Diane Vandermolina, passionnée par le livre de Thierry Caillat sur RMT news international

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Camille, une vie de roman ou le roman d’une vie

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Il est des livres que dès l’incipit, ici du prologue, l’on savoure, ou que l’on dévore, selon notre appétit. « Camille » du Lorrain Thierry Caillat, urbaniste, amoureux de l’architecture des villes, amateur de café serré et de ballades en vélo, est de ceux-là. Pourtant il s’agit là d’un roman et non d’une énième biographie sur Camille Claudel.  Sa vision de Camille. Sa Camille Claudel, la dentellière du marbre.

Centre hospitalier de Montfavet dans les années 1910. Photo libre de droit.

La lente gestation d’une œuvre

Les amoureux de littérature apprécieront le style de l’auteur, sensible et délicat- voire sensuel quand il décrit le travail de la statuaire-, l’emploi d’un vocabulaire fouillé et recherché, l’usage de tournures de phrase joliment ciselées, l’alternance d’une écriture plus en retenue, à la précision quasi chirurgicale –notamment dans les dialogues vifs et concis-, et la peinture lyrique, émouvante, presque romantique de ses œuvres, avec ses deux points de vue –auteur/narrateur- qui parfois n’en font qu’un, se mêlant au sein d’un même paragraphe.

Ce roman est le fruit d’un travail de documentation au long cours et l’auteur fait montre d’une humble érudition, avec un sens innée du détail dans ses descriptions, convoquant pour appuyer son propos les critiques de l’époque ayant écrit sur les œuvres de l’artiste lors de ses trop rares expositions. Il aura fallu trois à quatre longues années pour achever ce roman qui n’aurait pas vu le jour s’il n’était pas allé, poussé par la curiosité, voir l’exposition consacrée à l’artiste à Montfavet.  C’était en 2013, étonnamment, ce fut une révélation …

De son propre aveu, il ne connaissait pas Camille Claudel (il n’a même jamais vu le film éponyme de Bruno Nuytten qui la sortit de l’oubli à la fin des années  quatre-vingt ndlr) mais il était intrigué par la découverte d’un lieu d’internement, l’Hôpital de Montfavet, un sujet qu’il souhaitait aborder pour un deuxième roman. Et voilà qu’il découvre Camille, sa vie… « Une vie de roman », pense-t-il en découvrant l’histoire de la statuaire : il espérait écrire sur sa période d’internement, mais découvrit qu’elle avait cessé de sculpter pendant ces longues années d’enfermement.  

Il a alors fait le tour des musées français où étaient exposées les sculptures de Mademoiselle Claudel, également visité le récent musée dédié à Camille à Nogent, « pas le meilleur » de son avis, saisi par la beauté de certaines œuvres  moins connues, à l’image de « La Sirène ou joueuse de Flûte », une de ses préférées découverte dans un petit musée en région.  Ainsi fasciné par l’œuvre de l’artiste, il s’est inscrit à des cours de modelage, s’astreignant à copier les sculptures de Camille, afin de mieux saisir le processus de création à l’œuvre : il dépeint par ailleurs avec brio les milles sensations en jeu dans le travail de la glaise ou du marbre dans les petits chapitres brefs et vifs, consacrés chacun à une œuvre de Camille, qui émaillent son roman.

Camille Claudel, « L’Âge mûr », 1899, bronze, fonte Frédéric Carvilhani, après 1913 (?), Musée Rodin, Paris, France. Photo libre de droit.

Portrait sans concession d’une femme artiste à l’esprit revêche et rebelle, écrasée par le poids d’une société sexiste

Thierry Caillat au cours de ses recherches a beaucoup lu les critiques de l’époque, cherchant à comprendre derrière les éloges ce qui était en jeu : le sexisme. Il dévoile dans son roman l’incroyable machisme accepté de et par tous qui régnait dans le monde de l’art et les difficultés pour une femme d’être reconnue pour son talent. Ce dont Camille souffrait, elle qui avait dépassé le maître mais restait dans son ombre. Citons ici Mirbeau « surpris par cette beauté d’art qui nous vient d’une femme » à propos de « la Valse » et de « Clotho », avant de continuer ainsi « Instruite par un tel maître, vivant dans l’intellectuelle intimité d’un tel frère, il n’est point étonnant que Mademoiselle Camille Claudel (…) nous apportent des œuvres qui dépassent par l’invention et la puissance d’exécution tout ce qu’on peut attendre d’une femme ». D’édifiants sous-entendus que nous retrouvons dans les écrits mêmes des soutiens de l’artiste !

La condition féminine contrainte à la « belle époque » -la place de la femme est celle de mère ou de courtisane- est ici fort bien décrite : l’auteur montre comment le machisme ambiant a contribué à aliéner l’impétueuse et exubérante Camille dont il reconnait qu’elle avait de base un caractère impossible. Elle était tyrannique  voire méchante dans ses jeunes années – ses pages en début de roman sur la façon dont elle traitait sa gouvernante ou son frère sont éloquentes. Il nous avoue même s’être demandé  en cours d’écriture pourquoi il continuait d’écrire sur elle, tant il en était venu à la détester…  Une anecdote qui en dit long sur la complexité du rapport que nous pouvons entretenir en tant qu’auteur avec nos personnages, en tant que spectateur avec les artistes que nous admirons. La question de la différenciation entre l’être et l’artiste se pose ici. Mais tel n’est pas l’objet de ce roman à proprement parler.

