Pierre Ménat publie une tribune dans le Figarovox : «L’Europe a manqué de réactivité et de combativité»

Vaccins: «L’Europe a manqué de réactivité et de combativité»

FIGAROVOX/TRIBUNE – La lourdeur des mécanismes décisionnels européens a pesé sur la campagne vaccinale, observe le diplomate Pierre Ménat. Au point que certains États-membres commencent déjà à contourner Bruxelles: la France, ajoute-t-il, serait bien inspirée de les imiter.

Diplomate de carrière, Pierre Ménat a suivi de l’intérieur la marche de l’Europe pendant plus de trente ans. Conseiller de deux ministres des Affaires Étrangères (Jean-Bernard Raimond et Alain Juppé), puis conseiller du président Chirac pour l’Europe, deux fois directeur des Affaires européennes au Quai d’Orsay, il a également servi comme ambassadeur de France en Roumanie, Pologne et aux Pays-Bas. Il vient de publier «Dix questions sur l’Europe post-covidienne: Entre défiance et puissance» (L’Harmattan, Pepper, octobre 2020)
Les Vingt-Sept ont décidé en juin 2020 de lancer une action commune en déléguant, par un accord unanime, à la Commission européenne le pouvoir de concevoir et de mener une stratégie d’accès à la vaccination contre le Covid.

Objectifs: éviter les courses nationales aux vaccins, assurer l’accès égal des citoyens européens au traitement vaccinal et contribuer à l’acheminement des vaccins vers les pays tiers les plus démunis (ce dernier volet demeurant «en construction»).

À cette fin, la Commission a engagé des négociations avec les laboratoires intéressés pour réserver des doses de vaccins, sachant que leur répartition entre les États se ferait selon au prorata de leur population. Ainsi la France bénéficierait à hauteur de 15% de toutes les doses précommandées par la Commission.

Dans ce cadre, des accords comportant la promesse d’achats d’un certain nombre de vaccins ont été conclus par la Commission, agissant au nom des Etats-membres, avec six laboratoires, dans l’ordre chronologique: AstraZeneca (Royaume-Uni, août 2020) ; Sanofi (France, septembre) ; Janssen (filiale belge de l’américain Johnson &Johnson, octobre) ; Pfizer-BioNTech (USA-Allemagne, novembre et janvier 2021) ; CureVac (Allemagne, novembre) ; Moderna (USA, novembre).

La mise en œuvre de cette action commune révèle la lourdeur des mécanismes européens de décision.

Ces contrats furent conclus pour un montant total de 2,1 milliards d’euros couvrant les pré-commandes de 2,2175 millards de doses, les vaccins eux-mêmes demeurant à la charge des États. Pour que ces accords entrent en vigueur, les produits concernés devaient recevoir l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’agence européenne des médicaments située à Amsterdam. À ce jour, cette agence a accordé de telles autorisations aux vaccins Pfizer-BioNtech le 21 décembre 2020 et Moderna le 6 janvier 2021. À son tour, AstraZeneca a été validé le 29 janvier 2021. Enfin, une certaine quantité de doses doit être produite au sein de l’Union européenne.

Cette stratégie a permis de commander les vaccins à un prix moins élevé et d’assurer un accès minimum de tous les États-membres aux vaccins.

Mais la mise en œuvre de cette action commune révèle la lourdeur des mécanismes européens de décision. L’UE a commandé les doses plus tard que les États agissant à titre national, comme le Royaume-Uni, les États-Unis ou Israël. Certes ceux-ci ont-ils payé les vaccins beaucoup plus cher mais ne sont pas confrontés aux mêmes ruptures de stocks que les États de l’UE.

Si de vives critiques sont émises en Allemagne, c’est qu’outre-Rhin, on aurait pu imaginer une stratégie reposant sur un écosystème vaccinal allemand: achats non limités par la répartition européenne et facilités par la présence de BioNtech en Allemagne. Un second vaccin allemand, Curevac, atteindra d’ailleurs prochainement sa phase de développement.

Malheureusement, cette option n’aurait pas été ouverte pour la France, où Sanofi va être réduit à un rôle de sous-traitant de Pfizer pour le conditionnement de ses vaccins.

