L’entretien philosophique de Marc Alpozzo avec Jean-François Charles repris dans la magazine papier Question de philo
Catégorie : ACTU New Flore Music (Jean-François Charles & Anika Kildegaard)
Entretien philosophique avec Jean-François Charles sur « Missa Brevis » de New Flore Music
La cancel culture est-elle le cancer de la culture ?
La musique classique serait trop blanche sur Radio Classique pour la radio d’État France Culture. Elle serait même, disons-le, la production d’une culture musicale « blanche » et de bon ton[1]. Faudra-t-il canceler la musique classique, comme il faudra un jour, selon ces redresseurs de torts payés avec l’argent de nos impôts, brûler les romans classiques, les recueils de poésies, les chansonniers d’avant, etc. ? Pour ne pas sombrer dans cette nouvelle forme de nihilisme, continuons de célébrer notre culture, et pourquoi ne pas en plus mélanger les genres.
Entretien avec Jean-François Charles
C’est le pari de Jean-François Charles, compositeur français vivant aux États-Unis, faisant paraitre l’album Missa brevis Abbaye de Thélème, qui est un album inclusif, mêlant le texte, la musique, le silence et la contemplation, avec la voix d’Anika Kildegaard, qui chante Baudelaire, Rabelais, Rimbaud, Verlaine, François Villon, un peu comme un disque hors du temps, ou à contretemps, inactuel, loin des modes et des dogmes de l’époque. Rencontre.
Marc Alpozzo : Cher Jean-François Charles, vous êtes un compositeur français vivant et enseignant votre art outre-Atlantique à l’Université de l’Iowa. Vous avez choisi de lutter contre ce que l’on peut appeler deux cancers de notre culture occidentale, à savoir le danger des fanatismes religieux réactionnaires, dont la secte QAnon est l’exemple le plus abouti aux États-Unis, et la Cancel Culture réclamée par les progressistes woke, et qui vient encore de faire des ravages chez nous avec la cabale, ou chasse aux sorcières, lancée contre notre icone nationale Gérard Depardieu. Les deux ont en commun de porter atteinte à la création littéraire, à la liberté de langage, à l’expression de tout ce qui faisait, comme le disait votre maître, Rabelais, la substantifique moelle du genre humain. Est-ce que vous pensez que nous avons une chance de sortir de cette spirale infernale ? Je me suis laissé dire qu’aux États-Unis le wokisme était en fin de course.
Jean-François Charles : L’album Missa brevis Abbaye de Thélème se veut extrêmement inclusif. Il s’agit tout d’abord d’un album concept avec une claire trajectoire depuis l’accueil jusqu’à l’envoi dans le monde (Ite, missa est dans le sens de « Allez, c’est la mission »). Il s’agit aussi d’une collection de chansons invitant des influences toutes aussi importantes les unes que les autres, depuis Pink Floyd jusqu’à Stockhausen (avec qui j’ai travaillé) en passant par Mylène Farmer, Dr. Dre, Albert Ayler, les musiciens de l’ARFI de Lyon, Michael Jackson ou Lady Gaga. Cet album fait sien l’utopie d’unir, d’accueillir, d’accepter, et toujours d’être ouvert à l’inconnu.
Vous me présentez « deux cancers » qui ont en commun de vouloir oublier certaines parties de l’histoire ; ils veulent réduire la culture à une sous-culture censurée, la liberté à une pseudo-liberté encadrée, surveillée. Les deux cancers que vous identifiez ont aussi en commun une grande hypocrisie : les tenants de l’un ou l’autre extrême sont concernés par une richesse bien plus matérielle que spirituelle.
Et Rabelais s’adresse à ces hypocrites, dès les premiers mots du Kyrie de l’album : il s’adresse aux partisans des fanatismes religieux comme aux « progressistes » les plus extrêmes.
Ci n’entrez pas, hypocrites, bigots !
Et, plus tard :
Ci n’entrez pas, vous, usuriers chichars !
