Edmonde Charles-Roux adore le livre de Claude Delay (La Provence, 02.02.08)

LIVRES – LA PROVENCE 2 février 2008

BIOGRAPHIE / LA PSYCHANALYSTE CLAUDE DELAY AUTEUR D’UN OUVRAGE REMARQUABLE

ALBERTO ET DIEGO GIACOMETTI LES FRERES INSEPARABLES

Photo : Sur la couverture de ce livre, l’un des plus beaux clichés de Cartier-Bresson. Alberto sous la pluie à Paris.

PAR EDMONDE CHARLES-ROUX
DE L’ACADEMIE GONCOURT

Il fallait que vienne le jour où Diego Giacometti sortirait de l’ombre, le jour où il passerait du rôle de l’assistant rarement nommé et du protecteur ignoré de son frère, à celui de l’alter ego de son illustre aîné. Alberto Giacometti, sculpteur et peintre de génie, artiste de stature internationale. Or, c’est chose faite avec la parution d’une biographie intimiste, dont l’auteur Claude Delay, écrivain et psychanalyste, se trouve avoir été une amie de Diego.

J’ai abordé les premières pages de cet ouvrage avec des réserves. Qu’avais-je à craindre ? Trop de « psy » ? Je sentais comme une peur que le souvenir que je gardais d’Alberto et des beaux dimanches passés chez Derain, à Chambourcy, avec Balthus et lui, allait s’en trouver changé, bousculé. Je suis sortie de cette lecture conquise et émue.

C’est le moment où jamais de lire ce livre si on veut mieux apprécier les rétrospectives consacrées à l’oeuvre d’Alberto qui se succèdent dans les plus grands musées européens et pour mieux comprendre l’étonnant couple que formaient les deux frères. Alberto, le perpétuel angoissé, fit de son frère Diego son modèle favori, son fondeur et son conseiller. Diego, lui, oeuvra toute sa vie au profit de son frère. Il deviendra pour Alberto « son frère de travail, son ambidextre, sa sentinelle », nous dit Claude delay.

Sur la couverture de ce livre, l’un des plus beaux clichés de Cartier-Bresson. Une photo célèbre, celle d’Alberto sous la pluie qui tombe sur le quartier d’Alésia à Paris. Cartier-Bresson l’a surpris non loin de la rue Hippolyte Maindron, à deux pas des ateliers des deux frères. Alberto traverse dans les clous, se faisant un abri de son imperméable. Sa célèbre tignasse apparaît à peine. Etrange figure à la tête à demi cachée et qui avance…

Alberto et Diego sont indissociables. Ils sont nés à treize mois d’écart. Alberto en 1901, Diego en 1902. Leur père était un peintre impressionniste reconnu, leur mère, Anetta, une femme rayonnante, mère de quatre enfants qui vivaient tous au village de Stampa, dans les Alpes suisses et grisonnes, fiefs de protestants austères. Le jeune Alberto dessine tout ce qu’il voit. Plus tard, il fera poser son frère Diego à vie.
En Italie où il accompagne son père, Alberto est bouleversé par Tintoret. Puis à Padoue nouvelle découverte et nouveau choc : Giotto. S’étant décidé pour la sculpture, Alberto est envoyé à Paris. Il y suivra l’enseignement de Bourdelle de 1922 à 1927.

Alberto est un étudiant solitaire qui travaille d’arrache-pied et que son maître n’apprécie guère. Et quand il réussit à montrer pour la première fois deux de ses oeuvres, Bourdelle lui dit : « On peut faire des choses comme ça chez soi mais on ne les montre pas… ». Le jeune provincial suisse en quête d’un vrai contact le trouve en la personne d’un grand artiste nommé Laurens.

Enfin le jour vint où les collectionneurs s’emparèrent des productions de Diego encore confidentielles tandis que les marchands firent main basse sur les premières oeuvres d’Alberto.
Le livre de Claude Delay éclaire de façon nouvelle la manière dont les deux frères se rendirent indispensables l’un à l’autre. Et puis, Claude Delay écrit bien et d’une écriture à elle. Il faut avoir lu son livre.

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