Rappelons cependant le caractère non contraignant de l’engagement des États-membres dans cette stratégie. Ceux-ci ne sont pas tenus d’acheter les doses précommandées par la Commission et sont en principe libres de procéder à des commandes nationales.

Sans renier son engagement européen, la France conserve la liberté d’agréer d’autres vaccins et de commander à tire national les doses adéquates de ceux-ci.

Par ailleurs, l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’agence européenne des médicaments n’est pas un prérequis: les agences nationales de santé conservent la liberté d’autoriser des vaccins non homologués par l’agence d’Amsterdam. C’est dire que la stratégie britannique, dont la mise en œuvre rapide a pu être attribuée au Brexit, aurait en fait pu être adoptée par des États restés dans l’UE. D’ailleurs, l’agence de santé hongroise vient d’agréer le vaccin chinois.

Il n’est donc pas trop tard. Sans renier son engagement européen, la France conserve la liberté d’agréer d’autres vaccins et de commander à tire national les doses adéquates de ceux-ci.

En fait, ce qui est révélé ici est l’absence de réactivité initiale de l’Union européenne et son manque de combativité. L’UE aurait pu très tôt investir dans un fonds d’urgence destiné à soutenir la recherche et la production de vaccins, quitte ensuite à exiger des laboratoires concernés une forte priorité accordée aux livraisons intra-UE.

Il est trop tôt pour porter un jugement définitif sur cette action commune. On peut cependant estimer que l’idée était bonne mais que sa mise en œuvre suscite la déception. Gardons ce cadre commun tout en préservant notre autonomie nationale en complément d’une stratégie européenne qui comporte une certaine efficacité mais aussi des insuffisances.

Breizh info sélectionne le livre de Pierre Ménat

Réponse de Pierre Ménat à l’auteur de l’article sur son livre :

Cher Christian de Moliner,

Je tiens à vous remercier pour l’intérêt que vous avez bien voulu porter à mon livre « Dix questions sur l’Europe post-covidienne ainsi que pour l’article que vous lui avez consacré.

Ce texte reflète dans l’ensemble fort bien les idées que j’ai développées dans ce livre, poursuivant la réflexion que j’avais engagée dans « France cherche Europe désespérément » en 2019.

Cependant, l’idée de reprendre le Plan Fouchet de 1961, en particulier pour les affaires étrangères et la défense, ne s’inscrit pas, dans mon esprit, dans une démarche fédérale ni même fédérative. Je pars du constat qu’une action européenne dans ces domaines est nécessaire, car les événements actuels nous démontrent que la France seule ne pèse plus bien lourd. D’innombrables exemples le prouvent, comme celui de l’opposition aux visées turques, de notre intervention au Mali ou de la tentative de rapprochement avec la Russie entreprise par le président Macron. En parallèle, l’indépendance recouvrée par le Royaume-Uni est illusoire : nous serions bien en peine de citer une seule initiative diplomatique prise par Londres depuis que le Brexit a été voté. Boris Johnson essaye de démontrer que c’est le Brexit qui lui a permis de lancer une stratégie vaccinale plus efficace conte la Covid. En fait c’est faux car c’est par choix que nous avons choisi une stratégie européenne qui ne sous était pas imposée par les traités.

Face à cette situation, les structures de l’Union ne sont pas adaptées, car elles sont trop lourdes et diluent toute volonté forte. C’est pourquoi je propose de reprendre le schéma du Général de Gaulle qui au départ était intergouvernemental mais n’excluait pas le modèle confédéral en cas de succès. C’est l’idée d’un Conseil de Sécurité européen. Mais pour réussir, il faudrait au départ une forte volonté politique qui fait aujourd’hui défaut et nous devrions convaincre Londres de se joindre à cette nouvelle entreprise, ce qui est tout sauf gagné.

Merci encore, très cordialement, Pierre Ménat

Chronique littéraire. « 10 questions sur l’Europe post-covidienne », par Pierre Ménat

Pierre Ménat a été ambassadeur de France en Roumanie, en Pologne, en Tunisie et aux Pays-Bas. Il a occupé également le poste de directeur Europe au ministère des Affaires étrangères. Il est l’auteur d’un roman Attendre encore et de 2 autres essais Un ambassadeur dans la révolution Tunisienne et France cherche Europe désespérément. Il a été invité à de nombreuses reprises par les différents médias pour parler de son précédent livre.

