Dans l’Obs, Boris Manenti interviewe Franck Archimbaud pour le dossier Covid des pages économie

Franck, restaurateur : « Avant la crise, tout allait bien pour moi. Mais le Covid va casser mon entreprise »

A la tête de plusieurs restaurants et d’une importante activité de traiteur en Normandie, Franck Archimbaud a vécu la pandémie et les fermetures comme un coup de massue, avec des dégâts sur l’activité qu’il développait.

Qu’importe la pluie prévue. Deux Français sur trois ont l’intention de se rendre au bar, au café ou au restaurant à partir de ce mercredi 19 mai, date de réouverture des terrasses (à 50 % de leur capacité pour les plus grandes, et avec des tables de six personnes maximum), rapporte un sondage de l’Ifop. Cette liberté retrouvée est la plus attendue, devant la sortie au cinéma ou au théâtre (34 %), et le shopping (32 %). Sans doute parce que ces établissements sont fermés depuis le 30 octobre, soit plus de six mois. Une sacrée attente pour les clients, qui a semblé encore plus longue aux professionnels. C’est le cas de Franck Archimbaud, à la tête de plusieurs restaurants en Normandie et en Touraine. Dépité par le manque de visibilité depuis le début d’année, il fait face à d’importantes difficultés financières.
« Avant la crise, tout allait bien pour moi. Ça tournait bien, mon activité de traiteur surtout, qui représentait environ 80 % de mon chiffre d’affaires – 1,5 million d’euros en 2019. J’ai tout monté avec mes fonds propres et je n’avais plus qu’un seul prêt à rembourser, que j’avais souscrit peu avant pour racheter un concurrent à Tours et du matériel. Mais le Covid est arrivé et ça a été la déflagration… »
En 2007, Franck Archimbaud, cuisinier de formation, lance une activité de traiteur baptisée Otrechoze, tournée vers l’alimentation en circuit court et biologique, en Normandie puis en Touraine. Dans la foulée, il ouvre le restaurant Otrechoze au cœur de la zone franche urbaine de la Grand-Mare, en périphérie de Rouen. Puis, en 2013, un second restaurant à l’aéroport de Rouen Vallée de Seine.
En 2017, son activité de traiteur s’étoffe avec des salles de réception pour mariages et fêtes variées à Montlouis-sur-Loire, près de Tours. Enfin, en 2019, il reprend Le Saint-Pierre, restaurant gastronomique iconique de La Bouille en Normandie. Une activité complète, stoppée net par la pandémie.
« Je l’ai vécu par étapes. D’abord le premier confinement, s’il a surpris tout le monde, nous a permis de prendre conscience que quelque chose de grave se jouait. Moralement, on anticipait une reprise normale à l’été, et donc on se préparait à endurer le choc. J’ai passé mes quatorze salariés en chômage partiel et j’ai tenu à compenser le manque à gagner sur les salaires – cela représentait 40 000 euros par mois. Pour l’ensemble des établissements, j’ai fait des demandes de PGE [prêts garantis par l’Etat, NDLR], pour un total de 300 000 euros. Et le fonds de solidarité apportait 1 500 euros par mois. »
Franck Archimbaud profite néanmoins de ce temps pour écrire un livre, « L’homme qui voulait Otrechoze » (éd. Scripta), sur son parcours, de l’école hôtelière à la gestion d’un groupe de restauration.
« Ce premier confinement, pour moi et pour l’équipe, a été comme une pause, un trou d’air, qu’a compensé le PGE. Parce qu’il fallait continuer à payer les loyers et les charges. J’ai bien tenté de négocier avec mes bailleurs, mais aucun n’a voulu faire de report sur les loyers. Par exemple à Tours, pour les salles de réception, c’est tout de même 5 000 euros par mois ! Et, côté assurance, Axa n’a rien fait. Au contraire, ils sont venus me voir avec un avenant disant qu’ils ne dédommagent pas le Covid, et que si je ne signais pas, ils rompaient notre contrat – j’avais assez de problèmes, j’ai signé… »

Les dettes s’accumulent

Franck Archimbaud a pu (un peu) souffler pendant l’été. Le 2 juin 2020, les restaurants rouvraient, avec des dispositifs de distanciation, le port du masque obligatoire et un maximum de dix personnes à la même table. Le Saint-Pierre et les restaurants Otrechoze retrouvent des couleurs, mais pas l’activité de traiteur, toujours à l’arrêt avec l’absence de mariages, ni l’établissement de l’aéroport de Rouen.

