Léo Koesten – Le manoir de Kerbroc’h
Par Margaux Catalayoud
Les éditions Baudelaire publient Le manoir de Kerbroc’h d’un habitué des ondes, Léo Koesten. L’écrivain livre toute son expérience des grandes aventures narrées sur France Inter dans « Affaires sensibles » et « Autant en emporte pour l’Histoire » dont il fut, entre autres choses, scénariste, puisque le roman en question annonce bien des mystères que les personnages principaux s’attacheront à élucider.
L’émancipation féminine
Le manoir de Kerbroc’h donne à lire l’histoire d’une famille versaillaise dont la mère ne supporte plus le carcan bourgeois imposé par son mari polytechnicien et sa belle-famille patriarchale. Rien ne manque, ni patrimoine immobilier – le manoir en Bretagne -, ni l’anthroponymie caractéristique – le patronyme « de Kerambrun ».
La mère de famille, Eloïse, s’ennuie en tant que mère au foyer et veut sortir du rôle que le Bottin Mondain veut bien lui donner. Elle deviendra enseignante, et pour les élèves défavorisés (en capitaux financier et culturel) ! D’aucun dira « c’est encore l’œuvre de la générosité enseignée par le dogme catholique ». Qu’importe ! ici, l’héroïne est une femme qui agit contre son mari, pour elle. L’on appréciera d’ailleurs le clin d’œil féministe de l’auteur qui emploie la forme inclusive « professeure ».
Néanmoins, l’élaboration des personnages et leur cheminement ne sont pas écrits selon leur pensée politique, l’auteur ne versant pas, de toutes les manières, dans l’idéologie ; les êtres sont incarnés et réagissent aux situations de façon tout à fait singulière à l’instar de leur caractère. Ainsi, les hommes ne sont pas caricaturaux mais révèlent toutes les nuances d’une tendance, d’une génération, d’une évolution. La dichotomie entre homme et femme n’est pas de ce monde, ou pas du livre tout du moins : l’amitié entre Eloïse et un instituteur à la retraite, jouant le rôle de confident, en témoigne. Ce dernier, à force d’une écoute toujours attentive, lui conseille à demi-mot – parce qu’en vérité, le choix est fait – de prendre la voie de l’adultère.
Les vertus de la détermination, de la confiance et de l’amour sont au cœur du roman qui réussit à faire montre d’une aventure au féminin, sans renier le quotidien de celle-ci – car il s’appuie sur la réalité et donne en pâture les accidents d’une vie de famille. L’évocation de la violence conjugale ne connaît aucun dramatisme par exemple, on y reconnaît même la banalité de pareille situation, minimisation et remords traditionnels : « Je reviens du commissariat, explique Éloïse au conseiller conjugal. J’ai porté plainte. Enfin, c’est lui qui voulait le faire parce que je lui avais donné…un coup de poing. Je le regrette, mais il m’avait giflée. Alors je me suis défendue. » Cette rébellion est un des nombreux signes qui font rupture avec la docile Eloïse d’antan qui s’engage dans un processus d’individuation.
Réalisme 2.0
De facto, la quête féminine s’enracine dans un récit irrigué par l’intérêt pour le fait social et l’expérimentation au sens où l’entendait Zola. Des questions séculaires telle que la place dans la société accordée en fonction du statut, ou actuelles telle que la pédophilie dans l’Église sont disséminées tout au long de la lecture, laquelle gagne en amplitude à force des multiplications de points d’accroche. Par ailleurs, la plume de Koesten ne manque guère d’amplitude non plus, elle emprunte au style oralisé un dynamisme qui sied parfaitement au désir de vivre dont est empreinte l’héroïne. Il y a fort à parier que le recours aux dialogues émerge depuis une injonction esthétique évidemment guidée par l’éthique du propos véhiculé. Autrement dit, au vu des sujets sur lesquels porte le livre, l’enjeu littéraire demeure dans le mimétisme de l’écriture : le lecteur rencontrera les tendres traits d’humour, relevant du comique de situation voire du burlesque, déguisés par l’usage d’expressions du ‘’parler jeune’’ – s’il existe – qui côtoient l’élégance du passé simple comme « Elle eut la furieuse envie de lui tirer la langue. Le fit-elle ? Personne ne s’en souvint, tant les événements se précipitèrent, intenses de chez intense. » Le narrateur omniscient intériorise le vocabulaire de personnages secondaires, même lui est mouvant ! Un mot d’ordre préside effectivement l’aventure qui se joue au Manoir, il s’agit de la mouvance d’esprit.
En résumé, Le manoir de Kerbroc’h maintient une certaine exigence éthique largement dominée par un féminisme, peut-être old school, en vertu d’une écriture qui se donne ‘’pour de vrai’’.