Ménat, vu sa carrière, est un partisan réfléchi de la construction européenne, mais il voit néanmoins les failles de qui est devenu « un machin » si on reprend l’expression du général De Gaulle lorsqu’il parlait de l’ONU.

L’auteur tire dans 10 questions sur l’Europe post-covidienne un bilan clair et précis de l’action de l’Union Européenne lors de la pandémie qui nous touche depuis le début de 2020. Il dresse aussi l’historique du Brexit, explique les raisons qui ont poussé les Britanniques à nous tourner le dos. Son livre est sorti avant la conclusion de l’accord  signé in extremis en décembre et ne peut donc présenter un bilan complet des nouvelles relations liant le continent et l’Île et ses dépendances. Le Brexit est sans doute symbolique de l’échec de l’Europe. Entre 1980 et 2020, nous avons assisté à un décalage croissant entre, d’une part, la petite élite dirigeante aux commandes des États de l’Ouest de l’Union  Européenne et de la commission européenne et, d’autre part, les habitants de l’U.E. Ceux–ci ont refusé de fusionner en un seul peuple européen. Ce rejet était pourtant une évidence pour tout homme politique lucide des années 1980, mais l’élite a voulu passer outre les réticences des populations et a fait preuve d’une arrogance marquée de mépris. Cette morgue s’est illustrée notamment lors des référendums de 2005 sur le traité de Rome II, rejetés par 3 pays, mais dont une forme édulcorée a été approuvée pour finir par le Parlement Français en dépit de l’avis clair affiché par nos compatriotes.

Toute fédération est une confédération qui a réussi. L’U.E n’a même pas été capable de devenir une confédération, elle est une entité au statut bizarre, à qui Boris Johnson vient, sans doute avec raison, de refuser le statut d’État en n’agréant pas l’ambassadeur de l’U.E auprès de la Grande Bretagne.

En principe, le traité de Lisbonne signé en 2007 a clarifié les rapports entre les compétences de l’U.E et celles qui restent du seul ressort des états. Sont délégués à l’Europe, l’union douanière,  l’établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur, la conversation des ressources biologiques de la mer, la politique commerciale commune ainsi que la politique monétaire pour les nations ayant adopté l’Euro. Suivant le principe de subsidiarité, tout le reste est de la compétence exclusive des gouvernements locaux. Néanmoins, les états ne se désintéressent pas des domaines délégués à Bruxelles, ils continuent à intervenir et à avoir une politique nationale. D’autre part Bruxelles, appuyé par la Cour de justice communautaire a tendance à élargir son pré carré et à empiéter sur les compétences laissées aux états. Ainsi, la taille des cannes à pêche a été réglementée et annexée au domaine commun. En oute, l’unanimité n’étant plus requise pour adopter des projets un état peut se voir imposer une législation qu’il rejette avec la mise en place des majorités qualifiées.

Le problème le plus aigu que rencontre l’U.E est celui de l’immigration. En théorie le droit d’asile est du ressort exclusif des états, mais l’abolition des frontières au sein de l’U.E a obligé l’Union a cherché des solutions communes. On s’était mis d’accord à Dublin pour que le premier État où un immigré dépose sa demande d’asile l’instruise, la rejette ou l’accepte au nom tous les autres. Mais l’accord a vite montré ses limites. La Grèce, l’Italie et dans une moindre mesure l’Espagne sont en première ligne pour recevoir les réfugiés. Pour leur venir en aide, la commission a cherché à répartir les « exilés » entre les différents États, mais les nations de l’Est ont fermé leurs frontières. Leur attitude peut paraître égoïste, mais quand on voit les difficultés, la criminalité et les émeutes qui ravagent les nations les plus ouvertes (Pays-Bas, Belgique, France, Suède) on ne peut qu’approuver ces gouvernements de vouloir protéger leurs peuples. En outre, la France dérègle le processus de Dublin. Elle est une passoire pour les réfugiés, elle  régularise les exilés dès qu’ils ont 5 ans de présence, sur notre sol, n’expulse personne ou presque. Tous ceux qui sont déboutés en Allemagne ou en Italie se précipitent dans notre pays pour déposer une nouvelle demande d’asile alors que cette démarche est illégale vis-à-vis du droit communautaire. L’immigration empoisonne le fonctionnement de l’U.E, a provoqué en grande partie le Brexit et risque d’amener la dislocation de l’U.E si celle-ci ne réagit pas.