Il s’agit plutôt de comprendre comment une femme aussi forte et douée qui avait une haute opinion d’elle-même en est arrivée à être enfermée plus de la moitié de sa vie dans un Asile d’aliénés. « Analyser la psychologie des personnages » lui tenait à cœur, bien plus que l’aspect descriptif qui le rebutait et dans lequel il excelle néanmoins. Et c’est là un autre point intéressant du roman : l’attention portée à la famille de son héroïne, ses relations avec sa mère qui la détestait, son père qui ne l’aimait pas (à l’époque, l’amour maternel et paternel n’étaient pas la norme sociale du moment que les parents pourvoyaient à l’éducation de leur progéniture) mais il la soutenait dans son art –il croyait en son talent -, son frère sur lequel elle avait un fort ascendant mais qu’elle admirait aussi, sa sœur honnie et.. . bien entendu, Rodin ! Ah Rodin, ce voleur qu’elle traitait de tous les noms d’oiseaux, ce lâche qui n’a jamais osé quitter sa Rose…  Bien qu’il ne soit pas l’homme qu’elle aurait voulu qu’il soit, il a jusqu’à sa mort continué à l’aider et ce, quand bien même il était devenu l’objet de sa haine.  

L’auteur est ici sans concession vis-à-vis de son personnage principal, la montrant tel qu’il la voit en prise avec ses démons, entre débordements caractériels et effusions créatrices, mais ni ne la condamne, ni ne la disculpe. Admiratif du génie de l’artiste qui était une véritable perfectionniste réalisant elle-même ses marbres (Rodin ne faisait que signer les siens), il évite dans ce roman de tomber dans le piège ou écueil du manichéisme. En demi-teinte, il écrit l’histoire d’un personnage complexe dont la folie ou plutôt paranoïa latente a été exacerbée par plusieurs facteurs enchevêtrés.  Ceux-là même d’une société machiste et misogyne qui ne pouvait reconnaître le talent de la Femme, d’une passion destructrice pour un Homme lâche sur lequel elle a cristallisé toute sa haine et sa rancœur, du décès d’un Père accablé qu’elle adorait, de l’Absence de soutien familial, surtout de son petit Paul, sans oublier un élément dont on parle peu : le tarissement de son Inspiration.

La Valse. Grès flammé H. 41,5 cm • L. 37 cm • Pr. 20,5 cm Origine : Achat à Reine-Marie Paris en 2008 N° d’inventaire : 2010.1.11 Copyright : musée Camille Claudel, Marco Illuminati

L’éphémère (de la) puissance créatrice

Lorsque nous l’avons rencontré, Thierry Caillat, désormais incollable sur l’artiste, nous explique avec un luxe de détail le lent assèchement de son inspiration, citant la « Niobide Blessée », une énième variation de « Sakountala ». Car in fine, aussi créative et douée qu’elle fut sur deux décennies avec en point d’orgue les premières années post-Rodin et son « Age mûr », celle qui réalisa les plus belles œuvres sculpturales de la fin du 19ème siècle, n’a sculpté qu’un tiers de sa longue vie avec une fin d’existence en pointillé, que retrace brièvement l’auteur en quelques phrases éparses, entrecoupées de courts extraits de ses échanges avec sa mère et de quelques pensées relatives à son internement, pages desquelles s’exhale un sentiment de tristesse infinie, clôturant ainsi ce roman sur une note à la saveur « douce-amère ».

Et pourtant, le sujet de ce livre est d’actualité : la salle où ses œuvres sont présentées dans le musée Rodin a été baptisée ‘L’entourage de Rodin’ et non salle ‘Camille Claudel’. « Folle qu’elle était … » d’avoir voulu être, exister en tant que femme artiste. Il nous plonge en toile de fond dans une réalité sexiste qui perdure encore de nos jours, mais il nous entraine surtout dans l’art passionné de la sculpture avec ses petits chapitres tels des respirations pendant lesquelles le temps est suspendu à l’acte créatif, nous décrivant avec précision et magnificence la beauté d’une œuvre que l’écriture rend ici palpable.

Ecrire ce roman fut un pari audacieux selon son auteur mais c’est avant tout une magnifique déclaration d’amour à l’œuvre d’une artiste et à son art qu’il méconnaissait complètement. Un très bel ouvrage littéraire que nous vous recommandons que vous soyez ou non amoureux de l’artiste, passionné ou non de sculpture, amateurs ou non de belles lettres. Diane Vandermolina

Camille de Thierry Caillat

Ed.  L’Harmattan Roman Aout 2019 23€ 251p

 

Images d’illustration

Centre hospitalier de Montfavet dans les années 1910. Photo libre de droit.

Camille Claudel, « L’Âge mûr », 1899, bronze, fonte Frédéric Carvilhani, après 1913 (?), Musée Rodin, Paris, France. Photo libre de droit.

 La Valse. 1889-1905. Grès flammé H. 41,5 cm • L. 37 cm • Pr. 20,5 cm Origine : Achat à Reine-Marie Paris en 2008 N° d’inventaire : 2010.1.11 Copyright : musée Camille Claudel, Marco Illuminati (recup pic 22 mars 2017 in bibliothèque)

 

En Une  Camille Claudel, photographie anonyme (avant 1883). Photo libre de droit. 

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