Nous continuerons de progresser seulement en gardant vivante la culture dans toute sa diversité et toute sa richesse. C’est avec ce but que Pierre Desproges célèbre Rabelais :
François Rabelais fut en son temps le plus éblouissant serviteur des belles-lettres françaises, non pas malgré, mais à cause de l’artisanale magie de son verbe dont les superbes jurons colorés déculottaient déjà ces hémiplégiques du langage qui cachent leurs mots crus et montrent au tout-venant leurs langues cuites, surbouillies, sans saveurs et sans images. (Pierre Desproges, Fonds de tiroir, Seuil, 1990.)
Dans cette tradition, Missa brevis Abbaye de Thélème a l’ambition d’être une célébration musicale aux multiples saveurs.
Vous qui vivez en direct de l’Iowa la campagne Trump aux États-Unis, et qui est en tête de tous les sondages, il est peut-être nécessaire de le rappeler, alors que Joe Biden est englué dans ses affaires de financements occultes et de détournements de fonds, notamment avec son fils Hunter Biden, pensez-vous qu’il aurait détesté ou aimé Rabelais ? Le puritanisme des États-Unis incarne-t-il l’opposé de l’esprit fin et brillant de nos poètes français les plus sulfureux ?
Jean-François Charles : Donald Trump a-t-il lu Rabelais ? Est-ce que Rabelais aurait aimé Donald Trump ? ou Joe Biden ? Je pense que la réponse se trouve dans la place centrale que la culture doit occuper dans une démocratie. Je citerai pour cela encore Pierre Desproges :
Et puis quoi, qu’importe la culture ? Quand il a écrit Hamlet, Molière avait-il lu Rostand ? Non !…
(Pierre Desproges, Les réquisitoires du tribunal des flagrants délires, Seuil, 2003.)
Pour rester en compagnie des humoristes français, Rabelais se serait sans doute senti plus proche de Coluche que de Donald Trump, notamment quand il disait :
La différence qu’il y a entre les oiseaux et les hommes politiques, c’est que de temps en temps les oiseaux s’arrêtent de voler !
Lorsque Rabelais crée l’abbaye de Thélème, il invite femmes et hommes à exercer leur libre-arbitre. Dans un sens, la récente décision du pape d’autoriser la bénédiction des couples homosexuels a été écrite dans Gargantua il y a près de cinq siècles !
La liberté d’expression si importante dans la constitution américaine est aujourd’hui attaquée avec virulence. Puritains et puritaines de premier ordre font tout leur possible pour interdire certains livres dans les écoles ou faire taire certains clubs étudiants dans les universités, lorsqu’ils expriment des idées non politiquement correctes. Les poètes romantiques n’auraient pas apprécié !
Quand on écoute l’album Missa Brevis, on est frappé par l’écho étonnamment actuel qu’ont les paroles des poètes français pour faire contrepoids à la bêtise et à la violence de notre époque. Comment expliquez-vous cette résonance ? Est-ce le caractère intemporel et universel de leurs œuvres qui en fait la force ?
Jean-François Charles : En effet, les paroles de ces grands poètes sont toujours d’actualité. C’est d’ailleurs bien triste. Quand nous écoutons Le Mal d’Arthur Rimbaud, mis en musique dans le Sanctus de l’album, nous sommes immédiatement frappés par le tragique parallèle avec l’actualité du conflit Israélo-Palestinien.
Si les poètes nous semblent intemporels, c’est peut-être parce que la bêtise et la violence humaines sont intemporelles. Rabelais était certainement sensible à cette question, surtout quand ses amis étaient conduits au bûcher par l’inquisition romaine, comme par exemple l’écrivain et imprimeur lyonnais Étienne Dolet, exécuté en août 1546 place Maubert à Paris.
D’après vous, faut-il craindre une montée en puissance des fanatismes religieux ? Si oui, comment l’empêcher ? Pensez-vous que l’on puisse compter sur les mots et les chansons pour en faire des armes ou au moins des boucliers sans être trop naïfs ?
