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Catégorie : ZEditions des femmes
Julie Debazac lit Anaïs Nin pour la Bibliothèque des Voix
Julie Debazac lit
Stella
de Anaïs Nin
Coup de coeur 2006 de l’Académie Charles Cros
Texte Intégral – 2 CD – 27 €
Première nouvelle du recueil Un hiver d’artifice, Stella est le portrait d’une jeune actrice dont les succès dissimulent la profonde fragilité. Devant la projection d’un film dans lequel elle joue, Stella découvre avec angoisse un clivage irréductible entre l’image que le personnage qu’elle incarne lui renvoie et ce qu’elle est dans son être intime. Dès lors, elle souffre du regard que le public et les gens qui l’entourent portent sur elle, un regard qui ne perce pas le secret de ses doutes, un regard qui la rêve plus qu’il ne la voit.
J.J. Goux dans la Revue Esprit (août-septembre 2007) par Olivier Mongin
Depuis Économie et symbolique (Le Seuil, 1973) et les Iconoclastes jusqu’à Frivolité de la valeur (Blusson, 2000), Jean-Joseph Goux, un auteur souvent publié dans Esprit, ne cesse de réfléchir au déferlement d’images qui marque notre époque. S’il ne se trompe pas sur les conséquences de la crise esthétique actuelle (« Ce qui s’annonce aujourd’hui n’est pas qu’un nouvel art va naître des cendres de l’avant-garde mais qu’une certaine mission ontologique de l’art, à laquelle deux cents ans de modernité et d’antimodernité ont cru, est en train de perdre sa nécessité. Cette mission bicentenaire subit une brutale déflation qui ne tue pas les arts en tant que tels mais qui les décharge de la responsabilité exorbitante qui leur avait été attribuée »), il suggère, dans l’un des textes qui compose ce recueil, une analogie avec la tragédie qui retient l’attention. « Nous rencontrons le même problème des limites que celui qui anime la tragédie. C’est à travers les écarts, les errances, les trajectoires unilatérales perdant de vue le tout, que se reconnaît comme la butée d’une “loi”, aussi inévitable qu’indicible. Et nous voudrions croire qu’au-delà d’un humanisme de premier niveau, qui attribue trop facilement, par ethnocentrisme, des caractéristiques universelles et essentielles à un type humain trop étroitement défini, il y a la possibilité d’un humanisme de deuxième niveau, qui viserait, au-delà de toute définition restrictive, vers une unité non inscriptible du genre humain. »
Olivier Mongin
Esprit du Prix du Style (fondé par Antoine Buéno)
Le Prix du Style (le plus désirable de TOUS les Prix !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!)
Créé par le label littéraire Plume et plomb, le Prix du Style fondé par le sensationnel jeune écrivain Antoine Buéno (à lire absolument !) a vocation à récompenser, pour sa qualité stylistique, un livre écrit par un auteur vivant, d’expression francophone, paru dans l’année écoulée. Pour sa troisième édition, le Prix du Style sera remis fin novembre 2007, par un jury prestigieux, au restaurant-club Le Lup (2, rue du Sabot, 75006 Paris).
Composition du jury du Prix Marguerite Audoux
Le Prix Marguerite Audoux (http://www.prix-litteraires.net/prix/571,prix-marguerite-audoux.html)
Le Prix Marguerite Audoux récompense un ouvrage de langue française dont l’auteur peut être considéré comme proche de la personnalité de Marguerite Audoux, prix Fémina en 1910 pour Marie-Claire. En 2004, Xavier Houssin a été couronné avec 16, rue d’Avelghem. En 2005, ce fut le tour de Henri Raczymov avec Avant le déluge : Belleville années 50 et en 2006 celui de Françoise Henry avec Le rêve de Martin.
Composition du jury du Prix Fémina
Le Prix Fémina (http://www.prix-litteraires.net/femina.php)
Le Prix Fémina a été fondé en 1904 par une vingtaine de femmes journalistes de la revue « Vie heureuse » (qui deviendra « Fémina ») pour rendre plus étroite les relations de confraternités entre les femmes de lettres. Il est décerné à une œuvre d’imagination par un jury composé de douze femmes. Le lauréat est annoncé fin octobre ou début novembre à l’hôtel parisien Crillon, quelques jours avant ou après le Prix Goncourt.
