Pour marquer le coup, le 24 février, l’UE devrait être en mesure d’adopter le dixième train de sanctions contre la Russie. Les contours de celui-ci sont globalement connus, même si des discussions ont continué autour de l’introduction des diamants russes dans le giron des sanctions. La Hongrie n’a pas soulevé d’objection particulière au Conseil, car ce paquet ne contient pas de mesure sur l’énergie.
La ville d’Anvers – plaque tournante du commerce de diamants avec 37 milliards d’euros de transaction en 2021 – n’y tient pas vraiment, pour d’évidentes raisons, et naturellement, la Belgique y met un veto au Conseil, en dépit des dénégations de son Premier ministre, Alexander De Croo. La part des diamants russes à Anvers oscille entre 20 et 25 %. C’est le Portugal qui insiste, cette fois, pour que les diamants rejoignent la liste des produits du nouveau paquet de sanctions. Mais Volodymyr Zelensky y avait déjà fait référence le 31 mars 2022 dans un message vidéo adressé aux parlementaires belges.
La défense du Premier ministre belge
« Un an après le début de la guerre, on en est encore à discuter de la nécessité ou pas d’introduire les diamants dans la liste des sanctions, se lamente l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, pour le groupe des sociaux-démocrates. Non mais sérieusement ? Est-ce un bien de première nécessité ? Est-ce quelque chose qui va créer des révolutions sociales en Europe si on augmente le prix du diamant ? »
« Je ne suis pas du tout d’accord avec ceux qui disent que notre pays contribue à financer la guerre russe », protestait Alexander De Croo le 6 février 2023 devant la Chambre des représentants à la suite des critiques de plusieurs partis, dont les écologistes et Vooruit (les sociaux-démocrates néerlandophones). Le Premier ministre belge avance que la sanction contre les diamants russes n’aurait pas grand sens dans la mesure où Anvers n’est qu’une place de marché. Le commerce serait simplement déplacé vers une autre place. « D’ailleurs, une grosse majorité de ce qui passe par Anvers ne finit pas sur le marché européen, précisait-il. Le financement [qui bénéficie à la Russie, NDLR] se trouve dans le commerce de détail. »
10 milliards d’exportations russes frappées de sanctions
Pour l’heure, ce nouveau paquet de sanctions vise les composants électroniques, les antennes, les caméras thermiques, les véhicules spécialisés, les pièces de rechange des camions, des avions, des biens de construction qui peuvent être utilisés par les forces militaires comme les grues… La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, avait dessiné les grandes lignes de ce paquet de sanctions avant le Conseil européen de février. Au total, les exportations russes seront affectées « pour un montant d’environ 10 milliards d’euros afin de couper les vivres à la machine militaire de la Russie et continuer à saper les fondements de l’économie de ce pays, avait-elle souligné. Nous allons sanctionner un certain nombre de dirigeants politiques et militaires […]. Nous allons cibler les propagandistes de Poutine parce que leurs mensonges empoisonnent la sphère publique en Russie, en Europe, et ailleurs. »
« Si les sanctions faisaient gagner une guerre, ça se saurait, lâche, sceptique, l’eurodéputé LR Arnaud Danjean. Elles sont moralement compréhensibles ; elles sont techniquement sans doute nécessaires, notamment sur le drone iranien. Ça se justifie. Mais ce qui me fascine toujours dans les discours de Mme von der Leyen, c’est qu’elle dit des énormités. Quand elle dit [lors de la session parlementaire de février à Strasbourg, NDLR] que, depuis un an, on a travaillé à isoler la Russie, eh bien non ! Il n’y a que 40 pays sur 195 qui appliquent les sanctions. Donc la Russie n’est pas isolée. Elle contourne les sanctions tous les jours avec la Turquie, avec les pays du Golfe, avec l’inde, avec la Chine, la Corée du Nord. »
Poutine a profité en 2022 de l’envolée des prix du gaz
Dans un livre qui paraît ces jours-ci intitulé L’Union européenne et la guerre (éditions Pepper), l’ancien diplomate Pierre Ménat, conseiller de Jacques Chirac, consacre un chapitre à la question de l’efficacité des sanctions. Le sujet ne date pas d’hier. Les sanctions économiques ne peuvent être prises sous le régime de l’ONU puisque la Russie y mettrait son veto. C’est donc l’Europe, dans la panoplie de ses outils au titre de la politique extérieure et de sécurité, qui a défini son cadre légal. Seules les sanctions de l’ONU sont obligatoires pour ses membres. Les sanctions européennes sont reprises par les autres pays sur une base volontaire. Seuls les États-Unis, le Japon, l’Australie, le Royaume-Uni et la Suisse ont imposé les sanctions prises par l’UE. Les sanctions américaines n’ont que peu d’effets sur la Russie, car ils ne représentent que 3 à 5 % du commerce extérieur de la Fédération de Russie.
