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Lyon éco et culture recommande déjà « Miniatures et Pointes sèches » de Nathalie de Baudry d’Asson

Miniatures & Pointes sèches : Le livre de Nathalie de Baudry d’Asson qui célèbre les destins de femmes réelles

Un regard ciselé sur le courage féminin. Ce premier ouvrage Miniatures & Pointes sèches de Nathalie de Baudry d’Asson est salué par l’Académie française.

   

Miniatures & Pointes sèches de Nathalie de Baudry d'Asson : Des histoires vraies de femmes qui redonnent le courage de vivre
Miniatures & Pointes sèches de Nathalie de Baudry d’Asson : Des histoires vraies de femmes qui redonnent le courage de vivre

Nathalie de Baudry d’Asson : Miniatures & Pointes sèches, le recueil de récits féminins

Nathalie de Baudry d’Asson : Miniatures & Pointes sèches, le recueil de récits féminins

Des histoires courtes mais puissantes. Nathalie de Baudry d’Asson offre une galerie de portraits féminins, fragments d’humanité intemporels.

Il y a des livres dont la brièveté apparente cache une densité de vie, d’émotions, de mémoire. Miniatures & Pointes sèches, premier ouvrage littéraire de Nathalie de Baudry d’Asson, appartient à cette catégorie rare.

À travers une série de récits courts, parfois de quelques lignes à peine, l’autrice dresse une galerie de portraits féminins, tous réels, tous bouleversants, tous porteurs d’un même souffle vital : celui de la liberté intérieure.

Ces histoires sont des miniatures — au sens pictural du terme — mais elles ne flattent pas, elles éclairent. Elles sont aussi des pointes sèches — comme ces outils utilisés en gravure pour inciser le métal —, c’est-à-dire qu’elles tracent des lignes fines mais irréversibles, gravant sur la page comme dans les consciences le destin de femmes tantôt oubliées, tantôt ignorées, tantôt étouffées dans les recoins de l’Histoire ou des intimités.

Dès les premières pages, l’ambition de l’autrice est claire : donner à voir et à entendre ces vies féminines trop souvent tues. Des vies vécues pleinement, au risque, souvent, de déplaire, de déranger, de souffrir. Le ton est sobre, direct, sans détour. L’émotion, elle, affleure à chaque instant, entre les mots.

Le courage de Noor, princesse soufie, musicienne et résistante parachutée en France pendant la Seconde Guerre mondiale, capturée, envoyée à Dachau, battue à mort sans jamais avoir trahi, résonne avec la même intensité que la passion muette d’une femme couchée chaque soir devant la porte close de l’homme qu’elle aime.

Ou que la douleur résignée de Jeanne, qui comprend lentement que son enfant à naître ne connaîtra jamais la présence quotidienne d’un père.

Ces femmes ne sont pas héroïques par posture : elles le deviennent par nécessité, parfois malgré elles. Elles ne posent pas, elles affrontent.

Nathalie de Baudry d’Asson ne cherche pas à construire une fresque militante, ni à démontrer. Elle expose, elle recueille, elle transmet. Son écriture est tendue, ciselée, mais jamais sèche. Elle laisse une place au silence, à l’implicite, à l’indicible. Elle n’écrit pas pour raconter une époque, mais pour faire entendre des vérités intemporelles.

Ces récits courts sont des éclats d’expérience, des fragments de conscience, des éclairs d’humanité. À travers eux, elle lance un message à toutes les femmes : oser vivre pleinement, affirmer sa voix, sans se soumettre aux jugements, aux normes ou aux peurs. Et aux hommes, une invitation à entendre, vraiment.

L’autrice n’arrive pas de nulle part. Issue d’une famille de littéraires et d’artistes, elle a dirigé la Revue des Deux Mondes, les maisons d’édition de Vivendi Publishing, d’Editis et d’Hachette Livre. Elle a aussi fondé Le Lien Public, lieu de dialogue entre chefs d’entreprises, politiques et universitaires.

Sa trajectoire, à la croisée des mondes intellectuel, éditorial et politique, l’a placée au cœur des débats de société, avec un engagement profond : comprendre ce que vivent les femmes, ici et ailleurs, hier comme aujourd’hui. Ce livre est le prolongement intime de ce parcours. Il est nourri de ce qu’elle a vu, entendu, traversé. Il tire le signal d’alarme, rend hommage, encourage, relie.

Préfacé par Marc Lambron de l’Académie française, Miniatures & Pointes sèches se distingue par ce que l’écrivain salue comme une « capacité projective remarquable ».

Nathalie de Baudry d’Asson, auteure de Miniatures & Pointes sèches
Nathalie de Baudry d’Asson, auteure de Miniatures & Pointes sèches

En effet, Nathalie de Baudry d’Asson ne se contente pas d’observer ces femmes : elle les épouse dans leur complexité, les accompagne dans leur silence, les soutient dans leur combat.

Son regard ne juge pas, il éclaire. Son écriture ne démonte pas les mécanismes, elle les révèle. Elle touche juste, parce qu’elle ne cherche pas à convaincre, mais à faire ressentir.

Ce recueil s’inscrit pleinement dans la rentrée littéraire de septembre 2025 comme une œuvre discrète mais essentielle. À l’heure où les récits de femmes occupent de plus en plus l’espace littéraire, Miniatures & Pointes sèches choisit la forme brève pour mieux marquer.

Il n’élève pas la voix, mais il laisse une empreinte. Dans une époque saturée de bruits et d’opinions, ce livre propose autre chose : une attention, une écoute, un art de la nuance et de la mémoire. En cela, il est à la fois intemporel et brûlant d’actualité.

L’autobiographie de Michel Santi en « réécriture subjective », comme l’analyse Gilles Kepel dans sa préface

Michel Santi, Une jeunesse levantine

Michel Santi est un original, et cette autobiographie en « réécriture subjective », comme l’analyse Gilles Kepel dans sa préface, donne les clés de son intelligence « décalée ». Il publie en effet le 3 mars de cette année dans La Tribune, le journal français de la bourse, l’engrenage d’un scénario apocalyptique déclenché par Trump – qui, heureusement, ne s’est pas produit. Ou du moins pas entièrement.

Michel est en effet né à Beyrouth en 1963 de Paul Santi, diplomate français issu d’une famille de Français d’Égypte, Compagnon de la Libération, et de Nadia Rizk, issue d’une des grandes familles chrétiennes orthodoxes du Liban. Français de naissance, élevé au collège jésuite français Notre-Dame de Jamhour, il quitte le Liban avec son père mais sans sa mère, à 12 ans en 1975, lors du déclenchement de la guerre civile.

Il part à Djeddah, en Arabie saoudite, où son père est nommé et, à 12 ans et demi, est invité par un prince saoudien de 50 ans à l’accompagner en pèlerinage à La Mecque. Son père ne pouvait pas, devant demander l’autorisation au ministère. Ce prince, prénommé Abdallah, sera roi d’Arabie saoudite en 2005. Ce passage à la puberté est une véritable initiation, comme les Grecs antiques l’organisaient pour leurs garçons, les confiant à un mentor plus âgé. Michel dira qu’il est parti du Liban « innocent et pur », ce qui signifie qu’il y reviendra différent. Gilles Kepel le suggère en passant lorsqu’il évoque le jeune compagnon du prince en « éphèbe chrétien ». Le pèlerinage exige la pureté du corps, mais l’avant et l’après sont libres. L’initiation à l’antique est autant spirituelle que de caractère, l’affectivité et la sensualité restant loin en second. Khomeiny, lorsqu’il le rencontrera, sera impressionné par cet aspect de l’éducation de Michel.

