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« Non à la victimisation des femmes » : Interview de Valérie Gans dans Eléments

Valérie Gans : « Non à la victimisation des femmes »

Valérie Gans : « Non à la victimisation des femmes »

Souhaitons la bienvenue à une nouvelle maison d’édition : Une Autre Voix. Sa fondatrice, Valérie Gans, journaliste, chroniqueuse, critique littéraire, romancière, a franchi le pas en créant à l’été 2023 sa propre enseigne. Une gageure, d’autant qu’elle n’a pas l’intention de verser dans le discours victimaire et le fémininement correct en vogue. Tout le contraire. #MeToo ? Pas elle ! Exaspérée par le climat de chasse à l’Homme, elle est bien décidée à faire entendre « une autre voix »…

ÉLÉMENTS : Que diable allez-vous dans cette galère de l’édition ? Vous étiez jusqu’ici une romancière comblée, publiée par Jean-Claude Lattès, et une critique au Figaro Madame. Tout allait bien pour vous dans le meilleur des mondes possibles. Or voilà que vous vous jetez à l’eau, dans la fosse aux requins. Pourquoi ? L’édition mainstream surferait-elle trop sur la vague féministe et ne laisserait-elle guère de place aux femmes qui ne se présentent pas avec un cahier de doléances et un acte d’accusation contre les hommes ?

VALERIE GANS. J’étais comblée mais je n’étais pas libre. Au fil des ans, certains mots devenaient proscrits, certains sujets étaient interdits… Un jour mon éditrice, qui était pourtant une grande dame de l’édition, m’a même dit que je devrais m’inventer une histoire victimaire pour susciter l’empathie. En un mot, m’inventer un personnage autre que celle que je suis, juste pour « plaire », et par capillarité, pour vendre. C’était le début de cette mouvance grotesque de la victimisation, qui satisfait l’appétit voyeur de notre société, ce que j’appelle l’« ère victimaire ». La langue allemande a un mot extraordinaire pour qualifier un phénomène semblable : Schadenfreude. On se réjouit du malheur des autres. On ne s’intéresse aux autres que parce qu’ils souffrent. L’ont bien compris ceux qui font de la souffrance, réelle ou inventée, instrumentalisée, un fond de commerce.

Alors oui, il m’a semblé important, et même nécessaire, de larguer les amarres, toutes les amarres, et de construire mon propre vaisseau. Je n’ai rien d’une victime, je n’ai rien contre les hommes, ni personnellement ni idéologiquement. Je suis une femme libre, désireuse de faire entendre la voix de millions de femmes libres qui ont des choses à dire elles aussi, et qu’on ne laisse pas s’exprimer parce qu’elles ne sont pas des victimes. Et la voix des hommes aussi.

ÉLÉMENTS : Sur votre site, vous vous présentez comme « femme », « blanche », « cis », « mère de famille ». Tous ces termes – « femme », « blanche », « cis », « mère de famille », a priori hétérosexuelle (encore qu’aujourd’hui tout soit possible) – comptent-ils autant pour vous ou y en a-t-il un auquel vous êtes plus attachée et qui sera le propre de votre maison d’édition ?

VALERIE GANS. Ils sont tous aussi importants ! Même si je trouve consternant pour ne pas dire discriminant et même raciste, d’avoir à se déterminer aujourd’hui par sa couleur de peau, son genre et son inclination sexuelle, il semble qu’il faille désormais constamment asséner les évidences. Alors oui, femme, blanche, cis, mère de famille, hétérosexuelle, je suis tout cela à la fois et le revendique fièrement. D’une banalité déconcertante, me direz-vous, et là encore pas du côté des victimes. Mais Une Autre Voix, dont la philosophie est de ne discriminer personne, accueille aussi volontiers des hommes blancs hétérosexuels avec des pénis… et, j’ose l’espérer, ce qui va avec !

ÉLÉMENTS : Pourquoi « Une Autre Voix » ? Vous vouliez que cette voix soit « autre » ? C’est quoi, c’est qui cette « autre » ? Un éloge de l’altérité (ce que dit l’étymologie) ? L’autre pour un homme, c’est une femme, et réciproquement. Cette autre voix témoignerait-elle en faveur de la différenciation sexuelle ?