Sanctionnée depuis 2014, après l’invasion de la Crimée (sans effusion de sang), la Russie a eu le temps de s’adapter, notamment en développant son agriculture. En outre, la dépendance aux hydrocarbures russes a permis, du moins dans les premiers mois du conflit, à Moscou de jouer sur les profils énergétiques divergents au sein de l’UE. Vladimir Poutine a ainsi dosé ses livraisons de gaz en punissant les plus dépendants, hormis la Hongrie qui, du coup, reprend sa rhétorique. Au fond, dans la première partie du conflit : Poutine vendait très cher un gaz et un pétrole dont les volumes vers l’Europe allaient faiblissant. L’envolée des prix surcompensait l’affaiblissement des volumes.
L’Allemagne se passe totalement du gaz russe en huit mois
Au Conseil, on attend donc que le poison lent des sanctions fasse son œuvre et on s’arme de patience. « L’année 2022 ne représente pas du tout la tendance du fait de l’effet de prix de l’énergie tandis que l’effet volume ne jouait que partiellement, sachant que l’énergie forme une part substantielle des revenus de la Russie, indique un diplomate européen. Depuis, on observe le double effet inverse, sur les prix et plus encore sur les volumes. » Il est un fait que l’Allemagne s’est totalement passée du gaz russe en l’espace de seulement huit mois… Les experts tablaient sur plusieurs années.
« De plus, les restrictions commerciales perturbent de plus en plus les chaînes de valeur, à la fois dans le haut de la valeur ajoutée – les technologies – et dans l’industrie militaire, reprend-on au Conseil. Il faut donc s’attendre à une accélération de la dégradation de tous les indicateurs de l’économie russe. Le seul risque pour nous tient aux contournements, ce sur quoi nous augmentons la pression. »
Danjean : « L’Europe doit apprendre la patience stratégique »
Pour Pierre Ménat, « il faut se méfier de la tendance de l’Ukraine à réclamer toujours plus de sanctions. À titre d’exemple, l’interdiction par l’UE des visas pour les Russes serait à la fois inutile et fâcheuse en ce qu’elle ferait automatiquement de citoyens voulant se déplacer en Europe des poutiniens par défaut. Au total, l’arme des sanctions, bien qu’un peu émoussée, aura inévitablement de lourds effets pour l’économie russe, mais dans un délai difficile à évaluer. Ses contre-effets sont tout aussi négatifs pour les pays qui ont utilisé cette arme. »
« On est dans une guerre longue, conclut Arnaud Danjean. L’impact des sanctions se mesurera sur la durée. C’est bien de vouloir à chaque fois rajouter des paquets de sanctions en donnant l’impression que ça n’a pas encore fait son effet. Ça fait son effet, mais sur la durée. Je me méfie des discours triomphalistes du genre “on a bien affaibli la Russie”. Ce n’est pas si simple que ça. Ça va être long, pénible, coûteux. Les Russes ne gagneront pas. Ils ne feront pas tomber le régime ukrainien. Mais croire que le régime russe va s’effondrer parce qu’il ne progresse pas, c’est tout aussi illusoire. Pour reprendre les mots d’un dissident russe, l’Europe doit apprendre la patience stratégique. »