Rejoignant sa mère à 13 ans via Chypre, dans un Liban en guerre civile, il rencontre Sandy (Iskandar Safa), qui a alors 21 ans et milite dans la milice chrétienne nationaliste des Gardiens du Cèdre. Il deviendra homme d’affaires et de réseau, propriétaire des chantiers Constructions mécaniques de Normandie et de Privinvest, un géant international de l’armement et de la construction navale, ainsi que de l’hebdomadaire Valeurs actuelles. Il négociera en 1988 la libération des otages français du Liban. Il est l’amant de sa mère et l’adolescent Michel lie amitié, le suit, portant l’uniforme de la milice et chargé du dispensaire. Il rencontre le commandant afghan Massoud à Beyrouth, le futur terroriste chef de la branche militaire du Hezbollah Imad Moughanieh de son âge, puis Ali Hassan Salamé, dit Abou Hassan, cerveau des opérations terroristes de l’OLP (dont les fameux attentats de Munich contre les athlètes israéliens), qui est le mari de sa cousine Georgina et islamo-progressiste, ancêtre des islamo-gauchistes d’aujourd’hui.

« Les Palestiniens n’existent pas » (c’est ce qu’affirme par exemple Khomeiny p.170) ; ils sont arabes, dans l’histoire soit égyptiens, soit turcs, et ont une origine génétique commune avec les juifs. Expulsés de leurs terres par l’expansion d’Israël, ils sont exploités et manipulés par les puissances de la Ligue arabe pour mener leur jeu politique. Zuheir Mohsen, dirigeant de Saïqa, une faction palestinienne pro-syrienne et représentant à l’OLP affirmait en 1977 : « Nous parlons aujourd’hui de l’existence d’un peuple palestinien seulement pour des raisons tactiques et politiques, car les intérêts nationaux arabes demandent que nous posions le principe de l’existence d’un peuple palestinien distinct pour l’opposer au Sionisme. » Cancer du Proche-Orient, aucun pays « frère » ne veut d’eux sur son territoire, car ils créent bientôt une armée, menacent les institutions, gangrènent le pays de l’intérieur : la Jordanie les a chassés en septembre 1970 (p.141), le Liban les a chassé en 1982, l’Égypte les refuse en 2025.

Michel quitte la milice en fin d’année, las des massacres inter-ethniques et inter-religieux. « La terreur pour le plaisir, le sang pour le fun, la course aux martyrs, des deux côtés – de tous les côtés – vu qu’il y a autant de groupuscules que de causes, que de religions, que de sectes, que de villages, que de familles, que d’ennemis à abattre… » p.129.

Il rejoint son père nommé en Turquie, reprend ses études et passe brillamment le bac scientifique français. Il y rencontre un ami de son père, le résistant et espion Robert Maloubier, « Bob ». A 15 ans, il dîne chez sa cousine à Paris avec Sandy, Yasser Arafat (qu’il n’aime pas) et Shimon Peres (qu’il trouve froid). Sandy, qui veut désormais se faire appeler Iskandar, l’emmène à Neauphle-le-Château rencontrer l’ayatollah Khomeiny en exil, qui prépare son retour en Iran et la révolution islamique.

Il parle toute une après-midi avec lui, en tête à tête. « La cause palestinienne – qui est séculière – est devenue l’opium du peuple musulman, qui juge tout à travers son miroir déformant (…) Sous le prétexte de combattre Israël, ils asservissent leurs propres peuples et consolident leur tyrannie » (p.171), explique l’ayatollah au jeune garçon. Et de lui avouer qu’il va exploiter les Palestiniens lui-même pour diviser les pays arabes sunnites, afin d’imposer le chiisme, seule vraie foi en prolongement du message de Jésus. Et de lui exposer sa doctrine : « L’Islam, c’est la religion des opprimés. (…) Comme tous les chiites, je suis par définition contre la monarchie, contre toutes les monarchies, qui ne sont pour moi que des relents du polythéisme. (…) Tout est politique en islam ! » p.178. Son idée suprême est que la politique doit être subordonnée à la foi, inscrite dans le Coran et point barre. Puis il prend, selon le Michel Santi de 16 ans réécrit par l’adulte mûr de 60 ans, des accents Mélenchon :« Un pouvoir autoritaire est tout ce dont nous avons besoin. Ces créoles, ces Noirs, ces Arabes, ces pauvres, ces indigents de la démocratie, ils ne peuvent plus se satisfaire de simplement exister. (…) L’émotion est constructive, la raison fait des ravages. Voilà pourquoi je revendique la déraison. (…) J’appelle au désordre car l’ordre est ennuyeux. (…) Le relativisme – qui est une notion purement chiite par ses questionnements permanents – enrichit et libère » p.216. Il prône comme Trotski, la révolution permanente. Cette réhabilitation de l’émotion séduit le jeune Michel, qui a lu à 14 ans (p.152) le psychologue Pierre Janet.

Début 1979, Michel rend visite à sa cousine qui vient de perdre son mari assassiné par les services israéliens. Khomeiny veut le voir et lui demande de l’accompagner en Iran. Il a presque 16 ans et, une fois encore, est pris comme mascotte par un dignitaire musulman. Fils de diplomate français, jeune et chrétien, ami d’un prince saoudien, Michel est un « otage » parfait au cas où le retour se passerait mal. Car si Khomeiny est doux et poète lorsqu’on est d’accord avec sa façon de penser, il devient inflexible et sans pitié dès que l’on remet en question sa loi, donc Allah qu’il connaît par coeur (chapitre 44).

A 18 ans, Michel quitte la Turquie pour s’installer à Paris et commencer des études de médecine. Il réussit le concours à la fin de la première année mais, amoureux de Gilles, frère d’un condisciple de médecine d’un an plus jeune, est persuadé de rendre visite au Liban, que l’armée israélienne vient d’envahir. Gilles a un lointain cousin de 18 ans, blond et bien dessiné, dans l’armée d’occupation. L’assassinat du président élu du Liban Béchir Gemayel en septembre, suivi des massacres de Chabra et Chatila, incite Gilles à repartir en France tandis que Michel le quitte pour s’installer avec le cousin, qui déserte, écoeuré par les massacres israéliens. Shimon Peres le fait rapatrier à Paris comme indésirable en Israël, et le petit ami, sur le point d’être arrêté par l’armée, se tue.

Michel Santi ne reprendra pas ses études de médecine interrompues. Il se tourne vers HEC Paris, en sort diplômé, cofonde en 1993 sa première société de gestion de fortune indépendante à Genève, est naturalisé suisse en 1997 et développe ses activités jusqu’en 2005, où il devient consultant de banques centrales et professeur à HEC. Il a appris durant sa jeunesse à parler français, arabe, anglais, turc, et connu de multiples expériences. D’où son originalité à penser la finance. « L’incertitude est devenue ma meilleure alliée, et j’ai appris à la respecter. Surmonter l’inimaginable, se méfier du formalisme, survivre et même prospérer par temps de grandes volatilités » p.261. Penser autrement est la seule façon de profiter des engouements et des paniques – en investissant à l’envers du troupeau. Malgré une vie très différente, une âme sœur.

Michel Santi, Une jeunesse levantine – préface de Gilles Kepel, 2025, éditions Favre, Lausanne, 273 pages, €20,00, e-book Kindle €12,99

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

La fiche Wikipédia de Michel Santi

Le blog de Michel Santi

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

Le Contemporain s’enthousiasme pour Michel Santi

Michel Santi, témoin de l’histoire au Proche-Orient

 Michel Santi.

Par Rodolphe Ragu

Si un scénariste proposait Une jeunesse levantine à un réalisateur, il s’entendrait à coup sûr traiter de fou. Avec ce livre autobiographique, qui raconte ses années d’adolescence au Proche-Orient entre 1975 et 1982, le Franco-Libanais Michel Santi prouve que la vie et l’histoire ont encore plus d’imagination que les auteurs de fictions.

Fils de Paul Santi, diplomate français et compagnon de la Libération, et d’une Libanaise issue de la bourgeoisie chrétienne, Michel Santi grandit dans le pays que l’on surnomme alors la « Suisse du Proche-Orient ». Il a seulement douze ans au moment du massacre du bus de Beyrouth, le 13 avril 1975, qui marque le début de la guerre civile libanaise. En diplomate aguerri et en bon connaisseur de « l’Orient compliqué », son père, qui pressent que cette tuerie de masse va inaugurer un très long cycle de violences, obtient rapidement une mutation en Arabie saoudite, où il part avec son fils.