Jean-François Charles : La liberté d’expression et la liberté de la presse sont au cœur de la liberté de penser. Pour éviter les fanatismes, il me semble que l’arme la plus importante est l’éducation, associée à la culture, la lecture. Les mots et les chansons peuvent contribuer, bien sûr. Mais ne soyons pas trop naïfs, comme vous le dites : une éducation de qualité n’est possible que dans un pays où la liberté d’expression existe. En 2023, Reporters Sans Frontières considère la situation bonne ou satisfaisante dans seulement 52 pays sur 180.
Avez-vous vu qu’à Paris, des féministes se mobilisent pour empêcher qu’une station de métro s’appelle « Serge Gainsbourg » ? Gainsbourg a-t-il selon vous contribué à bousculer par ses provocations l’ordre établi pour rendre davantage possible l’expression des désirs, de l’amour, des plaisirs, de la liberté ? S’inscrivait-il dans les pas de vos poètes ?
Jean-François Charles : Serge Gainsbourg est un auteur qui se situe dans la tradition par plusieurs aspects. S’il a cassé certains codes et tabous (nous pensons notamment au billet de 500 francs), il a aussi créé une œuvre se basant sur une grande curiosité et une profonde connaissance de la culture française.
Quand il chante « que j’aime voir, chère indolente, de ton corps si beau, comme une étoffe vacillante, miroiter la peau… », ce sont les mots de Baudelaire (Le serpent qui danse). Dans Je suis venu te dire que je m’en vais, il cite et rend hommage à Verlaine.
Dans Pensées, Gainsbourg écrit :
Je vais essayer de rejoindre Rimbaud, je veux l’approcher… Un jour je le retrouverai, quelque part en Abyssinie, où il faisait le trafic des armes et de l’or…
Comme d’autres grands créateurs, Gainsbourg a été un grand remixeur.
Pour ce qui est de l’expression des désirs, il s’inscrit dans la tradition des poètes romantiques, mais aussi des textes sacrés les plus anciens :
« Qu’il m’embrasse à pleine bouche !
Car tes caresses sont meilleures que du vin,
Meilleures que la senteur de tes parfums. »
Ce n’est pas ici l’érotisme de Gainsbourg, mais celui du Cantique des Cantiques (chant de Salomon, dans l’Ancien Testament).
Dans vos textes, vous montrez un grand amour de François Villon, ce qui nous interpelle, car c’est aussi un fin philosophe. L’existence est brève come une allumette craquée dans la nuit. Pourquoi cette rage de l’homme de détruire, durant les quelques jours qu’il passe sur la terre, ses frères humains ? On vit des charges iniques contre la religion aujourd’hui en France, notamment contre le christianisme, pensez-vous que les religions soient vraiment et plutôt mères de davantage de crimes que de bontés ?
Jean-François Charles : Le problème auquel nous sommes confrontés trop souvent, c’est le manque de bon sens. Villon le dit dans la Ballade des pendus, mis en musique dans l’Agnus Dei :
Vous savez
Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis
Dans cette ballade, Villon pose la question de la rédemption et du pardon. Il rappelle aux « frères humains » que si la justice a fait son travail, il est alors temps de penser au pardon. Ma collègue Mary Cohen travaille dans ce sens chaque jour lorsqu’elle anime des ateliers de création de chansons dans les prisons. Comme vous le suggérez, la religion instituée est une épée à double tranchant, un médicament fait à base de poison – ou vice-versa. L’utilisation qui en est faite dépend de l’humain. Sur cette problématique, Baudelaire conclut à la fin du Benedictus :
Vite, soufflons la lampe, afin de nous cacher dans les ténèbres.
L’univers esthétique de votre chanteuse Anika Kildegaard[2] est un peu baroque, un peu grunge, toujours raffiné, élégant. Les images de vos clips frappent par leur beauté et leur caractère transgressif (je pense à « Like a prayer » de Madonna !). Comment interpréter cette attention extrême apportée chez vous aux visuels ? Sont-ils indissociables de la musique ? Renforcent-ils sa portée ?
