Colette Deblé étudiée par les Américains !! (Dalhousie French Studies, Michael Bishop, Spring 2007)

Dalhousie French Studies 78 (Spring 2007) www.dal.ca/french (Vitterio Frigerio)

A quarterly Journal Devoted To French and Francophone Literature

Colette Deblé. L’envol des femmes. Textes de Jean-Joseph Goux. Paris : Des femmes / Antoinette Fouque, 2006. 160 p.

Envol : légèreté, libération, ivresse du féminin, ici et maintenant, et à travers les siècles de notre très relative modernité. Couleur et ruissellement aussi, et délicatesse et transparence. Et, partout, révélation, nudité, surgissement épiphanique du corps, du coeur et de l’esprit de la femme. Et si couleur il y a, elle est à la fois une force, une présence, rose, rouge, jaune et verte et bleue, ocre et dorée parfois comme certaines fleurs qui nous sont offertes également, mais une présence souvent, même la plupart du temps, pailletée, bariolée, multicolore et par conséquent multiple, constellée comme cette Chevelure de Bérénice, cette symphonie galactique, dont s’inspire ce texte de Claude Simon qui, d’abord, s’intitulait Femmes. Toutes les peintures et tous les dessins de Colette Deblé, magnifiquement reproduits ici dans ce livre précieux, témoignent de l’énergie mystérieuse qui dynamise l’existence de la femme et les phénomènes où elle se trouve immergée : la lumière, la matière, l’air et le temps. La sensualité règne, subtile, grâcieuse, innée ; mais quelque chose comme une spiritualité, immanente et transcendante à la fois, flotte et plane partout où les ailes du corps féminin se déploient, élevant le matériel vers son inhérence insubstantielle. Et ceci, curieusement, malgré le désir de Colette Deblé qui la pousse à vouloir nous donner la femme dans sa présence renouvelée face à son contexte historique, temporel, dans le chatoiement de son devenir perpétuel tel que l’art des grands plasticiens l’ont évoquée. Fantin-Latour, Rodin, Chassériau, Watteau, Manet, Picasso, Da Vinci, Memling, Ishikawa, etc, etc : la liste est longue, très longue, et les nombreuses sources anonymes l’amplifient infiniment, permettant de saisir quelque chose de l’immense, sans doute, dirait Marguerite Duras, indicible identité féminine depuis la préhistoire jusqu’à nos jours. Ceci, d’ailleurs, sans mimétisme de la part de Deblé – Jacques Derrida la voyait plutôt comme « une visionnaire des corps » – , sans répétition, et pourtant puisant dans les représentations des autres un point de départ perceptif qu’elle n’efface pas tout en l’allégeant, le détachant de sa stricte et absolue historicité, l’ouvrant à une transhistoricité libératrice – à un espace plastico-ontologique où la femme sait retrouver les beautés de ses brumeuses origines. Comme dans un poème de Jeanne Hyvrard…

Les analyses que nous propose Jean-Joseph Goux sont, à tous les égards, excellents et pénètrent profondément dans la logique de ce qu’il appelle « la mélancolie universelle de la gynégraphie » (116). Le légendaire, le mythique, cela qui est plongé dans le temps humain, oui ; mais aussi « quelque chose d’inaugural » (120) en émergence chez Colette Deblé, une originalité qui est simultanément celle de l’art de Deblé et celle de la femme dans les innombrables qualités intrinsèques de son être-là à la fois vécu et atemporel. L’envol des femmes réussit d’ailleurs à nous montrer les fondements de cette mélogie gynégraphique : nous plongeons ainsi, avant d’aborder cette éclosion des quinze dernières années, dans les images, qu’accompagne également le texte de Goux, des années 1970 – 80. Des acryliques comme Voir ou Fougères ou Pacifique modèle reposent sur une poétique de la lumière rayonnante, striée, éblouissante, et de l’ombre, secrète, masquante, intime, tandis que les acryliques comme Dominicains ou Rieuses ou Thésa ou Pirat, avec leurs lumineux oiseaux de mer et leurs fleurs simples mais intensément sensuelles, se risquent dans d’autres espaces à la fois plastiques et psychiques qui, pourtant, complètent ce qui précède et préparent ce qui, à partir de 1990, suivra et continue aujourd’hui : cette vaste et inachevable aventure de la présence obscurcie et si brillamment dévoilée, peinte et dessinée, de la femme.

Michael Bishop

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