Michel est présenté au prince Abdallah – futur roi de la monarchie pétrolière, de 2005 jusqu’à sa mort en 2015 – qui l’emmène dans son pèlerinage à La Mecque. Il faut évidemment toute l’autorité d’un membre de la famille royale pour introduire un chrétien maronite dans cette ville, qui était – et demeure – interdite à tout non-musulman sous peine de mort. Conduit par son guide, qui ne le contraint toutefois pas à se convertir, Michel Santi se met en état de ihram, procède aux grandes ablutions, revêt l’habit blanc qui laisse nue l’épaule droite et pénètre dans la cour de la mosquée al-Harâm – la « mosquée sacrée ». Il effectue les sept circumambulations autour de la Kaaba et embrasse la pierre noire, une relique que la tradition islamique fait remonter à l’époque d’Adam et Ève. Pour le jeune Libanais, qui n’a alors connu que l’austérité des messes des églises d’Achrafieh, c’est une expérience exceptionnelle. Et c’est aussi la première rencontre avec l’un de ces hommes qui font l’histoire de la région. Car si Une jeunesse levantine est un récit autobiographique, c’est aussi un livre-document, qui donne un accès intime à quelques-uns des principaux acteurs du Proche-Orient. Ainsi la foi d’Abdallah apparaît-elle sincère, profonde, en conformité avec l’image d’homme pieux qu’il a laissée à la postérité.

Une galerie de personnages historiques

Il y a quelque chose de déroutant à découvrir les noms qui composent le « réseau » de Michel Santi, un terme à prendre ici dans toutes ses acceptions, puisque le jeune Libanais, de retour dans son pays en 1976, rejoint – avant même ses quatorze ans – les Gardiens des Cèdres, une milice chrétienne radicale, dont sa mère est devenue l’une des principales responsables. Sa cousine est la belle Georgina Rizk, miss Univers 1971, et l’époux de celle-ci, le terroriste palestinien Abou Hassan, qui a organisé la prise d’otages des Jeux olympiques de Munich, en 1972, et qui est désormais actif dans les rues de Beyrouth. Voilà un cousin germain par alliance bien embarrassant et que Santi a l’étrange honneur de rencontrer un soir au milieu des ruines de la capitale. Un de ses amis, aussi membre des Gardiens des Cèdres, n’est autre Iskandar Safa, futur homme d’affaires et qui deviendra, une fois fortune faite, le propriétaire du magazine Valeurs actuelles. Il est banal d’écrire que la guerre change les hommes et que même les plus éduqués d’entre eux ne sont pas à l’abri de régresser dans leur humanité. Un milicien, morbide et sibyllin, déclare un jour à Santi : « J’ai découvert qu’un corps n’est pas silencieux, même s’il peut être méconnaissable. » Santi raconte ainsi en détail les combats et la violence qui ravagent Beyrouth, les combats au corps à corps pour la prise de l’hôtel Holiday Inn, l’édifice qui surplombe la ville, et le casse de la British Bank of Middle East, un hold-up à faire pâlir un Albert Spaggiari. Tout au long de ces pages, l’intime se mêle à l’histoire : Santi noue pendant cette période de belles amitiés et même, un peu plus tard, de dangereuses amours galiléennes.

La liste des personnages qui appartiennent à l’histoire et qui croisent sa route est en fait très longue. On rencontre avec lui un célèbre chef de guerre afghan, un autre – et non moins fameux – terroriste palestinien, à ce jour toujours enfermé dans une prison française, un dignitaire du Hezbollah à la fiche Wikipédia longue comme le bras et deux des protagonistes du conflit israélo-palestinien, qui certes se haïssent mais ne dédaignent pas de dîner ensemble à l’occasion. Et il y a la rencontre avec Khomeiny ! Michel Santi a rejoint son père en France pour quelques jours en 1979. À Neauphle-le-Château, il s’entretient, en arabe littéraire, avec le chef de la révolution iranienne pendant un après-midi entier.

Le prophète iranien

Impressionnante est la rencontre avec cet homme, dont le génie politique est indéniable. Santi reproduit en substance les propos que lui a tenu ce jour-là le fondateur de la république islamique d’Iran. Il n’est pas toujours aisé de faire le départ entre ce que lui a vraiment déclaré Khomeiny et la façon dont Santi retranscrit ses souvenirs, forcément un peu déformés. Mais il y a des lignes cruelles sur la naïveté des intellectuels de la gauche française, comme Sartre ou Foucault, vis-à-vis de la « religion des opprimés » et des pages inquiétantes quand l’ayatollah exprime sa haine de la dynastie saoudienne et son rêve d’un programme nucléaire pour offrir aux chiites une revanche historique sur les sunnites. Il y a aussi des pages passionnantes sur la relation entre l’islam et la civilisation occidentale, sur la disparition du sacré en France et en Europe, et sur la façon dont la laïcité peut exciter, même sans le vouloir, le fondamentalisme musulman. Il y a enfin des avertissements. Celui-ci est le plus net : « C’est simple, mon jeune ami, tu ne le sais peut-être pas encore, mais tout est politique en Islam. »

Michel Santi
Une jeunesse levantine
Favre, 276 pages

Le Contemporain soutient le roman humaniste et sensible de Maxim Schenkel

Un roman pour réenchanter la paix : Maxime Schenkel ou l’espoir en héritage

■ Maxime Schenkel.
 

Par Yves-Alexandre Julien – Journaliste Culture.

Un jour, nous vivrons ensemble, le premier roman de Maxime Schenkel, publié par les éditions Une autre voix, surprend, émeut et interroge. Par son titre d’abord, promesse d’un avenir pacifié dans une région fracturée par des décennies de conflits. Par son auteur ensuite, trentenaire autodidacte, ancien footballeur devenu écrivain par idéal. Par sa matière enfin, brûlante entre toutes : l’histoire d’une famille palestinienne sur trois générations, confrontée à l’exil, à la guerre et à la persistance de l’espoir. Ce récit romanesque, à la fois pudique et engagé, évite les pièges de la simplification idéologique pour offrir une fresque sensible, inspirée d’une vérité historique souvent occultée.

 

Le sens du projet de Schenkel : restituer une humanité à ceux qu’on déshumanise, relier l’histoire et l’avenir, et croire — encore — qu’il n’est pas trop tard pour vivre ensemble.

Trois générations palestiniennes à la lumière de l’Histoire et du fracas de l’actualité

Il faut du courage, aujourd’hui, pour écrire un roman sur la Palestine. Non un pamphlet, non un tract, mais un roman au sens le plus fort du terme : un récit d’hommes et de femmes, d’amour et d’exil, de chair et de mémoire. C’est ce que parvient à faire Maxime Schenkel, jeune auteur de 32 ans passé par les terrains de football avant ceux de la littérature, dans Un jour nous vivrons ensemble, premier roman publié chez Une autre Voix, maison résolument hors des sentiers battus. En trois générations — Hassan, Amine, Ali — l’auteur retrace, à hauteur d’homme, le long désastre d’un peuple jeté hors de l’Histoire, et pourtant toujours debout, comme ce jeune garçon renversé mais triomphant sur la couverture.

De Tantura à Gaza, la tragédie continue

À l’origine, il y a un village : Tantura village côtier au sud de Haïfa, sur la côte méditerranéenne, où les jours paisibles de la Palestine mandataire sont balayés par la Nakba. Nous sommes le 23 mai 1948, lendemain de noces entre Hassan jeune Palestinien de 21 ans et Fatima qu’il épouse à la veille d’une tragédie : l’irruption de la Haganah, milice juive devenue l’embryon de Tsahal, qui massacre les villageois dans une opération de “nettoyage” restée taboue pendant des décennies. La mer est calme, les visages sont radieux, mais déjà, au large, gronde la Haganah, future armée israélienne nourrie aux idéaux du sabre et du droit divin. Le massacre est un fait historique longtemps nié, aujourd’hui partiellement reconnu. Hassan, épargné par miracle, fuit avec sa jeune épouse vers la France, terre d’exil qui devient terre d’accueil. Il y ouvre une épicerie en Normandie. Mais son cœur reste là-bas, entre les citronniers de Tantura et les plages de son enfance…

Maxime Schenkel exhume ici un épisode longtemps refoulé, documenté par l’historien Teddy Katz et reconnu depuis par certains témoins israéliens. Cette mémoire de sang hante le roman et lui donne sa profondeur tragique. “La vérité ne change pas selon nos capacités à l’accepter”, écrivait Aldous Huxley : c’est précisément ce que rappelle Schenkel, en convoquant la douleur fondatrice de la Nakba.

