VALEURS ACTUELLES N°3976
DU 7 AU 13 FÉVRIER 2013
GUIDE CULTURE
Albert Cossery, le dandy altier *** (trois étoiles = très bon livre) – Par Bruno de Cessole
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Les princes de ce monde ne sont pas ceux qu’un vain peuple pense : vedettes du ballon rond à demi lobotomisées, starlettes botoxées, milliardaires clinquants ou politiciens fiers de leur inculture. Ce sont, tout à l’encontre, des marginaux discrets, souverainement libres, allégés des pesanteurs sociales, affranchis des contingences élémentaires, et qui dédaignent de perdre leur vie à la gagner. Héritier de Diogène le Cynique et du Neveu de Rameau, Albert Cossery, écrivain égyptien de langue française, figure tutélaire de Saint-Germain-des-Prés, était l’un de ces princes ignorés, qui n’apparaissent jamais en couverture des magazines, et dont les frasques subtiles ne défraient pas la chronique. « N’être l’esclave de rien ni personne » : il fut, toute sa longue vie, adonnée à l’art difficile du farniente, fidèle à cette intransigeante devise.
Né au Caire en 1913, dans une famille relativement aisée, il tenait de son père que la divine paresse, loin d’être une tare, est le luxe des esprits libres et contemplatifs. Très vite, il sut que la seule ambition digne d’être poursuivie se confondait avec la littérature, et que la « vraie vie », la seule digne de ce nom, se déroulait en marge des circuits balisés et des plans de carrière. Baudelairien, Albert Cossery le fut non seulement dès ses premiers poèmes, mais dans son inimitable art de vivre, voué au culte de la beauté et des charmes féminins, dédaigneux de la rentabilité du temps et de toute possession matérielle. Si attaché qu’il fût à sa ville natale et à sa faune bigarrée, il prit conscience qu’il lui fallait s’épanouir hors de cet horizon borné.
C’est à Paris qu’il trouva son lieu et sa formule, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Locataire impécunieux, durant quarante ans, de la chambre 58 à l’hôtel La Louisiane où il devait mourir, comme Oscar Wilde, au-dessus de ses moyens, il mena dès lors, entre le Café de Flore et le Jardin du Luxembourg, une existence de sybarite dédiée aux amours fugaces, aux virées nocturnes, et à la gestation capricieuse d’une oeuvre romanesque aussi mince qu’exigeante.
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Bruno de Cessole
Monsieur Albert. Cossery, une vie, de Frédéric Andrau, Éditions de Corlevour, 280 pages, 19,90 €