VALERIE GANS. L’«autre » d’Une Autre Voix est l’altérité. Et je dirais même plus : l’altérité de l’altérité. Aujourd’hui, avec les dogmes du wokisme, la théorie critique de la race, la théorie du genre et le pompon, cette grande fumisterie intellectuelle qu’est la théorie intersectionnelle, l’altérité est à sens unique : celui de la victime, de la minorité.

La mission que se donne Une Autre Voix est de faire entendre toutes les voix, en particulier celles que l’on fait taire, et qui sont nombreuses. Plus nombreuses peut-être… Et la voix du bon sens. Qui témoigne, entre autres, de la différenciation sexuelle. Il n’y a qu’à ouvrir les yeux.

ÉLÉMENTS : Comment vous situez-vous par rapport à #MeToo, à #BalanceTonPorc, au wokisme, à la cancel culture ? Et comment se situera votre maison d’édition ?

VALERIE GANS. #MeToo et #BalanceTonPorc sont abjects, le wokisme et la cancel culture sont des fourvoiements intellectuels, voire des manipulations totalitaires dont je n’arrive toujours pas à comprendre qu’ils soient aussi suivis. C’est à croire que le bon sens, la nuance, la réflexion, l’observation même ont complètement disparu de notre civilisation.

Soljenitsyne disait : « Pour faire le mal, l’homme doit d’abord croire qu’il fait le bien. » C’est exactement ce qui est en train de se passer avec #MeToo, #BalanceTonPorc, le wokisme et la cancel culture ! On stigmatise les uns et les autres en les répartissant en deux ensembles : celui des oppresseurs et celui des oppressés. On les incite à la haine. On embrase les masses avec un discours victimaire, afin qu’elles prennent parti du côté des « minorités opprimées ». Et on efface socialement toute personne qui oserait prôner un avis contraire. Aussi ahurissant que cela puisse paraître, ça marche ! Pire : cela a tellement pénétré les mentalités que d’aucuns vous diront aujourd’hui : « Le wokisme ? On n’en parle plus, il y a un retour en arrière ! » alors qu’il n’a jamais été aussi présent. Simplement, tel un virus, il nous a infectés, et poursuit désormais ses dommages de l’intérieur.

C’est, pour reprendre l’expression géniale de Mathieu Bock-Côté, le totalitarisme sans le goulag.

Pas de ça chez Une Autre Voix !

ÉLÉMENTS : Que vous inspirent toutes ces « affaires », de Polanski à Depardieu, en passant par dix autres mâles blancs de plus de 50 ans ?

VALERIE GANS. Une chasse aux sorcières. Et une manne économique.

Je m’interroge sur deux points : pourquoi la cabale ne s’applique-t-elle qu’aux personnalités connues et « bankables », et pourquoi, comme vous le soulignez fort justement, ne parle-t-on que des mâles blancs de plus de 50 ans ? Serait-ce à dire qu’eux seuls sont des prédateurs ? Ou que, selon les principes du wokisme ambiant, eux seuls sont des prédateurs politiquement et médiatiquement fustigeables ?

Souvent, je pense à toutes ces gamines qui se font violer jour après jour et dont on ne parle pas. Parce que leur malheur, à elles, ne rapporte rien à personne. Ne sont-elles pas les premières victimes du grand cinéma #MeToo ?

ÉLÉMENTS : Disant cela, vous n’ignorez pas qu’on ne manquera pas de vous accuser de servir la « domination masculine », pour ne rien dire de la violence masculine. Que répondrez-vous ?

VALERIE GANS. Ce n’est pas servir la domination – ou la violence – masculine que de faire preuve de discernement. Certaines « affaires » sont réelles, brutales et tout à fait dramatiques… mais ce sont rarement celles qui font la Une des journaux. Ces crimes n’ont généralement pour écho que le silence assourdissant des néo-féministes.