Des exils et des silences.

Réfugiés en France grâce à l’aide d’un ami français, Hassan et Fatima s’installent en Normandie. Ils y reconstruisent leur vie, sans jamais oublier leur terre perdue. La mort de Fatima précipitera la révélation du passé à leur fils Amine, élevé comme un petit Français. C’est lui qui, adulte, retourne “au pays” pour comprendre, pour revendiquer une appartenance, pour aimer aussi — Lina, Palestinienne de Naplouse, avec qui il aura un enfant, Ali. Le silence des pères, les non-dits familiaux, la transmission brisée : tels sont les fils souterrains du récit. Comme le note l’écrivain Édouard Glissant, “l’identité n’est pas une essence, c’est une relation”. Schenkel le montre avec subtilité, dans les heurts et les liens tissés entre générations et territoires.

Un roman-miroir du conflit d’aujourd’hui

Ce qui frappe, c’est combien ce roman résonne avec les images qui, depuis le 7 octobre, saturent nos écrans : attentats, bombardements, enfants mutilés, maisons rasées. L’histoire d’Amine, fils d’Hassan, revenu étudier à Naplouse dans les années 1980, rejoint celle des activistes d’hier et des journalistes d’aujourd’hui. Fondateur d’un journal clandestin, il résiste, comme tant d’autres, à la colonisation rampante de la Cisjordanie. Sa femme Lina le quitte par peur, son fils Ali est envoyé en France, nouvelle boucle de l’exil. Mais Ali, à son tour, repart : c’est une génération qui ne renonce pas, même blessée, même amputée. À Gaza, ville martyre de cette année 2023, il cherche sa mère disparue, rencontre la guerre et la lumière, tombe amoureux d’une Israélienne. C’est cette tension inextricable entre l’histoire et le présent, entre le feu et l’amour, que Maxime Schenkel saisit avec une justesse inattendue.

Une écriture sans prétention au cœur pur

La langue de Maxime Schenkel est simple, parfois maladroite, mais toujours habitée. Elle a cette sincérité brute des premiers livres, où chaque mot porte une part de vérité personnelle. Certains tics de style trahissent une formation autodidacte, mais n’enlèvent rien à l’intensité du propos. Ce qui compte ici, c’est le souffle, l’élan moral, la volonté de dire l’indicible. À la manière d’Albert Camus dans L’Homme révolté, Schenkel oppose à l’injustice non pas la vengeance, mais la dignité : “Résister, c’est participer à la reconstruction d’une humanité plus juste et plus tolérante.” Ce refus du cynisme traverse le livre comme un fil rouge. Maxime Schenkel écrit sans afféterie, parfois avec naïveté, souvent avec sincérité. L’idéalisme affleure à chaque page mais c’est justement cette innocence, proche du Tintin humaniste, qui fait vibrer le livre. Il y a du Si tous les gars du monde… comme l’écrivait Paul Fort dans cette fresque où les peuples, à défaut de s’unir, s’étreignent un instant avant de sombrer à nouveau dans l’histoire sanglante. On pourrait reprocher à l’auteur quelques facilités comme une simplification des rapports religieux mais on sent un écrivain qui cherche, qui creuse, qui s’indigne.

Un engagement sans dogme

Schenkel se défend d’une posture partisane. Loin de la rhétorique indigéniste ou des raccourcis de certains partis, il choisit la voie difficile du romanesque pour faire entendre la voix palestinienne. Sans nier les souffrances du peuple juif ni légitimer la violence terroriste, il s’interroge : que reste-t-il d’un peuple qu’on refuse d’accueillir, même dans les pays frères ? Il pointe aussi le cynisme des grandes puissances, le rôle ambigu des États arabes, la résignation des consciences occidentales. “C’est un livre de paix”, affirme-t-il. “Un cri lancé dans le vacarme des armes, pour rappeler que raconter peut encore sauver.” À l’heure où les bombardements ravagent Gaza, où le dialogue semble impossible, ce roman apporte une voix différente, sans posture, sans leçon, mais avec une espérance ardente.

Une mémoire contre l’effacement

Ce roman n’est pas neutre, et il ne le prétend pas. Il rappelle que la Nakba est pour les Palestiniens ce que la Shoah fut pour les Juifs : une déchirure fondatrice, une blessure intransmissible. Et de même que l’État d’Israël s’est bâti sur le traumatisme, les groupes armés palestiniens — OLP, Fatah, Hamas — sont nés d’un refus de disparaître. Que Schenkel évite de citer ces noms dans son roman n’est pas une faiblesse, mais un choix : il préfère la lignée à la faction, la filiation au drapeau. Il raconte les hommes, pas les doctrines. Les femmes surtout, magnifiques : Fatima, Lina, Sara, figures de résistance et d’amour, mères courage dans une guerre d’hommes.

Un espoir fragile, mais tenace

Dans une actualité où le débat sur le conflit israélo-palestinien est souvent manichéen, hystérisé, voire censuré, Un jour nous vivrons ensemble arrive à point nommé. Ce n’est pas un traité de géopolitique, c’est une main tendue. Dans un monde où l’on dresse des murs, Maxime Schenkel esquisse un pont. Modeste, incertain, vulnérable — mais un pont tout de même. Un pont entre les pères et les fils, entre les juifs et les arabes, entre le passé et demain. Un roman comme une pierre blanche dans la nuit.

Rendre justice par la fiction

Un jour, nous vivrons ensemble n’est pas un roman parfait, mais il est nécessaire. Il a la clarté des débuts, la sincérité des âmes justes. Il dit les douleurs enfouies, les ruptures intimes, les conflits hérités, et surtout l’envie de vivre, malgré tout. L’image de couverture, celle d’un adolescent palestinien bondissant entre deux rochers, résume le livre : l’équilibre instable d’une jeunesse qui refuse de tomber, même au bord du gouffre. C’est là tout le sens du projet de Schenkel : restituer une humanité à ceux qu’on déshumanise, relier l’histoire et l’avenir, et croire — encore — qu’il n’est pas trop tard pour vivre ensemble.

Saisons de culture recommande le roman vrai de Malédicte sur un sujet poignant actuel

Les enfants inutiles – Une famille qui a mauvais genre

Par Paul Gérodhor

Dans Les Enfants inutiles, Malédicte explore les origines d’une profonde solitude existentielle. Même dans une famille en apparence bien sous tous rapports, la lutte pour s’affirmer peut durer pendant plusieurs décennies. Éléonore est à la fois l’héroïne de ce récit et le témoin du plus grand des bouleversements.

J’ai commencé à lire Les Enfants inutiles, de Malédicte, dans un café. Le livre bien ouvert entre les mains, la couverture en évidence, son titre a intrigué bon nombre des clients qui s’installaient aux tables voisines. Il y a en effet dans un tel titre et dans le contenu de cet ouvrage quelque chose d’assez dérangeant et même de « malaisant », puisque nous sommes ici dans l’univers des identités douloureuses.

Les Enfants inutiles est le récit autobiographique d’une femme qui fait le point sur son existence, depuis l’âge où elle peut faire remonter ses plus anciens souvenirs. La vie aime les coïncidences comme un romancier les symboles. L’histoire d’Éléonore, double transparent de Malédicte, commence dans l’appartement d’une grosse bâtisse où ses parents se sont installés avec leur autre fille. Mais cet appartement n’est pas le leur : on le leur a simplement prêté. Au rez-de-chaussée, qui abrite un bureau de poste, est exposée la copie d’un célèbre tableau de René Magritte, Le Thérapeute : une figure, assise sur un monticule de sable, déplie sa cape et laisse apparaître à la place du torse et du visage une immense cage à oiseaux. Une colombe blanche derrière les grilles, une autre à l’extérieur, sur la tablette à bascule. Le décor est éloquent. Nous sommes chez des êtres qui n’habitent pas vraiment chez eux et qui n’habitent peut-être même pas leur corps, mais qui aimeraient, sans oser l’avouer aux autres, non pas recouvrer leur liberté, mais simplement l’éprouver pour la première fois. Éléonore, donc, une petite fille débrouillarde, curieuse, vive d’esprit, et dont le « je » adulte peut dire, comme par un lapsus : « J’étais déjà grande, j’étais un bonhomme. » Diane, sa sœur aînée, plus réservée ; la mère, institutrice, que sa cadette appelle la « guerrière » et qu’on pourrait surnommer la « régente » tant elle règle la vie de chacun ; et le père policier, taiseux, très en retrait et qui semble nourrir de bien étranges idées sur lui-même.

