« Le papier peint jaune » de Charlotte Perkins-Gilman

image.jpg41BdhaELOpL__SL500_AA240_.jpgLe papier peint jaune
Charlotte Perkins-Gilman

Traduit de l’anglais par le collectif de traduction des éditions Des femmes.

Office 22/03/2007

Une femme emmenée par son mari dans une maison de campagne pour s’y reposer écrit chaque jour en secret : son mari pense que cela nuit à son état de santé et lui défend de le faire. Dans la chambre qu’il a choisie contre son gré, le papier peint la met dans un état de profond malaise. Il prend d’ailleurs chaque jour plus de place dans ses écrits. Elle cherche à en déchiffrer les motifs, et y découvre peu à peu les preuves de son enfermement. Elle y voit, métamorphosée, la représentation de son esclavage. La femme qu’elle devine dans la mutation du motif n’est autre qu’elle-même, dédoublée, autre, prisonnière derrière le dessin déformé en barreaux monstrueux…

« Pendant longtemps, je n’ai pas compris ce qu’était cette forme dérobée derrière le motif, mais maintenant, je suis certaine que c’est une femme. À la lumière du jour, elle est calme, immobile. J’imagine que c’est le motif qui la bride. C’est si troublant… Et je m’y absorbe des heures… Parfois, je me dis qu’elles sont des multitudes, parfois qu’elle est seule. Elle fait le tour en rampant à une vitesse folle, ébranlant chaque motif. Elle s’immobilise dans les zones de lumière et, dans les zones d’ombre, elle s’agrippe aux barreaux qu’elle secoue avec violence. Sans fin, elle tente de sortir. Impossible d’échapper à ce dessin ? Il serre à la gorge. »

Charlotte Perkins-Gilman (1860-1935) est la plus célèbre intellectuelle féministe au tournant du XIXe et du XXe siècle aux États-Unis. Écrivaine d’une prolixité étonnante, elle a publié un très grand nombre de romans, nouvelles, poèmes, essais et articles, sans jamais cesser de militer à travers les États-Unis et l’Europe, pour le socialisme et les droits des femmes.

« Une femme », de Sibilla Aleramo

Une femme
Sibilla Aleramo

Traduit de l’italien par le collectif de traduction des éditions Des femmes.

Office 22/03/2007

Parue en Italie il y a exactement cent ans, Une femme est une autobiographie romancée dans laquelle coexistent une analyse de la situation des femmes, et le récit d’une lutte individuelle. Déchirée entre un amour passion pour son père libéral, brillant, séducteur et une pitié terrifiée pour sa mère trompée, humiliée, qui sombre progressivement dans la folie, elle lutte pied à pied pour conquérir son indépendance intellectuelle, affective, contre un mari tyrannique, brutal et veule, un milieu provincial superstitieux et étriqué. Ce sera au prix du renoncement à son fils, c’est-à-dire du renoncement à être mère qu’elle deviendra une femme libre et active. Dans un style sobre, d’une réserve classique traversée d’effusions lyriques, précieusement désuètes, une lutte toujours convaincante.

Sibilla Aleramo (1876-1960) est née en 1876 dans le Piémont. Elle est l’auteure d’une œuvre importante (romans, journal, correspondance) qui a marqué en profondeur la littérature italienne du XXe siècle. En 1906, elle écrit son premier roman, Une femme, après avoir quitté son mari et son enfant, autobiographie qui connaît immédiatement un grand succès et est traduit en plusieurs langues. Après ce succès littéraire, Sibilla Aleramo mène une vie errante et modeste, mais très riche en rencontres artistiques. En 1946, fidèle à ses convictions progressistes, elle s’inscrit au Parti communiste italien et se dévoue jusqu’à sa mort, en 1960, au combat social qu’elle avait courageusement choisi soixante ans plus tôt.

Claudine Herrmann rend hommage aux éditions Des femmes (catalogue des trente ans)

photocherrmann.jpgLorsque, dans le cours des années soixante-dix, je suis revenue des Etats-Unis avec un manuscrit de critique féministe, chose nouvelle à cette époque, les éditeurs à qui je le montrai le refusèrent, non pas avec la lettre polie qui accompagne généralement un refus, mais avec violence et parfois des insultes. Seules les Editions Des femmes l’acceptèrent en deux jours et le publièrent aussitôt.
 