Jean-François Charles : Dans le clip de l’Agnus Dei, nous avons en effet travaillé en profondeur les contenus visuels. Non seulement ils apportent un éclairage sur la musique et le texte, mais ils soulèvent aussi de nouvelles questions et offrent de nouvelles pistes de lecture de l’œuvre.
Trois aspects me semblent importants à souligner dans le clip : le sujet des ex-voto, l’arc dramatique suggéré par le texte de Villon, et la danse macabre.
Tout d’abord, j’ai eu la chance de travailler avec le chorégraphe Jaruam Xavier, qui travaille depuis plusieurs années sur le sujet des offrandes votives – ex-voto – et plus particulièrement sur les répliques de membres du corps utilisées comme offrandes votives. Il a été inspiré par une pratique ancestrale qui se poursuit au Brésil, comme par exemple dans l’église Notre-Seigneur-de-la-Bonne-fin de Salvador.
L’ex-voto est a priori un objet physique, mais dès que quelqu’un l’offre comme ex-voto, cela devient un pont entre le physique et le spirituel, une charnière entre l’humain et le divin.
Le spécialiste d’art médiéval Ittai Weinryb explique :
L’ex-voto marque un moment ritualisé d’extrême intimité entre l’humain et le divin, car l’individu dépose un objet comme témoignage matériel d’un contrat non écrit avec une divinité.
C’est cette intimité que nous avons explorée dans le clip, notamment dans la chorégraphie.
Le second niveau de lecture du clip concerne sa structure, un arc dramatique dérivé d’une analyse du texte de Villon en trois parties.
- Le poème s’ouvre avec une contemplation de la chair :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est pieça, dévorée et pourrie,
L’essence de cette partie est résumée ainsi par Madonna dans Material Girl :
We live in a material world.
- Dans le second huitain, la prière et le monde spirituel sont présentés :
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Dans son livre François Villon Revisited, David A. Fein explique :
Les âmes des pendus, suspendues entre salut et damnation, forment un parallèle spirituel avec les corps suspendus entre ciel et terre.
- Dans le troisième huitain, et jusqu’à la fin du poème, les cadavres réapparaissent, mais leurs corps ont subi une grande transformation :
La pluie nous a débués et lavés
Le dépouillement de la chair représente une restructuration des valeurs. La pluie a lavé, purifié le corps, le débarrassant de toute chair. Il ne reste que le squelette, l’essence du corps humain, qui peut être considéré comme son contenu spirituel.
Les costumes, bijoux et coiffures, ont été travaillés selon ces trois niveaux. Je suis très fier d’annoncer que le clip a reçu le prix des meilleurs costumes lors du festival Reims Excellence Director Movie Awards (automne 2023).
Enfin, j’ai introduit dans le clip une danse macabre. Il s’agit d’un autre hommage à François Villon, qui connaissait bien les bas-reliefs du Cimetière des Innocents à Paris. Dans le clip, Jaruam Xavier est habillé de couleurs vives, il est « le mort », qui danse pour attirer à lui Jhe Russell « le vivant ». Cette tradition des danses macabres rappelle à tous l’égalité devant la mort. Elle est associée visuellement à deux cérémonies possibles : l’une du baptême, l’autre de l’absinthe – un clin d’œil anachronique aux compagnons romantiques.
Au-delà du clip, je veux aussi mentionner le visuel de l’album, qui a fait l’objet d’un travail sémiologique important par Marc Dannenhoffer, créateur graphique basé en Vendée.
Marc a extrêmement bien perçu les multiples liens tissés entre religion et humanité dans la musique de cet album. Voici ce que le musicologue Matthew Arndt a récemment écrit à propos du visuel :
La pochette de l’album représente une voûte de pierre entrelacée de nervures radiographiques descendant jusqu’à une colonne vertébrale, ce qui représente au sens figuré notre corps affrontant l’abbaye pendant l’écoute, une traduction de l’ancienne tradition du temple en tant qu’homme cosmique.