Ménat fait le tour des problèmes et propose à chaque fois des solutions qui passent par une plus grande intégration dans un certain nombre de domaines. Il suggère de signer un nouveau traité basé sur le plan Fouchet, énoncé en 1961, qui a été refusé à l’époque, parce que nos partenaires souhaitaient intégrer la Grande Bretagne et qu’ils trouvaient la proposition française pas assez atlantiste. Il s’agirait à l’intérieur de  l’U.E de créer un club restreint à ceux qui veulent plus d’intégration sur le modèle de la zone euro qui ne rassemble que 19 États sur les 27 de l’Union.

Mais est-ce souhaitable ? Ne conviendrait-il pas mieux de tirer les conséquences du Brexit et de renoncer à toute forme fédérative, voire confédérale. Le principal et seul succès incontestable de l’U.E est d’être devenue une zone de libre-échange. La zone euro fonctionne cahin-Caha;  on l’oublie trop souvent qu’elle a permis de surmonter les problèmes de changes qui empoisonnaient le fonctionnement économique de l’U.E avant l’adoption de la monnaie commune. Bien sûr, l’euro pose la question des différences de rythme entre les économies de sa zone. Comment faire marcher d’un même pas des états qui sont en récession et en déficit et d’autres qui sont en expansion et en équilibre budgétaire. Les verrous établis (déficit inférieur à 3% du déficit, dette ne devant pas dépasser 60 % du PIB) sont depuis longtemps obsolètes et lorsque la crise du Covid sera dépassée, il faudra réfléchir à en adopter d’autres plus réalistes que tous les états soient en mesure de respecter. Cela posé, il convient de mettre fin à toutes les tentatives fédérales. Les Européens ne veulent pas d’un état supranational : respectons leur volonté ! Transformons l’U.E en une zone d’échange, de coprospérité économique et de coopération inter-gouvernementale et non pas en une structure où une commission lointaine, apatride et sans légitimité démocratique impose ses vues aux États membres de l’U.E.

Le livre de M. Ménat est donc intéressant pour poser le débat et comprendre la problématique de l’Europe ; il est clair, précis et même si l’auteur a une vision personnelle qui n’est pas, semble-t-il, celle de la majorité des Français, il est impartial dans sa présentation et n’esquive pas les problèmes, au contraire il les présente successivement.

Christian de Moliner

« 10 questions sur l’Europe post-covidienne » Pierre Ménat, éditions L’Harmattan 12 €

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2021, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

Pierre Ménat sur Fréquence Protestante

Pierre Ménat était l’invité de Michelle Gaillard le 26 janvier 2021 sur Fréquence Protestante

Réécouter l’émission ici : https://frequenceprotestante.com/diffusion/frequence-livres-du-26-01-2021/

Dans le monde l’après covid et de l’après Brexit, quelle sera la place et le rôle de l’Europe ?  Pierre Ménat qui fut ambassadeur de France (Roumanie, Pologne, Pays-Bas, Tunisie) donne quelques clés et indique les conditions pour assurer une sécurité et une prospérité commune.

