne ! Pour son équilibre mental, Shirin veut « donner sa version des faits plutôt que, ce qu’il y a vingt ans, on lui a fait avouer » p.120. Elle déclenche une riposte… « atomique ». Les réseaux sociaux se déchaînent contre l’ex-violée qui refuse son statut symbolique (et socialement confortable) de « victime » – mot de la mode qui n’explique rien. La désormais « bonne » société des vagins éveillés (woke) ne veut pas entendre parler de la vérité car « la vérité » n’est pas le réel mais ce qu’elle croit et désigne comme telle. Comme des Trump en jupons (violeur condamné récemment pour avoir payé une actrice du porno afin qu’elle la ferme), les hystériques considèrent que la vérité est relative et que la leur est la bonne : il t’a regardé, il t’a donc violée. « Victime, on te croit », braille le slogan des bornées.

Shirin ne va pas s’en sortir car recommence – à l’envers – le même processus des réseaux, des accusations, de l’opprobre et de l’agression physique, jusqu’à la mort sociale. Et le suicide de Shirin, qui reproduit celui d’Adam. Sauf qu’elle est sauvée in extremis par elle-même sans le savoir, qui téléphone à sa mère pour qu’elle vienne la sauver – et réparer le mal qu’elle a fait, en toute bonne conscience. Un séjour en hôpital psychiatrique lui permettra de rencontrer une psy qui la fera révéler « la » vérité (la seule valable, l’unique qui rend compte des faits réels) et ainsi se préserver de « la honte » et de la horde. Je ne vous raconte pas ces faits réels, ils sont le sel de cette histoire d’imbéciles attisés par les mauvaises mœurs de l’impunité en réseau. La foule est bête, la foule féministe est vengeresse, la foule en réseaux fait justice elle-même en aveugle.

De quoi se poser des questions, si possibles les bonnes questions, avant qu’il ne soit trop tard et que les accusations gratuites n’aboutissent à des meurtres en série. Car, quitte à prendre trente ans de tôle, autant se venger réellement des accusatrices sans fondement !

Il faut noter pour l’ambiance d’époque – la nôtre – que le manuscrit de cette autrice ayant été refusé par les maisons d’éditions (avec le courage reconnu qu’on leur connaît!), bien qu’elles aient déjà publié d’elle une vingtaine de romans, Valérie Gans a créé sa propre maison pour contrer la Cancel « culture » : Une autre voix. Celle de la liberté de penser, de dire et d’écrire. Valérie Gans n’est pas n’importe qui : maîtrise de finance et d’économie de Paris-Dauphine en 1987, elle a travaillé dix ans dans la publicité et chronique depuis 2004 des livres pour Madame Figaro. Ce qu’elle dit doit nous interpeller. Son roman se lit d’une traite, bien qu’elle abuse des retours à la ligne.

Valérie Gans, La question interdite, 2023, éditions Une autre voix, 208 pages, €31,00, e-book €12,50 (mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)

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