Il a notamment récompensé Roland Dorgelès pour Les croix de bois en 1919, Georges Bernanos pour La joie en 1929, Antoine de Saint-Exupéry pour Vol de nuit en 1931 et Marguerite Yourcenar pour L’œuvre au noir en 1968. Le Prix Fémina 2006 a été attribué à Nancy Huston pour son roman Lignes de faille.
Antoinette Fouque par Elie Flory dans Le Magazine des Livres
Ma reconnaissance s’adresse aussi à Eli Flory, qui a eu la bienveillante attention de critiquer le nouveau livre d’Antoinette Fouque dans le magazine des Livres de juillet-août 2007 : « La pensée postféministe ». Seule correction d’importance : Antoinette Fouque incarne la tendance différentialiste (et non essentialiste) du féminisme.
La pensée postféministe
Le 26 août 1970, date du cinquantième anniversaire du vote des femmes aux Etats-Unis, un groupe d’une dizaine de femmes s’est invité sous l’Arc de Triomphe… Elles veulent déposer sur la tombe du soldat inconnu une gerbe de fleurs ceinte de banderoles qui sonnent comme des slogans : « Un homme sur deux est une femme », « Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme ». Les forces de l’ordre les empêchent d’aller au bout de leur initiative. En juillet, la revue Partisans avait déjà titré : « Libération des femmes : année zéro ». Le Mouvement de Libération des Femmes (MLF) est né.
En désaccord avec Simone de Beauvoir, convaincue qu’on naît femme, Antoinette Fouque incarne la tendance différentialiste du MLF. « Le groupe d’Antoinette » refuse le mot de « féminisme », et va devenir le mouvement de pensée connu sous le nom de « Psychépo » (Psychanalyse et politique). S’y rattachent des psychanalystes, des linguistes, des écrivains, des artistes (Luce Irigaray, Hélène Cixous, entre autres).
Elles s’opposent aux Féministes révolutionnaires qui, dans le sillage tracé par Beauvoir, pensent que « l’ennemi principal » n’est pas la masculinité, mais le patriarcat. Cette mouvance, composée surtout d’historiennes et de sociologues d’inspiration marxiste, comme Monique Wittig, Christine Delphy et Anne Zelensky, se baptiseront « Les Petites Marguerites », en hommage au film de Vera Chytilova. Gravidanza, Féminologie II, recueil de textes, d’interviews, d’articles retrace le parcours d’une femme sur tous les fronts de la pensée postféministe, de l’acte de naissance de sa maison d’édition Des femmes à sa dernière allocution prononcée le 5 avril à la Maison de l’Amérique Latine en faveur de Ségolène Royal. E F
Gravidanza : Féminologie II, Antoinette Fouque, préface d’Alain Touraine, Editions Des femmes, 295 p., 15 E
« Accrochages » de Jean-Joseph Goux par Laurent Denay
L’Art en question
Dans son livre « Accrochages et conflits du visuel », Jean-Joseph Goux nous livre une réflexion sur l’évolution de l’art visuel depuis la fin du 19ème siècle.
La société contemporaine est abreuvée d’images ; elles nous environnent ; elles font désormais partie de notre quotidien.
L’image est devenue un objet de consommation comme un autre.
Nous en oublions de nous interroger sur son évolution ; l’évolution de sa signification et de son esthétique ; par conséquent, l’évolution de l’art visuel.
La définition que nous donnons au mot art a été bouleversée durant le siècle dernier. « Tout se passe comme si le siècle de la mort de dieu était celui du déchaînement de l’image » : JJ Goux.
Une transformation d’ordre technique mais aussi politique – le rôle prépondérant de l’image dans la cité moderne : D’un rôle de représentation du sacré l’image est devenue un moyen de pression sur les masses.
Depuis la Renaissance, nous vivons avec l’idée d’une « stabilité des valeurs éternelles » ; valeurs que l’Antiquité nous a léguées : le respect de l’optique réaliste et de la perspective. « le concordat platonicien entre la raison et l’image ».