« Dix questions sur l’Europe post-covidienne » » L’Harmattan – Ed Pepper

Louis Daufresne reçoit Pierre Ménat

Le Grand Témoin 7h30

7 janvier 2021 : Pierre Ménat, ancien ambassadeur, ancien directeur Europe du ministère des Affaires étrangères, auteur de « Dix questions sur l’Europe post-covidienne » (L’Harmattan)

Réécouter : https://radionotredame.net/emissions/legrandtemoin/07-01-2021/

Pierre Ménat, ancien ambassadeur, ancien directeur Europe du ministère des Affaires étrangères. Auteur de « Dix questions sur l’Europe post-covidienne » (L’Harmattan)

Pierre Ménat sur France Inter

Une idée de cadeau pour cette fin d’année : offrir un livre sur l’avenir de l’Europe post-covidienne. Réécouter : https://www.franceinter.fr/emissions/cafe-europe/cafe-europe-20-decembre-2020

Dix questions sur l’Europe post-covidienne c’est le thème d‘un livre que vient de publier l’ancien diplomate Pierre Ménat. Il tente de répondre à notre anxiété à tous face à la violente crise que connait une Europe placée sous cloche avec la crise sanitaire.

Face à ce tsunami, les Etats européens ont su répondre à la crise par une politique monétaire et budgétaire inédite. Mais tout le monde le sait, l’argent ne suffit pas à faire le bonheur.

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Un extrait du nouveau livre de Pierre Ménat dans Economie Matin

L’UNION EUROPÉENNE EST-ELLE ÉLOIGNÉE DES CITOYENS ? (EXTRAIT)

Emploi, santé, immigration, climat, retraites : telles sont les principales préoccupations des citoyens européens. L’accès au système de soins et la confiance en celui-ci se sont élevés au premier rang en 2020 du fait du coronavirus. Or ces mêmes citoyens, au demeurant inégalement confiants dans leurs gouvernements nationaux, n’ont pas l’impression que l’Europe soit en mesure de faire mieux et davantage. Dans la plupart des cas, ils ne savent d’ailleurs pas quelle pourrait être la valeur ajoutée de l’UE.

Il faut reconnaître que la crise sanitaire née de la pandémie de COVID 19 a initialement montré la faible réactivité de l’Union européenne. Certes, la santé est de compétence nationale, mais face à un phénomène touchant tous les États membres et au-delà l’ensemble des pays du continent, on aurait pu s’attendre à des initiatives rapides sur deux plans : la solidarité face à la maladie (par exemple au travers de la mise en commun de certains matériels ou de la recherche) et surtout des mesures énergiques face à la crise économique qu’engendre ce virus. Il a fallu attendre des semaines pour que des initiatives, d’une portée encore incertaine, soient prises.

Pour l’immigration, le cadre européen semble adapté, mais les décisions sont peu appliquées. En ce qui concerne le changement climatique, l’attitude de l’Union européenne, comme nous l’avons vu, est très honorable, mais son action est mal connue des opinions. Dans son discours de démission du gouvernement, en août 2018, Nicolas Hulot n’a même pas prononcé le mot « Europe ». En revanche, dès qu’un problème se pose, comme pour le chômage ou les retraites, les responsables politiques nationaux, pas seulement ceux de la mouvance populiste, sont prompts à montrer Bruxelles du doigt.

Cet éloignement des citoyens des décisions européennes varie selon les pays. Après le grand élargissement, les Européens de l’Est semblaient plus enthousiastes à l’égard de l’Union que leurs voisins de l’Ouest déjà blasés. Mais cette période n’a pas duré : les peuples de certains nouveaux États membres n’ont pas tardé à être sensibles aux discours stigmatisant les atteintes par Bruxelles à leur souveraineté, qu’ils pensaient avoir recouvrée après 1989.

Si l’on prend le cas des Français, force est de constater qu’ils n’ont aucunement le réflexe de se demander ce que l’Europe peut leur apporter dans leur vie quotidienne ou lors d’une crise. Ils entendent au contraire que l’Union est une gigantesque machine dont le seul objectif est de les punir ou de leur porter préjudice. Il n’est pas certain que l’annonce des 40 milliards d’euros dont bénéficiera notre pays dans le plan de relance suffise à corriger cette tendance.