En conclusion, le visuel de l’album correspond parfaitement à l’œuvre musicale, avec ses multiples lectures et écoutes possibles.
Propos recueillis par Marc Alpozzo
Philosophe et essayiste, Auteur de Seuls. Éloge de la rencontre, Les Belles Lettres, 2014.
Lien vers l’album (extraits et liens vers plateformes) : https://newfloremusic.hearnow.com
Lien vers le clip : https://youtu.be/PvsUvrwJLF8
[1] Voir à ce propos : https://aoc.media/opinion/2023/11/19/radio-classique-ou-la-production-dune-culture-musicale-blanche-et-de-bon-ton/
[2] Anika Kildegaard chante la Missa brevis Abbaye de Thélème. Voir le site : https://www.jeanfrancoischarles.fr/
Bretagne actuelle a eu un coup de foudre pour « Missa Brevis – Abbaye de Thélème »
Certains oiseaux volent plus haut que d’autres… Certaines notes aussi… Le fondement du travail de Jean-François Charles ressemble à une allégorie, telles ces hirondelles posées sur les fils électriques le long des routes… do – ré – mi – mi – do – ré – fa – sol… une mélodie se dessine sur fond de ciel bleu sans que l’on sache la déchiffrer. Missa Brevis – Abbaye de Thélème donne envie d’apprendre la musique pour voler en contre-ut aussi haut que le plus alpins des oiseaux.
La poésie des notes
L’équilibre entre musique et poésie requiert une thématique de rimes en référence à l’art sonore des mots, qu’ils soient quatrains… tercets… alexandrins… ou libres… peu importe ; l’exploitation de la dimension poétique du solfège invite à l’alliance de la musique et du langage. Ce sont quantités de portes ouvertes sur l’imagination, le talent, la virtuosité du compositeur et, bien entendu, celle de ses interprètes. La musique relève d’une poésie sans parole qui ne doit jamais être au-dessus de la partition, entendu qu’elle ne se dissimule pas derrière non plus : les deux entités sont faites pour résonner ensemble afin d’en créer une troisième. On retrouve cet équilibre dans le travail de Jean-François Charles, soucieux d’harmonies multiples et de sursauts rythmiques : les hirondelles sont là, elles s’envolent tout à coup pour laisser place à une composition en découverte du monde grâce au répertoire symphonique. Innovant… Moderne… Dynamique… Missa Brevis combat les clichés ennuyeux, ringards ou inaccessibles du lyrique et du classique.
Accessibilité et devoir d’élévation
Dans son essai La distinction, paru en 1979, Pierre Bourdieu interrogeait le lecteur en ces termes : « Faut-il brûler tous les pianos parce qu’ils vont bien dans les salons bourgeois ? » ; comme si la musique classique ne relevait pas d’une culture populaire légitime, précisément enseignée par Jean-François Charles à l’université d’Iowa ; au reste, notons en réponse à l’observation de classe émise par Bourdieu, que si les difficultés d’accès à la musique classique sont bel et bien relatives au pouvoir d’achat : prix des places d’une philharmonie, celui d’un apprentissage musical avec professeur, ou encore les conditions d’achats d’un instrument de musique, ces évidences financières contrecarrent toutefois les montants astronomiques des billets de certains concerts pop/rock qui font malgré-tout salle comble, et ceux des matchs de football ou de basket vendus des mois à l’avance ; les uns et les autres s’adressant à une clientèle somme toute populaire.
