Breizh info sélectionne le livre de Pierre Ménat

Réponse de Pierre Ménat à l’auteur de l’article sur son livre :

Cher Christian de Moliner,

Je tiens à vous remercier pour l’intérêt que vous avez bien voulu porter à mon livre « Dix questions sur l’Europe post-covidienne ainsi que pour l’article que vous lui avez consacré.

Ce texte reflète dans l’ensemble fort bien les idées que j’ai développées dans ce livre, poursuivant la réflexion que j’avais engagée dans « France cherche Europe désespérément » en 2019.

Cependant, l’idée de reprendre le Plan Fouchet de 1961, en particulier pour les affaires étrangères et la défense, ne s’inscrit pas, dans mon esprit, dans une démarche fédérale ni même fédérative. Je pars du constat qu’une action européenne dans ces domaines est nécessaire, car les événements actuels nous démontrent que la France seule ne pèse plus bien lourd. D’innombrables exemples le prouvent, comme celui de l’opposition aux visées turques, de notre intervention au Mali ou de la tentative de rapprochement avec la Russie entreprise par le président Macron. En parallèle, l’indépendance recouvrée par le Royaume-Uni est illusoire : nous serions bien en peine de citer une seule initiative diplomatique prise par Londres depuis que le Brexit a été voté. Boris Johnson essaye de démontrer que c’est le Brexit qui lui a permis de lancer une stratégie vaccinale plus efficace conte la Covid. En fait c’est faux car c’est par choix que nous avons choisi une stratégie européenne qui ne sous était pas imposée par les traités.

Face à cette situation, les structures de l’Union ne sont pas adaptées, car elles sont trop lourdes et diluent toute volonté forte. C’est pourquoi je propose de reprendre le schéma du Général de Gaulle qui au départ était intergouvernemental mais n’excluait pas le modèle confédéral en cas de succès. C’est l’idée d’un Conseil de Sécurité européen. Mais pour réussir, il faudrait au départ une forte volonté politique qui fait aujourd’hui défaut et nous devrions convaincre Londres de se joindre à cette nouvelle entreprise, ce qui est tout sauf gagné.

Merci encore, très cordialement, Pierre Ménat

Chronique littéraire. « 10 questions sur l’Europe post-covidienne », par Pierre Ménat

Pierre Ménat a été ambassadeur de France en Roumanie, en Pologne, en Tunisie et aux Pays-Bas. Il a occupé également le poste de directeur Europe au ministère des Affaires étrangères. Il est l’auteur d’un roman Attendre encore et de 2 autres essais Un ambassadeur dans la révolution Tunisienne et France cherche Europe désespérément. Il a été invité à de nombreuses reprises par les différents médias pour parler de son précédent livre.

Ménat, vu sa carrière, est un partisan réfléchi de la construction européenne, mais il voit néanmoins les failles de qui est devenu « un machin » si on reprend l’expression du général De Gaulle lorsqu’il parlait de l’ONU.

L’auteur tire dans 10 questions sur l’Europe post-covidienne un bilan clair et précis de l’action de l’Union Européenne lors de la pandémie qui nous touche depuis le début de 2020. Il dresse aussi l’historique du Brexit, explique les raisons qui ont poussé les Britanniques à nous tourner le dos. Son livre est sorti avant la conclusion de l’accord  signé in extremis en décembre et ne peut donc présenter un bilan complet des nouvelles relations liant le continent et l’Île et ses dépendances. Le Brexit est sans doute symbolique de l’échec de l’Europe. Entre 1980 et 2020, nous avons assisté à un décalage croissant entre, d’une part, la petite élite dirigeante aux commandes des États de l’Ouest de l’Union  Européenne et de la commission européenne et, d’autre part, les habitants de l’U.E. Ceux–ci ont refusé de fusionner en un seul peuple européen. Ce rejet était pourtant une évidence pour tout homme politique lucide des années 1980, mais l’élite a voulu passer outre les réticences des populations et a fait preuve d’une arrogance marquée de mépris. Cette morgue s’est illustrée notamment lors des référendums de 2005 sur le traité de Rome II, rejetés par 3 pays, mais dont une forme édulcorée a été approuvée pour finir par le Parlement Français en dépit de l’avis clair affiché par nos compatriotes.

Toute fédération est une confédération qui a réussi. L’U.E n’a même pas été capable de devenir une confédération, elle est une entité au statut bizarre, à qui Boris Johnson vient, sans doute avec raison, de refuser le statut d’État en n’agréant pas l’ambassadeur de l’U.E auprès de la Grande Bretagne.