Ces certitudes se sont fissurées avec l’apparition de la société industrielle et de ce qui en découle, l’art moderne. Pour JJ Goux, l’oeuvre de Chirico symbolise le trouble né de la modernité ; Apparition d’objets industriels dans un paysage classique. « Un deuil culturel ».
Un paradoxe relevé par JJ Goux :
Durant ces deux derniers siècles naquirent la photographie et le cinéma ; ces nouvelles techniques permettent une restitution « parfaite » de la réalité – « le super réalisme ». L’image devient industrielle et reproductible à l’infini ; elle perd ainsi sa dimension esthétique et sacrée. L’image réaliste est devenue un outil au service de la communication, donc du capitalisme – la publicité.« Il y a une coïncidence explosive entre le développement extraordinaire des techniques de L’image et la crise religieuse, Morale et politique du monde occidental qui est aussi un monde globalisé et fragilisé… »
La peinture, quant à elle, s’éloigna du réel avec l’impressionnisme et le symbolisme. Il y eut des précurseurs : Manet – Olympia – Gustave Moreau, Odilon Redon. Le monde onirique et allégorique de Gustave Moreau ; les fulgurances d’Odilon Redon ou celui-ci s’évade vers l’abstraction.
JJ Goux cite Maurice Denis : « Se rappeler qu’un tableau avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, un tableau est essentiellement une surface plane recouverte de couleur en un certain ordre assemblées », tiré de l’article « Définition du Néotraditionnisme » paru en 1890. Tout est dit : L’art s’est affranchi de la représentation du réel. Les nabis-les prophètes en hébreux, mouvement dont faisait partie Maurice Denis, à travers la couleur pure et l’harmonie rythmique prônent un art initiatique et sacré.
Le grand « initiateur » fut Gauguin : Séjournant à Pont Aven, il exposa ses théories à Serusier ; celui-ci rapporta à Paris une oeuvre révolutionnaire : « Le Talisman ».
Une étape cruciale.
Comme l’indique JJ Goux, à l’aube du 20ème siècle les artistes ont la volonté de revenir à un monde « pré grec » et préchrétien. « La puissance occulte du fétiche » théorisée par André Breton dans « l’art magique ».
La perte des valeurs, des repères traditionnels, l’angoisse de l’homme devant le monde industriel peuvent expliquer cette soif de spiritualité et ce besoin de transcender le réel par l’abstraction.
Malevitch – carré noir sur fond blanc, 1913.
L’art rejoint ainsi la pensée phénoménologue – notamment Hégélienne : il symbolise l’évolution de l’homme et de la société du 20ème ; il représente de manière allégorique les transformations idéologiques du monde moderne. Les théories fusent : le suprématisme de Malevitch, le néoplasticisme de Mondrian.
« Après l’effacement de la religion et de la morale à fondement transcendant l’activité artistique devait fournir enfin le grand modèle de l’action humaine désirable ».
Toutefois, de nouveaux artistes remettent en cause ces dogmes ; ils se servent pour cela de l’imposture et de la provocation : Duchamp, Klein et le nouveau réalisme.
Une remise en cause radicale de l’homme et de la société.
« C’est aussi le futile, le presque rien, l’insignifiant,
L’anodin, le négligé, l’inaperçu, le sans intérêt qui conviennent
Au regard d’une herméneutique dépréciative et démystifiante ».
L’hypothèse de JJ Goux est intéressante – le paradoxe évoqué au début du livre. Le capitalisme a sapé les fondements théoriques et éthiques de l’art. La suprématie des médias a entraîné la toute puissance de l’imagerie et de la simulation. Nous assistons ainsi à la séparation de l’art et de l’image. Une image banalisée et aseptisée.
L’image est banalisée.
L’histoire est faite de cycles succesifs. Nous nous trouvons – une possibilité – dans une impasse avant une nouvelle régénération ; une régénération qui naîtra des doutes actuels de l’art contemporain.