Restreindre la musique, quelle qu’elle soit : classique, moderne ou contemporaine, restreindre son image à un vulgaire usage sociologique, c’est aussi la réduire à ce que l’on en fait et non pas à ce qu’elle est. Afin d’éviter cette grossière méprise, il est essentiel d’élaguer les obstacles culturels et socio-économiques qui font barrages. Indispensable en conséquence de revoir notre rapport au « classique », en face de quoi nous ne sommes pas que de pauvres ou de riches consommateurs, mais devons bien plutôt nous inscrire comme de véritables « citoyens du beau »… des épicuriens du son… et pourquoi pas ? de magnifiques hirondelles (blanches ou noires) actrices de leur partition… Oui ! Notre devoir est identique au leur : celui de l’élévation
L’apprentissage d’une vie
Ne dit-on pas avec des trémolos dans la voix : « Aller à l’opéra »… « Écouter jouer un orchestre »… « Se rendre au conservatoire »… ? Autant d’attitudes et conduites qui reflètent un train de vie aisé, voire guindé, parfois même emphatique. Et pourtant ! la musique classique s’adresse à n’importe quelle strate sociale, elle est à chaque coin de rue, de toutes parts et tous azimuts. La voici en fond sonore des ascenseurs… dans les restaurants… les bars… magasins… ; la voilà dans les lieux privilégiant une forme de bien-être : saunas, hammams, spa, etc… Aucune publicité pour produits de luxe n’y échappe, non plus le cinéma populaire, elle est partout, intemporelle et omnisciente. De fait, le « classique » engage une incontournable universalité pluriculturelle et intemporelle, à ce point évidente que son rôle est fondamental dans l’apprentissage d’une vie : davantage qu’un moteur, il en est aussi un des carburants essentiels ; en outre, son large éventail d’expériences sonores stimule l’esprit et contribue au repos du corps autant qu’à la sagesse de l’âme. Presqu’une médecine.
Une étude faite ces dernières années par l’hôpital universitaire de Genève, atteste d’un impact positif de la musique classique sur le développement cérébral des prématurés, y compris lorsqu’ils sont en couveuse. Elle leur fait du bien, les apaise et stimule leurs connexions neuronales. Souvent présentée en opposition à la musique folklorique ou populaire, le « classique » en constitue, à plusieurs égards, l’origine en même temps que le contrepied. Ainsi, la chanson Lemon Inceste de Serge Gainsbourg fut-elle écrite d’après l’étude Opus 10 n°3 en mi majeur de Chopin… All by myself d’Éric Carmen, rendue mondialement célèbre par Céline Dion, reprend une partie du deuxième mouvement du Concerto pour piano n°2 composé par Sergueï Rachmaninov… quant au Grace Kelly de Mika, il est librement inspiré du Barbier de Séville, célèbre opéra de Gioachino Rossini… Ces trois exemples permettent toutefois de poser une différence entre les œuvres d’hier et celles d’aujourd’hui, dans la mesure où les compositions classiques privilégient la transmission des morceaux par voie écrite (sous forme de partitions) là où les mélodies populaires récentes misent davantage sur une passation orale.
Une grand-messe au firmament
C’est à la lisière de différents genres musicaux que prend naissance le travail de Jean-François Charles. Il se pose en médiateur. Véritable passeur vox musica entre le compositeur (lui), la poésie et le public. Missa Brevis lève les barrières symboliques qui entourent cette complexité afin de la rendre accessible au plus grand nombre par le biais de valeurs essentielles que sont la curiosité… l’écoute… la contemplation… le silence… le respect du « temps long » à travers la maturation de l’artiste, son apprentissage, ses créations, son œuvre… à laquelle il faut ajouter la voie d’Anika Kildegaard, soprano et insatiable activiste de la création musicale, une véritable championne de la « nouvelle musique » ayant créé moult œuvres pour, entre autres, les compositeurs Linda Kachelmeie, Libby Larsen et Ari Sussman. Elle chante Baudelaire… Rabelais…Rimbaud… Verlaine… François Villon, aussi. Qui se souvient de Villon ? Poète maudit condamné à l’exil. Il a peu écrit mais ses quelques vers remontant de la fin du Moyen-Âge suffisent à en faire l’un des plus grands transfigurateur de la mort. Ce sont ces auteurs que Jean-François Charles propose de découvrir à travers une messe de grands textes inscrits au firmament de la prosodie française. Missa Brevis, avez-vous dit ? Missa Brevis – Abbaye de Thélème, faudra-t-il répéter. En clef de sol ou de fa, le printemps appartient toujours aux hirondelles fraîchement posées sur la partition des beaux jours. Devenons-en une… Envolons-nous… Avec elles. Vive la musique !
