Qu’est-ce qu’il y a de plus sérieux pour un petit enfant ? Les jeux auxquels il s’adonne. Avec eux, il calme ses angoisses et surtout se construit… C’est ce qu’expliqué la psychologue Sophie Marinopoulos dans un guide à l’usage des parents. Interview.
Vous pensez qu’un nouveau-né ne fait rien d’autre que manger et dormir ? Pas du tout, déjà, il joue. En donnant sa propre cadence aux pressions sur le sein ou la tétine, il tente des expériences au cours d’une activite dont il ne sait pas qu’elle est vitale mais qui le remplit de bien-être. Il les reproduira à d’autres moments, simulant la succion pour retrouver cette bonne sensation. Répéter une expérience, c’est en espérer du plaisir donc c’est jouer. « Et c’est ainsi qu’on bâtit sa vie psychique, à 3 jours, à 6 mois, à 6 ans. Par les jeux auxquels il se livre ou non, à un âge donné, l’enfant fournit donc des indications sur son équilibre psychologique, sur sa croissance », assure Sophie Marinopoulos. La psychologue a ainsi pu creer un ludomètre, guide à l’usage des parents qui constitue la trame de son ouvrage, concret, très argumenté (et agréablement coloré). « Dites-moi à quoi il joue, je vous dirai comment il va »
* Ou comment surveiller le bon developpement de l’enfant, de la naissance à 6 ans, et y participer en proposant des activites ludiques appropriées. Un accompagnement passionnant, puisqu’en jouant « l’enfant joue sa vie ».
ELLE. N’est-ce pas introduire une angoisse de plus dans la tête des parents que de les inciter à prendre très au sérieux les jeux de leurs enfants et à s’inquiéter s’ils ne jouent
pas au bon jeu au bon moment, et cela dès la naissance ?
SOPHIE MARINOPOULOS. Les âges indiqués pour tel ou tel jeu sont des repères. II ne s’agit pas de pousser l’enfant à brûler des étapes, mais de lui donner accès aux jeux qui l’aident à grandir. En faisant comprendre le lien entre l’activité ludique et la croissance psychologique, le ludomètre permet aux parents d’initier ces jeux, car ils sont des partenaires idéaux. Il fournit également une sorte de thermomètre de la santé psychique de l’enfant dont il est aussi naturel de se préoccuper que de la santé physique. Le bébé qui fait des bruits de bouche ou qui caresse une peluche élabore son identité corporelle par des perceptions sensorielles et se découvre ainsi différent de sa mère, une phase essentielle entre la naissance et 8 mois. A 3/4 ans, il a peur de jouer à cache-cache
? C’est qu’il ne sait pas se représenter ce qui a disparu. Plus tard, il aura du mal avec le calcul mental, qui demande à l’imagination des capacités d’abstraction. Il aime se déguiser à 4 ans ? Preuve qu’il n’a pas peur de changer de peau et qu’il a confiance en lui. A 6/7 ans, s’il refuse de jouer à des jeux de société, il est dans la fuite de la confrontation à l’autre et à lui-même. Le jeu correspond toujours à la nécessité de transformer des angoisses pour les vaincre.
ELLE Quelles angoisses ?
S.M Différentes selon l’âge et qui surgissent immanquablement quand on grandit, quand on découvre la vie. En jouant, on remplit son bagage affectif et émotionnel. Ce qui conduit à se sentir bien dans sa peau, à acquérir la certitude de pouvoir être aimé pour soi-même, à exprimer et à partager ses émotions, ses sentiments, à nouer des liens. Si un enfant ne joue pas, là il faut s’inquiéter c’est qu’il ne s’engage pas dans la vie.
ELLE. Comment le jeu transforme-t-il les angoisses ?