ÉLÉMENTS : La « voix » du féminisme – et un féminisme agressif et belliqueux – a fini par recouvrer la voix des femmes. C’est une frustration pour vous que ces féministes aient le monopole du discours féminin et en viennent à parler en votre nom ? Pourquoi ne vous reconnaissez-vous pas dans ce discours ? Que lui reprochez-vous ?

VALERIE GANS. Plutôt que de défendre les femmes de manière positive, ce qui était au départ la raison d’être du féminisme, en leur ouvrant la voie de l’éducation, de l’égalité dans l’entreprise, en leur donnant le droit de vote, etc., le féminisme aujourd’hui ne se construit que contre les hommes. Nous sommes là encore dans cette optique binaire de bons et de méchants, de victimes et d’oppresseurs.

C’est simpliste. Et pour nous, les femmes, c’est dégradant. C’est faire insulte à notre intelligence et à notre liberté que de nous reléguer constamment au rang de victimes. Les harpies du féminisme, tout comme les pleurnicheuses, desservent notre cause en voulant la défendre. Mais veulent-elles seulement la défendre, ou n’est-ce qu’un prétexte facile pour conspuer des hommes qu’elles haïssent ?

Le féminisme aujourd’hui a triste mine, en ce sens qu’il détruit plus qu’il ne construit, et ne grandit pas celles qu’il prétend défendre.

ÉLÉMENTS : Vous annoncez la sortie d’un roman, La Question interdite. Quel en sera le sujet ?

VALERIE GANS. Il est déjà en vente sur le site d’Une Autre Voix !

Inspiré de faits réels, La Question interdite raconte l’histoire d’un homme accusé par une jeune fille. Avant même d’avoir été jugé, acculé par des campagnes de haine tant dans la presse que sur les réseaux sociaux, il perd tout. Y compris la vie.

Vingt ans après et contrairement à ce qui se passe actuellement, à l’heure où des femmes dénoncent des histoires passées et souvent juridiquement prescrites, l’héroïne, au lieu d’accuser l’homme, va tenter de le réhabiliter et de défendre sa mémoire.

Prenant le contrepied de #MeToo, interrogeant la présomption d’innocence et le fait de pouvoir remettre en cause – ou non – la parole des femmes et des jeunes filles, ce roman devait être publié par mon éditeur historique. Pour une raison que j’ignore encore à ce jour, celui-ci a pris peur et s’est désisté.

N’étant pas le seul auteur confronté à cette omerta, j’ai décidé d’être libre et de ne dépendre de personne. Et de faire bénéficier de mon expérience et de cette liberté à tous les écrivains ostracisés par le wokisme ambiant.

Une Autre Voix est la voie de cette liberté.

Pour aller sur le site d’Une Autre Voix : www.uneautrevoix.com

France inter reçoit Josiane Balasko racontant « Mon manège à moi » d’Edith Piaf

Josiane Balasko raconte « Mon manège à moi » par Edith Piaf : réécouter ICI

Elle prête sa voix au nouveau podcast de France Musique « Le journal intime d’Édith Piaf ». Au micro de Frédéric Pommier, Josiane Balasko évoque un classique du répertoire de la chanteuse : « Mon manège à moi », chanson qui lui rappelle instantanément son enfance. (Rediffusion de l’émission du 6/6/2023)

Avec
  • Josiane Balasko Comédienne, réalisatrice, metteur en scène et romancière

Pourquoi a-t-elle choisi cette chanson ? Qu’évoque-t-elle pour la comédienne ?

Josiane Balasko nous raconte également sa rencontre avec la chanteuse.

Léna Lutaud dans Le Figaro a adoré le Journal intime de Piaf lu par Josiane Balasko (et écrit par Marianne Vourch)

Josiane Balasko redonne vie aux souvenirs d’Édith Piaf

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Avoir été choisie pour incarner la Môme fait infiniment plaisir à Josiane Balasko. LOIC VENANCE/AFP

La comédienne a enregistré Le Journal intime de la chanteuse, pour un podcast de Radio France. Une grande réussite.

Seule face au micro dans un studio de Radio France, Josiane Balasko est concentrée«J’aime bien imaginer que je suis tombée du nid le 19 décembre 1915. (…) Ma grand-mère, elle est marocaine. On l’appelle Aïcha. Elle travaillait dans un cirque où elle faisait un numéro de puces sauteuses! Ma mère, elle chante dans des cabarets. Il paraît qu’elle a une très belle voix. J’sais pas, j’la connais pas.»

