Par Dominique Vian et Quentin Tousart, auteurs de « Partir de soi pour changer le monde à son échelle » avec les méthodes effectuales (https://effectual-impact.com/
Dans ce contexte de crise aiguë, la situation humanitaire à Gaza représente une urgence des plus critiques. La diplomatie s’efforce alors de concentrer ses efforts autour de l’aide humanitaire, tâchant de réduire les pertes humaines conséquence d’une intervention israélienne en cours. Mais ne faudrait-il pas aussi envisager d’autres moyens d’agir, en tirant parti des dimensions plus complexes de la situation ?
C’est ici que nous devons prendre un moment pour réfléchir à notre processus de prise de décision. En général, nous avons tendance à suivre une séquence systématique : nous identifions un problème, nous déterminons la cause que nous jugeons principale, puis nous cherchons une solution qui annule cette cause. Dans le cas présent, le raisonnement pourrait être le suivant : le Hamas a attaqué Israël, le Hamas est une organisation terroriste qui veut la mort d’Israël, donc il faut l’éliminer. C’est un raisonnement réflexe, une réponse instinctive à une situation de crise.
Cependant, ce type de raisonnement peut nous enfermer dans une logique de confrontation et nous empêcher de voir d’autres options. Il est important de comprendre que chaque problème est un nœud dans un réseau complexe de causes et d’effets. En se concentrant uniquement sur la cause immédiate, nous risquons de négliger d’autres facteurs qui pourraient offrir des pistes pour agir efficacement et durablement.
Pour sortir de ce raisonnement réflexe, nous pouvons proposer une expérience de pensée. Au lieu de se concentrer sur le problème immédiat (l’attaque du Hamas), nous pouvons nous demander : « Qu’est-ce qui changerait si ce problème était résolu ? » En d’autres termes, nous pouvons envisager les implications globales d’une résolution du conflit.
Cette approche nous permet de voir au-delà du conflit immédiat et de comprendre comment sa résolution pourrait affecter d’autres domaines. Par exemple, la fin du conflit pourrait permettre le développement des échanges commerciaux entre Israël et la Palestine, apaisant ainsi les tensions régionales. Elle pourrait également ouvrir la voie à une cohabitation pacifique entre Israéliens et Palestiniens, transformant ainsi les relations internationales.
Face à un problème insoluble, une possibilité inattendue peut émerger d’un raisonnement non intuitif. C’est ici qu’intervient la méthode FOCAL qui propose de systématiser une réflexion autour des effets du problèmes qui se trouvent être des enjeux de notre volonté d’agir. Plutôt que de se focaliser exclusivement sur le conflit lui-même, la méthode FOCAL propose d’élargir notre regard pour englober ses implications plus larges.
Imaginez un instant une situation où les dirigeants israéliens et palestiniens s’accordent sur une solution à deux États. Les effets d’une telle résolution seraient loin de se limiter à la cessation des hostilités. Ils déborderaient bien au-delà des frontières de ces deux nations, ayant un impact sur l’économie, la politique et la société sur une échelle globale.
L’un des premiers effets serait le développement des échanges commerciaux entre les deux États et leurs partenaires internationaux. Cela apaisera non seulement les relations avec ces derniers, mais aussi celles des pays accueillant d’importantes diasporas israéliennes ou palestiniennes. Les peuples israélien et palestinien eux-mêmes pourraient envisager un futur de cohabitation pacifique.
Mais les conséquences s’étendent encore plus loin. La résolution du conflit pourrait débloquer des coopérations internationales sur des enjeux majeurs, tels que le climat, qui sont souvent relégués au second plan en temps de crise. Elle pourrait aussi marquer le début d’une ère de coopération inédite ouvrant la voie à une transformation majeure du paysage diplomatique mondial. Si une coexistence pacifique entre Israël et la Palestine devient possible, alors elle deviendrait envisageable partout. Ainsi, par cette démarche, nous sommes amenés à reconsidérer nos connaissances et à envisager de nouvelles possibilités d’action mais cette fois-ci au niveau des effets.