Elles publièrent aussi un grand nombre de livres écrits par des femmes ou qui parlaient de la vie des femmes, enfin, elles ouvrirent une brèche qui permit d’entrevoir le monde des femmes, ce grand domaine silencieux et ignoré. La directrice des Editions Des femmes était Antoinette Fouque.
 
Après cette première publication, nous avons décidé de rééditer un certain nombre d’ouvrages du passé qui étaient tombés dans l’oubli. Par exemple nombre d’ouvrages du passé qui étaient tombés dans l’oubli. Par exemple Corinne, le célèbre livre de Madame de Staël, épuisé depuis longtemps malgré les efforts de Simone Balayé, la savante présidente de la Société staëlienne ; il en allait de même de Delphine et des livres de Madame de Charrière dont nous avons édité Caliste, ce qui a donné à d’autres éditeurs l’idée de publier l’ensemble de son oeuvre. L’oeuvre de la duchesse de Duras qui avait été, de son temps, extrêmement connue et traduite en plusieurs langues, était épuisée depuis plus d’un siècle. Nous avons publié Ourika, qui traite non seulement de la question des femmes mais aussi du problème des Noirs. (…)
 
De Madame de La Fayette, pourtant toujours en librairie grâce à La Princesse de Clèves (dont certains critiques, ne pouvant nier la qualité littéraire, prétendaient que l’auteur était un homme), L’Histoire de Madame Henriette d’Angleterre, premier reportage jamais écrit, restait épuisé depuis des décades. Nous l’avons édité.
La Librairie Des femmes ne s’est pas contentée de reprendre d’anciens écrits, elle a tenté, avec Hélène Cixous en particulier, de chercher s’il existait un langage propre aux femmes, publié des poétesses, des romancières, des traductions de livres étrangers, enfin, proposé des cassettes de textes de femmes lues par des actrices. A part cela, elle a soutenu des femmes en difficulté et surtout imposé la notion qu’en bien des domaines, familiaux et professionnels, les femmes subissaient de considérables injustices.
C.H.

« De la Raison ironique » de Roger Dadoun

RD par RV0005.JPGRoger Dadoun
De la raison ironique

256 p. – 14,50 €
1988

« On a vu combien, à se vouloir maîtresse unique de la totalité du Monde ou à s’imaginer, concubine altière, édicter la loi et la fin de l’Histoire, la Raison s’affole et s’égare. Il faut, c’est une nécessité vitale, qu’elle retrouve ses esprits, son esprit, et il suffit pour cela qu’elle se considère elle-même, que, vraiment, elle se raisonne. Alors naît cette Raison Ironique qu’ici nous invoquons, pour nous être la compagne à nulle autre pareille dans la résistance aux frénétiques emportements et aux abêtissements mous dont ces temps nous accablent.
Raisonnante Ironie, son lumineux regard est requis pour ces quelques textes, hier éparpillés, aujourd’hui assemblés sous sa gouverne. Elle, ou d’elle l’ardent désir, soutient ces essais d’“anthropologie allégée” qui célèbrent le “n’être”, la nuit, Babel, la vieillesse, l’ivresse sexuelle. Violence politique et abîme du Sphinx les cernent d’un trait noir — que repousse la noire candeur d’une “nouvelle anarchie”. Au bras de l’Ironie sont menées quelques “reconnaissances critiques”, co-itérations aux côtés de Péguy, Barthes, Duchamp, Groddeck, Istrati, Michaux. Et “d’ivresse en océan”, nous tentons de passer à gué, demandant à Freud, ironique paradoxe, le baptême… du Sec.
R.D.

Roger Dadoun enseigne à l’Université de Paris VIII. Bien connu pour ses travaux d’analyse littéraire, d’analyse filmique et d’anthropologie psychanalytique, il poursuit, actuellement, des recherches de psychanalyse politique.

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Figures du féminin

9782721005441.jpgDans le Monde du 9 mars 2007, « Figures du féminin » (176 pages, 12 E) de Catherine Chalier est cité dans un dossier « Être égales au milieu des égaux » par Arlette Farge

Yves Michaux évoque les toiles de Catherine Lopes-Curval

ME0000055558_2.jpgLes toiles de Catherine Lopès-Curval (née en 1954) sont souvent de grande taille. Les tons bleutés. roses-ocres. mais toujours assourdis avec quelque chose de crayeux dans la matière. Ses peintures ont une étrangeté qui emprunte à la peinture surréaliste. avec des villes imaginaires. vides et lointaines qui évoquent Magritte, De Chirico, Delvaux. Dans ces espaces mystérieux. des personnages flottent ou planent. ou encore. chutent. Ils s’immobilisent dans les airs ou aux bords d’escaliers improbables. Ou bien encore ils attendent et posent dans les pièces vides où une porte ou un escalier ouvre sur un monde secret.
Chaque toile est une esquisse d’histoire que le spectateur doit remplir en y projetant ses interprétations. une narration à peine commencée qui doit être reprise par notre propre rêverie.