Névroses en famille

L’histoire est bien agencée, et l’auteure sait ménager de bons effets, notamment en maintenant son regard à hauteur d’enfant. Les discussions animées entre la mère et le père, sans que l’on en comprenne les raisons, le rôle de la tante Margaret, dont l’influence sur celui-ci ne semble pas rassurante, l’arrivée du « Grand » en fin d’année, la mort d’une parente, parce que, nous dit-on, « elle a trop pris de médicaments » : les tabous s’accumulent dans cette famille à l’apparence ordinaire, épanouie. Et cela d’autant plus que, en ville, des rumeurs circulent sur la maisonnée, rumeurs toujours sibyllines et malveillantes, et malheureusement inaccessibles au décryptage.

Le monde dans lequel grandit Éléonore est complexe, mystérieux ; l’écriture de la narratrice est simple, directe (mais parfois non exempte des maladresses du premier livre). La petite Éléonore se débrouille avec les moyens cognitifs de son âge. Si sagace soit-elle, elle énumère les prémisses d’un impossible syllogisme : « Ma mère veut un garçon, car les filles ne conviennent pas et n’ont pas de chromosome Y… Mon père préfère la malice des filles et me donne une mini-pelle au godet fantastique, ma mère est une guerrière. » Pour conclure, bizarrement : « Les guerres sont inutiles. »

La difficulté à vivre dans cette famille – qu’André Gide n’aurait pas beaucoup aimée non plus – consiste en la quasi-impossibilité d’être soi. Le lecteur suit Éléonore, dont les pas sont à la fois hésitants et résolus. Il s’inquiète parfois devant la révélation à venir d’un grand secret, qu’il sait inéluctable. Ce grand secret a-t-il son explication dans contenu de la garde-robe de l’un des protagonistes ? Que doit-on comprendre lorsqu’il est dit que « la mère voulait que ses filles fassent de leur père un homme » ? Et qu’entendent les amis du vieil Albert en parlant de « trucs de grands » à faire avec Éléonore ? L’arrivée de Marie va tout changer et expliquer beaucoup de choses.

Éléonore, alias Malédicte, de son vrai prénom Bénédicte, raconte à des fins thérapeutiques l’exploration des identités. J’ai souvent eu l’impression qu’elle voulait aussi régler quelques comptes, et je la comprends facilement : « Nos géniteurs avaient à l’honneur de faire la même chose pour leurs trois enfants. En général ils ne faisaient plutôt rien pour chacun de nous. C’était effectivement équitable. » Son histoire familiale nous pousse aux confins de la quête de soi, jusqu’aux limites imposées par la nature et la logique. L’expression « naître dans le mauvais corps » suppose la dualité corps-âme, à la laquelle on peut croire, comme à la métempsycose ; elle n’explique cependant rien. Elle a toutefois le mérite de décrire un état, de résumer un sentiment que la société a tendance à réprimer. Quel parti va alors l’emporter ? Y a-t-il seulement un moi véritable qui justifie une si longue quête ? Chez moi, doucement balancé par le mécanisme du rocking-chair, j’ai refermé Les Enfants inutiles en me promettant de chercher à en savoir plus sur ce sujet.

Malédicte, Les Enfants inutiles, Une autre voix, 194 pages

Lien pour acheter : https://www.uneautrevoix.com/livre/les-enfants-inutiles/

« Déwox » jugé indispensable par Tribune Juive, vive Lena Rey !

« Dewox », de Lena Rey : L’antidote intellectuel contre la folie du wokisme

Dans un monde où le wokisme semble imposer sa vision déformée de la réalité, Dewox de Lena Rey offre une détox intellectuelle salutaire. À travers un essai incisif et provocateur, l’auteur nous invite à remettre en question les idéologies qui gangrènent l’espace public et redonne à la pensée critique toute sa légitimité. Retour sur une œuvre essentielle pour tous ceux qui souhaitent se libérer des chaînes de la pensée unique.

Le wokisme, un poison pour la raison

Dans «  »Dewox », Lena Rey dénonce ce qu’elle perçoit comme une nouvelle forme de totalitarisme idéologique : le wokisme. « Le wokisme est un poison », écrit-elle dès les premières pages, un poison « qui pervertit le sens commun et piège la pensée ». L’auteur décrit cette idéologie comme un « cancer intellectuel » dont les effets se sont propagés à travers la société, des universités aux médias, en passant par la culture populaire. Ce poison est celui de la déconstruction permanente des repères traditionnels et de l’affirmation d’une vérité subjective, au détriment de toute objectivité.

Léna Rey met en avant l’idée que le wokisme pousse les individus à « accepter des faits contradictoires », comme cette affirmation absurde selon laquelle un homme peut être enceinte. Elle rappelle que cette négation des évidences biologiques et scientifiques n’est pas sans conséquences. « Quand on déclare qu’un homme peut accoucher, on déclare que la réalité n’a plus de prise sur nous », observe-t-elle, citant ainsi la pensée de George Orwell dans 1984, où la manipulation de la vérité et la réécriture de l’histoire sont les armes d’un pouvoir totalitaire.

L’idée de « détoxifier » l’esprit est également au cœur de son discours. En se référant à l’idée de l’« intoxication mentale » de l’intellectuel et essayiste français Bernard-Henri Lévy, Lena Rey nous invite à retrouver la logique de la réalité, celle qui se base sur l’observation et la raison. Comme le souligne Lévy dans « La Barbarie à visage humain » (2015), « la pensée ne peut se satisfaire de la soumission à la règle de l’émotion ». À ce titre, Dewox n’est pas simplement un rejet du wokisme, mais un appel à une pensée rationnelle débarrassée de ses filtres idéologiques.

Le retour de Trump : Une réponse à la folie du wokisme

L’une des thèses les plus audacieuses de Dewox est son analyse du retour en force de Donald Trump. Lena Rey y voit un effet boomerang des excès du wokisme : « Si nous avons dû subir l’irruption du wokisme dans tous les aspects de notre vie, c’est parce que nous avons perdu de vue la liberté d’expression et l’importance de la critique ». Pour Léna Rey, l’élection de Trump n’est pas simplement le fruit du populisme, mais une réaction de rejet contre une idéologie qui a poussé trop loin ses revendications et déstabilisé l’équilibre politique mondial.

Cette réaction est comparable à celle analysée par l’historien et philosophe allemand Friedrich Hayek dans « La route de la servitude » (1944), où il met en garde contre les dangers du collectivisme et de la pensée uniforme, des traits que l’on retrouve dans le wokisme. Comme Hayek, Lena Rey appelle à une remise en question des idéologies collectives qui imposent des vérités absolues et excluent les voix dissidentes. Trump, dans cette analyse, incarne une forme de résistance à ce « totalitarisme des idées » imposé par la gauche radicale.

Lena Rey établit également une analogie avec les événements de 2016, soulignant que le retour de Trump est la conséquence directe de l’effondrement du système de valeurs que la gauche libérale a cultivé pendant des décennies. La victoire de Trump, pour Rey, n’est pas une défaite des démocrates, mais une victoire de ceux qui refusent de se soumettre à la logique woke, préférant un retour à une forme de bon sens populaire. Elle conclut son chapitre en citant l’essai de l’historien américain Christopher Lasch, « La révolte des élites » (1995), qui expliquait déjà comment les élites pouvaient perdre le contact avec la réalité populaire, engendrant une réaction violente des masses.