D’emblée, Josiane Balasko se glisse dans le personnage d’Édith Piaf. Elle s’efface même. Elles n’ont pas la même voix mais leur gouaille de titi parisienne est identique. À quelques décennies d’intervalle, ces deux artistes populaires ont vécu dans les mêmes quartiers de Belleville et de Montmartre. «Édith Piaf me rappelle mon enfance dans les années 1950-1960. Dans le café de mes parents, ses chansons étaient souvent diffusées sur le juke-box. Josiane Balasko avait 13 ans quand Édith Piaf est décédée à 48 ans. L’habillage sonore de l’enfance de Piaf nous plonge dans les années 1915-1930. Quand résonne Nuits de Chine (1922), on imagine un film en noir et blanc.

Ne jamais rien lâcher

Avec 2 millions d’écoutes à la demande, le podcast «Le Journal intime de…» est l’un des grands succès de Radio France. D’Édith Piaf, les auditeurs retiendront qu’il ne faut jamais rien lâcher quand on a une passion mais qu’il faut beaucoup travailler. Après Rudolf Noureev raconté par Lambert Wilson, Maria Callas par Carole Bouquet ou encore Bach par Denis Podalydès, avoir été choisie pour incarner la Môme fait infiniment plaisir à Josiane Balasko.

C’est une jolie expérience pour ses 50 ans de carrière. Un défi artistique aussi, tant l’exercice sur la ligne de crête. «Sans bouger, sans décor, sans lumière, sans personne à qui donner la réplique, il faut rendre le texte vivant, explique l’actrice. Il faut alterner la lecture du texte et d’un coup s’incarner dans la personne sans faire d’imitation.»

Josiane Balasko a travaillé les textes chez elle et a réécouté les chansons comme Non, je ne regrette rien. Pas question de chanter les airs de la Môme pour autant. «Je suis actrice et réalisatrice, pas une chanteuse même si j’ai chanté dans Tratala, film des frères Larrieu sorti en 2021. Les chansons de Piaf, je vais les scander, les fredonner.» Ses sept épisodes de dix minutes chacun seront diffusés sur francemusique.fr et sur l’appli Radio France dès le 10 avril avec la sortie d’un livre en complément (*).

Il faut alterner la lecture du texte et d’un coup s’incarner dans la personne sans faire d’imitation

Josiane Balasko

Destinés à perpétuer la mémoire de grands artistes, «le journal intime de…» a eu un succès immédiat. «Spécialiste des concert pour le jeune public où je reliais leurs cours d’Histoire à celle des Arts pour qu’ils aient un panorama complet», la productrice Marianne Vourch a d’abord écrit Le journal intime de Mozart à la demande d’un éditeur. «Je rédigeais en l’entendant, d’où l’idée du podcast», se souvient-elle. À la radio, la production si élaborée est conçue par un quatuor. Jean Brémont se charge des archives. Marianne Vourch produit et écrit le texte. Après avoir enregistré la voix nue du comédien, la réalisatrice Sophie Pichon fait le montage en ajoutant les bruitages et la musique. «Je fais sortir les reliefs, je crée un rythme pour susciter des émotions. Je tricote puis le preneur de son Valentin Azan colorie mon tableau.» Et d’ajouter: «Chaque série est chronologique puisqu’il s’agit d’un journal intime mais ils ne vont pas systématiquement de la naissance à la mort. Celui sur Piaf s’arrête à sa rencontre avec Théo Sarapo.»
La réalisatrice a une coquetterie: elle glisse un gimmick sonore qui revient dans chaque épisode. À chaque fois que Chopin tombe malade, le générique de La Quatrième dimension revient et se déforme de plus en plus. Pour Rudoph Noureev, ce sont des chants traditionnels associés aux frottements de pointes sur un parquet de danse. Les prochains journaux intimes seront ceux de Leonard Bernstein, Charlie Chaplin et de Marilyn Monroe. Reste à trouver les voix associées.