Au-delà des excès ou insuffisances de la parole politique, cette situation reflète trois déficits. D’abord un déficit d’information. Quand entend-on parler de l’Europe ? D’abord, lorsque le Conseil européen se réunit, car les déplacements du chef de l’État sont suivis par les médias. On voit le président arriver à Bruxelles ; des images de la salle où s’attablent une quarantaine de chefs d’États ou de gouvernement et quelques autres personnalités sont diffusées. Puis, pendant des heures, les caméras nous montrent le bâtiment du Conseil ; les commentateurs ne peuvent rapporter que des bruits de couloirs. Enfin, tard dans la soirée ou dans la nuit, la réunion s’achève. Le président donne sa conférence de presse lors de laquelle il rend compte des discussions. Il parle par exemple du coronavirus ou de CFP (cadre financier pluriannuel). Les journalistes présents sont des spécialistes des sujets européens ; ils posent des questions ne pouvant être comprises que par les initiés, de même que les réponses qui leur sont apportées.

On parle aussi un peu d’Europe lors des campagnes électorales, notamment celle de l’élection des députés européens. Les eurosceptiques s’en donnent à coeur joie. À leur propagande, nul n’ose répondre. Paradoxe absolu : la campagne pour les élections au Parlement européen s’est déroulée sans véritable débat sur l’avenir de l’Union. Chacun est resté dans son couloir. Et le plus grave est qu’après le scrutin, tout a continué comme avant.

Ce qui nous manque : une information factuelle, explicative, systématique sur les principaux enjeux européens. Celle-ci ne peut reposer que sur le seul gouvernement, qui serait taxé de propagande. Les médias ont une responsabilité importante. Leur problème ? « Quand on fait des sujets sur l’Europe, ça n’intéresse pas, l’audience baisse, la chaîne concurrente qui diffuse un reportage sur Johnny et les autres qui passent des séries-cultes vont faire un malheur à l’audimat ». Or il faut faire comprendre aux Français que les décisions prises à Bruxelles ont autant, sinon beaucoup plus d’impact sur leur vie que les déclarations faites dans la cour de l’Élysée.

[…]

Le deuxième déficit tient à la quasi-ignorance de la notion de citoyenneté européenne. Celle-ci a été instaurée par le traité de Maastricht, et elle figure à l’article 9 du traité sur l’Union européenne : « Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre. La citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas ». Or dans leur immense majorité, les Européens ignorent qu’ils sont aussi citoyens de l’Union européenne. Le sauraient-ils qu’ils se demanderaient, avec raison, ce que cette qualité leur apporte. Elle n’est pourtant pas sans conséquence. Elle permet par exemple aux nationaux de tout État membre de se présenter à certaines élections dans un autre État, ou de concourir à des fonctions publiques. Certes, cela n’intéresse pas ceux de nos compatriotes souvent réticents à l’idée de s’éloigner de leur domicile pour leur activité professionnelle, mais cela concerne les centaines de milliers de Français résidant dans un autre État membre.

Par ailleurs, le traité de Lisbonne a institué un droit d’initiative populaire, jusqu’ici ignoré. Si au moins un million de citoyens provenant « d’un nombre significatif d’États membres » le souhaitent, ils peuvent inviter la Commission européenne à présenter une proposition. Or les citoyens ou leurs représentants, prompts à interpeller leurs gouvernements et souvent critiques envers la Commission européenne, ont la possibilité de se grouper avec leurs « concitoyens » d’autres États pour solliciter une proposition de la part de l’exécutif européen. Ils ne le savent pas.

De manière générale, cette notion de citoyenneté européenne mériterait d’être développée. C’est à juste titre que la France a proposé que les élections au Parlement européen se déroulent dans le cadre d’une circonscription électorale unique dans toute l’Union, avec présentation de listes transnationales. Cela permettrait d’éviter que les campagnes électorales en vue de ce scrutin se concentrent sur les seuls sujets de politique intérieure nationale et évoquent enfin les enjeux européens, qui sont quand même la raison d’être des élections européennes. Cette idée a été repoussée par le Parlement européen pour 2019. Gardons-la à l’esprit pour l’avenir.