Une détox intellectuelle pour redonner la parole au bon sens

L’un des mérites de Dewox réside dans sa capacité à déconstruire les idées woke tout en proposant des alternatives rationnelles et nuancées. Léna Rey se lance dans une critique en règle de concepts tels que le « privilège blanc » ou la « cancel culture », des phénomènes qu’elle identifie comme des symptômes de l’idéologie wokiste. Elle écrit, avec une ironie mordante : « À force de vouloir effacer toutes les traces de discrimination, on finit par discriminer ceux qui sont, par leur simple existence, accusés d’être les oppresseurs ».

Dans cette démarche, Lena Rey s’appuie sur des auteurs classiques de la pensée libérale et critique. Elle cite John Stuart Mill, dont l’ouvrage « De la liberté » (1859) reste une référence fondamentale en matière de défense des libertés individuelles. Mill avertissait déjà que l’entrave à la liberté d’expression sous prétexte de protéger les sensibilités de certaines populations finissait par instaurer une société de censure et de soumission. De la même manière, Léna Rey met en garde contre la tendance à censurer les voix dissidentes au nom de la lutte contre l’oppression. En cela, Dewox invite à un retour à l’esprit des Lumières, où la liberté de pensée et d’expression est perçue comme la pierre angulaire de toute société démocratique.

Pour Lena Rey, la véritable détox intellectuelle passe par un retour à des principes simples mais essentiels : la raison, l’équité et la vérité. Elle propose une série d’exercices de réflexion qui permettent au lecteur de déconstruire les idées reçues et de se réapproprier les outils du discernement. Dans cet esprit, elle cite l’ouvrage « La société industrielle et son avenir » de l’anarchiste Herbert Marcuse, qui, dans une réflexion sur le totalitarisme, soulignait déjà les dangers de l’homogénéisation des idées.

Un plaidoyer pour la réconciliation et la pensée libre

Malgré son ton acerbe et ses critiques acerbes du wokisme, Dewox reste un appel à la réconciliation. Lena Rey n’entend pas inciter à la division, mais à la réintroduction de la diversité des idées dans l’espace public. Elle note que la lutte contre le wokisme ne doit pas se transformer en un combat idéologique de plus, mais en un retour à la discussion rationnelle. Elle écrit ainsi : « La seule chose qui nous unit, c’est le respect de la diversité des idées et de l’expression ».

Cette perspective rejoint les propos de l’écrivain et philosophe français Albert Camus dans « Le Mythe de Sisyphe » (1942), où il rappelle que la liberté réside dans la capacité à choisir ses combats sans se soumettre à des idéologies de masse. Léna Rey s’inspire également de l’essai « La condition postmoderne » de Jean-François Lyotard (1979), qui souligne que les vérités universelles, loin d’être imposées, doivent être débattues et confrontées au sein de la société. Ce dialogue permanent, selon Léna Rey, est la condition sine qua non pour que la société renouvelle ses valeurs et rétablisse la confiance entre ses membres.

Lena Rey : une voix singulière dans le paysage médiatique

Lena Rey se décrit comme une journaliste « défroquée » qui a choisi de rompre avec la pensée dominante des médias. Cette position de marginalité dans le monde médiatique est ce qui fait la force de son discours. En cela, Dewox se situe dans une tradition de penseurs et d’intellectuels qui, comme Michel Foucault dans « Surveiller et punir » (1975), critiquent les mécanismes de pouvoir qui contrôlent la pensée collective.

Léna Rey, à travers son livre, cherche à offrir une voix alternative qui ne se soumet pas aux diktats des idéologues et qui permet aux citoyens de reprendre possession de leur pensée critique. Elle se place ainsi dans une longue tradition de résistance intellectuelle, de Spinoza à Orwell, en passant par Hayek et Mill, en appelant à la nécessité de maintenir une pensée libre dans un monde où la pression sociale et politique se fait de plus en plus forte.

 Le réveil du sens commun

« Dewox » de Lena Rey est un ouvrage nécessaire pour ceux qui souhaitent déconstruire le wokisme et retrouver une pensée libre, fondée sur le bon sens et la raison. À travers une critique acerbe et documentée, Léna Rey invite ses lecteurs à se libérer des illusions idéologiques et à renouer avec la réalité objective. Dans une époque où les dogmes prennent le pas sur la raison, « Dewox » apparaît comme un antidote bienvenu, un guide pour remettre la pensée critique au cœur du débat public. En cela, Lena Rey s’impose comme une voix sincère et salutaire, dans le paysage intellectuel contemporain.

© Yves-Alexandre Julien

Actualitté interviewe Francis Grembert, lauréat du 89ème Prix Cazes : Une récompense à contre-courant du vacarme

Francis Grembert : un chagrin sous l’écorce, Prix Cazes 2025

En couronnant Les Deux Tilleuls de Francis Grembert pour son 89e anniversaire, le Prix Cazes 2025 honore une œuvre grave, douce et nue. Ce récit pudique sur la perte d’un petit frère, mêlant mémoire rurale et douleur silencieuse, s’impose à rebours des modes comme un bijou d’écriture retenue. Loin des brouhahas littéraires, il murmure, touche et résiste. Un hommage bouleversant au lien fraternel, et un manifeste discret pour une littérature du peu qui dit tout. Par Yves-Alexandre Julien.

Il faut du courage, aujourd’hui, pour écrire un livre aussi silencieux. Et davantage encore pour le distinguer d’un prix. Les Deux Tilleuls de Francis Grembert ne fait pas de bruit. Il n’en a pas besoin. En 112 pages, l’auteur y évoque la mort accidentelle de son petit frère, survenue alors qu’il n’avait que sept ans. Pas d’analyse psychologique, pas de pathos, pas de grands effets.

À la place : le ressassement d’une phrase d’enfance, la mémoire d’un arbre, la survivance d’un lien qui, cinquante ans plus tard, n’a pas fléchi. Le récit, tout entier écrit à hauteur d’enfant, adopte le tempo des battements de cœur — irréguliers, profonds, presque inaudibles, mais vitaux.

Le style, aussi net qu’un bois lisse, surprend par son refus de séduire. Il évoque la langue claire de Bobin, la densité du silence chez Jaccottet, la tendresse rugueuse de Marie-Hélène Lafon. Dans une époque littéraire en quête constante de visibilité, Francis Grembert creuse un sillon discret, rural, fraternel. Il ne cherche pas à guérir ni à sublimer la douleur : il la partage, comme on tend une main sans mots.

Le plus bouleversant, sans doute, est ce que le livre ne dit pas. Il ne parle pas de l’après. Il ne disserte pas sur le deuil. Il ne commente pas. Il convoque. Il fait tenir dans quelques pages l’expérience la plus bouleversante qu’un être humain puisse traverser : perdre un frère — et survivre à l’absence. Il n’y a pas de message, pas de morale, pas de posture. Juste une fidélité. Le livre tient debout par sa fidélité.

À ce titre, Les Deux Tilleuls entre en résonance avec une autre littérature, plus souterraine : celle qui refuse la spectacularisation, le commentaire à chaud, la complaisance. Il redonne sa place au peu, au ténu, au fragment. En cela, il est un acte de résistance littéraire. Un contre-pied au flux numérique, un refus des récits prémâchés. Et c’est précisément pour cela qu’il touche.

Le Prix Cazes, une fidélité à l’écriture de l’intime

Que le Prix Cazes 2025 ait choisi de distinguer un tel texte n’est pas anodin. Créé en 1935 par Marcellin Cazes, fondateur de la Brasserie Lipp, ce prix littéraire singulier fête cette année son 89e anniversaire. Il récompense un roman, une biographie, des mémoires ou un recueil de nouvelles, dans un esprit de fidélité à la littérature de transmission, à la culture partagée et à l’écriture de l’intime.

Le jury, composé de onze personnalités aux sensibilités variées — parmi lesquelles Léa Santamaria (présidente), Claude Guittard (secrétaire général), Mohammed Aïssaoui, Christine Jordis, Nicolas d’Estienne d’Orves, ou encore Gérard de Cortanze — a choisi de distinguer Les Deux Tilleuls parmi une sélection exigeante.