Au-delà de ces histoires mystérieuses. il est question dans cette peinture de l’étrangeté de la vie et de la légèreté troublante de l’être.
Catherine Lopès-Curval nous renvoie à un récit entre la dislocation et la construction.

L’atmosphère de ses peintures évoque pour mol les premiers récits de Peter Handke, un monde où les personnages se surprennent eux-mêmes de ce qu’ils font. ou alors la fantaisie drolatique des « Grandes Blondes » de Jean Echenoz.

Une des originalités de Catherine Lopès-Curval est de conduire sa peinture avec une indifférence tranquille aux mouvements rapides de la mode. Elle fait partie de ces artistes qui explorent un monde à eux et ne songent pas un instant à surfer sur la vague.

Yves Michaux

Claudie Cachard, Les gardiens du silence (2006) dans la Revue EMPAN (mars 2007)

EMPAN, Prendre la mesure de l’humain

Des femmes et des hommes : un enjeu pour le social ? numéro 65, revue trimestrielle mars 2007

Notes de lecture

Les gardiens du silence

Cachard, C. 2006. Paris, Editions Des femmes 208 p.

C’est ce très beau titre qu’a choisi Claudie Cachard pour son second livre qui vient d’être réédité aux Editions Des femmes. Claudie est psychiatre et psychanalyste, et anime depuis maintenant vingt cinq ans le groupe Corps Psychose Psychanalyse.

Comment rencontrer ceux qui se taisent radicalement n? Comment donner une place psychanalytique à ce qui se dit en silence ? Ce sont les questions que posent ce livre.

Mais les Gardiens du silence, c’est d’abord une écriture qui nous prend par la main et nous emmène vers les lieux où la parole est vacante. Nous n’y sommes pas seuls. L’auteur est là, bordant les espaces en même temps qu’elle les approche ou les désigne. Par cette écriture singulière, précise, ne fuyant aucun détour et comme portant le lecteur, ce sont des lieux singuliers que notre lecture arpente et découvre.

C’est ainsi que garder le silence se retourne, et nous entendons alors combien il est possible d’être gardé par le silence. On pourrait dire aussi « veillé par le silence » et rejoindre ainsi le titre que ce livre porte dans sa traduction hongroise : « Les Veilleurs du silence »…

Ce que Claudie soutient est à la frange, au bord de la psychanalyse et aborde « les zones limites où le corps fait psychisme et où le psychisme fait corps » et « le fonctionnement psychique de dernière chance s’acharnant à traiter l’intraitable ». Le livre étudie les réponses psychiques que chacun a construites dans les situations extrêmes, et cherche à « reconnaître certaines analogies concernant les réponses fantasmatiques dont disposent les humains face à la souffrance grave et à l’irrémédiable. »

La question d’être le seul survivant, la culpabilité qui en résulte, mais aussi la toute-puissance qu’on trouve à se construire soi-même comme une crypte ou un tabernacle protégeant ses morts pas morts.

L’auteur ne refuse pas les questions, mais au contraire les considère chacune et les met à plat, envisage les dénis, les protections, la jouissance liée à la souffrance, « la terreur toute proche de la jouissance » ou la frontière « de l’horreur au sublime ».

Le livre a dix-sept ans. Il est étonnamment jeune et frais, adolescent peut-être. Il rejoint à sa manière propre certaines recherches actuelles et thérapeutes ayant longuement fréquentés les psychotiques, et donne son éclairage particulier et original sur ces questions difficiles.