Déficit de proximité enfin. « L’Europe, c’est loin. L’Europe, c’est les autres (tel l’enfer sartrien) ». C’est ce que pensent les Français. Ils n’ont pas de sentiment d’appartenance à l’Union, ne se sentent pas proches des Estoniens ou des Bulgares. Là encore, une fracture existe. Les jeunes, notamment diplômés, et les catégories aisées ont l’habitude de voyager. Certains citoyens engagés, notamment les agriculteurs, ont parfois l’occasion de rencontrer leurs homologues d’autres États européens. Mais il demeure un grand nombre de Français qui n’ont jamais pris l’avion. Certes pourraient-ils communiquer sur le net, mais l’obstacle des langues reste dirimant. Ce n’est pas seulement de l’Union européenne que les Français se sentent éloignés mais aussi des nationaux d’autres États.

Ceci est un extrait du livre « Dix questions sur l’Europe post-covidienne : Entre défiance et puissance » écrit par Pierre Ménat paru aux Éditions Pepper (ISBN-10 : 234321154X, ISBN-13 :  978-2343211541). Prix : 12 euros.

Reproduit ici grâce à l’aimable autorisation de l’auteur et des Éditions Pepper.

« Dix questions sur l'Europe post-covidienne : Entre défiance et puissance » de Pierre Ménat

Pierre Ménat dans Le Point par Emmanuel Berretta

Un nouveau traité européen, pourquoi pas ?

Telle est la proposition de Pierre Ménat, ancien diplomate et conseiller de Jacques Chirac, qui publie « Dix Questions sur l’Europe post-covidienne. »

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Modifié le – Publié le | Le Point.fr

Entre les éructations d’Erdogan et la crainte d’un reconfinement, y a-t-il encore de la place pour la réflexion européenne ? C’est parce que nous le croyons que le livre de Pierre Ménat Dix Questions sur l’Europepost-covidienne (L’Harmattan, 97 pages) mérite d’être lu. Cet ancien conseiller aux affaires européennes du président Chirac pose 10 questions « entre défiance et puissance » (tel est le sous-titre) au moment où tous se demandent si l’Europe est capable tout à la fois de protéger les Européens, de bâtir des stratégies industrielles, de défendre une monnaie forte face au dollar, de contrer le retour des grands empires ou s’il ne vaudrait pas mieux revenir au « chacun chez soi »…

Pierre Ménat propose, in fine, un nouveau traité. On entend déjà les sceptiques s’indigner d’un nouveau transfert de souveraineté. La source d’inspiration de ce diplomate retraité est puisée dans l’œuvre inachevée d’un grand homme : le général de Gaulle, promoteur d’un plan Fouchet mort-né. On ne fera pas de l’Europe une puissance respectée et respectable sans se choisir des partenaires fiables et susceptibles d’affirmer une position dans le monde.

Le retour du plan Fouchet

Revenons donc à la source : le général de Gaulle distinguait nettement le marché commun de la souveraineté en matière de défense et de politique étrangère. Il jugeait du reste la seconde plus impérieuse que le premier. Le plan Fouchet a été rejeté au début des années 1960, car, comme le rappelle Pierre Ménat, les Belges et les Néerlandais ne le trouvaient pas assez atlantiste et souhaitaient y inclure le Royaume-Uni. Ils redoutaient l’hégémonie de la France, surtout entre les mains du général…

Or, Pierre Ménat fait l’inventaire des obstacles révolus : le Royaume-Uni est entré, puis sorti de l’Union ; les États-Unis se désengagent ou le prétendent de la sécurité européenne ; le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, créé dans les années 1970, a pris un essor considérable, conformément à ce que souhaitait de Gaulle… L’auteur y voit donc une opportunité : « Rassembler, écrit-il, ceux des États européens qui auraient la volonté de s’engager dans une Union étroite mais respectueuse des identités nationales. Mettre sur pied un Conseil de sécurité européen, indépendant des institutions de l’UE, qui traiterait des affaires étrangères et de la défense, mais qui pourrait élargir son action à d’autres domaines non couverts, ou insuffisamment, par les traités actuels, comme la santé, la culture ou la recherche. Bien entendu, un lien s’établirait entre cette Union politique et l’Union européenne. »