Cette année étaient également en lice : Rien n’est plus grand que la mère des hommes de Diana Filippova (Albin Michel), Un perdant magnifique de Florence Seyvos (L’Olivier), La loi du moins fort de David Ducreux Sincey (Gallimard), Un coup de pied dans la poussière de Baptiste Fillon (Le Bruit du Monde) et Malestroit de Jean de Saint-Chéron (Grasset). Une constellation de livres forts, dont celui de Grembert, par son minimalisme même, a su tirer une force paradoxale.

Le tilleul comme totem, le frère comme trace, le temps comme matière mémorielle

« Je n’ai pas besoin de penser à toi » : cette phrase, répétée comme une comptine rituelle, irrigue le récit. C’est le talisman de l’enfant endeuillé qui refuse que l’oubli ait le dernier mot. Le tilleul, cet arbre de cour d’école planté le jour du drame, devient alors le centre symbolique de la mémoire : enraciné, silencieux, survivant. C’est à la fois le tombeau et le sanctuaire du lien perdu. Loin de toute affectation lyrique, Francis Grembert touche à l’universel par la précision du détail. Il écrit comme on taille dans le vif, sans bavure, sans décor.

Cette manière de faire parler la nature, sans animisme ni mièvrerie, évoque parfois Julien Gracq ou Pierre Michon dans leurs récits de terroir habités par le deuil et le sacré. Grembert, lui, y ajoute une tonalité d’enfance, une fragilité assumée, qui confère à son livre une humanité poignante. Ce n’est pas un tombeau littéraire : c’est une veillée. Une fraternité d’ombre et de lumière.

À l’inverse d’une société contemporaine obsédée par l’instantanéité, Les Deux Tilleuls se construit sur une autre logique temporelle. « Écrire, c’est essayer de trouver un autre temps », affirme Grembert. Le deuil, ici, ne s’inscrit pas dans un processus linéaire de guérison. Il est un tissage patient entre l’enfance et l’âge adulte, entre l’immédiateté du traumatisme et la lente remontée du souvenir. Le livre est né sur le temps long, au fil de décennies de maturation intérieure. Il n’est ni une confession ni une catharsis, mais une sorte de veille fraternelle, où l’auteur se fait « gardien du souvenir ».

Ce mystère du temps retrouvé résonne avec les textes de Proust, bien sûr, mais aussi avec les méditations de Pierre Bergounioux ou les proses silencieuses de Marie-Hélène Lafon. Chez Grembert, la ruralité n’est pas un décor. Elle est matrice, espace mental, lieu de l’empreinte. La nature ne console pas, mais elle témoigne. Elle accueille la mémoire comme elle accueille la lumière. Le titre lui-même, Les Deux Tilleuls, condense cette fusion entre le végétal et l’humain, entre le paysage et la perte.

Une écriture de l’épure et de l’essentiel

Le premier vertige de ce livre naît de sa brièveté. Une centaine de pages pour dire l’indicible : la perte, à sept ans, d’un petit frère fauché par une voiture. Une vie fauchée à quatre ans et demi. Et pourtant, quelle ampleur intérieure. Francis Grembert revendique l’économie de moyens : « La forme s’est imposée au fil de l’écriture. Dire les choses par petites touches, sans les commenter ou tenter de les analyser. »

Cette pudeur, qui semble relever du classicisme français le plus rigoureux, confère au texte une intensité sourde, comme un chuchotement obstiné qui traverse les décennies. On pense à Bobin, à Jaccottet, à Modiano même, dans leur manière de faire résonner le silence entre les mots.

Le détail y devient monde. Une pierre, un arbre, une phrase répétée comme un mantra d’enfant : « Je n’ai pas besoin de penser à toi… » Cette répétition rituelle agit comme un contre-sort face à l’absence. L’auteur évoque « des rituels intimes, associés à la nature, pour conjurer l’absence ». Rien de solennel, mais une magie de l’enfance : celle où l’on croit encore qu’on peut, par la parole, faire revenir les morts. Grembert ne surjoue jamais la douleur. Il ne l’explique pas. Il la scande. Et cela suffit.

À l’heure du numérique, de la disruption permanente et de la communication virale, un tel livre apparaît comme un contre-pouvoir. C’est une digue dressée face à la dissolution de l’attention, à l’effacement de la lenteur, à la dégradation du langage. Les Deux Tilleuls est un livre qui ne se consomme pas : il se garde, comme une photographie ancienne ou un secret transmis à voix basse. Il exige une lecture « difficile, mais lumineuse », — autrement dit, une lecture adulte.

La réflexion n’est pas neuve : elle irrigue depuis des années les travaux sur la littérature à l’ère numérique. Mais ce livre en offre une mise en œuvre sensible, incarnée. Il rappelle que l’écriture est encore capable, malgré tout, de suspendre le monde, de créer un espace de recueillement, un temps pour soi. Il nous dit que la littérature n’a pas à rivaliser avec les algorithmes : elle a juste à être là, intacte, quand tout s’effondre.

Une récompense à contre-courant du vacarme

L’attribution du Prix Cazes 2025 à ce récit intérieur n’est pas un simple hommage. C’est un geste fort. Comme le souligne Claude Guittard, secrétaire général du prix, « le Jury a été très sensible au style tout en retenue, et à l’hommage bouleversant à l’amour fraternel raconté dans cet ouvrage ». Dans un monde saturé de récits clinquants et d’opérations de marketing littéraire, Les Deux Tilleuls s’impose par sa discrétion. Il ne cherche pas à séduire. Il offre. Et cette offrande, silencieuse, touche au plus profond.

Ce n’est pas un hasard si ce texte s’inscrit dans la tradition d’un prix qui refuse les « coups littéraires ». Dans une époque où la littérature doit souvent crier pour se faire entendre, le Prix Cazes distingue ici une œuvre qui murmure — et qui, dans ce murmure, dit l’essentiel. Une fidélité rare à « une certaine idée de la culture française », comme le rappelle Guittard, entre transmission, résistance au flux et célébration du lien.

Une voix à suivre, un prix fidèle à sa vocation

Francis Grembert poursuit avec ce quatrième opus une œuvre cohérente et sans bruit. On lui connaissait déjà Ma dernière moisson (Le cherche midi éditeur en 1994), Elsie, Mairi et Dorothie, Les dames de Petvyses (2018 aux éditions de la mémoire) et enfin Petite éloge de l’alouette (chez Arlea en 2023).

Tous disaient déjà son attention au monde rural, au silence, à la mémoire. Mais Les Deux Tilleuls va plus loin : il touche à l’intime, et par là, à l’universel. Il fait ce que seule la littérature peut faire : élever le chagrin à la dignité du mythe. Raconter l’amour fraternel non par effusion, mais par dépôt, par retour.

Le Prix Cazes, fidèle à sa tradition depuis 1935, prouve une fois de plus qu’il ne cède pas à la tentation du clinquant. Il récompense un livre qui n’est pas un événement, mais une trace. Pas un cri, mais une empreinte. Pas un produit, mais un geste. En honorant Les Deux Tilleuls, il rappelle que la littérature n’a pas besoin d’exploser pour éclairer. Parfois, elle suffit à faire revivre un frère disparu, sous un tilleul, quelque part en France.

Crédits photo : Yves-Alexandre Julien – ActuaLitté CC BY SA 2.0

Jean-Luc Jeener est allé voir « La Marraine amoureuse » pour Valeurs actuelles

Théâtre : « La Marraine amoureuse » au Studio Hébertot, bonne action

Les connaisseurs savent que Benoît Marbot est un bon auteur, même si ses pièces ont trop souvent un goût d’inachevé.
Jean-Nicolas Gaitte et Sylvia Roux dans une pièce qui manque un peu de souffle. Photo © SP/GUILAINE DEPIS/STUDIO HÉBERTOT

Jean-Nicolas Gaitte et Sylvia Roux dans une pièce qui manque un peu de souffle. Photo © SP/GUILAINE DEPIS/STUDIO HÉBERTOT

La Marraine amoureuse, la dernière pièce de Benoît Marbot

Saisons de culture était au Prix Cazes 2025

Prix Cazes Brasserie Lipp 2025

Par Mylène Vignon

Un parterre impressionnant d’auteurs prestigieux, de journalistes et de personnalités germanopratines, était présent le mardi 6 mai 2025 pour honorer le célèbre prix littéraire décerné chaque année à la Brasserie Lipp à Saint-Germain-des-Prés.