Sept épisodes (dix minutes chacun) sur francemusique.fr et sur l’appli Radio France dès le 10 avril. À lire Le Journal d’Édith Piaf, de Marianne Vourch, 84 pages, 24 €, Éditions Villanelle.

Le docteur en Sciences politiques Alain Sueur apprécie Francis Coulon

Francis Coulon, Sortir de la société en crise

Un livre de philosophie ? Ou un livre d’économie ? Les deux en synthèse, soit un livre « d’économie politique », comme on en faisait avant la mode de l’économétrie et de la mathématisation rationaliste du monde. On sait les errements du tout mathématisable, des délires de la raison rationaliste, les cygnes noirs jamais envisagés, les queues de distribution négligées, le racornissement de l’être humain dans les cadres préformatés des modèles. On sait que cela a conduit à la crise des subprimes en 2008, à l’effondrement de l’hôpital sous le quantitatif, à l’écart croissant entre les élites formatées maths qui « croient » en leur vérité calculable et le peuple qui demande des relations humaines. Francis Coulon, qui a beaucoup vécu, retourne aux sources.

L’une des voies européennes est libérale, pragmatique, utilitariste ; c’est celle des pays anglo-saxons et des pays du nord européen. Ceux qui réussissent le mieux à s’adapter au monde dans l’histoire. L’autre voie européenne est autoritaire, dogmatique, idéologique ; c’est celle des pays latins et orthodoxes, dont la France. Les pays trop rigides et bureaucratiques qui s’adaptent le moins bien au monde tel qu’il va.

Pour mieux faire, et régler « la crise » qui ne cesse de tourmenter la France et les Français depuis un demi-siècle (la fin du septennat Giscard), il faut réévaluer la philosophie utilitariste. En 5 parties et 21 chapitres, l’auteur étaie sa démonstration, d’une plume alerte et sans jargon, facile à lire – et passionnante en ce qu’elle brasse des dizaines de philosophes, de littérateurs et d’économistes, depuis Aristote jusqu’à Gaspard Koenig.

Qu’est que l’utilitarisme ?

C’est tenir compte des conséquences de ses actions plutôt que de ses intentions, résume Jeremy Bentham, l’un des pères. « Michel Foucault vint à mon secours en déclarant : Bentham est plus important pour notre société que Kant et Hegel » p.12. Cette façon de voir est proche de celle d’Aristote dans son Éthique à Nicomaque. « J’avoue avoir une grande admiration pour Jeremy Bentham et John Stuart Mill. Ils m’apparaissent comme modernes, ouverts et profondément humanistes. Ils vont contribuer au progrès de leur pays, en favoriser la libéralisation et faire reconnaître les droits de nombreuses minorités. Les deux philosophes ont un point commun : ce sont de grands intellectuels, capables de produire un énorme travail de réflexion et de conceptualisation dans des domaines aussi divers que la philosophie, la politique, l’économie, le droit » p.39.

L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit la sagesse populaire ; le paradis consiste à plutôt considérer leurs effets. Stuart Mill ajoute à cette définition la liberté individuelle et la justice. Les actions sont « morales » si les actions assurent le plus grand bonheur au plus grand nombre – et non pas si elles obéissent sans discuter aux lois, règles et « déontologie » (en grec, discours sur ce qu’il FAUT faire), la « science de la morale » selon Jeremy Bentham, dont il fait le titre de l’un de ses livres. Les cultivés reconnaîtront la célèbre distinction de Max Weber entre éthique de conviction (dogmatique et morale) et éthique de responsabilité (pragmatique et utilitariste). Les deux évidemment se complètent, les règles admises étant des rails pour leur adaptation en fonction des circonstances (p.67). D’où la liberté… régulée.

C’est inverser le tropisme catholique, romain et français d’édicter les commandements avant de vérifier si les actions y obéissent, ou de faire toujours d’autres lois sans vérifier leur application. A l’inverse, il est plus utile de considérer la balance des avantages et des inconvénients de toute décision, car chacune est particulière : le mensonge n’est pas moral – mais peut-on mentir au Nazi pour protéger le Juif qui se cache chez vous ?