Blandine Ponet

Pierre Cabanne écrit sur Catherine Lopès-Curval

museedesfemmes03.jpgUne évidence s’impose, chaque toile de Catherine Lopès-Curval contient un drame, ou un fragment de drame; cela suppose un questionnement, des surprises, voire des équivoques. C’est fou ce que le désordre peut s’installer entre les êtres quand on les abandonne à leur sort; comme au théâtre où il arrive un moment où les acteurs échappent à la pièce pour jouer leur propre jeu. La Bibliothèque anglaise s’écroule sur ses lecteurs qui, affolés, essaient de se sauver par tous les moyens; calme et austère, plutôt accueillante jusqu’à l’arrivée du cataclysme, elle cachait sans doute sous ses apparences une promesse inéluctable de tempête. Les apparences comptent en effet beaucoup dans cette peinture d’étrangeté souvent ambiguë où les personnages prennent parfois des poses acrobatiques pour déguiser leur trouble; ainsi le curieux tête-à-tête du pique-nique qui fait penser aux amoureux en apesanteur de Chagall. A moins qu’ils n’adoptent le détachement voisin de l’indifférence de cette femme marchant dans une ville où les voitures vont dans tous les sens comme une invasion de cloportes. Cette autre aux formes accortes, n’hésite pas à souffler en plein visage d’un passant la fumée insolite de son cigare, quant à celle-là elle

Profite des rues vides, semblables aux perspectives italiennes de Chirico, pour prendre sur sa bicyclette une attitude que sa provocation rend déshonnête. Ainsi cette peinture d’accidents, de tensions, voire de bizarreries nous ramène-t-elle à ces situations qui, au théâtre, soulèvent l’énigme par le seul fait qu’elles cessent de tenir le spectateur en haleine. La peinture de Catherine Lopès-Curval. mêle, dans ses mises en scène ordinaires, le réel inexpliqué à l’imaginaire logique, comme la poursuite d’un inachevé de la vie

où les personnage s’interrompant d’agir, se trouvent livrés au vertige de leur difficulté à accomplir. Si vous êtes surpris c’est, que le peintre a atteint son but: déranger .

Pierre Cabanne Février 1999

Chantal Chawaf, auteure née avec les Editions Des femmes (en 1974)

Texte recopié du catalogue des trente ans des Editions Des femmes :
cc2.jpgDepuis l’âge de six ans, elle avait écrit, opiniâtrement, elle avait écrit sans savoir, elle avait écrit au hasard, en suivant les mots qui l’emmenaient vers l’inconnu, elle avait écrit pour ne plus sentir qu’elle écrivait, elle avait demandé à l’écriture de se substituer au manque et les phrases avaient pris la consistance de la chair, elle avait demandé à l’écriture d’être une mère, elle avait demandé à l’écriture de la remettre au monde, elle, l’enfant que la mère, tuée dans un bombardement, avait été empêchée de mettre au monde, elle avait remplacé la mère par l’écriture. L’écriture lui promettait : « Ecris… et tout reviendra… Tout réexistera. Tu peux compter sur l’écriture pour te sauver. » Elle avait eu l’illusion de vivre comme si elle n’était pas moralement, mentalement, morte à la naissance. Elle avait supplié l’écriture : « donne-moi la vie ». Car la mère n’avait pas eu le temps de donner la vie à sa fille qui avait dû écrire pour que les tâches d’or blond se mettent peu à peu à miroiter, à prendre feu à la lumière des mots où étincelait la mère qu’elle avait presque pu caresser, respirer dans cette traduction de la peau, des cheveux et du corps, dont l’haleine s’exhalait par les mots de l’écriture biologique.
 
cc1.jpgL’écriture entendait et répondait. Elle n’avait pas écrit dans le vide, pas écrit pour rien. Elle avait des décennies d’écriture insistante, elle avait vu apparaître enfin la vraie vie, l’écrite, la phrase à sa source. Au bout de l’acccumulation, au bout des collections de mots écrits, se recomposait, se révélait la vie qui se cachait. Elle était arrivée au dénouement, à la mise à nu, à mesurer l’acte dérisoire de l’écrivain : arrivée là où il n’y a plus de mots, où cette vie patiemment, désespérément ranimée pendant des années par les mots inventifs, par l’imaginaire revient à n’être plus que ce qu’elle est : un point invisible, impensable. Inimaginable, inaccessible, le point zéro, ce que les mots ne peuvent plus nommer, tellement le sens est loin, tellement il est dans la perte, tellement il est un lieu d’où on n’a plus rien, d’où on ne peut plus rien retirer d’aucun mot, où les mots n’ont plus de sens quand on est parvenu à ce point où, plus on écrit, moins on reçoit de l’écriture la consolation, le simulacre qu’on cherchait, car on se retrouve à des profondeurs où la mère-racine, la langue racine, la langue maternelle, vous enracine si terriblement en elle qu’on n’existe plus que dans l’inexistence de cette vie disparue qui n’est que vide à vif, plus rien d’autre, alors on ose. On ne sépare plus le corps, de l’écriture. Et le mythe se réinvente. Inlassablement, comme il le fait depuis l’aube des Temps, il s’acharne à détruire la destruction.
 