En principe, le traité de Lisbonne signé en 2007 a clarifié les rapports entre les compétences de l’U.E et celles qui restent du seul ressort des états. Sont délégués à l’Europe, l’union douanière,  l’établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur, la conversation des ressources biologiques de la mer, la politique commerciale commune ainsi que la politique monétaire pour les nations ayant adopté l’Euro. Suivant le principe de subsidiarité, tout le reste est de la compétence exclusive des gouvernements locaux. Néanmoins, les états ne se désintéressent pas des domaines délégués à Bruxelles, ils continuent à intervenir et à avoir une politique nationale. D’autre part Bruxelles, appuyé par la Cour de justice communautaire a tendance à élargir son pré carré et à empiéter sur les compétences laissées aux états. Ainsi, la taille des cannes à pêche a été réglementée et annexée au domaine commun. En oute, l’unanimité n’étant plus requise pour adopter des projets un état peut se voir imposer une législation qu’il rejette avec la mise en place des majorités qualifiées.

Le problème le plus aigu que rencontre l’U.E est celui de l’immigration. En théorie le droit d’asile est du ressort exclusif des états, mais l’abolition des frontières au sein de l’U.E a obligé l’Union a cherché des solutions communes. On s’était mis d’accord à Dublin pour que le premier État où un immigré dépose sa demande d’asile l’instruise, la rejette ou l’accepte au nom tous les autres. Mais l’accord a vite montré ses limites. La Grèce, l’Italie et dans une moindre mesure l’Espagne sont en première ligne pour recevoir les réfugiés. Pour leur venir en aide, la commission a cherché à répartir les « exilés » entre les différents États, mais les nations de l’Est ont fermé leurs frontières. Leur attitude peut paraître égoïste, mais quand on voit les difficultés, la criminalité et les émeutes qui ravagent les nations les plus ouvertes (Pays-Bas, Belgique, France, Suède) on ne peut qu’approuver ces gouvernements de vouloir protéger leurs peuples. En outre, la France dérègle le processus de Dublin. Elle est une passoire pour les réfugiés, elle  régularise les exilés dès qu’ils ont 5 ans de présence, sur notre sol, n’expulse personne ou presque. Tous ceux qui sont déboutés en Allemagne ou en Italie se précipitent dans notre pays pour déposer une nouvelle demande d’asile alors que cette démarche est illégale vis-à-vis du droit communautaire. L’immigration empoisonne le fonctionnement de l’U.E, a provoqué en grande partie le Brexit et risque d’amener la dislocation de l’U.E si celle-ci ne réagit pas.

Ménat fait le tour des problèmes et propose à chaque fois des solutions qui passent par une plus grande intégration dans un certain nombre de domaines. Il suggère de signer un nouveau traité basé sur le plan Fouchet, énoncé en 1961, qui a été refusé à l’époque, parce que nos partenaires souhaitaient intégrer la Grande Bretagne et qu’ils trouvaient la proposition française pas assez atlantiste. Il s’agirait à l’intérieur de  l’U.E de créer un club restreint à ceux qui veulent plus d’intégration sur le modèle de la zone euro qui ne rassemble que 19 États sur les 27 de l’Union.

Mais est-ce souhaitable ? Ne conviendrait-il pas mieux de tirer les conséquences du Brexit et de renoncer à toute forme fédérative, voire confédérale. Le principal et seul succès incontestable de l’U.E est d’être devenue une zone de libre-échange. La zone euro fonctionne cahin-Caha;  on l’oublie trop souvent qu’elle a permis de surmonter les problèmes de changes qui empoisonnaient le fonctionnement économique de l’U.E avant l’adoption de la monnaie commune. Bien sûr, l’euro pose la question des différences de rythme entre les économies de sa zone. Comment faire marcher d’un même pas des états qui sont en récession et en déficit et d’autres qui sont en expansion et en équilibre budgétaire. Les verrous établis (déficit inférieur à 3% du déficit, dette ne devant pas dépasser 60 % du PIB) sont depuis longtemps obsolètes et lorsque la crise du Covid sera dépassée, il faudra réfléchir à en adopter d’autres plus réalistes que tous les états soient en mesure de respecter. Cela posé, il convient de mettre fin à toutes les tentatives fédérales. Les Européens ne veulent pas d’un état supranational : respectons leur volonté ! Transformons l’U.E en une zone d’échange, de coprospérité économique et de coopération inter-gouvernementale et non pas en une structure où une commission lointaine, apatride et sans légitimité démocratique impose ses vues aux États membres de l’U.E.

Le livre de M. Ménat est donc intéressant pour poser le débat et comprendre la problématique de l’Europe ; il est clair, précis et même si l’auteur a une vision personnelle qui n’est pas, semble-t-il, celle de la majorité des Français, il est impartial dans sa présentation et n’esquive pas les problèmes, au contraire il les présente successivement.

Christian de Moliner

« 10 questions sur l’Europe post-covidienne » Pierre Ménat, éditions L’Harmattan 12 €

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