Agir en considérant l’enjeu climatique permet de penser que le terrorisme et de nombreux états qui veulent changer l’ordre mondial sont très souvent financés grâce à la manne financière du pétrole, du gaz ou du charbon. C’est le cas notamment des États comme l’Arabie saoudite, l’Iran qui finance le Hezbollah, le Qatar et la Russie.
Ainsi, il semble que le climat et la sobriété énergétique deviennent de potentielles clefs pour la paix, non seulement au Moyen-Orient, mais aussi dans nos propres contrées. En reliant les problèmes entre eux, on ouvre de nouvelles perspectives d’actions et l’on trouve ici de nouveaux arguments pour accélérer la transition énergétique.
Parallèlement, le changement climatique perturbe le Moyen-Orient avec des sécheresses de plus en plus fréquentes et des migrations de population à venir. En accélérant la transition énergétique, nous pourrions faire d’une pierre plusieurs coups : assécher les sources de financement de nombreux Etats voyous, réduire les migrations de populations, sources de perturbations géopolitiques supplémentaires.
Dans un monde complexe comme le nôtre, n’est-il pas temps d’affronter nos problèmes en exploitant toutes les possibilités offertes par la logique moyens effets (logique effectuale). En somme, la méthode FOCAL nous invite à repenser nos modes de raisonnement, pour affronter avec ingéniosité et pragmatisme les défis majeurs de notre époque.
Finalement, ce mode de raisonnement n’est pas nouveau et à montré que dans l’histoire, certains ont su nous faire sortir d’impasses. C’est le cas de l’abolition de l’esclavage en Angleterre au 19° siècle très bien décrit dans le film Amazing Grace de Michael Apted (2012). William Wilberforce aidé de l’avocat James Stephen a lutté pour l’abolition de l’esclavage en décidant de s’attaquer à un maillon critique du système : le transport maritime. En retirant la protection des navires sous pavillon de complaisance américain, l’esclavage est devenu non rentable car le coût du transport des esclaves a été immédiatement renchéri. Plus aucun armateur ne voulait risquer de perdre son bateau devenu impossible à assurer. Une main d’œuvre locale payée devenait moins chère qu’un travail gratuit de personnes transportées. Ceci met en lumière trois règles pour surmonter des défis complexes.
La première règle est de ne jamais s’attaquer frontalement à un système, car il se défendra. C’est ce qu’a appris William Wilberforce, qui a lutté pour l’abolition de l’esclavage. De même, le Hamas s’est retranché dans ses tunnels et mobilise ses alliés pour se défendre.
La deuxième règle est de s’attaquer à un maillon critique du système. Dans le cas de l’esclavage, c’était le transport maritime. Pour le conflit israelo palestinien, c’est la transition énergétique.
La troisième règle est que tout ce qui ne se voit pas ne se conçoit pas. Agir sur la périphérie du système permet d’éviter les réactions des détracteurs. Toute action de transition énergétique semble déconnectée du problème pour la plupart des gens, ce qui n’est pas le cas.
Ces règles s’appliquent à toute transformation d’un système en place et elles soulignent l’importance de comprendre comment agir dans un système complexe pour transformer des problèmes apparemment insolubles.
C’est en changeant notre façon de voir les choses et de raisonner, que nous pourrons enfin trouver des moyens d’agir en face de problèmes les plus inextricables.
Dominique Vian et Quentin Tousart
Dominique Vian est professeur associé en cognition entrepreneuriale à SKEMA Business School. Docteur en sciences de gestion de Telecom ParisTech, Dominique Vian est l’auteur de six méthodes effectuales déjà utilisées dans une soixantaine d’incubateurs, pépinières, technopoles, mais aussi par des consultants en stratégie d’entreprise, des directions générales et d’innovation (notamment ISMA360 et FOCAL).
Quentin Tousart a créé à l’âge de 22 ans, la startup e-commerce Webdistrib qu’il a pu revendre prospère en 2006. Avec un esprit créatif et novateur, il a alors créé Webpulser, une agence e-commerce qui connaît également un joli succès. Ses valeurs principales sont la coopération, l’espoir et la liberté.