Laurent Denay
Patrizia Cavalli par Philippe Di Méo dans la Quinzaine Littéraire
« La Quinzaine littéraire », Du 16 au 31 juillet 2007
Trois poètes italiens
La publication de trois recueils de poésie italienne quasi simultanément est un indice parmi d’autres, de la ferveur et de la popularité certaine que rencontre en France depuis un certain temps la poésie italienne, contemporaine ou non. Un tel phénomène rachète tant d’années d’indifférence. Souvenons-nous combien il fut difficile de convaincre un éditeur de publier l’oeuvre d’Eugenio Montale ou encore celle d’Andrea Zanzotto, rappel qui prête aujourd’hui à sourire. Trois publications récentes attestent d’un tel intérêt.
Nelo Risi
De ces choses qui dites en vers sonnent mieux qu’en prose trad. de l’italien par Emmanuelle Genevois Buchet Chastel éd., 143 p., 10 E
Patrizia Cavalli
Mes poèmes ne changeront pas le monde trad. de l’italien par Danièle Faugeras et Pascale Janot Préface de Giorgio Agamben Des femmes – Antoinette Fouque éd. 489 P., 23 E
Léonardo Sinisgalli
J’ai vu les muses trad. de l’italien par Jean-Yves Masson Arfuyen éd., 209 p., 19 E
Patrizia Cavalli
Les poèmes de Patrizia Cavalli, parmi les plus traduits en France, sont agrémentés d’une préface du philosophe Giorgio Agamben dont l’intérêt pour la poésie est aussi ancien que attesté. Souvenons-nous notamment de ses écrits sur le Franc-tireur et le Comte de Kevenhüller de Giorgio Caproni ou, encore, de l’édition du recueil posthume du même, par exemple.
Dans un court mais dense préambule de quelques pages alertes, l’auteur de Stances, par un faux détour qui le ramène très tôt à son objet, s’essaie à définir le genre poétique reconduit à une opposition de l’hymne et de l’élégie dont l’oeuvre de Cavalli constituerait la confluence « sans restes ». La langue de Patrizia Cavalli apparaît au philosophe comme « la plus fluide, la plus continue et la plus quotidienne de la poésie italienne du vingtième siècle ». Mais alors, que dire alors de celles de Sandro Penna ou du premier Ungaretti ? Le philosophe d’ascendance heideggérienne, envisageant donc la poésie comme un « après » de la philosophie, y reconnaît également une « ontologie brutale et hallucinée ». Une « brutalité » excluant tout excès et confinée au grammaticalisme serait-on tenté de dire.
N’en demeure pas moins, à l’évidence, une écriture poétique particulièrement cristalline, économe au point de frôler le dessèchement et parfois campée à l’orée d’une raréfaction minimaliste extrémiste.
La contemplation, l’observation des choses du monde, et de soi, caractérisent ce parti-pris, comment dire ? essentialiste ? tout à la fois inextricablement introspectif, mais refusant l’anamnèse, et néanmoins radicalement descriptif. L’omniprésence d’une instance analytique raisonnante, renvoie bien, sans vouloir résonner, à une forme inédite d' »hallucination » (Agamben) où l’oeuvre de Nathalie Sarraute transparaît souvent en filigrane. Coupants et anguleux, abstraits, rivée à un concret proliférant, et de ce fait tout à la fois vigoureux et dévitalisés, les vers de Mes poèmes ne changeront pas le monde, semblent tenter d’aider un sujet à se construire en l’abandonnant à une poésie effleurant l’aphorisme et multipliant de menus paradoxes logiques. Car nous sommes aux antipodes du vertige ménagé par un Borges ou un Juarroz. Ce « parti pris des choses » si particulier constitue à l’évidence le plus prodigieux rempart que Patrizia Cavalli oppose obstinément à l’instabilité de tout vécu, à la terreur du « je » comme à toute confession incidente. Elle ne compose avec le monde qu’en le décomposant d’observations en dissimulations selon les protocoles d’une « loi des silences » d’autant plus déconcertante que son secret se révèle à l’évidence dépourvu de tout mystère : Je me récite (…) la vie comme un mètre avec les centimètres,/ je vois même sa couleur jaune./ j’en mesure la longueur, j’avance dans l’espace, / il ne me reste qu’à trouver un pouce et alors je me lève, /je fonce vers mon café au lait. La force du rejet du monde et de l’autre fait comme allusion à une fragilité indéfinie. Est évacuée du même coup l’ambiguïté consubstancielle au genre poétique. Une raison raisonnante emballée apparaît parfois campée au bord d’un site banalement paranoïde agrippé avec effort et volontarisme à la grisaille du quotidien. Une sorte de malaise et d’asphyxie en résulte, « automatiquement » car tout se veut cisaillante géométrie à vide et même désymbolisée. Dans cette infinie dissection du presque rien, nous ne sommes pas loin d’une sorte de Violette Leduc versificatrice. Un neutre presque absolu, en effet.