L’auteur prend toujours des exemples concrets et actuels, pour sa démonstration, y compris dans les films. Un récent exemple est celui du vaccin contre le Covid : fallait-il vacciner massivement avant d’avoir tout le recul nécessaire pour mesurer l’ensemble des effets secondaires possibles (et sauver ainsi la majorité de la population) ou attendre « selon les règles » que toutes les procédures aient été évaluées ? J’ajoute (ce n’est pas dans le livre, qui évite toute polémique) que c’est la propagande russe, jalouse de la réussite occidentale en matière de vaccins bien meilleurs que le sien, qui a tenté de faire croire au complot absurde des nanoparticules inoculées pour rendre docile (et il y a des cons pour le gober !) Faut-il préférer la manière russe des élections truquées, de l’emprisonnement des opposants, du poison, du goulag et de la balle dans la tête pour rendre docile ?

Une utilité n’est pas un expédient, pas plus que le bonheur n’est le plaisir. Affiner la pensée par la différence de sens des mots permet de mieux raisonner. La souveraineté de l’individu, grande conquête des Lumières, est en faveur de la liberté en premier ; l’égalité ne peut être que de moyens, pas de résultats. Contrairement à Kant et aux moralistes bibliques, il faut préférer l’expérience aux principes. Ce qui marche doit être encouragé, pas ce qui obéit à l’idéologie. John Stuart Mill « La justice est que chaque personne obtienne (en bien ou en mal) ce qu’elle mérite. » La loi raisonnable est celle qui assure le respect de la liberté de chacun, dans le respect de celle des autres. Pas plus, pas moins.

On ferait bien d’en tenir compte avec les « agriculteurs » : jusqu’à quel scandale de santé faut-il autoriser les pesticides ? L’accaparement de l’eau, bien commun ? Mais aussi avec « les syndicats » en France. « On peut opposer l’approche des centrales syndicales nationales, politisées, démagogiques, qui adoptent devant les médias une posture souvent négative – et le réalisme, la recherche de l’utilité, des syndicalistes de terrain au sein de l’entreprise. La contradiction la plus manifeste étant celle de la CGT qui, au niveau central, défend une position critique, anticapitaliste, et qui, au niveau local, accepte de signer 50% des accords d’entreprise » p.62. L’auteur, qui a travaillé chez Danone plusieurs années, prend l’exemple de son patron Antoine Riboud et de son fameux « discours de Marseille » en 1972 (les années Pompidou!) où il a prôné pour son entreprise un projet économique ET qui prend en compte l’humain. Son fils Frank élargira cet humanisme des salariés (formation, participation, intéressement, dialogue social) aux clients et aux collectivités locales, prenant en compte dans ses objectifs économiques une responsabilité humaine, environnementale et citoyenne. J’avais donné ce même exemple il y a une douzaine d’année à mes étudiants en école de commerce.

L’ancien roi du Bhoutan a voulu, en bon bouddhiste, mesurer le bonheur de son peuple. Le Produit national brut ne suffit pas car l’argent et les biens ne font pas à eux seuls le bonheur. Il a donc imaginé ajouter d’autres critères, que l’ONU a repris dans l’indice de Bonheur intérieur brut (World Happiness Report). Les résultats montrent que les fondamentaux économiques sont évidemment importants (le revenu par tête), mais que la liberté de faire des choix, l’espérance de vie à la naissance, la politique sociale, la générosité, la perception de la corruption, le sont aussi. En tête de liste apparaissent les pays du nord de l’Europe : Norvège (numéro 1), Danemark, Islande, Finlande, Suède, en queue les pays africains puis communistes (Cuba, Vietnam, Corée du nord en bon dernier) – La France n’est que 31: en cause, les tracasseries réglementaires et administratives sans nombre et les prélèvements obligatoires élevés qui brident l’initiative.