Fondé en 1935 par Marcelin Cazes, le Prix Cazes récompense chaque année un auteur, pour un roman, un essai, une biographie, des mémoires ou des nouvelles.

Présentation du jury  :

Léa Santamaria (Présidente)

Claude Guittard (secrétaire général)

Mohamed Essaoui

Gautier Batistella

Mathilde Brezet

Marie Charrel

Gérard de Cortanze

Nicolas d’Estienne d’Orves

Christine Jordis

Eric Roussel

Le prix cette année 2025 a été décerné à Francis Grembert, pour son roman Les deux tilleuls (Arlea). Une histoire très sensible, explique l’auteur, qui a la suite d’une longue gestation, s’est inscrite dans la lignée des meilleurs romans de l’année.

Merci à Guilaine Depis et à sa flamboyante Balustrade, pour cette belle manifestation littéraire et pour l’accueil chaleureux réservé à notre média Saisons de Culture, abondamment représenté lors de cette soirée.

Le chef charismatique Bernstein dans « Souffle inédit » où le livre de Marianne Vourch est remarqué

Hommage à Leonard Bernstein par Marianne Vourch

Musique
Lecture de 8 min

Avec Le Journal intime de Leonard Bernstein, Marianne Vourch redonne souffle, rythme et voix à Leonard Bernstein l’homme-orchestre de West Side Story.

Le Journal intime de Leonard Bernstein de Marianne Vourch : Un bel hommage au créateur de West Side Story

Par Rodolphe Ragu

Dans Le Journal intime de Leonard Bernstein, Marianne Vourch donne la parole à l’un des musiciens les plus doués du siècle dernier. Un bel hommage à l’incroyable vitalité du créateur de West Side Story.

Le Journal intime de Leonard Bernstein de Marianne Vourch

Il n’est pas facile de résumer la vie de Leonard Bernstein : chef d’orchestre d’exception et compositeur de la plus célèbre comédie musicale du XXe siècle, ce musicien, à la fois sincère universaliste et enraciné dans le judaïsme, fut l’homme de plusieurs vies, jusque dans ses affaires privées. Mais c’est ce qu’a exactement réussi à faire Marianne Vourch, dans Le Journal intime de Leonard Bernstein, en à peine quatre-vingts pages. Il ne s’agit évidemment pas d’une compilation des notes personnelles qu’aurait laissées Bernstein. Le principe est le même que pour les autres ouvrages de la collection, comme ceux consacrés à Jean-Sébastien Bach, Rudolf Noureev ou Nina Simone. En se fondant sur une très large documentation, l’auteur imagine Bernstein racontant Bernstein, de son enfance à Boston, en pleines Années folles, jusqu’au début des années 1980. Les premières lignes forment déjà une belle synthèse. La scène se passe au temple de Mishkan Tefila, la grande synagogue de Boston : « Quand il a fini de parler, notre chef de chœur chante les musiques du compositeur Solomon Braslavsky. Sa voix est douce, il chante avec toute son âme. Puis l’orgue l’accompagne, alors c’est magnifique ! Je le fixe des yeux, il est très grand, très beau. » Dès le début, tout est donc déjà en puissance chez Bernstein : le goût de la musique, le goût des hommes, la vitalité, la sensualité !

Une vie incarnée par une voix

Pour le lecteur, il y a une alternative, dont les termes ne sont en fait pas exclusifs l’un de l’autre : le livre publié aux éditions Villanelle, divisé en sept chapitres et abondamment illustré (il y a par exemple une photographie très forte de Maria Callas, exprimant par une moue sa désapprobation au compositeur, qui tente en vain, les bras écartés, de la convaincre) ; et il y a le livre audio sous forme de podcast, en accès libre sur France Musique. Le choix de Marianne Vourch, par ailleurs productrice des Histoires de Musique sur France Musique, s’est porté sur Charles Berling pour incarner le « je » de Bernstein : c’est un choix heureux. Très à l’aise dans ce format, puisqu’il participe depuis quelques années à des podcasts d’histoire, l’acteur, par sa voix chaleureuse, habitée, donne une forte intensité au texte de l’auteur. La diction est claire et il émane de l’organe de Berling une certaine nervosité, qui capte l’ouïe de l’auditeur tout au long des sept épisodes de ce « Journal intime ». Celui-ci est de plus accompagné de nombreux extraits musicaux, qui vont de Good Night, Sweetheart à la Symphonie Résurrection, de Gustav Mahler, une variété de styles et d’œuvres qui rappelle que l’éclectisme est comme une seconde religion chez Bernstein. Car celui-ci ne dispose pas seulement d’un bagage classique : la musique cubaine, le jazz ou le chofar, qui résonnait dans la synagogue de son enfance, le jour du shabbat, se retrouvent aussi un peu partout dans toute son œuvre.

Ce que Le Journal intime de Leonard Bernstein montre très bien, c’est l’existence d’un Bernstein Beat, pour reprendre l’expression du chef d’orchestre britannique Charles Hazlewood. En effet, s’il y a un leitmotiv dans son œuvre, il n’est pas tant à chercher dans la mélodie que dans le rythme. West Side Story, la comédie musicale créée en 1957, donne les exemples les plus connus de ces jeux de rythmes syncopés, marqués par des accentuations inattendues, rythmes qui traversent les corps et sont une invitation à danser telle qu’il n’est pas possible de la refuser. Mais ces rythmes, frénétiques, électrisants, d’une contagion irrésistible, sont en fait omniprésents dans l’œuvre de Bernstein, jusque dans ses pièces dites plus sérieuses, comme la Symphonie n° 1, en apparence pure musique de concert pour public endimanché, mais en réalité partition enfiévrée, de nature à inspirer sauts, mouvements et pas chassés. Elle inspire d’ailleurs rapidement des chorégraphes contemporains. En ce sens, le livre de Marianne Vourch aidera peut-être un peu à reconsidérer son œuvre, qui a souvent fait hausser les épaules, notamment en France. Il est vrai que le compositeur a parfois donné des arguments à ses détracteurs, semblant avouer comme par un lapsus, qu’il avait quelques limites : « Aurais-je accepté de prendre la direction du Philharmonique de New York, si j’étais un vrai compositeur ? » Voilà exactement ce qu’il ne faudrait jamais dire !

Un chef charismatique

Ce que le livre rappelle évidemment, c’est l’extraordinaire talent de Bernstein à la baguette. Il fut d’abord très précoce. En novembre 1943, à seulement vingt-cinq ans, il remplace au pied levé le grand Bruno Walter, malade, pour diriger Manfred, de Robert Schumann. Le succès est immédiat, qui lui vaut la gloire d’un éloge dans un article du New York Times. Il fut aussi un chef d’une énergie prodigieuse, mettant le feu aux tempi et arrachant à chaque pupitre tout ce qu’il pouvait receler d’expressivité et de puissance rythmique. En 1958, lors de répétitions, il donne une bonne leçon aux musiciens de l’orchestre Lamoureux, qui jouent Le Sacre du printemps de façon beaucoup trop sage à ses oreilles : « Je leur ai dit qu’ils jouaient trop ‘‘français’’, que Stravinsky, c’est bar-bare, qu’ils soient barbares ! » Sur son estrade, il est frénétique, peut-être un peu trop. Karl Böhm, l’un des grands chefs mozartiens du siècle, lui demande sans ambages « d’arrêter d’agiter les bras dans tous les sens, comme cela ! »

Vitalité, sensualité, sexualité : Bernstein découvre jeune les plaisirs de l’homosexualité, sans honte, spontanément. C’est son pays ou son époque qui a honte. Le mariage avec l’actrice Felicia Cohn Montealegre donne trois enfants et se termine mal en dépit d’arrangements entre époux, qui permettent certes à Lenny d’aller voir ailleurs, mais qui finissent par devenir insupportables à sa femme. La liaison amoureuse entamée avec le compositeur Tom Cothran contribuera à l’écriture du recueil de mélodies Songfest, dont le podcast donne un extrait vraiment titillant.