Le Confinement ou « Qu’est-ce qui rend la vie humaine possible ? » par Eric-Louis Henri

Le Confinement ou « Qu’est-ce qui rend la vie humaine possible ? »

Par Eric-Louis Henri

Le Confinement ou « Qu’est-ce qui rend la vie humaine possible ? »

Pascal nous l’a appris : l’homme se fait injustement le centre du monde. Et maintenant encore, il oublie que c’est toujours du sien qu’il se soucie en premier lieu. Moins par narcissisme novateur, nullement par égocentrisme ni avarice d’être ; plutôt par une simple et insidieuse nécessité ; un réflexe de sauvegarde somme toute, porté par son regard sur le monde ; borné par le regard tout court, égoïste, inscrit dans ses gênes.

On célèbre aujourd’hui la solidarité prétendument retrouvée et les héros oubliés du front applaudis au « 20 heures » de notre humble conscience quotidienne. Mais au fond de nous, finalement, notre moi haïssable pense : « Plutôt eux que nous ! » ou, parce qu’optimiste dans l’âme, « La chance est de notre côté » !  Mais quelle chance ? La chance de quoi ? Celle de rester chez soi ?

Une chance imposée a toujours quelque mal à trouver le chemin de la pleine conscience.

J’étais revenu de justesse des Etats-Unis et aussitôt les circonstances m’ont signifié une assignation à résidence. Adieu Kiev. Adieu Milan. Adieu Barcelone, Mumbai et Dublin. La farandole de mes déplacements affairés mise au ban ! Jusqu’à quand ? Plus que l’inaction soudaine, c’est cet entre-deux confus qui fut d’emblée exaspérant, une sorte de vide de parcours, nébuleux, agaçant, quand la volonté d’entreprendre se voit « injustement » opposer une fin de non-recevoir, parce que « moi, vous comprenez, je n’ai pas que cela à (ne pas) faire… » ! Quand, en bref, aller de l’avant consiste en une mise hors service et laisse pressentir confusément un aboutissement de quelque chose dont on ne perçoit guère le terme ni ne préfigure le début de quoi que ce soit.

L’humanisme nous a enseigné que la curiosité est source d’inspiration. Mais quand celle-là ne peut plus se nourrir d’échappées lointaines, de rencontres inopinées, de voyages épiques ou de découvertes artistiques ? Que son seul art consiste en celui de réapprendre à vivre chez soi, claquemuré dans un univers qu’on ne voit même plus tant on pense le connaître ? Alors, dans cet « ici et maintenant » confiné, agaçant, importun, resurgit étriquée du fond de la conscience, une question oubliée : qu’est-ce qui rend la vie humaine possible ?

Cette question, d’autres que moi se la sont posées. Avant. Portés par une angoisse existentielle de bon aloi. Dans le confort que leur offrait une époque où tout était encore possible, une période où la perspective d’une fin ne se posait pas, où l’urgence était en fait absente ! A moins que ce ne fut, radicalement, au sortir d’un séisme sans nom, d’une catastrophe innommable, celle d’un tsunami, d’un génocide, d’un deuil inacceptable à l’échelle humaine, d’un holocauste. Lyotard, pour ne citer que lui, écrivait alors, par exemple, qu’on ne pouvait plus penser après comme avant, sauf à faire preuve de cynisme…

Mais en sommes-nous arrivés là ? A devoir choisir entre vivre cyniquement ou survivre malgré tout ?

Qu’est-ce qui rend la vie humaine possible aujourd’hui ?

Cette question est celle de l’ennui, de l’embarras, de l’empêchement, de l’importunité. Elle ne m’a pas épargné non plus.

Le confinement que nous vivons a ceci de particulier qu’il est à la fois radical et cependant, osons cet outrage, confortable ! Le questionnement qu’il suscite comporte une voie sans retour certes mais pas sans issue. Du moins le pensons-nous.

Pour ma part, j’ai honte de le reconnaître au vu des sacrifices de certains, il y a du soulagement à vivre cette période. Comme si la pandémie était un aboutissement, comme s’il fallait que cela fût et se passât, comme si j’étais arrivé au bout de quelque chose, et la société au terme d’un affairisme quotidien sans nom, d’une fuite en avant sans réserve… Comme si le monde s’éparpillait en vain à ne plus rien inventer d’humain, si ce n’est une nième version d’un théâtre où tout, ou presque, fut déjà dit, joué, … Et qu’il fallait arrêter là ce jeu stupide, cette ambition de dupes, cette course folle au néant ; pour pouvoir recouvrer du sens comme on recouvre la vue, le sens du nécessaire et de l’essentiel.

Confronté au confinement, il y eut d’emblée ce soulagement-là. Pour moi. Et également celui-ci, à la lisière de l’entendement : rien ne pourrait plus être comme avant… si seulement on le voulait.

Et après ? Et l’après ?

Chacun d’entre nous – et j’en suis- est aujourd’hui convié à sa propre table, bien obligé de réinventer son quotidien. De près ou de loin, de manière claire ou désordonnée, en se raccrochant (ou non) aux textos amicaux, religieux, philosophiques, loufoques ou romanesques, … Pour se donner bonne consistance, avec la mauvaise foi tenace, en creux, de ceux qui n’osent pas encore avouer leur faiblesse.

A quoi bon ? A quoi bon se lever tous les jours aux aurores et ne rentrer qu’aux heures sombres ? A quoi bon courir sans cesse aux quatre coins de son monde ? Pour obtenir quoi ? Pour conquérir quoi, vaincre quel enjeu ? Quel temps pour soi ? A quoi bon ces vacances exotiques, ces départs au loin ? A quoi bon… ?

Être confiné, c’est, à contrario, faire l’expérience de la fuite de soi et, entre ses quatre murs, se confronter à sa vérité. A celle des autres. A l’oubli. Incidemment ? Si l’on veut. Accidentellement ? Peut-être. Durement, radicalement ? Avec certitude. Le confinement n’est pas une pause entre un début et une fin. Ni même l’inverse, finalement. Le confinement est un marais à peine asséché, touffu, embroussaillé. C’est un déni qui nous met à l’épreuve de nous-mêmes et de notre humanité.

Et renvoie à la question « Qu’est-ce qui rend notre vie humaine encore possible aujourd’hui ? »

 

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