« Disons qu’on a bricolé. Ça a redynamisé les équipes, fait du bien au moral. Mais ça n’a duré que l’été. Très vite, on a parlé de deuxième vague, et le reconfinement est arrivé. Je pensais que ça durerait jusqu’à décembre, et qu’on pourrait rouvrir pour Noël. Mais non, ça a duré, et c’est là que tout est devenu très compliqué… »

Le 30 octobre 2020, les restaurants ferment sans visibilité sur la reprise, que beaucoup espèrent pour la fin d’année. Sauf que non. Des bruits évoquent le 15 janvier 2021, voire le 1er février… Ça sera finalement ce mercredi 19 mai, uniquement en terrasse. Soit six mois et demi de fermeture totale. Pour Franck Archimbaud et pour les autres.

« Financièrement, c’est devenu compliqué. Le PGE a fondu comme du beurre au soleil, je n’avais pas de trésorerie, pas de chiffre d’affaires. J’ai bien tenté de faire de la vente à emporter, mais ça n’a fonctionné qu’un peu à Noël, au Nouvel An et à la Saint-Valentin, sinon pas vraiment. Les gens ont privilégié les pizzas et les burgers, pas la gastronomie à emporter. »

« Pour les finances, heureusement que le fonds de solidarité a augmenté [son aide] à 10 000 euros, ça nous a évité le crash immédiat. Les reports de charges ne changeaient pas grand-chose aux frais divers et je n’ai pas voulu souscrire de nouveau PGE. Avec les emprunts courants, le PGE précédent, les reports de charges, etc., je voyais s’accumuler les dettes. J’arrivais alors à plus de 500 000 euros à rembourser, le tout sans aucune visibilité sur la date de reprise. C’est un sacré coup porté au moral. »

Activité menacée

Déprimé, « au milieu du brouillard », Franck Archimbaud opte pour « la navigation à vue » :

« Je ne vais pas mentir, mais c’est dur. Pour les finances, je joue les prolongations, continue à demander des reports, mais ça devient très compliqué. Je veux tout faire pour sauver mon projet, mon bébé, mais ça fait un an que je n’ai plus de salaire, que je pioche dans mes économies, que je réduis la voilure au maximum, que je suis soutenu par ma compagne… Je ne sais pas quand ni comment, mais le Covid va casser mon entreprise. »

Pudiquement, cela signifie que le restaurateur fait les comptes et envisage de fermer une partie de son activité. Si le 19 mai apparaît comme « le soleil derrière le brouillard », seul Le Saint-Pierre dispose d’une terrasse. Et encore, avec la jauge de 50 %, cela le limite à vingt clients par service. « Même si ça ne représente que 5 % de l’activité, je vais rouvrir parce que ça sera la première possibilité pour les équipes de recuisiner, de se remobiliser. »

La longue fermeture a eu raison de l’entrain. Deux salariés de Franck Archimbaud ont décidé de le quitter pour se reconvertir, et deux autres vont enchaîner congé maternité et congé parental – « C’étaient deux piliers, qui sont dans d’autres projets de vie, et je ne sais pas si elles reviendront… »

Toute l’hôtellerie-restauration semble en plein doute à l’approche de la réouverture : 100 000 salariés pourraient ne pas reprendre leur activité, d’après une étude citée par « les Echos ». « J’ai lancé des recrutements, mais j’ai beaucoup moins de réponses qu’auparavant », constate notre restaurateur, miné. « J’espère juste que ça va enfin repartir pour de bon, que je puisse sauver ce qui peut encore l’être, que je maintienne l’emploi et ce projet qui est toute ma vie. »

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