S.M Un exemple. A 12 mois et plus, le bébé adore lancer un jouet du haut de sa chaise et exige, par des cris et des mimiques, que le parent le ramasse. Et il recommence encore et encore. « C’est énervant, pourtant, avec la répétition du « jeter-ramasser », il maîtrise peu à peu quelque chose de troublant, de déplaisant pour lui la perte d’un objet qui lui est cher II choisit, délibérément, de s’en séparer et se rend compte qu’il peut le faire revenir, avec l’intervention d’un adulte. Plus tard, il testera ce jeu en allant chercher seul l’objet après avoir feint de l’avoir perdu. Ainsi met-il en scène l’expérience de la frustration. Il s’en souviendra quand, sa mère s’éloignant, il craindra de ne plus la revoir. Il se rassurera à la crèche ou à l’école maternelle, sachant distinguer la perte du manque. Le gain est énorme car au bout de ce jeu se trouve la liberté : l’enfant est libre puisqu’il porte sa propre sécurité intérieure.
ELLE Que se passe-t-il si l’on n’a pas eu acces à ce type d’activité ludique ?
S.M Bien des parents viennent nous consulter pour des problèmes d’endormissement de leur enfant de 4 ou 5 ans. Depuis la naissance, il pleure à l’heure du coucher, ses nuits sont agitées, les reveils répétés. Infernal. Rien de grave, pourtant. Il a peur de fermer les yeux car il craint de perdre ceux qu’il aime. Il aurait simplement fallu intervenir avant on ne laisserait pas une fièvre durer quatre ans ! En créant des temps de ]eux, qui auraient dû être expérimentés dans une précédente phase de croissance, les parents – ou un thérapeute, en quelques séances – aident l’enfant à sortir de ce mauvais pas. Donc à grandir, car grandir, c’est s’éloigner du parent. Tous les adultes n’ont pas forcément atteint cet objectif ! Chacun d’entre nous est porteur d’une capacite, plus ou moins grande, à se représenter l’absence. Or, notre autonomie, notre liberté et la liberté de ceux que nous aimons en dépendent.
ELLE. Vous affirmez que les jeux favorisent la réussite scolaire. Tous les jeux ?
S.M. Ils sont source de motivation et de curiosité pourvu que les parents, dans un mélange de proximité et de distance, laissent l’enfant, dès ses premiers jours, être l’acteur de ses découvertes. Pourvu qu’ils ne fassent pas tout à sa place, qu’ils ne le laissent pas gagner à tous les coups. La maîtrise des chemins du savoir s’inscrit dans la continuité de la maîtrise des émotions, du corps, de l’espace, des objets… La réussite est donc cachée derrière la capacité de l’enfant à supporter l’échec sans se sentir anéanti, à reprendre l’exploration ratée pour atteindre le but convoité. Des expérimentations que le jeu lui apporte dans le plaisir. L’enfant est u
n grand jouisseur : pour qu’il apprenne des choses difficiles, n’oublions pas de lui laisser des moments de détente. Les parents qui se plaignent – « II ne pense qu’à jouer ! » – devraient se souvenir que le jeu n’est pas une perte de temps.
INTERVIEW DE PATRICIA GANDIN
RIEN DE GRAVE
• A 2 ans, un enfant n’est pas méchant s’il arrache la voiture rouge des mains de son copain alors qu’il a la même en bleue. « Ce n’est pas la voiture qu’il convoite mais le bonheur de celui qui la possède.
A cet âge, « être » et « avoir » sont équivalents. D’ailleurs, certains adultes perpétuent la confusion », sourit Sophie Marinopoulos.
• A 3 ans, l’enfant n’est pas une brute en puissance s’il maltraite atrocement son ours en peluche. Pour dompter ses peurs, tout est bon pour se sentir fort et courageux.
• Entre 4 et 6 ans, des enfants qui jouent au docteur ou à papa-maman ne sont pas en train de s’abuser sexuellement : « Les interrogations sexuelles sont à l’origine de toutes les autres formes
de curiosité, justifie la psychologue. Bien sûr, il faut intervenir, poser des limites si ce jeu dépasse le « faire-semblant », mais sans dramatiser les choses ni attaquer la curiosité enfantine. »
* A paraître le 1er octobre 2009 aux ed lions LLL (Les liens qui libèrent) une nouvelle maison d’édition créée en association avec Actes Sud pour « questionner la crise du lien dans nos sociétés occidentales » Elle publiera des auteurs comme Joseph E Stiglitz (prix Nobel d’économie en 2001) Susan George, Moussa Nabati