Philippe Di Méo
LA DERNIERE FEMME – Jean-Paul Enthoven
En plus d’être des œuvres d’hommes publiées aux Editions Des femmes, les deux livres audio de notre collection « Bibliothèque des voix » qui vous accompagneront – j’espère vous en communiquer l’envie – en vacances (et beaucoup plus longtemps, car ils sont spécialement beaux et attachants…) ont en commun la profondeur et la limpidité. La maturité. Bien que très différents, il est question dans celui de Jean-Paul Enthoven comme dans celui de Jean-Philippe Toussaint de femmes et d’amour. Bref, rien de nouveau sous le soleil (qui pointe enfin le bout de son nez en cette fin juillet, qui comme disait Vialatte est un mois très mensuel) et c’est tant mieux, puisqu’on se régale.
« Si un ami vous appelle pour vous parler du livre de Jean-Paul Enthoven, c’est qu’il aime la très bonne littérature. Les portraits, puisqu’il s’agit de portraits de femmes, sont époustouflants ; les modèles, fascinants ; l’écriture, superbe. Sûr que cet ami, ce frère, n’aura pas résisté au plaisir de vous en lire quelques pages. (…) » Jérôme Serri (que je salue au passage !), Lire (février 2006)
Parce qu’il est toujours difficile de mettre des mots sur un chef d’œuvre dont la céleste essence vole bien au-dessus de ceux appartenant à notre vocabulaire de simples humains, que l’humilité tend à paralyser, que l’admiration éperdue peut avoir comme revers un penchant au mutisme comme hommage – la conscience aiguë de ne pas pouvoir trouver d’adjectifs assez forts pour restituer l’émotion provoquée par ce livre rend d’abord confus (e).
Après ses Enfants de Saturne (Grasset, 1996), Jean-Paul Enthoven nous déroule avec ce troisième livre spectaculairement réussi, hybride entre l’essai et le roman, une nouvelle galerie arbitraire de portraits, mais de femmes cette fois, toutes mythiques, dont la subtile présence en lui nourrit sa vie affective et intellectuelle, sensible et éveillée en même temps qu’elle alimente sa création. Depuis Aurore (Grasset, 2001), coup d’essai, coup de maître, on sait le talent immense de l’auteur, docteur honoris causa ès langue française et… ès Amour !
La dernière femme est un livre incroyablement riche et magistralement « écrit ». Si dans la version papier (Grasset, 2006) neuf portraits de femmes de légende le constituent, seulement quatre remplissent la version audio des éditions Des femmes : Louise de Vilmorin, la narcissique et inconstante (mais si charmante et pleine d’esprit) Marilyn Malraux ; Laure, l’égérie vénéneuse de Bataille qui cherchait le Salut dans l’abjection ; Françoise Sagan, la romancière rebelle, désinvolte et mélancolique oubliée de son vivant ; Flaminia, ultime et troublant chapitre paraissant autofictif, résumant tous les autres. La perte de texte au cours du passage de l’écrit à l’oral se trouve compensée par le plaisir d’entendre la voix magique, d’une chaleur sobre, de Jean-Paul Enthoven, révélé orateur d’exception dans cet exercice.