465329193.jpgJ’écris dans l’effort d’aller « sous le roman »… C’est une expérience du dedans, elle ne m’est pas personnelle, c’est simplement celle de la face cachée de la vie, la vie que notre langue parlée ou écrite nous sert à occulter, à effacer. Je cherche quelque chose de très enfoui, qui ne triche pas, qui ne soit pas dans l’apparence, qui ne joue pas avec la perversion. Est-ce quelque chose qui relèverait d’une langue primitive ? Est-ce organique ? Une langue préverbale ? Le lieu de naissance de notre langue, notre chair, notre corps, ces innervations qui nous rendent réceptifs, cette animalité qui fait de nous des récepteurs ? Est-ce là où j’écris ?
 
cc3.jpgPeut-on libérer de l’écriture ce qu’on écrit ?
Je cherche la sensibilité de l’écriture, je cherche à faire entendre en direct la pulsation, la vibration, à les conserver dans les mots. C’est du domaine de l’amour. C’est la fusion. Ecrire éloigne. J’écris pour rapprocher. Pour que les mots ne soient plus des symboles. Pour qu’ils soient la chair elle-même. Et qu’ils lui viennent en aide.
En 1974, je découvrais les Editions des femmes. Découverte réciproque car c’est Antoinette fouque qui m’a publiée pour la première fois. Ce fut un échange profond. J’en ai gardé un souvenir inoubliable. Antoinette Fouque et les Editions Des femmes en publiant mon premier texte Retable et en m’accueillant dans le groupe Psych et po me permettaient d’accéder à l’inaltérable liberté d’écrire et de communiquer pour redonner la chair à la vie, d’agir, à ce stade vierge de l’expression, où la langue maternelle et le corps ne font encore qu’un et où, dans l’innocence, les mots, ce langage enraciné dans le féminin, ont la puissance de transformer la conscience et le savoir.
C.C.

Texte de Nicole Casanova figurant dans le catalogue des trente ans des Editions Des femmes

lou-salome-3_1244405292.jpgCe devait être au tout début des années soixante-dix, puisque les Editions Des femmes n’étaient pas encore créées. Je me souviens d’une première visite dans une vaste pièce fleurie. Dans ce jardin, on voulait faire ma connaissance parce que, me dit-on, j’étais « une femme en mouvement ». (…)
C’est seulement en 1985 que je pus, à ma grande joie, travailler pour ces éditrices. (…) On me confia deux livres de Lou Andreas-Salomé, Fenitchka et Rodinka. Fénia, l’étudiante, renonce à l’homme qu’elle aime au nom d’une liberté supérieure à tout. Rodinka est le nom d’un domaine dans la campagne russe, Lou Andreas-Salomé y fait revivre ses souvenirs d’enfance, et le jeune Vitaly prépare la Révolution… (…) Dans La Maison, toujours de Lou Andreas-Salomé, la mère et la fille, Anneliese et Gitta, apprennent à penser indépendamment de l’homme qu’elles aiment. Elles tirent leur force des arbres, de la neige, des fleurs et des fruits. La liberté qu’elles conquièrent vaut pour tout le monde, aussi pour le jeune Balduin, le poète, portrait de Rainer Maria Rilke, à qui l’opposition du père risque de faire « manquer le train des artistes ». (…)
La sombre et dramatique Mileva, l’épouse d’Einstein, géniale mathématicienne qu’il écrasa avec cynisme, aurait pu figurer parmi cette poignée de femmes prix Nobel que je présentai un peu plus tard, en collaboration avec Charlotte Kerner. Prix de la Paix ou de Littérature, mais aussi prix de Physique, Chimie, Biologie…. On dit parfois qu’un homme est « parti de rien ». La plupart de ces femmes partaient de moins que rien. (…) Comme si, avant de courir un cent mètres aux Jeux Olymoiques, les femmes étaient obligées d’effectuer d’abord un marathon pour être admises au départ. Et il valait mieux ne pas être essouflées…
Rue de Mézières, l’accueil d’Antoinette Fouque et de ses collaboratrices était rassurant : on ne me demandait plus de me battre, d’autres l’avaient sans doute fait pour moi, mais comme c’était reposant, naturel, surtout, logique et naturel…
N.C.