Jérôme ENEZ-VRIAD
© Janvier 2024 – J.E.-V. Publishing
Lien Agnus Dei par Anika Kildegaard
« Agnus Dei » : une partition nouvelle sur les poètes français, le danger des intégrismes et les grands maux de notre société
« Agnus Dei » : une partition nouvelle sur les poètes français, le danger des intégrismes et les grands maux de notre société
Jean-François Charles, compositeur et professeur à l’université d’Iowa, et Anika Kildegaard, soprano engagée, fusionnent leurs talents dans un projet singulier. Leur récente création, “Agnus Dei,” nous plonge dans les profondeurs de la Balade des Pendus de François Villon, et pourrait offrir une réflexion contemporaine sur les intégrismes de la pensée ou des religions.
François Villon : entre appel à l’humanité et dénonciation de l’injustice
En revisitant la Balade des Pendus, écrite en 1463 depuis les entrailles d’une cellule de condamné à mort, Anika Kildegaard et Jean-François Charles réactualisent l’appel poignant de Villon. Le message, implorant l’humanité de ne pas juger ses semblables avec mépris et ignorance, résonne toujours plus de cinq siècles plus tard. La vidéo qui accompagne le single évoque également la Danse macabre du Cimetière des Innocents, soulignant notre égalité face à la mort.
De Verlaine à Rimbaud par la force d’une tessiture
Pour éclairer notre compréhension des dangers des intégrismes en tous genres, il est essentiel de se tourner vers les poètes français qui ont sondé les abysses de l’âme humaine. Paul Verlaine et Arthur Rimbaud, figures emblématiques du XIXe siècle, ont exprimé dans leurs œuvres une sensibilité poétique profonde. Les thèmes de la révolte, de la quête spirituelle, et de la dénonciation des injustices résonnent dans leurs écrits, faisant écho aux préoccupations contemporaines.
Des artistes qui portent la flamme de la révolte
Il est crucial de considérer les voix contemporaines qui portent la flamme de la dissidence. Anika Kildegaard, s’inspirant de rappeuses francophones comme La Gale et Kenny Arkana, réinvente la manière de déclamer les textes poétiques. Cette fusion de genres musicaux traduit l’urgence de transmettre des messages intemporels dans un langage moderne.
De la pensée littéraire aux débats d’idées dans le tumulte sociétal
Au-delà de son exploration poétique, “Agnus Dei” se pose comme un reflet poignant des enjeux sociétaux contemporains. Face aux questionnements complexes autour de l’immigration et de la laïcité, le single évoque involontairement les travaux d’auteurs et sociologues éminents.
Les pensées de Michel Foucault et Émile Durkheim résonnent, comme des échos intemporels, dans la quête de sens et d’équité. Tout comme François Villon plaidait pour la compréhension et la compassion, ces penseurs appellent à la nécessité d’un dialogue ouvert et inclusif, défiant les frontières sociales et culturelles pour construire un avenir commun. En empruntant en quelque sorte ces voies intellectuelles, “Agnus Dei” transcende le simple acte musical pour devenir une expression vivante des préoccupations humaines universelles.
Slam, Rap et spiritualité pour un avenir pacifié : François Villon revisité
“Agnus Dei,” bien que puisant dans les racines poétiques de François Villon, trouve également un écho moderne dans le monde vibrant du Slam. Des poètes contemporains tels que Grand Corps Malade et Abd Al Malik, s’inspirant du langage cru et direct de la rue, explorent les thèmes universels de l’injustice et de la quête de sens, des préoccupations partagées avec le poète médiéval.