Aussi séduisantes qu’émouvantes, les quatre muses réparties sur les 2 CD du coffret sont décrites dans une langue d’une rare maîtrise qui n’est pas sans rappeler celle des moralistes du XVIIème siècle. Chaque phrase est un pur délice à elle toute seule, chaque âme de femme mise à nue, chaque belle voracement croquée par la plume amoureuse de l’auteur – systématiquement animé par la tendresse et l’indulgence. Il y a empathie entre lui et ses aimées, fantasmées ou vécue comme la maîtresse finale aux « mains royales ». Romantiques, universelles et intemporelles, ses icônes qui deviennent les nôtres sitôt le livre refermé partagent le désespoir abyssal et noble, ainsi que de farouches et irrépressibles dispositions pyromanes. Sublimes jusque dans leurs apparences, leurs caprices et leurs mondanités, ces égéries souffrent d’infernale solitude, empoisonnées (et emprisonnées) par tous les excès dont les fées les ont pourvues à la naissance : la beauté, la richesse, l’intelligence, la célébrité etc Epousant intensément la vie, ses ivresses et ses dangers, leurs destins sont autant de miroirs dans lesquels le narrateur comme le lecteur peuvent se regarder.
Pour vous affamer davantage encore d’éblouissement, voici trois extraits significatifs correspondant à trois tableaux de La dernière femme – le voile ne pouvant être levé sur le quatrième dont le mystère de l’élue ne pourra être éclairci que par votre écoute de ce livre audio……
Sur Madame de Vilmorin (ma préférée !) :
« C’est le genre de créature qui prétend souffrir des tourments dont elle est la cause. Et qui ajoute, presque sincère, qu’elle est la première victime des sentiments qu’elle inspire. On l’aime ? On la courtise ? On veut se brûler la cervelle pour ses yeux noisette ? Qu’y peut-elle ? Les hommes sont naïfs, ou vraiment fous, qui se croient invités à flamber dès qu’on leur adresse un sourire. Après tout, on ne va pas lui reprocher de faire la charmante ; de balayer le monde avec ses regards noyés de demi-promesses ; de payer de sa personne pour mettre de l’ambiance dans toutes ces situations où les importants sont si rasoirs et où les jouvencelles (« ces petits wagonnets sur leurs rails… ») se hâtent vers leurs destins sans envergure. Oui, Louise de Vilmorin regrette d’allumer ces incendies de cœur – mais elle est bien obligée de composer avec cette fatalité. Elle veut seulement, cette chère Louise, s’amuser, danser, cueillir les émotions qui se présentent, se fiancer pour rire, alors que ses galants prennent tout au tragique. Pour un peu, on la plaindrait, cette jeune fille déconcertée par les ravages qu’elle provoque, qu’elle jure ne pas souhaiter… »
Sur Laure :
« Laure ne fut pas son premier prénom (…) Avant sa mort, elle s’appelait Colette Peignot. (…)Laure sera avide de clandestinité et de souillure. (…) Ce qu’elle découvre ? Qu’on peut transmuer la répulsion en jouissance. Que l’horreur est attirante. Que l’on se purifie aussi au contact de l’abject. Le plaisir n’entre pour presque rien dans cette affaire. Seuls comptent l’excès salvateur et le péril qu’on sollicite. La perversion, chez Colette, ressemble ainsi à la pierre philosophale des alchimistes : c’est un dispositif susceptible de métamorphoser la matière en esprit. Une variante de l’Eucharistie. Une aventure qui, à travers le corps, suggère une transcendance sans pareille. »
Sur Sagan :
« L’amour et la littérature étaient, pour elle, les deux seules activités respectables. Par malchance, les êtres ainsi faits sont, le plus souvent, précipités dans un monde surpeuplé de partenaires requis par d’autres occupationjs – l’argent, la parade, le compromis. Pour ne pas rester seule, Sagan fut donc obligée de leur ressembler un peu : il lui arriva de bâcler ses livres et ses sentiments ; on la vit aussi s’embarquer vers des individus, ou commettre des pages, qui n’en valaient pas toujours la peine. Mais elle revenait rapidemen
t dans sa circonscription. Plus exigeante. Sans s’excuser de l’incartade. L’amour, la littérature : deux façons de visiter l’absolu – et d’avouer qu’on y croit. Le mystère sera préservé sur la dernière femme. »