Francis Coulon milite donc pour un libéralisme régulé à la danoise : le maximum de libertés dans le cadre défini par la société. Daron Acemoglu, économiste turco-américain né en 1967, étudie pourquoi certains pays réussissent mieux que d’autres et observe une corrélation entre institutions et développement économique. Selon l’économiste français Philippe Aghion, qui préface l’ouvrage en français, « Les pays prospères disposent d’institutions inclusives permettant à la population de limiter l’exercice du pouvoir politique, et à chacun d’exercer des activités économiques conformément à son choix et ses talents – tout particulièrement si celles-ci sont innovatrices et entraînent la destruction créatrice des industries obsolètes. En d’autres termes, les structures démocratiques permettent le développement économique alors que le despotisme confisque la croissance au profit d’une élite, à travers une économie extractive » p.182. Les exemples opposés de la Russie et des États-Unis est flagrant. Dans l’histoire, les deux Corées ou les deux Allemagnes ont montré l’écart qui se creuse de façon abyssale entre un régime de libertés et un régime despotique pour un même peuple dans une même géographie.

Il reste que « la gauche » en France, tout imbibée de marxisme depuis ses jeunes années, ne « croit » pas au système capitaliste, et même deux fois moins que les Chinois, pourtant en régime toujours communiste ! (p.203). L’idéologie de la redistribution les aveugle, un égalitarisme de principe ne conduit pas à l’optimum du bonheur pour le plus grand nombre mais crée des assistés permanents et une économie inefficace. Plutôt que de renforcer son industrie pour exporter, la France a choisi « d’aider » les canards boiteux et les filières en déclin (les aciéries, le textile) et elle a développé la dépense publique (la plus élevée de l’OCDE) par l’impôt et la dette, qui handicapent l’investissement. Le rapport qualité/coût de l’État-providence à la française est négatif par rapport aux pays anglo-saxons plus souples et surtout aux pays d’Europe du nord sociaux-démocrates ou sociaux-libéraux (comme « nos » socialistes n’ont jamais réussi à être). Les tableaux de comparaison pages 206 et 207 sont éclairants ! La croissance française sur vingt ans (depuis 2000) est plus faible, le chômage plus fort, le déficit public plus élevé, la compétitivité nettement inférieure, la liberté personnelle et économique plus discutable (34e pour la France, 8e pour la Danemark), le Bonheur intérieur brut minable, le rang Pisa affaibli et l’indice de Gini des inégalités pas franchement meilleur.

« Je trouve qu’en France il y a trop d’État, trop d’impôts, trop de normes, trop de bureaucratie, ce qui a comme conséquence de brider le marché et génère moins de croissance, plus de chômage et même à une insatisfaction générale. Une répartition équitable doit être l’objectif mais il ne faut pas passer ‘de l’autre côté du cheval’ et décourager l’initiative et l’innovation, les principaux leviers de la croissance. Il faut tirer vers le haut l’ensemble de la population : plutôt que ‘toujours plus’ d’assistance, il faut être sélectif et, chaque fois que c’est possible, dynamiser les moins favorisés par la formation, l’incitation et la sacralisation de la valeur travail » p.210. La flexisécurité danoise est un très bon exemple : liberté de licencier vite, mais formation obligatoire et suivi attentif des chômeurs.

L’auteur fournit pages 225-259 (soit plus de 10 % du livre) dix cas concrets d’application de l’utilitarisme (partie 5). Il évalue aussi les présidents de la Ve République sur le meilleur compromis entre efficacité, liberté et équité. Georges Pompidou en ressort vainqueur, mais aidé par son époque pré-crise. Chirac reste le pire, n’ayant aucune volonté d’une quelconque réforme, forcément impopulaire. Sarkozy a été brouillon, Hollande n’a pas assumé et Macron a été peu efficace au début, avant de comprendre que l’autoritarisme payait. Mais la réforme des retraites reste un échec et sera à remettre sur le métier, l’organisation de l’État en millefeuille n’a même pas été abordée.

Un très bon livre d’actualité qui offre une profondeur historique des idées et apporte à toute critique une solution pragmatique possible. Très intéressant.

Préface de Christian de Boissieu professeur émérite à l’université de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne), vice-président du Cercle des Économistes.

Francis Coulon, Sortir de la société en crise – La philosophie utilitariste au service du bien commun, VA éditions 2023, 281 pages, 20,00

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