Dans cette fusion temporelle, « Agnus Dei » se projette vers l’avenir avec le Rap inspiré des rappeuses francophones comme La Gale et Kenny Arkana, pour déclamer le texte de François Rabelais dans le Kyrie.
Un futur transcendé et une lueur d’espoir dans l’obscurité
Dans une époque troublée par les convulsions de la guerre et les conflits persistants, “Agnus Dei” devient une lueur d’espoir. La dimension spirituelle de l’œuvre, portée par la voix puissante d’Anika Kildegaard, offre une perspective transcendante. Dans cette quête d’élévation spirituelle, le single devient un appel à la paix, un antidote face aux tourments mondiaux.
Émanations politiques et perspectives pacifiques
En évoquant la question de la paix, “Agnus Dei” se connecte subtilement aux travaux de politologues spécialistes des conflits, tels que Rashid Khalidi et Shlomo Ben-Ami. Leur expertise sur la question israélo-palestinienne enrichit la dimension politique de l’œuvre. “Agnus Dei” s’inscrit ainsi dans un dialogue complexe, transcendant les barrières culturelles pour offrir une vision de l’avenir ancrée dans la spiritualité et l’espoir.
Villon, les pendus, et l’univers carcéral moderne et ses attentes
La Balade des Pendus de François Villon, écrite en 1463 dans les limbes d’une cellule de condamné à mort, continue à résonner au sein de notre univers carcéral contemporain. Les mots de Villon, empreints d’une profonde humanité, traversent les siècles pour atteindre les cœurs des détenus d’aujourd’hui.
Le pouvoir libérateur de la musique et l’évasion temporelle par le chant
“Agnus Dei,” porté par la voix envoûtante d’Anika Kildegaard, opère une traversée temporelle. Dans la douleur de la Balade des Pendus, il y a un espoir qui se formule pour les condamnés. La musique devient ainsi une clé qui ouvre les portes de l’âme, offrant aux prisonniers modernes une échappatoire émotionnelle, un lien avec le passé, et une promesse d’un avenir différent.
Anika Kildegaard, en interprétant cette balade ancestrale, devient la passeuse du temps. Son chant brise les barreaux pour atteindre les consciences des détenus contemporains. À travers cette interprétation, elle tisse un fil entre les souffrances d’hier et d’aujourd’hui, offrant aux prisonniers une échappée émotionnelle. La Balade des Pendus devient ainsi un récit intemporel, murmuré à travers les âges, portant un message d’espoir à ceux qui ont connu l’obscurité des cellules.
Le défi de la réhabilitation
En explorant la persistance de la Balade des Pendus dans le contexte carcéral actuel, on soulève le défi crucial de la réhabilitation. Les paroles de Villon appellent à la compréhension, à la clémence, et à une seconde chance. “Agnus Dei” prend part à cette conversation, offrant non seulement une expérience musicale, mais aussi un miroir tendu vers la société, incitant à repenser notre approche de la justice et de la rédemption.
Euphonies du passé et retentissements sur le présent : « Agnus Dei » un chant qui résiste au temps
“Agnus Dei” offre une plongée profonde dans les méandres poétiques de François Villon, révélant des échos saisissants avec les préoccupations actuelles liées aux intégrismes de tous poils. En empruntant des voix du passé, telles que Verlaine et Rimbaud, et en intégrant des perspectives contemporaines, ce projet musical dépasse le temps, invitant l’auditeur à réfléchir sur les défis persistants de l’humanité face aux extrémismes.
la Balade des Pendus demeure un cri de l’âme humaine, une expression universelle de la douleur et de l’espoir.
Le chant d’Anika Kildegaard, appelle à méditer en atteignant les coins les plus sombres de notre pensée parfois elle aussi emprisonnée d’aprioris. “Agnus Dei” devient ainsi le témoin d’une traversée du temps particulière et un rappel de notre responsabilité collective envers ceux qui portent encore le poids des chaînes.
Yves-Alexandre JULIEN