Josep Borrell, vaillant mais peu écouté

D’abord, on notera que la Commission et le Parlement n’en sont pas. Les institutions de l’UE ont été édifiées un peu au petit bonheur la chance des ouvertures politiques en ratant plusieurs fois le coche de l’approfondissement au moment des élargissements successifs. On se retrouve au bout du compte avec un ensemble qui poursuit plusieurs logiques sans jamais les rattraper : un bout de fédéralisme par-ci, un morceau de confédération par-là, une couche d’organisation internationale qui n’accueillerait pas seulement ses membres à part entière mais en associerait d’autres (Suisse, Norvège…) selon les compétences, les terrains de jeu… L’architecte de l’Europe n’existe pas. Ou plutôt, ils sont plusieurs, ont vécu à plusieurs époques, sous l’influence de divers courants. Imaginons une cathédrale commencée au XIe siècle, poursuivit dans le style Bauhaus, retouchée par Le Corbusier et dont l’emballage final aurait été confié à Christo et vous aurez une image assez exacte du monument européen. Pierre Ménat sollicite donc un dernier coup de main : celui du général de Gaulle pour achever l’Europe politique. Il faudrait aussi décider du sort de l’Otan, dont la Turquie est membre, ce qui laisse songeur… Là, l’auteur ne tranche pas.

Il existe bien cependant un « haut représentant pour les Affaires extérieures » au sein de l’UE. Il a même statut de vice-président de la Commission et jouit d’une administration volumineuse. Depuis que l’Espagnol Josep Borrell occupe le poste avec l’instauration de la Commission von der Leyen, le Catalan ne manie pas la langue de bois, mais, pour son plus grand malheur, il ne dispose que d’une épée… de bois. Ses analyses sont fameuses, mais ses moyens d’action inexistants. Appeler à des cessez-le-feu sans être en mesure de faire peser la moindre menace sur les belligérants est un exercice déprimant dont Josep Borrell s’acquitte non sans une certaine abnégation. Quand il ne dit rien, on enrage de l’impuissance de l’Europe. Quand il parle, on se moque de son impuissance à être écouté des puissants.

À quoi va servir la Conférence sur l’avenir de l’Europe ?

Pour faire cesser cette comédie, Pierre Ménat propose donc de passer aux choses sérieuses : quelques États européens – et pas les 27 – sautent le pas d’une vraie politique étrangère commune. Ce Conseil de sécurité serait composé idéalement de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne, de la Pologne et… du Royaume-Uni. Londres, en effet, ne serait pas obligé de réadhérer à l’UE puisque ce traité serait indépendant des institutions. Angela Merkel avait formulé l’idée d’un Conseil de sécurité, mais elle le situait au sein de l’UE avec des membres tournants. Tant que la règle de l’unanimité demeurera, l’UE ne sera jamais à l’abri d’une prise d’otage par l’un des siens pour obtenir gain de cause sur un tout autre sujet. Pour passer cet obstacle, un nouveau traité de défense qui ne regrouperait que les États vraiment motivés.

« On objectera qu’il serait vain de créer une structure supplémentaire alors qu’il en existe déjà tant. Mais face aux immenses enjeux de la souveraineté européenne, qui peut prétendre que les structures actuelles sont adaptées ? Il faut donc essayer, le jeu en vaut la chandelle », conclut l’auteur. Le seul dirigeant capable de porter ce projet est par définition français : en l’occurrence, Emmanuel Macron ou la personne qui lui succédera. Macron reprendra-t-il le flambeau tombé à terre du général de Gaulle ? Et qui trouvera-t-il à Berlin, Londres, Rome, Madrid ou Varsovie pour l’aider dans cette entreprise jadis gâchée… La Conférence sur l’avenir de l’Europe qui doit, en principe (sauf reconfinement général), s’ouvrir avant la fin de cette année et s’étaler jusqu’au printemps 2022 est le lieu pour débattre et trancher cette immense question. Osera-t-on, à la fin, en cas de nouveau traité, quel qu’il soit, faire voter les peuples ? Difficile d’imaginer que l’Europe puisse se passer de cette assise populaire pour se projeter avec force dans les grands défis du siècle. Il faudrait accepter que ceux qui n’en voudront pas s’écartent pour laisser passer les autres.

Dix Questions sur l’Europe post-covidienne, Entre défiance et puissance, de Pierre Ménat, L’Harmattan, éditions Pepper